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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 4 février 2021, n° 18/04167

PARIS

Arrêt

Confirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Prigent

Conseillers :

Mme Schaller, Mme Lignières

T. com. Rennes, du 13 févr. 2018

13 février 2018

FAITS ET PROCÉDURE :

La société X a pour activité la fabrication, l'achat et la vente de bonneterie, la confection de tissus et l'exploitation de la marque « Sava Paris ».

La société Y a pour activité, en France et à l'étranger, le commerce de gros et au détail de vêtements pour femmes sous la marque de prêt-à-porter « A ».

La société Z a pour activité, en France et à l'étranger, le commerce de gros et au détail de vêtements pour femmes sous la marque de prêt-à-porter « Z ».

Les sociétés Y et Z sont des filiales du groupe A, entreprise de distribution de prêt à porter exploitant cinq marques avec près de 3 000 points de vente dans le monde.

À compter de 2008, la société X a été en relations d'affaires avec le groupe A par l'intermédiaire des sociétés Y et Z, sans qu'un contrat écrit ne soit conclu.

Par courrier du 30 mars 2017, la société Z a notifié à la société X sa décision de rompre les relations commerciales, avec effet au 31 mars 2019.

Par courrier du 3 avril 2017, la société Y a notifié à la société X sa décision de rompre les relations commerciales, avec effet au 30 septembre 2018.

La société X invoque des difficultés dans l'exécution du préavis et réclame une indemnisation au titre de la rupture.

Par acte d'huissier de justice du 28 juillet 2017, la société X a assigné à bref délai les sociétés Y et Z devant le tribunal de commerce de Rennes pour faire constater la rupture brutale des relations commerciales établies et obtenir réparation pour les préjudices subis.

Par jugement du 13 février 2018, le tribunal de commerce de Rennes a :

- débouté la société X de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

- débouté les sociétés Y et Z de leur demande de rejet des pièces adverses n° 8 et 17,

- débouté les sociétés Y et Z de leur demande reconventionnelle,

- condamné la société X à verser à la société Z la somme de 6 000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et déboute la société Z du surplus de sa demande à ce titre,

- condamné la société X à verser à la société Y la somme de 6 000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et déboute la société Y du surplus de sa demande à ce titre,

- condamné la société X aux entiers dépens,

- déboute la société X de sa demande d'exécution provisoire du jugement,

- liquidé les frais de greffe à la somme de 88.93 euros tels que prévu aux articles 695 et 701 du code de procédure civile.

Par déclaration du 23 février 2018, la société X a interjeté appel de ce jugement.

Par conclusions notifiées par le RPVA le 30 septembre 2020, la société X demande à la cour de :

Vu les dispositions légales précitées,

Vu la jurisprudence applicable à l'espèce,

Vu les pièces versées aux débats,

- déclarer l'appel formé par la société X recevable et bien fondé,

À titre liminaire,

Vu les dispositions de l'article 909 du code de procédure civile,

- déclarer irrecevable la demande de rejet des pièces n° 8bis, 8ter, 21 et 40,

- débouter les sociétés Z et Y de toutes prétentions contraires,

Sur le fond,

- infirmer le jugement rendu le 13 février 2018 par le tribunal de commerce de Rennes en ce qu'il a :

. débouté la société X de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

. condamné la société X à verser à la société Z la somme de 6 000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et débouté Z du surplus de sa demande à ce titre,

. condamné la société X à verser à la société Y la somme de 6 000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et débouté la société Y du surplus de sa demande à ce titre,

. condamné la société X aux entiers dépens,

Statuer de nouveau,

- juger que les sociétés Z et Y ont rompu brutalement les relations commerciales établies qu'elles entretenaient avec la société X,

- juger que la société X aurait dû bénéficier d'un préavis effectif de 36 mois à compter des notifications des 30 mars 2017 et 3 avril 2017,

- juger que les sociétés Z et Y n'ont pas exécuté loyalement le préavis officiel qu'elles avaient notifié prendre effet, respectivement jusqu'au 31 mars 2019 et 30 septembre 2018 pour les nouvelles commandes,

En conséquence,

- condamner la société Z à payer à la société X, une somme de 634 389,30 euros à titre de dommages et intérêts correspondant à la perte de la marge brute qui aurait été réalisée par le partenaire évincé sur une période de 36 mois,

- condamner la société Y à payer à la société X une somme de 1 650 372,03 euros à titre de dommages et intérêts correspondant à la perte de la marge brute qui aurait été réalisée par le partenaire évincé sur une période de 36 mois,

- condamner solidairement les sociétés Z et Y à payer à la société X une somme de 18 000 euros correspondant au coût des licenciements économiques,

- condamner solidairement les sociétés Z et Y à payer à la société X une somme de 50 000 euros correspondant au préjudice moral et à la perte d'image subis,

- débouter les sociétés Z et Y de leur demande préalable de rejet et de leur demande incidente,

- les débouter de toutes leurs demandes, fins et conclusions,

- condamner les sociétés Z et Y à payer chacune à la société X la somme de 12 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile en sus des entiers dépens, dont distraction, pour ceux-là concernant, au profit de Maître Patricia H. - SELARL 2H Avocats et ce, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile,

- condamner les sociétés Z et Y à prendre à leur charge le coût des frais de l'exécution forcée de la décision à intervenir, en ce inclus les droits proportionnels de recouvrement ou d'encaissement ancien article 10 du décret n° 96-1080 du 12 décembre 1996.

Par conclusions notifiées par le RPVA le 16 septembre 2020, la société Y demande à la cour de :

Vu l'article L. 442-6, du code de commerce,

Vu l'article 700 du code de procédure civile,

Vu la jurisprudence,

Vu les pièces versées aux débats,

- déclarer la société Y recevable et bien fondée en l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

Y faisant droit,

- confirmer le jugement déféré en ce qu'il a débouté la société X de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

- infirmer le jugement déféré sur le reste,

Statuant à nouveau,

A titre préalable,

- écarter des débats les pièces suivantes :

. pièce n° 17 : courrier du 25 avril 2017 du conseil de la société X ne correspondant pas au courrier reçu par la défenderesse, communiquées par la société X s'agissant de pièces non conformes à la réalité,

. pièce n° 8 : attestation de l'expert-comptable sur les chiffres d'affaires d'X ne correspondant pas aux chiffres déclarés par cette dernière au greffe,

. l'ensemble des attestations établies par le Cabinet Fiduco,

À titre incident,

- si par extraordinaire la cour retenait l'existence de « relations commerciales établies » entre les sociétés Y et X, constater la rupture brutale totale des relations à l'initiative d'X à compter d'octobre 2017,

- condamner la société X au paiement de la somme de 10 000 euros en réparation du préjudice subi par la société Y de ce fait,

En tout état de cause,

- condamner la société X au paiement de la somme de 12 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.

Par conclusions notifiées par le RPVA le 16 septembre 2020, la société Z demande à la cour de :

Vu l'article L. 442-6, du code de commerce,

Vu l'article 700 du code de procédure civile,

Vu la jurisprudence,

Vu les pièces versées aux débats,

- déclarer la société Z recevable et bien fondée en l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

Y faisant droit,

- confirmer le jugement déféré en ce qu'il a débouté la société X de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

- infirmer le jugement déféré sur le reste,

Statuant à nouveau,

A titre préalable,

- écarter des débats les pièces suivantes :

. pièce n° 17 : courrier du 25 avril 2017 du conseil de la société X ne correspondant pas au courrier reçu par la défenderesse, communiquées par la société X s'agissant de pièces non conformes à la réalité,

. pièce n° 8 : attestation de l'expert-comptable sur les chiffres d'affaires d'X ne correspondant pas aux chiffres déclarés par cette dernière au greffe,

. l'ensemble des attestations établies par le Cabinet Fiduco,

À titre incident,

- si par extraordinaire la cour retenait l'existence de « relations commerciales établies » entre les sociétés Z et X, constater la rupture brutale totale des relations à l'initiative d'X à compter d'octobre 2017,

- condamner la société X au paiement de la somme de 10 000 euros en réparation du préjudice subi par la société Z de ce fait,

En tout état de cause,

- condamner la société X au paiement de la somme de 12 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 8 octobre 2020.

La cour renvoie, pour un plus ample exposé des faits, prétentions et moyens des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS

Sur la demande de rejet des pièces n° 8 et 17 produites par l'appelante

La société Y fait valoir que les pièces n° 8 et 17 produites par la société X ne sont pas conformes à la réalité, relatent des chiffres manifestement erronés et ne sont appuyées sur aucune donnée objective empêchant de faire l'objet de vérification et d'un débat contradictoire, qu'elles doivent donc être écartées des débats.

Cependant, il n'est pas démontré que ces pièces ont été obtenues de manière déloyale ou qu'elles n'ont pas été communiquées en respect du principe de contradiction, seule leur force probante est discutée, il convient donc de rejeter la demande tendant à les écarter des débats, à l'instar de ce qu'ont décidé les 1ers juges.

Sur la rupture brutale

L'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce dans sa rédaction applicable au litige dispose qu'engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels. Lorsque la relation commerciale porte sur la fourniture de produits sous marque de distributeur, la durée minimale de préavis est double de celle qui serait applicable si le produit n'était pas fourni sous marque de distributeur. A défaut de tels accords, des arrêtés du ministre chargé de l'Economie peuvent, pour chaque catégorie de produits, fixer, en tenant compte des usages du commerce, un délai minimum de préavis et encadrer les conditions de rupture des relations commerciales, notamment en fonction de leur durée. Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure. Lorsque la rupture de la relation commerciale résulte d'une mise en concurrence par enchères à distance, la durée minimale de préavis est double de celle résultant de l'application des dispositions du présent alinéa dans les cas où la durée du préavis initial est de moins de six mois, et d'au moins un an dans les autres cas.

La relation commerciale, pour être établie au sens de ces dispositions, doit présenter un caractère suivi, stable et habituel. Le critère de la stabilité s'entend de la stabilité prévisible, de sorte que la victime de la rupture devait pouvoir raisonnablement anticiper pour l'avenir une certaine continuité du flux d'affaires avec son partenaire commercial.

Le texte précité vise à sanctionner, non la rupture elle-même, mais sa brutalité caractérisée par l'absence de préavis écrit ou l'insuffisance de préavis.

Le délai de préavis doit s'entendre du temps nécessaire à l'entreprise délaissée pour se réorganiser en fonction de la durée, de la nature et des spécificités de la relation commerciale établie, du produit ou du service concerné.

- le caractère établi des relations

La société X soutient qu'elle a été en relation d'affaires régulière avec le groupe A à compter de 2007 et notamment avec ses deux sociétés filiales à 100 %, Z et Y, elle affirme que les commandes étaient faites au nom du groupe au vu de l'entête, et elle relève que la rupture des relations avec les deux sociétés intimées a été simultanée et notifiée pour des motifs similaires.

Les intimées répliquent que la relation d'affaires n'avait pas de caractère établi dans la mesure où (i) celle-ci était caractérisée par une absence structurelle de stabilité, aucun contrat-cadre n'ayant été conclu, aucune garantie de chiffre d'affaires minimum n'ayant été convenu et aucun engagement de volume ou aucune obligation d'exclusivité n'ayant été prévue, empêchant par conséquent la société X d'anticiper raisonnablement une certaine continuité du flux d'affaires ; (ii) la société X était systématiquement mise en concurrence avant chaque commande selon un processus reproduit avant chaque saison, mécanisme exclusif de toute relation stable dès lors qu'un concurrent soumis à la même demande pouvait être choisi ; (iii) les produits vendus par la société X revêtaient une nature particulière, conférant un caractère précaire à la relation ; (iv) le chiffre d'affaires réalisé était fluctuant ; (v) des dysfonctionnements ont été rencontrés tels que du travail illégal ou des problèmes de conformité, ajoutant au caractère précaire de la relation.

Sur ce ;

Celui qui se prétend victime d'une rupture doit établir « le caractère suffisamment prolongé, régulier, significatif et stable du courant d'affaires ayant existé entre elle et l'auteur de la rupture, qui pouvait lui laisser augurer que cette relation avait vocation à perdurer ».

Des tableaux établis par les intimées en pages 9 et 10 de leurs conclusions mentionnent le volume des achats de ces dernières auprès de la société X entre 2008 et 2016 inclus, détaillant les chiffres par année et aussi par saison de mode (Automne/Hiver et Printemps/été). Ainsi, concernant la société Z : le volume d'achats auprès de la société X est significatif pour chaque année et même pour chaque saison des années 2008 à 2016, le volume d'achats le plus bas étant de 569 064 euros pour l'année 2016 et le plus haut de 2 757 556 euros pour l'année 2013.

Il en est de même pour la société Y : le volume d'achats le plus bas est de 107 169 euros pour l'année de 2009 et le plus haut est de 2 164 511 euros pour l'année 2014.

Même si la société X ne bénéficiait d'aucune exclusivité dans la fourniture des produits textiles auprès des sociétés Y et Z et qu'aucun contrat-cadre garantissant un chiffre d'affaires minimum n'avait été conclu, néanmoins il apparaît, au vu des chiffres sur les volumes d'achats des sociétés Y et Z auprès de la société X entre 2008 à 2016 inclus, qu'a existé entre ces sociétés un flux d'affaires suffisamment stable et significatif pour qualifier d'établies leurs relations commerciales.

Cette relation d'affaires a duré plus de 8 années avant la lettre de rupture : du début de l'année 2008 jusqu'au début printemps 2017. Les moyens opposés par les intimées pour soutenir le caractère précaire de leur relation avec la société X sur cette période ne sont pas pertinents.

Le jugement déféré sera confirmé sur ce point.

- la rupture partielle dès 2014 invoquée par la société X

La société X prétend avoir une subi une rupture partielle dans sa relation d'affaires avec le groupe A dès 2014, avec une baisse drastique des commandes de 2014 à 2016.

Les intimées nient l'existence d'une rupture partielle qui pourrait leur être imputée dans leurs relations avec l'appelante. Ainsi, la société Z réplique qu'elle n'avait pris aucun engagement d'exclusivité auprès de la société X, qu'elle a elle-même souffert d'une baisse de son chiffre d'affaires de 28 % entre 2012 et 2016 en raison de la situation du marché du textile ; que par conséquent elle ne pouvait être contrainte de maintenir un niveau d'activité auprès de ses fournisseurs, illustrant que la baisse de commande était inhérente à un marché en crise.

Sur ce ;

Il résulte de l'analyse des tableaux établis par les intimées en pages 9 et 10 de leurs conclusions, mentionnant le volume des achats de ces dernières auprès de la société X entre 2008 et 2016 inclus, que si l'évolution est sensiblement en baisse en 2015 et 2016 néanmoins la relation s'est caractérisée avant 2014 par des fluctuations très importantes selon les années :

- concernant la relation avec la société Y : il apparaît des pics de 1 029 771 euros et 1 217 572 euros en 2011 et 2013, avec une baisse en 2012 à 513 360 euros et une forte augmentation en 2014 à 2 164 511 euros, puis la baisse est progressive à partir de 2015 jusqu'à la rupture.

- concernant la relation avec la société Z : il apparaît un pic en 2013 à 2 757 556 euros alors qu'en 2010 et 2014 les chiffres d'affaires respectifs avec la société X sont limités à 1 395 471 euros et 1 724 547 euros.

En outre, la société Z justifie avoir elle-même subi une baisse sensible de ces volumes de vente globaux à compter de fin de 2014, et ce dans un secteur du textile en crise. (pièces n° 3 et 4 de Z )

Au vu de ces éléments, la diminution des commandes auprès de la société X à compter de 2014 ne constitue pas une rupture partielle délibérée de la part des sociétés intimées.

- l'état de dépendance économique

La société qui invoque une situation de dépendance économique réalise une part importante de son chiffre d'affaires avec son partenaire.

En l'espèce, la société X affirme que le groupe A représentait plus de 70 % de son chiffre d'affaires en 2014 (pages 20 et 42 des conclusions de la société X). Elle prétend qu'il doit être pris en compte dans l'impact de la rupture la globalité de sa relation avec le groupe A du fait de la rupture simultanée par deux des sociétés de ce groupe.

Les intimées contestent le fait que la société X puisse se prévaloir de l'état de dépendance économique à leur égard en faisant valoir que cette dernière a elle-même créé cette situation.

Le tableau produit par la société X en pièce n° 8 ter est, contrairement à ce qu'allèguent les intimées, pertinent pour le présent litige. En effet, il s'agit de données comptables établies par le cabinet Fiduco, expert-comptable et commissaire aux comptes de la société X, et portant sur les chiffres d'affaires relatifs aux seuls produits vendus sous la marque « A » (détenue par Y) et sous la marque « Z » (détenue par Z), et concernant les années 2015 et 2016 qui sont les deux derniers exercices avant la rupture. Il en ressort les données suivantes :

- en 2015 : le CA total de la société X est de 1 368 479 euros, son CA tiré de sa relation avec la société Z est de 309 462,85 euros et son CA tiré de sa relation avec la société Y est de 776 095,30 euros ;

- en 2016 : le CA total de la société X est de 1 451 459,58 euros, son CA tiré de sa relation avec la société Y est de 641 043 euros et son CA tiré de sa relation avec la société Z est de 217 900,10 euros.

Ainsi, sur la période 2015/2016, le chiffre d'affaires de la société X tiré de sa relation avec la société Y constituait une moyenne de près de 50 % de son chiffre d'affaires total et celui tiré de sa relation avec la société Z constituait une moyenne de près de 19 % de son chiffre d'affaires total.

La société X avait réparti ses relations d'affaires entre plusieurs sociétés dont les intimées revendiquent le caractère distinct au sein du même groupe, il ne peut donc lui être légitimement reproché une dépendance économique qu'elle aurait elle-même créé auprès du groupe A.

Il se trouve pourtant que les deux sociétés ont rompu leur relation d'affaires avec la société X de manière quasi simultanée, ce qui a causé à cette dernière une perte totale de presque 70 % de son chiffre d'affaires total en quelques jours sur fin mars/début avril 2017.

Il sera donc tenu compte de cette situation dans la fixation de la durée du préavis dont la société X avait besoin pour se réorganiser après ces deux ruptures simultanées.

- l'existence de produits « sous marque de distributeur » dans la relation commerciale entre les parties

La société X soutient qu'elle fournissait des produits sous « marque de distributeur » en ce qu'elle devait se conformer en tous points aux exigences du cahier des charges du groupe A, qu'elle pouvait proposer ses modèles mais était également amenée à travailler sur des modèles que lui adressait le groupe, définis dans des « dossiers techniques » et dans ces hypothèses le groupe déterminait les caractéristiques précises des produits (coupes, couleurs, matières, modèles) ; les produits portaient une étiquette revêtue de la marque « Z » ou la marque« Bréal » appartenant à la société Y.

En réplique, la société Y soutient qu'elle ne commercialise que des produits sous ses propres marques, que les produits fabriqués par la société X ne sont pas conçus exclusivement pour la société Y, que cette dernière ne détermine pas au préalable les caractéristiques des produits, la remise d'un cahier des charges ne portant que sur les normes à respecter concernant la mesure, l'étiquetage, le conditionnement et la livraison, que par ailleurs la société X est seule détentrice des droits sur les modèles proposés à la société Y.

La société Z développe les mêmes moyens relativement à la nature des produits pour conclure que les produits fournis par la société X ne sont pas non plus des produits sous marque de distributeur.

Sur ce ;

Le code de la consommation définit les produits sous marque de distributeur comme suit : « le produit dont les caractéristiques ont été définies par l'entreprise ou le groupe d'entreprises qui en assure la vente au détail et qui est le propriétaire de la marque sous laquelle il est vendu ».

Il en ressort quatre critères cumulatifs :

. les caractéristiques du produit doivent être définies par l'entreprise qui en assure ensuite la vente (le distributeur) ;

. la vente (revente) doit être faite au détail ;

. le produit doit faire l'objet d'une vente (revente) par le distributeur ;

. l'entreprise qui assure la vente doit être propriétaire de la marque sous laquelle est vendu le produit.

1) sur le 1er critère des « caractéristiques définies par l'entreprise » :

Ce critère signifie que le produit fourni doit être élaboré selon les spécifications du distributeur. Ainsi, le fabricant doit concevoir les produits à partir d'un cahier des charges établi par le distributeur.

Or, le « Cahier des charges Fournisseur » invoqué par la société X est un document général établi par la Direction administrative et financière du groupe A à l'adresse de tous ses fournisseurs dans lequel figurent les conditions générales d'achat, les conditions de règlement des commandes ainsi que des pénalités appliquée en cas de marchandise non conforme, un cahier des charges « Responsabilité Sociale de l'Entreprise » ainsi que des indications générales sur la prise de mesure, l'étiquetage ou les conditionnements spécifiques des produits et livraison (pièce n° 7 de la société X). Il ne s'agit nullement de fiches techniques pour l'élaboration de produits spécifiques dédiés à chaque collection des marques détenues par les sociétés Y et Z.

Au contraire, il apparaît des courriels échangés entre les parties (pièce n° 8 de Y) que pour leurs achats auprès de la société X, les sociétés Y et Z sélectionnaient parmi les produits déjà conçus par la société X même s'il pouvait arriver pour un produit particulier qu'un ajustement soit demandé par l'acheteur sur le produit fini pour mieux s'adapter à ses besoins.

Or, le fait que le fournisseur de textile conçoive seul des produits que l'acheteur sélectionne ensuite ou non pour lui commander est exclusif de la qualification de « produit sous marque de distributeur ».

A défaut de prouver l'existence du premier critère caractérisant la production sous marque de distributeur, la société X échoue à démontrer qu'elle peut bénéficier du doublement du délai de préavis prévu par les dispositions de l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce.

Sur la durée du préavis nécessaire

La société X prétend que les préavis de 18 et 24 mois accordés respectivement par les sociétés Y et Z étaient insuffisants. Elle soutient qu'au vu de ses produits sous marque de distributeur, de la durée de la relation, des investissements réalisés et de son état de dépendance économique envers le groupe A, un préavis de 36 mois était justifié par les difficultés qu'elle devait surmonter pour se reconvertir.

Cependant, en tenant compte de la rupture simultanée des deux clientes (représentant respectivement 50 % et 19 % de son chiffre d'affaires global), de la relation commerciale établie ayant duré plus de 8 années, et du fait qu'il ne s'agissait pas de produits sous marque de distribution, les préavis de 18 et 24 mois accordés respectivement par les sociétés Y et Z étaient nécessaires mais suffisants.

Par conséquent, il n'est pas démontré l'existence d'une rupture brutale subie par la société X imputable aux sociétés Y et Z, les demandes en indemnisation à ce titre ne seront donc pas accueillies.

Il convient à ce stade d'examiner si le préavis contractuel a été exécuté de bonne foi par les parties, chacune d'elles prétendant que son cocontractant ne l'a pas exécuté de bonne foi.

Sur les conditions d'exécution du préavis

Selon la société X, les sociétés Y et Z n'ont pas exécuté de bonne foi le préavis avant rupture effective des relations car elle n'a quasiment plus reçu de commandes dans la période suivant l'annonce de la rupture.

En réplique, les sociétés Y et Z soutiennent que des commandes ont été passées en mai 2017 et les 10 et 24 juillet 2017, et qu'elles ne s'étaient jamais engagées sur un volume de commande, qu'enfin le départ en masse des salariés de la société X n'est pas principalement lié à la dénonciation des relations commerciales.

Selon les sociétés Y et Z, une rupture imputable à la société X a eu lieu en octobre 2017. La société Y allègue que la société X a, par courrier du 3 octobre 2017, notifié qu'elle n'assurerait plus les commandes à compter de la fin du mois, ne permettant donc pas à la société Y d'exécuter le préavis annoncé dans sa lettre de rupture du 3 avril 2017 et démontrant ainsi que la rupture est imputable à la société X, rupture qui est par ailleurs brutale puisque sans préavis. La société Y considère en conséquence subir un préjudice s'élevant à 10 000 euros.

La société Z fait valoir les mêmes moyens que la société Y pour le préjudice qu'elle estime avoir subi en raison de la rupture imputable à la société X.

Sur ce ;

Vu les articles 1134 et 1135 anciens du code civil dans leur version applicables aux faits de l'espèce,

La lettre de rupture de société Y en date du 3 avril 2017 prévoyait un préavis jusqu'au 30 septembre 2018 en précisant « nos commandes demeurent en tout état de cause, et comme vous le savez, conditionnées par votre capacité à nous proposer des produits en adéquation avec nos besoins ainsi qu'avec l'image de A ». (pièce n° 4 de Y)

La lettre de rupture de Z en date du 30 mars 2017 prévoyait un préavis jusqu'au 21 mars 2018 en précisant « nos commandes demeurent en tout état de cause, et comme vous le savez, conditionnées par votre capacité à nous proposer des produits en adéquation avec nos besoins ainsi qu'avec l'image de Z ». (pièce n° 6 de Z )

Il ressort des explications des parties que la société X n'a plus honoré ses commandes auprès des sociétés Y et Z à partir d'octobre 2017, alors que ces dernières avaient passé des commandes en mai et juillet 2017.

Par courrier de son conseil, la société X s'adressait au groupe A en date du 3 octobre 2017 en ces termes : « alors qu'elle ne recevait quasiment plus aucune commande du groupe A depuis la notification de la rupture des relations commerciales établies, ma cliente me fait part des commandes plus conséquentes, notamment de la part de la société Y, qui auraient repris concomitamment à la délivrance de l'assignation ». Plus particulièrement, la quantité de pièces qui lui a été commandée a significativement augmenté depuis le 6 septembre 2017, veille de la première audience à bref délai. Or, eu égard à la rupture brutale des relations, ma cliente a dû réorganiser son activité en réduisant ses charges fixes et notamment sa masse salariale. N'étant pas parvenue à ce jour à retrouver un autre partenaire commercial susceptible d'apporter un chiffre d'affaires équivalent à celui généré par les commandes du Groupe B., elle ne pourra pas recruter d'autres salariés et prendre le risque une nouvelle fois de supporter le coût des licenciements. Aussi, sauf à ce que le groupe A renonce purement et simplement à la rupture des relations et l'indemnise des pertes occasionnées eu égard à la prise d'effet anticipée de la cessation des relations, ma cliente ne sera plus en mesure d'assurer ses commandes à compter de la fin du mois d'octobre 2017. »

Il en ressort que la non-exécution des commandes pendant la période de préavis n'est pas imputable à une déloyauté de la part des sociétés Y et Z, celles-ci ayant passé des commandes à la société X mais au fait que cette dernière n'avait plus la capacité de les honorer car elle avait déjà procédé à des licenciements. Pourtant, la baisse des commandes des sociétés du groupe A a été progressive depuis fin 2014 et il a été dit que ces dernières n'étaient pas tenues par des volumes minima par période déterminée. Il ne peut donc pas leur être reproché un comportement fautif dans l'exécution des relations contractuelles qui aurait mis la société X dans l'impossibilité d'honorer les commandes dans le cadre du préavis qui devait se poursuivre encore pour 6 mois concernant Z et pour 12 mois concernant Y.

La société X sera donc déboutée de sa demande en indemnisation pour déloyauté dans l'exécution des préavis de la part des sociétés intimées.

Le défaut d'exécution du préavis est donc imputable à la société X, néanmoins, les sociétés Y et Z ne démontrent nullement que cela leur a causé un préjudice puisqu'elles avaient déjà diversifié leurs fournisseurs, ce qui leur permettait de s'adresser facilement à d'autres sociétés pour satisfaire leurs besoins.

Les demandes reconventionnelles des sociétés Y et Z tendant à voir condamner la société X en indemnisation pour le préjudice causé par le défaut de l'exécution effective du préavis seront donc rejetées.

Par conséquent, le jugement qui a débouté toutes les parties de leurs demandes respectives sera confirmé.

Sur les frais et dépens

Le jugement sera également confirmé dans sa décision sur les frais et dépens.

La société X qui succombe au principal dans son appel sera condamnée aux entiers dépens. Les sociétés Y et Z succombant également dans leurs demandes reconventionnelles, l'équité commande que chacune des parties conserve à sa charge les frais irrépétibles engagés par elles dans la procédure d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Statuant publiquement et contradictoirement,

CONFIRME le jugement entrepris dans toutes ses dispositions ;

Y ajoutant,

REJETTE toutes les demandes au titre des frais irrépétibles complémentaires en appel, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE la société X aux entiers dépens de l'appel.