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Décisions

Cass. com., 3 février 2021, n° 19-19.260

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

Le GAEC Crouchet-Plas (Sté)

Défendeur :

Beffara, Candeo (SARL), Arcelormittal France (Sté), Agri Synergie (SAS), SOPSID (SAS), Scodev Agro N'Tech (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Mouillard

Rapporteur :

M. Riffaud

Avocats :

SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle et Hannotin, SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, SCP Célice, Texidor, Périer, SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, SCP Marc Lévis, SCP Rocheteau et Uzan-Sarano

Limoges, ch. éco. et soc., du 13 mai 201…

13 mai 2019

Faits et procédure  

1. Selon l'arrêt attaqué (Limoges, 13 mai 2019), le GAEC Crouchet-Plas (le GAEC), qui exploite un élevage de bovins, a commandé à M. Beffara des scories d'origine sidérurgique dénommées « Valorseed + ». Cet amendement des sols, livré en vrac, a été épandu sur les prairies en octobre 2010. Le GAEC a également acheté des scories de la même marque à la société Candeo au mois de décembre 2010, qu'il n'a pas utilisées.

2. Des bêtes étant tombées malades après la campagne d'épandage, le GAEC a fait procéder à des analyses de scories qui ont montré une teneur en chrome supérieure à la norme.  

3. Le GAEC a assigné devant le tribunal de commerce de Brive :

- les vendeurs de scories : M. Beffara et la société Candeo,

- le fournisseur de M. Beffara : la société Scodev,

- le fournisseur de la société Candeo : la société Agri Synergie,  

- les fabricants du produit : les sociétés Arcelormittal Atlantique et Lorraine (la société Arcelormittal) et Sopsid, pour obtenir la résolution de la vente conclue avec M. Beffara et la société Candeo, le remboursement des factures et l'indemnisation de son préjudice.  

Examen des moyens

Sur les premiers et quatrième moyens, réunis

Enoncé du moyen

4. Le GAEC fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes, alors :

« 1° / que pèse sur le vendeur, le fournisseur et le fabricant, à l'égard de l'acheteur professionnel, une obligation d'information et de conseil sur l'adaptation du produit à l'usage auquel il est destiné dès lors que la compétence du client ne lui donne pas les moyens d'apprécier la portée exacte de ses caractéristiques techniques et des risques qu'il comporte éventuellement et que la faute de la victime ne peut produire un effet totalement exonératoire que si elle est la cause unique du dommage ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que le dommage subi par le GAEC était dû à l'ingestion par les animaux de limailles et autres granulats agglomérés en raison du caractère pulvérulent des scories livrées, favorisant l'agglomération de l'amendement sur les plantes, mais que le GAEC avait manqué à un usage de sa profession en procédant à un épandage en présence d'animaux, de sorte qu'il n'était pas fondé à reprocher aux intimés un manquement à leur devoir de conseil et d'information pour demander réparation de son préjudice dont il serait ainsi seul à l'origine ; qu'en statuant de la sorte, quand il ne ressort pas de tels motifs que le GAEC, qui faisait valoir qu'il n'était pas chimiste ou producteur de scories, disposait de la compétence permettant d'apprécier la portée exacte des caractéristiques techniques du produit en cause et des risques qu'il comportait en l'absence de toute information à ce sujet, notamment du risque mortel en cas d'ingestion, la cour d'appel qui n'a pas caractérisé l'absence de lien de causalité entre la faute alléguée contre le vendeur, le fournisseur et le fabricant, à raison d'un manquement à leur devoir de conseil et d'information, et le dommage subi, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du code civil dans sa rédaction applicable en la cause ;

2°/ qu'en ne répondant pas au moyen pris de l'application des articles 1245 et suivants du code civil afférents au régime de la responsabilité du fait des produits défectueux, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour  

5. D'une part, l'arrêt retient que l'intoxication des animaux, par l'ingestion de l'amendement, collé sur l'herbe par la rosée en raison de sa forme pulvérulente, n'a été rendue possible que par suite d'une erreur majeure, consistant en l'épandage, par le GAEC, d'amendements basiques sidérurgiques sur les parcelles en présence des animaux et sans avoir attendu qu'il soit tombé suffisamment de pluie pour que les éléments apportés descendent dans le sol et ne restent pas sur l'herbe, les amendements, quels qu'ils soient, n'ayant pas vocation à être directement absorbés par les animaux. Il ajoute, par motifs propres et adoptés, que les amendements basiques sidérurgiques existent depuis de nombreuses années sur le marché et sont largement utilisés par les agriculteurs, que le GAEC les avait, au demeurant, utilisés l'année précédente et qu'étant un professionnel averti élevant plus de 600 bêtes sur 270 hectares de terres agricoles, il ne pouvait ignorer les techniques d'amendement des sols et les usages en la matière, de sorte qu'ayant épandu les amendements en présence des animaux, il se trouve à l'origine directe de son dommage. Par ces constatations et appréciations, dont il résulte que la faute du GAEC était la cause exclusive de celui-ci, la cour d'appel a légalement justifié sa décision.

6. D'autre part, en retenant que le produit livré n'avait porté atteinte aux animaux du GAEC qu'en raison des conditions fautives de son utilisation par celui-ci, la cour d'appel, en faisant ainsi ressortir qu'utilisé correctement le produit offrait la sécurité qu'on pouvait légitimement en attendre et n'était donc pas défectueux au sens de l'article 1245-3 du code civil, a répondu, en les écartant, aux conclusions prétendument délaissées.  

7. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur les deuxième et troisième moyens, réunis

Enoncé du moyen

8. Le GAEC fait le même grief à l'arrêt, alors :

« 1° / que le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l'usage auquel on la destine, ou qui diminuent tellement cet usage que l'acheteur ne l'aurait pas acquise, ou n'en aurait donné qu'un moindre prix, s'il les avait connus et que la norme NF U 44-001 rendue obligatoire par l'arrêté du 5 septembre 2003 portant mise en application obligatoire de normes, prévoit des seuils « maximaux » « autorisés » d' « éléments trace métallique ou métalloïde » (ETM) ; qu'est impropre à l'usage auquel on le destine, l'amendement ne respectant pas cette norme et les seuils « maximaux » « autorisés » d' « éléments trace métallique ou métalloïde » qu'elle prévoit dès lors que le dépassement de ces seuils expose l'utilisateur à un risque de pollution des sols ; qu'en statuant de la sorte quand elle constatait un dépassement significatif des valeurs seuil fixées par la norme NF U 44-001 pour le chrome et le sélénium, la cour d'appel a violé l'article 1641 du code civil, dans sa rédaction applicable en la cause, ensemble ladite norme et l'arrêté du 5 septembre 2003 portant sa mise en application obligatoire ;

2° / que la commande d'une chose soumise à une norme s'entend d'une chose conforme aux prévisions de ladite norme ; qu'en statuant de la sorte quand elle constatait un dépassement significatif des valeurs seuil fixées par la norme NF U 44-001 (avril 2009) pour le chrome et le sélénium, la cour d'appel a violé l'article 1184 du code civil, dans sa rédaction applicable en la cause, et l'article 1604 du même code, ensemble ladite norme et l'arrêté du 5 septembre 2003 portant sa mise en application obligatoire ;

3°/ que la cour d'appel a constaté que selon le rapport d'expertise, les caractéristiques de l'amendement livré étaient « toutes inférieures aux indications du document d'accompagnement » ; qu'en statuant de la sorte pour cela qu'à ce sujet, l'expert n'aurait émis qu'une hypothèse quant à la moindre efficacité de l'amendement, quand, toute autre considération étant inopérante, le vendeur était tenu de livrer un bien conforme aux indications du document d'accompagnement, elle a violé l'article 1184 du code civil, dans sa rédaction applicable en la cause, et l'article 1604 du même code. »

Réponse de la Cour  

9.En premier lieu, ayant retenu que les épandages restaient conformes aux critères de qualité relatifs à l'innocuité « des éléments trace métallique (ETM) », qu'ils étaient sans conséquence pour le risque d'accumulation du chrome dans le sol et qu'aucune mesure curative de celui-ci n'était à envisager, la cour d'appel a pu en déduire que le produit répandu n'était pas, dans des conditions correctes d'utilisation, impropre à l'usage auquel il était destiné, de sorte qu'il n'était pas affecté d'un vice caché.

10. En second lieu, le GAEC, dans ses conclusions d'appel, soutenait, en ce qui concerne le défaut de conformité qu'il alléguait également, qu'ayant commandé de l'engrais, il lui avait été vendu un produit issu de l'industrie sidérurgique à haute teneur en chrome et sélénium qui n'était manifestement pas conforme à sa destination. En retenant, après avoir estimé que l'innocuité de ce produit était établie, qu'il avait été livré dans la quantité et le conditionnement prévus par le contrat et qu'il constituait un amendement, c'est-à-dire une substance destinée à améliorer les propriétés d'un sol pour le rendre plus fertile, la cour d'appel a pu, le produit livré correspondant à l'engrais commandé, écarter l'existence de la non-conformité alléguée, laquelle ne résulte pas davantage du fait que le produit aurait pu présenter une efficacité agronomique moindre, l'arrêt relevant que sur ce point l'expert n'avait formulé qu'une hypothèse.  

11. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.