CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 3 février 2021, n° 19/06197
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Briandis (SAS)
Défendeur :
Fremarc (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Dallery
Conseillers :
M. Gilles, Mme Depelley
Avocat :
Selarl 2H
FAITS ET PROCÉDURE
Les sociétés Briandis et Fremarc exploitent chacune un supermarché sur la commune de Montreuil sous des enseignes concurrentes, U Express pour la première et Simply Market pour la seconde.
Courant août - septembre 2017, la société Fremarc a mené une opération publicitaire au sein de ses locaux par voie d'affichage et sur toute la commune par la distribution et la diffusion de tracts, suivant un message comparant deux tickets de caisse sur les mêmes produits des deux sociétés concurrentes et faisant ressortir que l'enseigne Simply Market serait moins cher que l'enseigne U Express.
Le 5 février 2018, la société Briandis exerçant sous l'enseigne U Express a assigné la société Fremarc exerçant sous l'enseigne Simply Market devant le tribunal de commerce de Bobigny en paiement de la somme de 80 000 euros de dommages-intérêts en réparation d'un préjudice pour publicité comparative illicite.
Par jugement du 26 février 2019, le tribunal de commerce de Bobigny a :
- débouté la société Briandis de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
- condamné la société Briandis à payer à la société Fremarc la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et débouté la société Fremarc du surplus de sa demande à ce titre,
- condamné la société Briandis aux dépens,
- liquidé les dépens à recouvrer par le greffe à la somme de 78,40 euros TTC (dont TVA 13,07 euros).
Le 20 mars 2019, la société Briandis a interjeté appel de ce jugement devant la cour d'appel de Paris.
Aux termes de ses dernières conclusions, déposées et notifiées le 19 juin 2019, la société Briandis demande à la Cour de :
Vu les dispositions des articles L. 121-8, L. 121-9, L. 121-12 et L. 121-14 du code de la consommation,
Vu les dispositions des articles 1382 et 1383 du code civil,
Vu les dispositions des articles 696 et 700 du code de procédure civile,
- Dire et juger la société Briandis recevable et bien fondée en ses demandes,
- Dire et juger que la société Fremarc s'est livrée à un acte de concurrence déloyale par une publicité comparative illicite, trompeuse et mensongère en ce qu'elle ne permet pas d'établir qu'elle est moins chère que la société Briandis,
En conséquence,
- Infirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le tribunal de commerce de Bobigny le 26 février 2019, et statuant de nouveau :
- Condamner la SA Fremarc à verser à la SAS Briandis les sommes de :
- 80 000 € à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice issu de la publicité comparative illicite,
- 5 000 € à titre d'indemnité relative aux frais irrépétibles de première instance,
- Condamner la SA Fremarc aux entiers dépens de la présente procédure,
- Ordonner la publication du jugement à intervenir dans 2 journaux d'annonces légales aux frais avancés de la SA Fremarc,
- Débouter la SA Fremarc de l'ensemble de ses demandes, prétentions, moyens, fins et conclusions ;
Y ajoutant,
- Condamner la SA Fremarc à verser à la SAS Briandis la somme de 5 000 € d'indemnité relative aux frais irrépétibles de première instance.
Aux termes de ses dernières conclusions, déposées et notifiées le 12 septembre 2019, la société Fremarc demande à la Cour de :
- Confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
- Débouter la société Briandis de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
- Condamner la société Briandis au paiement à la société Fremarc d'une somme de 20 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens dont distraction, pour ceux-là concernant au profit de Maître Patricia H. SELARL 2H AVOCATS et ce, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
La cour renvoie à la décision entreprise et aux conclusions susvisées pour un exposé détaillé du litige et des prétentions des parties, conformément à l'article 455 du code de procédure civile.
MOTIFS DE LA DÉCISION
La société Briandis (U Express) fait valoir que l'opération de publicité comparative menée par la société Fremarc exerçant sous enseigne Simply Market est illicite, en ce qu'elle est mensongère, trompeuse et constitue un acte de concurrence déloyale. Outre le fait que l'opération publicitaire n'était pas ponctuelle, elle prétend qu'elle s'appuie sur un panel limité et insuffisant de produits qui n'est pas représentatif des habitudes du consommateur moyen et lui procure une portée générale en utilisant le slogan « votre caddie 17,17 euros moins cher que chez U Express (...) ». Elle ajoute que la publicité comparative est mensongère dès lors que d'une part la société Fremarc ne démontre pas que les produits comparés étaient en vente et disponibles dans son magasin, aux prix indiqués, lors de l'opération publicitaire, et d'autre part que les prix mentionnés sur son ticket de caisse ne correspondaient pas à ceux affichés en rayons. Elle soutient avoir subi un préjudice moral et économique, son chiffre d'affaires ayant baissé au moment du lancement de l'opération publicitaire.
La société Fremarc (Simply Market) réplique que sa publicité n'était pas illicite dès lors qu'elle invitait les consommateurs à comparer et qu'elle portait sur la comparaison du prix d'un ensemble de produits défini. Elle précise que cette opération de publicité comparative était vérifiable dès lors que les tickets de caisse, reproduits sur la publicité, justifiaient de la vente et du prix des produits pratiqués par les deux enseignes, mais encore que la liste des produits sélectionnés était à nouveau précisée sur la publicité elle-même et, qu'au surplus, il était indiqué aux clients qu'un constat d'huissier effectué le 10 août 2017 était disponible à l'accueil du magasin. Ainsi, elle soutient qu'elle ne prétendait pas être moins chère d'une manière générale, mais pour le contenu spécifique de ce caddie qu'elle a choisi librement au titre de la liberté économique. Elle ajoute que le constat d'huissier produit par la société Briandis a été dressé en décembre soit quatre mois après la date de la diffusion de la publicité, ce qui ne prouve donc pas, selon elle, l'indisponibilité des produits pendant cette diffusion.
SUR CE :
Le litige porte sur une publicité affichée et tractée par la société Fremarc (Simply Market) annonçant au recto un nombre d'offres de produits valables pour la période du 20 au 24 septembre 2017 sous le titre « les prix FOUS », et présentant au verso sous le titre « COMPAREZ » la reproduction d'un ticket de caisse Simply Market Montreuil s/Bois pour 91,62 € et un autre U Express pour 108,79 € avec le message « VOTRE CADDIE 17,17 € MOINS CHER- que chez- U EXPRESS [...] ». Au bas du verso de l'affiche, il est indiqué les marques et caractéristiques des 42 produits contenus dans le caddie ainsi que la mention du « constat d'huissier effectué le 10 août 2017, disponible à l'accueil de votre magasin ».
Il est constant que cette publicité est comparative dès lors qu'elle vise expressément des biens offerts par le magasin U Express se situant sur la même zone de chalandise et ayant une activité concurrente.
La publicité litigieuse vise à comparer le prix total d'un « panier » de produits alimentaires commercialisés par les deux sociétés concurrentes pour en déduire le montant des économies susceptibles d'être réalisées par le consommateur.
La société Fremarc justifie que le 10 août 2017, un huissier a vérifié les gencodes des articles comparés, la correspondance des 42 articles de Simple Market avec les 42 articles portés sur le ticket U Express et qu'il a constaté que le panier Simply Market, déposé sur le tapis de la caissière, et après passage en caisse s'élève à 91,62 euros. Les originaux des tickets de caisse sont annexés au constat d'huissier du 10 août 2017.
Outre le fait que les produits sont identifiés de manière lisible sur les tickets de caisse reproduits sur la publicité, les 42 produits sont également listés sur la publicité avec leurs principales caractéristiques, à savoir la nature du produit, la marque et sa contenance, par exemple : « ANDROS Compote de fruits allégés 730 g »; « FLEURY MICHON Le supérieur jambon cuit porc qualité supérieur avec couenne 4 tr 160g » ; « APERIVRAIS Apéritif de fromage à pâte fraîche 100 g 15ct épices herbe et oignon 70% MG bouchées » ; « C. Bonbon sachet fruits 320 g 1ct dur barre à mâcher ». La publicité porte aussi la mention explicite que le constat d'huissier est disponible à l'accueil du magasin. Autrement dit, les éléments de la publicité sont vérifiables.
L'assortiment du « caddie » est composé d'un panel de 42 produits appartenant aux diverses catégories de produits couramment consommés (épicerie, crémerie, charcuterie, pâtisserie industrielle, surgelés, légume, boissons, produits entretien et de beauté) ce qui conduit à une comparaison objective d'un panier de produits courants.
La société Briandis (U Express) soutient que la publicité serait mensongère dès lors que la société Fremarc ne démontre pas que les produits dont les prix sont comparés étaient bien en vente et disponibles dans son magasin, au prix indiqué pendant l'opération publicitaire. Elle relève que pas moins de 8 produits sur les 42 comparés sont absents des rayons du magasin Simply Market, suivant un constat d'huissier réalisé le 12 décembre 2017.
Toutefois, d'une part ce constat n'établit pas qu'à cette date l'opération publicitaire était toujours en cours, la société Fremarc soutenant que la campagne d'affichage de la publicité comparative n'avait durée que pour la période indiquée du 20 au 24 septembre 2017.
D'autre part, et comme l'a justement relevé le tribunal, le message publicitaire incite seulement le consommateur à opérer une comparaison entre les deux tickets de caisse en se bornant à mettre en évidence une différence de prix du 'caddie' de produits achetés le même jour, soit le 10 août 2017, dans les deux magasins concurrents. Il est clairement indiqué sur la page publicitaire que le constat du contenu du chariot, soit 42 produits a été fait par huissier le 10 août 2017 avec des tickets de caisse du même jour. Le message publicitaire n'énonce pas de généralité sur les prix entre les deux magasins, ni ne procède à une comparaison spécifique du prix de chacun des produits composant le « caddie ».
Il résulte de l'ensemble de ces constatations que la publicité comparative litigieuse n'est pas illicite.
En conséquence, le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté la société Briandis de l'ensemble de ces demandes.
Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile en appel
La société Briandis, partie perdante, sera condamnée aux dépens d'appel.
En application de l'article 700 du code de procédure civile en appel, la société Briandis sera déboutée de sa demande et condamnée à verser à la société Fremarc la somme de 3 500 euros.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Statuant publiquement et contradictoirement,
CONFIRME le jugement,
Y ajoutant,
CONDAMNE la société Briandis aux dépens d'appel,
CONDAMNE la société Briandis à payer à la société Fremarc la somme de 3 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en appel,
REJETTE toute autre demande.