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Décisions

CA Bordeaux, 4e ch. civ., 3 février 2021, n° 18/01971

BORDEAUX

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

BTSG (SCP)

Défendeur :

Maje (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Chelle

Conseillers :

Mme Fabry, Mme Brisset

T. com. Bordeaux, du 12 févr. 2018

12 février 2018

FAITS ET PROCÉDURE

La SAS La Pataterie, placée en redressement judiciaire le 18 octobre 2017, et la SAS Maje sont deux franchiseurs de réseaux de restauration,

Considérant qu'un courrier adressé en juin 2017 à certains de ses franchisés par les fondateurs de la société Maje, exploitant son réseau à l'enseigne Meuh, constituait des actes de dénigrement, de concurrence déloyale et de parasitisme ainsi qu'une publicité comparative illicite, la société La Pataterie a, par acte du 20 juillet 2017, fait assigner la société Maje devant le tribunal de commerce de Bordeaux.

Par jugement contradictoire du 12 février 2018, le tribunal a :

- reçu l'intervention volontaire de Maître H., en qualité d'administrateur judiciaire de la société La Pataterie et Maître G., en qualité de mandataire judiciaire de la société La Pataterie,

- débouté la société La Pataterie de toutes ses demandes,

- condamné la société La Pataterie à payer à la société Maje la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens.

Par jugement du 21 février 2018, la liquidation judiciaire de la société La Pataterie a été prononcée, la SCP BTSG étant désignée en qualité de mandataire liquidateur.

La SCP BTSG, ès-qualités, a relevé appel de la décision le 6 avril 2018, à l'encontre de l'ensemble des chefs du jugement, qu'elle a expressément énumérés, intimant la société Maje.

MOYENS ET PRÉTENTIONS

Dans ses dernières écritures en date du 26 décembre 2018, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des moyens et prétentions, la SCP BTSG, ès-qualités, demande à la cour de :

Vu les dispositions de l'article 1240 (ancien 1382) du code civil,

Vu les dispositions des articles L.122-1 et suivants du code de la consommation ;

Infirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Bordeaux le 12 février 2018 en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il a déclaré recevable l'intervention volontaire de Maître H. en qualité d'administrateur judiciaire et Maître G. en qualité de mandataire judiciaire de la société La Pataterie Développement ;

Dire et juger que la campagne de débauchage des franchisés La Pataterie effectuée en juin 2017 par la société Maje est constitutive de publicité comparative illicite, de dénigrement, de concurrence déloyale et de parasitisme à l'encontre de la société La Pataterie Développement ;

Faire injonction à la société Maje de cesser les actes de dénigrement, de concurrence déloyale et de parasitisme entrepris à l'égard de la société La Pataterie Développement, et à ce titre d'avoir à cesser tout envoi de communication à destination de franchisés, membres du réseau La Pataterie, et ce à peine d'une astreinte de 20 000 euros par infraction constatée postérieurement à la signification de l'arrêt à intervenir ;

Condamner la société Maje à payer à Maître Denis G. ès qualité de liquidateur de la société La Pataterie Développement une somme de 100 000 euros en réparation du préjudice d'image causé par ses actes de dénigrement ;

Condamner la société Majeà payer à Maître Denis G. ès qualité de liquidateur de la société La Pataterie Développement une somme de 100 000 euros en réparation des préjudices causés par ses actes de concurrence déloyale ;

Condamner la société Maje à payer à Maître Denis G. ès qualité de liquidateur de la société La Pataterie Développement une somme de 229 000 euros en réparation de son préjudice né de ses actes de parasitisme ;

Ordonner la publication aux frais avancés de la société Maje de l'arrêt à intervenir, soit en entier, soit par extrait, dans trois journaux ou magazines, au choix de la société La Pataterie Développement, sans que le coût global de ces insertions n'excède la somme de 30 000 euros HT ;

Ordonner la publication aux frais avancés de la société Maje du dispositif de l'arrêt à intervenir sur les pages des sites Internet accessibles aux adresses http : // www.meuh-restaurant.fr et www.franchise-meuh.fr, pendant une durée d'un mois à compter du jour suivant la signification de la décision à intervenir ;

Dire que cette publication devra se situer dans un encadré visible intitulé « Publication Judiciaire », reproduit sur le haut de la page d'accueil de ces sites Internet et couvrant 25% de celle-ci ;

Dire que la société Maje devra prévoir l'ouverture d'une page où le dispositif de la décision à intervenir sera reproduit sur toute la surface de celle-ci lorsque l'internaute cliquera sur l'encadré intitulé « Publication Judiciaire » ;

Condamner la société Maje à payer à Maître Denis G. ès qualité de liquidateur de la société La Pataterie Développement une somme de 8 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamner la société Maje aux entiers dépens.

La SCP BTSG, ès-qualités, fait valoir que la société Maje a conscience que les franchisés du réseau de la société La Pataterie sont également signataire d'un contrat de franchise ; que le courrier diffusé par la société Maje avait pour unique but de discréditer le réseau de la société La Pataterie et présente des allégations dont la société Maje ne démontre pas la véracité ; que la campagne de démarchage de la société Maje ne fait aucun doute ; que les actes de dénigrement, de concurrence déloyale et de parasitisme de la société Maje lui ont causé des préjudices.

Dans ses dernières écritures en date du 2 octobre 2018, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des moyens et prétentions, la société Maje demande à la cour de :

Vu le nouvel article 1240 du code civil,

Vu les articles L.122-1 et L.122-2 du code de la consommation, et L.122-5 du même code

Confirmer le jugement en toutes ses dispositions.

Y ajoutant :

Condamner la société BTSG, prise en la personne de Maître Denis G., ès-qualité de liquidateur judiciaire de la société La Pataterie Développement, à payer à la société Maje la somme de 5 000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Condamner la société BTSG, prise en la personne de Maître Denis G., ès-qualité de liquidateur judiciaire, aux dépens d'appel.

La société Maje soutient qu'elle a justifié la légalité de sa publicité comparative dans un bref délai ; qu'elle n'a pas trompé les franchisés de la société La Pataterie ; qu'elle s'est contentée de présenter objectivement son réseau ; qu'elle n'a pas remis en cause la qualité des produits ou des services de la société La Pataterie et n'a pas dénoncé son mode de fonctionnement ; qu'elle n'a pas porté atteinte à la clause de non-concurrence à laquelle sont soumis les franchisés de la société La Pataterie ; qu'elle n'a pas commis de faute, de médisance, de calomnie ni d'atteinte à l'honneur de la société La Pataterie.

La clôture de la procédure a été prononcée selon ordonnance du 23 décembre 2020.

MOTIFS DE LA DÉCISION

À l'appui de ses prétentions, fondées sur les principes de la responsabilité délictuelle et les textes régissant la publicité comparative, l'appelante invoque un courrier circulaire adressé à six de ses franchisés. Si elle présuppose que le même document a pu être adressé plus largement, elle n'apporte aucun élément en ce sens.

Il est constant que le document était adressé à des destinataires identifiés comme exploitant un restaurant La Pataterie et que les deux enseignes en présence exploitaient des franchises concurrentes.

Si l'appelante invoque une volonté de la dénigrer, la simple interrogation sur l'avenir de l'activité du franchiseur, alors que la société La Pataterie adressait elle-même des lettres circulaires à ses adhérents sur des « temps chahutés » et un « recul de la fréquentation » ne sauraient être considérée comme relevant d'un dénigrement. Le courrier comprenait un feuillet comparatif quant à la rentabilité des deux enseignes. Si l'appelante fait valoir qu'il n'est pas indiqué comment les éléments ont été obtenus, l'intimée fait état de données accessibles, et il n'est pas soutenu qu'elles seraient inexactes. L'appelante considère qu'elles n'ont pu être obtenues qu'avec une complicité malveillante s'étant rendu compte d'une faille de sécurité de son extranet. Mais elle ne donne pas d'éléments sur une obtention frauduleuse de ces éléments alors que par son argumentation, elle admet une faille de son extranet.

Ces éléments faisaient ressortir une rentabilité supérieure sous l'enseigne Meuh à raison d'un ticket moyen supérieur et d'une masse salariale inférieure pour cette dernière. L'appelante considère qu'une telle information même exacte constitue un dénigrement, ce qui ne saurait être retenu en ce qu'une information comparant des rentabilités ne saurait en soi être considérée comme de nature à jeter le discrédit.

La notion de dénigrement ne peut ainsi être retenue.

S'agissant du parasitisme, il apparaît que si l'appelante elle-même se prévaut de concepts de restaurant quelque peu différents, il n'en demeure pas moins que la stratégie qui consistait pour l'intimée à vouloir cibler spécifiquement des franchisés de La Pataterie pour leur proposer de rejoindre celui de Meuh visait bien à profiter du savoir-faire qui avait été déployé pour la mise en place des restaurants. Les destinataires ayant déjà développé certains savoir-faire par l'intermédiaire de la franchise La Pataterie et l'intimée visant clairement à en bénéficier.

Alors que l'intimée accepte le débat sur le terrain de la publicité comparative, il existait bien une difficulté au regard des dispositions de l'article L 122-1 du code de la consommation.

En effet, la comparaison ne peut être considérée comme portant sur des services répondant aux mêmes besoins et comme véritablement objective. En effet, si les enseignes étaient certes concurrentes, leur modèle était toutefois différent avec une carte plus variée pour l'appelante et un ciblage plus centré sur un produit pour l'intimée et une modalité de service distincte. Si dans ce cadre la comparaison du ticket moyen, s'agissant d'enseignes destinées à une clientèle similaire, pouvait demeurer objective celle relative à la masse salariale ne pouvait l'être compte tenu des spécificités de chacune obéissant à une logique différente (commande traditionnelle ou commande type restauration rapide). De même, alors que le document était spécifiquement adressé à des franchisés de son concurrent, les avantages invoqués d'un changement d'enseigne ne pouvaient être présentés en faisant totalement abstraction des contraintes de rupture du contrat de franchise initial.

De ces éléments, il se déduit que le courrier circulaire ciblant des franchisés d'une première enseigne pour les convaincre de rejoindre la seconde en comparant de manière non objective ces deux enseignes et en vantant les avantages procurés par un changement sans même envisager les conditions de rupture du contrat, constituait bien un acte de concurrence déloyale et parasitaire.

Mais sur les conséquences, il apparaît que l'appelante fait preuve d'un excès tout à fait manifeste.

Elle sollicite tout d'abord qu'il soit fait injonction à son adversaire de cesser sous astreinte ses agissements. Mais, il n'est invoqué aucun autre agissement que la lettre circulaire de juin 2017 alors que, depuis lors, l'appelante est en liquidation judiciaire. Il ne saurait donc être fait droit à cette demande.

Il n'y a pas davantage lieu à publicité de l'arrêt pour des faits datant de juin 2017, non réitérés et toujours en considération de la situation de liquidation judiciaire de la société appelante.

De ces deux chefs, il convient de rappeler que peu importe que cette liquidation judiciaire s'inscrive dans le cadre d'une pré-pack cession et que le réseau ait été repris puisque la seule partie au litige demeure la société La Pataterie Développement qui est en liquidation judiciaire et n'a plus d'activité. Elle ne peut donc plus être en situation de concurrence avec l'intimée de sorte que ces mesures sont devenues inutiles.

Sur le terrain indemnitaire, l'appelante sollicite la somme de 100 000 euros en réparation du préjudice causé par le dénigrement, celle de 229 000 euros en réparation du préjudice né des actes de parasitisme et celle de 100 000 euros en réparation des actes de concurrence déloyale.

La cour ne retient pas le dénigrement de sorte qu'il ne saurait être fait droit à la première demande.

Quant aux deux autres demandes, qui procèdent toutes du même acte à savoir le courrier circulaire, l'appelante a choisi de formuler deux prétentions ce qui relève d'un certain cumul. S'agissant spécifiquement d'un parasitisme, elle invoque la somme de 229 000 euros en se prévalant des coûts de communication pour l'année 2016. Ceci ne saurait toutefois en l'espèce caractériser un préjudice puisqu'il n'est pas soutenu que des résiliations effectives de contrats de franchise soient intervenues après ces lettres circulaires.

S'agissant de la concurrence déloyale, elle prétend à la somme de 100 000 euros en invoquant notamment le fait que les contrats de franchise concernés devaient donner lieu à des redevances, jusqu'aux termes de chaque contrat, pour une somme supérieure à 1 000 000 euros. Si ceci peut constituer un élément du débat, il ne saurait s'en déduire une mesure de préjudice étant rappelé qu'il n'y a pas eu de résiliation effective et que dès février 2018 la société était en liquidation judiciaire de sorte qu'elle ne pouvait plus prétendre à des redevances.

Seule subsiste donc le préjudice qui s'infère nécessairement d'un acte de concurrence déloyale ainsi que l'invoque l'appelante. Il est exact qu'il y a eu nécessairement un tel préjudice ne serait-ce que sous la forme d'un trouble dans l'organisation commerciale de l'appelante. Il doit être tenu compte du volume d'affaires considéré, représentant des redevances d'environ 115 000 euros sur l'année 2017, la seule pouvant être pertinente, mais également du fait qu'aucune redevance n'a été effectivement perdue de sorte que le trouble n'a été subi que dans l'organisation commerciale. Compte tenu de ces éléments, la cour est en mesure de fixer à 10 000 euros le montant des dommages et intérêts devant réparé le préjudice subi.

Le jugement sera réformé de ce chef et l'intimée condamnée au paiement de cette somme de 10 000 euros, l'appelante étant déboutée du surplus de ses prétentions indemnitaires.

L'appel est au moins en son principe bien fondé de sorte que la société Maje sera condamnée au paiement de la somme de 4 000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,

Infirme le jugement du tribunal de commerce de Bordeaux du 12 février 2018,

Statuant à nouveau,

Condamne la SAS Maje à payer à la SCP BTSG ès qualités la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts,

Déboute la SCP BTSG du surplus de ses demandes de dommages et intérêts ainsi que de ses demandes d'injonction et de publication,

Condamne la SAS Maje à payer à la SCP BTSG ès qualités la somme de 4 000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la SAS Maje aux dépens de première instance et d'appel.