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Décisions

Cass. 1re civ., 20 janvier 2021, n° 18-24.297

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

Jean, Radosavljevic

Défendeur :

Crédit du Nord (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Batut

Rapporteur :

M. Vitse

Avocats généraux :

M. Sudre, M. Chaumont

Avocats :

SCP Krivine et Viaud, SARL Cabinet Briard

Paris, Pôle 5 ch. 6, du 3 août 2018

3 août 2018

Faits et procédure  

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 3 août 2018), suivant offre acceptée le 30 novembre 2011, la société Crédit du Nord (la banque) a consenti un prêt immobilier à M. Jean et à Mme Radosavljevic (les emprunteurs). Les conditions générales du contrat prévoyaient à l'article 9-1 une exigibilité du prêt par anticipation, sans que le prêteur ait à remplir une formalité judiciaire quelconque, en cas de fourniture de renseignements inexacts sur la situation de l'emprunteur, dès lors que ces renseignements étaient nécessaires à la prise de décision du prêteur.   

2. Soutenant que les emprunteurs avaient produit de faux relevés de compte à l'appui de leur demande de financement, la banque s'est prévalue de l'article 9.1 des conditions générales du contrat pour prononcer la déchéance du terme, puis les a assignés en paiement.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

3. Les emprunteurs font grief à l'arrêt d'accueillir la demande en paiement de la banque, après avoir exclu le caractère abusif de l'article 9.1 des conditions générales du contrat, alors :

« 1°/ que, dans les contrats conclus entre professionnels et consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat ; que sont présumées abusives, sauf au professionnel à rapporter la preuve contraire, les clauses ayant pour objet ou pour effet de reconnaître au professionnel la faculté de résilier le contrat sans préavis d'une durée raisonnable ; qu'au cas d'espèce, dès lors que l'article 9.1 des conditions générales du contrat de prêt prévoyait la faculté pour la banque de prononcer la déchéance du terme, rendant immédiatement exigibles les sommes dues, notamment en cas de fourniture de renseignements inexacts sur la situation de l'emprunteur, sans qu'aucun délai de préavis n'ait à être respecté, la clause devait être présumée abusive, sauf à la banque à prouver le contraire ; qu'en jugeant la clause non abusive sans constater que la banque avait renversé la présomption, relativement à l'absence de délai de préavis, la cour d'appel a violé les articles L. 132-1 ancien (devenu L. 212-1 nouveau) et R. 132-2, 4°, ancien (devenu R. 212-2, 4°, nouveau) du code de la consommation ;

2°/ que, dans les contrats conclus entre professionnels et consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat ; que revêt un tel caractère abusif la clause qui permet au prêteur de prononcer la déchéance du terme, rendant immédiatement exigibles les sommes dues, au motif de la fourniture de renseignements inexacts sur la situation de l'emprunteur, en l'absence de toute défaillance de l'emprunteur dans le remboursement du prêt ; qu'au cas présent, en décidant au contraire que la clause de l'article 9.1 des conditions générales du prêt n'était pas abusive, quand cette stipulation s'appliquait sans qu'importe le point de savoir si les échéances du prêt étaient ou non régulièrement honorées (ce qui était d'ailleurs le cas en l'espèce), la cour d'appel a violé l'article L. 132-1 ancien (devenu L. 212-1 nouveau) du code de la consommation ;

3°/ que, dans les contrats conclus entre professionnels et consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat ; que revêt un tel caractère abusif la clause qui permet au prêteur de prononcer la déchéance du terme, rendant immédiatement exigibles les sommes dues, au motif de la fourniture de renseignements inexacts sur la situation de l'emprunteur, qui a pour effet d'ouvrir à la banque la faculté de résilier le contrat pour un motif étranger à son exécution, en l'absence de toute défaillance de l'emprunteur dans le remboursement du prêt, et de la dispenser d'introduire une action judiciaire en annulation du contrat, en faisant basculer la charge de l'action en justice sur le consommateur ; qu'en l'espèce, en décidant le contraire s'agissant de l'article 9.1 des conditions générales du prêt, la cour d'appel a violé l'article L. 132-1 ancien (devenu L. 212-1 nouveau) du code de la consommation ;

4°/ que, dans les contrats conclus entre professionnels et consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat ; que revêt un tel caractère abusif la clause qui permet au prêteur de prononcer la déchéance du terme, rendant immédiatement exigibles les sommes dues, au motif de la fourniture de renseignements inexacts sur la situation de l'emprunteur, sans que l'emprunteur soit mis en mesure de s'expliquer au préalable sur cette cause de déchéance ; qu'au cas d'espèce, en décidant au contraire que la clause de l'article 9.1 des conditions générales du prêt n'était pas abusive, quand cette stipulation ne ménageait à l'emprunteur aucune possibilité de s'expliquer avant sa mise en œuvre, la cour d'appel a violé l'article L. 132-1 ancien (devenu L. 212-1 nouveau) du code de la consommation ;

5°/ que, dans les contrats conclus entre professionnels et consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat ; que la sanction du caractère abusif d'une clause ne saurait être neutralisée par le devoir de loyauté ou de bonne foi pesant sur le consommateur au titre du droit commun des obligations ; qu'au cas d'espèce, à supposer adopté le motif selon lequel la législation sur les clauses abusives ne protégerait que le consommateur de bonne foi, l'arrêt devrait être censuré pour violation de l'article L. 132-1 ancien (devenu L. 212-1 nouveau) du code de la consommation, ensemble les articles 6 et 1134 (ce dernier dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016) du code civil ;

6°/ que, dans les contrats conclus entre professionnels et consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat ; qu'à supposer que le devoir d'exécution de bonne foi du contrat puisse être étendu à la formation de celui-ci, sa méconnaissance ne peut déboucher que sur une action en nullité de la convention ou sur une action indemnitaire, et non sur la résiliation ou la résolution de la convention, qui ne peut sanctionner que l'inexécution d'une obligation issue de celle-ci ; qu'aussi, en présence d'une clause d'un contrat de prêt qui permet au prêteur de prononcer la déchéance du terme, rendant immédiatement exigibles les sommes dues, au motif de la fourniture de renseignements inexacts sur la situation de l'emprunteur, en l'absence de toute défaillance de l'emprunteur dans le remboursement du prêt, le juge ne peut dénier son caractère abusif au motif que cette stipulation viendrait sanctionner un manquement de l'emprunteur à son obligation de contracter de bonne foi, dès lors qu'un tel manquement ne peut jamais, en droit commun, fonder la résiliation ou la résolution du contrat ; qu'en se déterminant de la sorte en l'espèce à l'égard de l'article 9.1 des conditions générales du prêt, la cour d'appel, qui a statué par un motif inopérant, a violé l'article L. 132-1 ancien (devenu L. 212-1 nouveau) du code de la consommation, ensemble les articles 1134 et 1184 du code civil (dans leur rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016) ;

7°/ que, dans les contrats conclus entre professionnels et consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat ; que revêt un tel caractère abusif la clause qui permet au prêteur de prononcer la déchéance du terme, rendant immédiatement exigibles les sommes dues, au motif de la fourniture de renseignements inexacts sur la situation de l'emprunteur, tout en laissant croire au consommateur qu'aucun contrôle judiciaire ne peut être exercé sauf à ce que la banque y consente par écrit ; qu'en l'espèce, en déniant tout caractère abusif à la clause de l'article 9.1 des conditions générales du contrat de prêt, quand cette dernière prévoyait que la banque pourrait prononcer la déchéance du terme, rendant immédiatement exigibles les sommes dues, au motif de la fourniture de renseignements inexacts sur la situation de l'emprunteur « sans qu'elle ait à remplir une formalité judiciaire quelconque, sauf accord écrit de sa part », ce qui était ambigu et pouvait donc laisser croire au consommateur qu'aucun contrôle judiciaire ne pouvait être exercé sauf à ce que la banque y consente par écrit, la cour d'appel a violé l'article L. 132-1 ancien (devenu L. 212-1 nouveau) du code de la consommation ;

8°/ que la CJUE a dit pour droit que l'article 3, § 1, et l'article 4 de la directive 93/13/CEE du 5 avril 1993 concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs doivent être interprétés en ce sens que s'agissant de l'appréciation par une juridiction nationale de l'éventuel caractère abusif de la clause relative à la déchéance du terme en raison de manquements du débiteur à ses obligations pendant une période limitée, il incombe à cette juridiction d'examiner si la faculté laissée au professionnel de déclarer exigible la totalité du prêt dépend de l'inexécution par le consommateur d'une obligation qui présente un caractère essentiel dans le cadre du rapport contractuel en cause, si cette faculté est prévue pour les cas dans lesquels une telle inexécution revêt un caractère suffisamment grave au regard de la durée et du montant du prêt, si ladite faculté déroge aux règles de droit commun applicables en la matière en l'absence de dispositions contractuelles spécifiques et si le droit national prévoit des moyens adéquats et efficaces permettant au consommateur soumis à l'application d'une telle clause de remédier aux effets de ladite exigibilité du prêt (CJUE 26 janvier 2017, Banco Primus, aff. C-421/4) ; qu'au cas d'espèce, en s'abstenant, aux fins d'examiner son caractère abusif, de s'expliquer sur le point de savoir si la clause de l'article 9.1 des conditions générales du prêt, prévoyant la faculté pour la banque de prononcer la déchéance du terme, rendant immédiatement exigibles les sommes dues, notamment en cas de fourniture de renseignements inexacts sur la situation de l'emprunteur, ne dérogeait pas aux règles de droit commun français qui auraient été applicables en l'absence de dispositions contractuelles spécifiques, ce qui était le cas dès lors qu'un manquement au devoir de bonne foi au stade de la conclusion du contrat (et non de son exécution) n'aurait pas pu fonder une résolution ou une résiliation de celui-ci, la cour d'appel, qui s'est affranchie de la méthode qui s'imposait à elle, a violé les articles 3, § 1, et 4 de la directive 93/13/CEE du 5 avril 1993, tels qu'interprétés par la CJUE, ensemble l'article L. 132-1 ancien (devenu L. 212-1 nouveau) du code de la consommation ;

9°/ qu'en s'abstenant, aux fins d'examiner son caractère abusif, de s'expliquer sur le point de savoir si, sachant que la clause de l'article 9.1 des conditions générales du prêt stipulait la faculté pour la banque de prononcer la déchéance du terme, rendant immédiatement exigibles les sommes dues, notamment en cas de fourniture de renseignements inexacts sur la situation de l'emprunteur, le droit français prévoyait des moyens adéquats et efficaces permettant au consommateur soumis à l'application d'une telle clause de remédier aux effets de ladite exigibilité du prêt, la cour d'appel, qui s'est de ce point de vue encore affranchie de la méthode qui s'imposait à elle, a violé les articles 3, § 1, et 4 de la directive 93/13/CEE du 5 avril 1993, tels qu'interprétés par la CJUE, ensemble l'article L. 132-1 ancien (devenu L. 212-1 nouveau) du code de la consommation. »

Réponse de la Cour  

4. L'arrêt relève que la stipulation critiquée limite la faculté de prononcer l'exigibilité anticipée du prêt aux seuls cas de fourniture de renseignements inexacts portant sur des éléments déterminants du consentement du prêteur dans l'octroi du prêt et ne prive en rien l'emprunteur de recourir à un juge pour contester l'application de la clause à son égard. Il ajoute qu'elle sanctionne la méconnaissance de l'obligation de contracter de bonne foi au moment de la souscription du prêt.  

5. De ces constatations et énonciations, la cour d'appel, qui a implicitement mais nécessairement retenu que la résiliation prononcée ne dérogeait pas aux règles de droit commun et que l'emprunteur pouvait remédier à ses effets en recourant au juge, a déduit, à bon droit, que, nonobstant son application en l'absence de préavis et de défaillance dans le remboursement du prêt, la clause litigieuse, dépourvue d'ambiguïté et donnant au prêteur la  possibilité, sous certaines conditions, de résilier le contrat non souscrit de bonne foi, ne créait pas, au détriment du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties.  

6. Le moyen, qui s'attaque en sa cinquième branche à des motifs surabondants, n'est pas fondé.  

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.