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Décisions

CA Rennes, 3e ch. com., 2 février 2021, n° 18/01809

RENNES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Kapla (SARL)

Défendeur :

Centrale du Provincial (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Contamine

Conseillers :

Mme Jeorger-Le Gac, M. Garet

CA Rennes n° 18/01809

2 février 2021

La société LA CENTRALE DU PROVINCIAL exploite huit boulangeries sur Brest.

A partir de 2010, elle a souhaité développer un réseau de franchises sous la marque « LE FOURNIL DE PROVINCE ».

Le 25 septembre 2011, M. X a signé un contrat de franchise avec la société LA CENTRALE DU PROVINCIAL, d'une durée de sept années, pour un fonds de commerce à Lanester. Il s'est ensuite substitué la société KAPLA.

M. X a signé le bail commercial le 11 février 2012, immatriculé la société KAPLA le 6 juin 2012 et a débuté son activité en septembre 2012.

Le 28 août 2014, la société KAPLA a sollicité la résiliation anticipée de son contrat de franchise.

Le 27 mars 2015, le tribunal de commerce de Brest a prononcé le redressement judiciaire de la société KAPLA, converti en liquidation judiciaire le 29 mai 2015. Me Y a été nommé liquidateur judiciaire.

Par acte du 16 décembre 2015, Me Y ès-qualités a assigné la société LA CENTRALE DU PROVINCIAL en soutenant qu'elle n'avait jamais respecté les obligations prescrites par les dispositions de l'article L. 330-3 du code de commerce, pour demander la résiliation du contrat de franchise pour dol et la condamnation au paiement du franchiseur de la somme de 476 569,86 euros de dommages et intérêts.

Par jugement du 16 février 2018, le tribunal de commerce de Brest a :

- débouté Me Y ès-qualités de ses demandes,

- condamné Me Y ès-qualités au paiement de la somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné Me Y ès-qualités aux dépens.

Appelant de ce jugement, Me Y ès-qualités de liquidateur judiciaire de la société KAPLA, par conclusions du 1er décembre 2020, a demandé que la Cour :

- infirme le jugement déféré,

- prononce la nullité du contrat de franchise,

- condamne la société LA CENTRALE DU PROVINCIAL à lui restituer le droit d'entrée et les redevances de franchise soit 68 445 euros TTC,

- condamne la société LA CENTRALE DU PROVINCIAL à lui payer une somme de 476 569,86 euros de dommages et intérêts, sauf à parfaire,

- la condamne au paiement de la somme de 6 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- la condamne aux dépens.

Par conclusions du 3 novembre 2020, la société LA CENTRALE DU PROVINCIAL a demandé que la Cour :

- confirme le jugement déféré,

- condamne Me Y ès-qualités à lui payer la somme de 6 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- le condamne aux dépens de première instance et d'appel avec droit de recouvrement pour ceux dont il a été fait l'avance.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 3 décembre 2020.

La société LA CENTRALE DU PROVINCIAL a déposé des conclusions le 8 décembre 2020 demandant que soit prononcé le rabat de l'ordonnance de clôture et contenant conclusions au fond.

Pour un plus ample exposé des prétentions et des moyens des parties, la Cour renvoie aux conclusions susvisées.

MOTIFS DE LA DECISION :

Sur la procédure :

La société LA CENTRALE DU PROVINCIAL demande que soit prononcé le rabat de l'ordonnance de clôture du 3 décembre 2020, au motif que son adversaire a conclu le 1er décembre 2020 et qu'il est nécessaire qu'elle réponde à son argumentation.

La déclaration d'appel date du 16 mars 2018 et la situation des parties n'a connu aucune évolution, ni en droit ni en fait, depuis.

La société LA CENTRALE DU PROVINCIAL, qui a néanmoins conclu une nouvelle fois le 3 novembre 2020, devait s'attendre à une réponse, qui lui fut apportée par les conclusions de Me Y ès-qualités du 1er décembre, qui contiennent quelques lignes de précisions factuelles nouvelles et évoquent de nouvelles jurisprudences, lesquelles au demeurant sont publiques.

Celles-ci ne nécessitaient pas de réplique, tandis que le motif invoqué à l'appui de la demande de rabat n'est pas un motif grave au sens des dispositions de l'article 783 du code de procédure civile.

La demande est donc rejetée, les conclusions au fond de l'intimée du 8 décembre 2020 étant déclarées irrecevables et la Cour statuera au visa des conclusions du 3 novembre 2020 de la société LA CENTRALE DU PROVINCIAL.

Sur le dol :

Me Y ès-qualités fait grief à la société LA CENTRALE DU PROVINCIAL de ne pas avoir transmis ses comptes réels dans le document d'information précontractuel mais de simples tableaux dont la véracité ne pourrait être vérifiée, les comptes n'étant pas déposés, et l'intimée ayant refusé de communiquer ses liasses fiscales malgré la sommation de communiquer lui en ayant été faite.

L'examen du DIP démontre que :

- la société LA CENTRALE DU PROVINCIAL mentionne qu'elle se prévaut de l'exploitation de huit boulangeries « en propre », c'est-à-dire non franchisées, qu'elle fournit un organigramme du groupe de sociétés dont elle dépend et qu'elle précise qu'elle-même, destinée à l'exploitation d'un réseau de franchisés, a été créée depuis moins d'une année, ce dont il se déduit la jeunesse de la franchise,

- ont été fournis pour chacune des boulangeries exploitées, chacune sous la forme d'une société distincte, le bilan et le compte de résultat des deux dernières années, ces comptes portant le cartouche d'une société d'expertise comptable dont l'adresse et le numéro de téléphone sont précisés,

- ont été précisées pour chaque établissement sa date de création ainsi que ses conditions d'exploitation (présence ou non de places assises, présence ou non de l'activité pizza, réalisation ou non de travaux de devanture).

Me Y ès-qualités plaide que M. X aurait « été incapable d'apprécier le caractère réalisable des chiffres communiqués par la société franchiseur sur ses différents supports commerciaux ».

Le DIP n'exonère pas le candidat franchiseur d'établir son propre dossier prévisionnel : compte tenu des éléments portés à sa connaissance et qu'il devait répercuter au professionnel chargé de l'assister dans la réalisation de ces comptes prévisionnels, ce dernier disposait de tous les éléments nécessaires pour apprécier dans quels délais les chiffres d'affaires et marges des boulangeries exploitées en propre pouvaient raisonnablement être reproduits par le candidat à la franchise.

A cet égard, s'il est exact que le DIP mentionne qu'il est considéré que le franchisé pourra réaliser un chiffre d'affaires d'environ 750 000 euros, les comptes annexés au DIP mentionnent des chiffres très inférieurs pour deux des sociétés et il n'y a donc pas de dissimulation sur cette question.

D'autre part le dossier prévisionnel de la société KAPLA n'a pas été versé aux débats et il n'est donc pas possible d'une part de vérifier son existence, d'autre part, d'en comparer l'adéquation aux performances qui allaient être réalisées par la société KAPLA, enfin de le comparer aux chiffres transmis dans le DIP.

Sur cette question, il est inexact de prétendre qu'il aurait été indispensable au futur franchisé de détenir les comptes de l'année d'ouverture de chacune des boulangeries : bien au contraire, les dispositions de l'article R. 330-1 prévoient que les comptes communiqués dans le DIP doivent être ceux des deux derniers exercices.

Ensuite, au-delà même du cartouche figurant sur les comptes transmis, qui permet de ne pas douter de leur authenticité, le dossier de la cour ne comporte pas de trace d'un incident de communication de pièces.

Enfin, Me Y indique dans ses conclusions que les banques auraient refusé de valider le dossier avec un prévisionnel de chiffre d'affaires à 750 000 euros, conduisant M. X à établir un prévisionnel - non versé aux débats - pour 650 000 euros. Cette information démontre que l'attention de M. X avait été attirée sur les résultats pouvant être attendus au démarrage de son activité.

De la même façon, il est reproché au franchiseur de ne pas avoir respecté ses engagements quant à l'assistance devant être apportée au choix du local et quant à la transmission de son savoir-faire.

La présentation faite au franchisé de cette assistance et de cette transmission l'aurait conduit à s'engager dans la franchise, ce qu'il n'aurait pas fait s'il avait su qu'il se retrouverait seul à assumer des erreurs, sans savoir-faire réellement transmis.

Sur ces questions, le dossier de Me Y manque de pièces permettant d'apprécier ses allégations.

Il est exact que le DIP indique que le franchiseur assistera le franchisé dans la recherche de son local, la remise du cahier des charges architectural, la mise en relation avec les entreprises impliquées et la participation au suivi du chantier.

Me Y conclut que :

- le coût d'aménagement du local aurait été supérieur aux chiffres annoncés,

- que le local aurait été mal choisi et les travaux réalisés en dépit du bon sens (absence de ventilation).

Toutefois, aucune pièce ne justifie du montant des travaux ni de leur description, ne permettant pas à la Cour de comparer leurs montants à ceux annoncés dans le DIP.

Aucune pièce ne justifie non plus, à l'exception d'un courriel de deux lignes évoquant la chaleur du local, d'une réclamation envers l'entreprise ayant réalisé les travaux, interdisant à la Cour d'apprécier l'argumentation de l'appelant.

S'agissant de la transmission du savoir-faire, il est exact que le DIP vantait la mise en ligne d'un « manuel opérationnel » et de visites régulières, permettant au candidat franchisé de s'affranchir d'une expérience antérieure dans un commerce similaire.

Quelques courriers témoignent d'une recherche d'information par la société KAPLA, et notamment d'une information erronée relative à un gâteau pour enfant, « chocolatine », sans que pour autant il apparaisse des manquements répétés et graves du franchiseur. Notamment, aucune page du manuel opérationnel n'est versée aux débats, interdisant à la cour d'en apprécier la précision.

Par ailleurs, il n'apparaît pas de reproche d'insuffisance d'assistance durant les deux années ayant suivi la conclusion du contrat de franchise, les reproches étant formulés en 2014 et 2015, quand les difficultés de la société KAPLA sont devenues patentes.

Enfin, s'il est certain que la société LA CENTRALE DU PROVINCIAL ne justifie pas avoir réalisé le nombre annuel de visite mentionné dans son DIP, cette difficulté témoignerait éventuellement d'une mauvaise exécution du contrat mais serait sans rapport avec un défaut d'information préalable au consentement donné par la société KAPLA au contrat de franchise, aucune pièce ne témoignant d'une volonté délibérée et antérieure au contrat de la société LA CENTRALE DU PROVINCIAL de ne pas exécuter son obligation d'assistance au détriment de son franchisé.

Ces motifs conduisent la Cour à confirmer le jugement déféré en ce qu'il a débouté l'appelant de sa demande visant au prononcé de la nullité du contrat de franchise pour dol et de ses prétentions indemnitaires subséquentes.

Sur les frais irrépétibles et les dépens :

L'appelant, qui succombe, supportera la charge des dépens d'appel.

Les demandes formées sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile sont rejetées.

PAR CES MOTIFS :

La Cour,

Dit n'y avoir lieu au rabat de l'ordonnance de clôture.

Déclare irrecevables les conclusions au fond de la société LA CENTRALE DU PROVINCIAL en date du 8 décembre 2020.

Confirme le jugement déféré.

Condamne Me Y ès-qualités de liquidateur judiciaire de la société KAPLA aux dépens d'appel.

Rejette les demandes formées sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.