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Décisions

CE, 9e et 10e ch. réunies, 3 février 2021, n° 430130

CONSEIL D'ÉTAT

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

Airbus Helicopters (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Schwartz

Rapporteur :

M. Agnoux

Rapporteur public :

Mme Bokdam-Tognetti

Avocat :

SCP Piwnica, Molinié

TA Marseille, du 9 janv. 2018

9 janvier 2018

Vu la procédure suivante :

La société Airbus Helicopters a demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler la décision du 5 novembre 2015 par laquelle le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi de Provence-Alpes-Côte d'Azur lui a infligé une amende administrative de 375 000 euros en raison des délais excessifs de paiement de ses fournisseurs et a décidé la publication de cette sanction. Par un jugement n° 1509166 du 9 janvier 2018, le tribunal administratif de Marseille a annulé cette décision.

Par un arrêt n° 18MA01094 du 25 février 2019, la cour administrative d'appel de Marseille a, sur appel du ministre de l'Economie et des Finances, annulé ce jugement et rejeté la demande de la société Airbus Helicopters.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un nouveau mémoire, enregistrés les 25 avril et 19 juillet 2019 et le 10 août 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Airbus Helicopters demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter l'appel du ministre de l'Economie et des Finances ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, notamment son article 8 ;

- le code de commerce ;

- la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014, notamment son article 123 ;

- la loi n° 2014-626 du 18 juin 2014, notamment son article 68 ;

- le code de justice administrative et le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Nicolas Agnoux, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme A B, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Piwnica, Molinié, avocat de la société Airbus Helicopters ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu'à la suite d'un contrôle diligenté par les services de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi de Provence-Alpes-Côte d'Azur en 2015 sur la comptabilité de la société Airbus Helicopters pour l'année 2013, il a été constaté que les délais de paiement de ses fournisseurs excédaient les délais maximaux prévus par les dispositions du VI de l'article L. 441-6 du code de commerce. Le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi a prononcé, le 5 novembre 2015, une amende de 375 000 euros à l'encontre de la société Airbus Helicopters et décidé de publier la décision de sanction sous forme de communiqué, par voie électronique, sur le site internet de la direction régionale pour une durée d'un mois. Par un jugement en date du 9 janvier 2018, le tribunal administratif de Marseille a annulé cette décision. La société Airbus Helicopters se pourvoit en cassation contre l'arrêt en date du 25 février 2019 par lequel la cour administrative d'appel de Marseille, faisant droit à l'appel du ministre de l'Economie et des Finances, a annulé ce jugement et rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'amende.

2. D'une part, aux termes des huitième, neuvième et onzième alinéas du I de l'article L. 441-6 du code de commerce dans sa rédaction applicable aux faits de l'espèce : « Sauf dispositions contraires figurant aux conditions de vente ou convenues entre les parties, le délai de règlement des sommes dues est fixé au trentième jour suivant la date de réception des marchandises ou d'exécution de la prestation demandée », « Le délai convenu entre les parties pour régler les sommes dues ne peut dépasser quarante-cinq jours fin de mois ou soixante jours à compter de la date d'émission de la facture » et « Nonobstant les dispositions précédentes, pour le transport routier de marchandises, pour la location de véhicules avec ou sans conducteur, pour la commission de transport ainsi que pour les activités de transitaire, d'agent maritime et de fret aérien, de courtier de fret et de commissionnaire en douane, les délais de paiement convenus ne peuvent en aucun cas dépasser trente jours à compter de la date d'émission de la facture ».

3. D'autre part, aux termes du I de l'article L. 442-6 du code de commerce, dans sa version antérieure à la loi du 17 mars 2014 relative à la consommation : « Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers : / (...) 7° De soumettre un partenaire à des conditions de règlement qui ne respectent pas le plafond fixé au neuvième alinéa de l'article L. 441-6 ou qui sont manifestement abusives, compte tenu des bonnes pratiques et usages commerciaux, et s'écartent au détriment du créancier, sans raison objective, du délai indiqué au huitième alinéa de l'article L. 441-6. (...) ». Le III du même article disposait que : « L'action est introduite devant la juridiction civile ou commerciale compétente par toute personne justifiant d'un intérêt, par le ministère public, par le ministre chargé de l'Economie ou par le président de l'Autorité de la concurrence lorsque ce dernier constate, à l'occasion des affaires qui relèvent de sa compétence, une pratique mentionnée au présent article. / Lors de cette action, le ministre chargé de l'Economie et le ministère public peuvent demander à la juridiction saisie d'ordonner la cessation des pratiques mentionnées au présent article. Ils peuvent aussi, pour toutes ces pratiques, faire constater la nullité des clauses ou contrats illicites et demander la répétition de l'indu. Ils peuvent également demander le prononcé d'une amende civile dont le montant ne peut être supérieur à 2 millions d'euros. (...). / La juridiction peut ordonner la publication, la diffusion ou l'affichage de sa décision ou d'un extrait de celle-ci selon les modalités qu'elle précise. (...) ».

4. L'article 123 de la loi du 17 mars 2014 relative à la consommation a abrogé le 7° de l'article L. 442-6 du code de commerce cité au point 3 ci-dessus et ajouté à l'article L. 441-6 du même code un VI ainsi rédigé, dans la version adoptée par le Parlement : « Sont passibles d'une amende administrative dont le montant ne peut excéder 75 000 € pour une personne physique et 375 000 € pour une personne morale le fait de ne pas respecter les délais de paiement mentionnés aux huitième, neuvième et onzième alinéas du I du présent article, ainsi que le fait de ne pas respecter les modalités de computation des délais de paiement convenues entre les parties conformément au neuvième alinéa dudit I. (...) ».

5. En premier lieu, par sa décision n° 2014-690 DC du 13 mars 2014 (Loi relative à la consommation), le Conseil Constitutionnel a censuré partiellement les dispositions du VI de l'article L. 441-6 du code de commerce au motif que la méconnaissance des huitième et onzième alinéas du I de l'article L. 441-6 du code de commerce pouvait donner lieu, pour des faits qualifiés de façon identique par la loi, au prononcé d'une sanction administrative d'un montant de 75 000 euros pour une personne physique et de 375 000 euros pour une personne morale, prévue par le VI de l'article L. 441-6 cité au point 4 ci-dessus, ou d'une sanction pénale alors d'un montant de 15 000 euros, prévue par le dernier alinéa du I du même article, en violation du principe d'égalité devant la loi. A la suite de cette censure, l'article 68 de la loi du 18 juin 2014 relative à l'artisanat, au commerce et aux très petites entreprises, a abrogé ces dispositions du dernier alinéa du I de l'article L. 446-1 relatives à la sanction pénale et rétabli les dispositions du VI de l'article L. 441-6 dans sa rédaction citée au point 4 ci-dessus. Il a en outre prévu à son II des mesures transitoires ainsi rédigées : « Les faits mentionnés au premier alinéa du VI de l'article L. 441-6 du code de commerce commis antérieurement à l'entrée en vigueur de la présente loi restent régis par l'article L. 441-6 du même code dans sa rédaction en vigueur au moment des faits. »

6. En jugeant que les dispositions du II de l'article 68 de la loi du 18 juin 2014 s'appliquent seulement à la méconnaissance des dispositions des huitième et onzième alinéas du I de l'article L. 441-6 du code de commerce, à l'exclusion de celle du neuvième alinéa du même article, dont les sanctions n'ont pas été modifiées par la loi du 18 juin 2014, la cour n'a pas commis d'erreur de droit.

7. En deuxième lieu, aux termes de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 : « La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires (...) ». Le fait de ne pas appliquer aux infractions commises sous l'empire de la loi ancienne la loi pénale nouvelle, plus douce, revient à permettre au juge de prononcer les peines prévues par la loi ancienne qui, selon l'appréciation même du législateur, ne sont plus nécessaires. Dès lors, sauf à ce que la répression antérieure plus sévère soit inhérente aux règles auxquelles la loi nouvelle s'est substituée, le principe de nécessité des peines implique que la loi pénale plus douce soit rendue immédiatement applicable aux infractions commises avant son entrée en vigueur qui n'ont pas donné lieu à des condamnations passées en force de chose jugée. Ce principe s'applique à toute sanction ayant le caractère d'une punition, même si le législateur a laissé le soin de la prononcer à une autorité de nature non juridictionnelle.

8. En substituant à l'amende civile de 2 millions d'euros prévue par le I de l'article L. 442-6 du code de commerce, qui sanctionnait « le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers : / (...) 7° De soumettre un partenaire à des conditions de règlement qui ne respectent pas le plafond fixé au neuvième alinéa de l'article L. 441-6 », une amende administrative sanctionnant « le fait de ne pas respecter les délais de paiement mentionnés » au neuvième alinéa du I de l'article L. 441-6 du code de commerce, d'un montant de 75 000 euros pour une personne physique et 375 000 euros pour une personne morale, l'article 123 de la loi du 17 mars 2014 a, sans modifier la teneur des faits sanctionnés, modifié les règles de compétence et de procédure et réduit le quantum de la peine applicable. Par suite, la cour n'a pas commis d'erreur de droit ni d'erreur de qualification juridique en jugeant que cette loi constitue, pour l'application du principe rappelé au point 7 ci-dessus, une loi pénale plus douce immédiatement applicable aux faits commis antérieurement à son entrée en vigueur, quand bien même la nouvelle amende administrative serait appliquée plus fréquemment que l'ancienne amende civile.

9. En troisième et dernier lieu, la cour a relevé que la société Airbus Helicopters présentait en 2013 un dépassement moyen du délai mentionné au neuvième alinéa du I de l'article L. 441-6 du code de commerce de plus de seize jours au détriment de soixante-dix-huit de ses fournisseurs, portant sur un montant total de factures de plus de 17 millions d'euros. Il ressort également des pièces du dossier qui lui était soumis que, sur un échantillon de 103 factures sélectionnées par l'administration, le délai prévu au neuvième alinéa n'avait pas été respecté pour 81 d'entre elles. Au vu de l'ampleur des dépassements constatés, du volume d'affaire concerné, ainsi que de la position de force de l'entreprise dans ses relations commerciales, la cour a estimé que la sanction de 375 000 euros assortie d'une publication pendant un mois sur le site de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi de Provence-Alpes-Côte d'Azur n'était pas disproportionnée. La société n'est pas fondée à soutenir que la sanction ainsi retenue est hors de proportion avec la faute commise.

10. Il résulte de tout ce qui précède que la société Airbus Helicopters n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise, à ce titre, à la charge de l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.

DECIDE :

Article 1er : Le pourvoi de la société Airbus Helicopters est rejeté.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à la société Airbus Helicopters et au ministre de l'Economie, des Finances et de la Relance.