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Décisions

Cass. com., 10 février 2021, n° 19-14.273

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

PARTIES

Demandeur :

Bizcom Europe (SARL)

Défendeur :

Hewlett-Packard France (Sasu)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Mouillard

Rapporteur :

Mme Champalaune

Avocat général :

M. Debacq

Avocats :

SARL Meier-Bourdeau, Lécuyer et associés, SCP Buk Lament-Robillot

T. com. Paris, du 14 nov. 2016

14 novembre 2016

 Faits et procédure  

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 11 janvier 2019) et les productions, le 14 décembre 2009, la société Bizcom Europe (la société Bizcom), qui a pour activité la vente et la distribution de produits informatiques, et la société Hewlett-Packard France (la société HP), qui vend des ordinateurs re-conditionnés, ont conclu un contrat-cadre dénommé « contrat de commissionnaire » par lequel la seconde a confié, à compter du 1er novembre 2009, à la première, sur la zone Europe-Moyen-Orient-Afrique, la gestion de son activité de vente de produits remis à neuf, dite « OTC » (« order to cash »), pour une durée de vingt-quatre mois, avec tacite reconduction pour une durée de douze mois supplémentaires.

2. À partir de mars 2011, les parties ont entrepris de négocier un nouveau contrat. À défaut d'accord entre elles, le contrat s'est renouvelé tacitement, une première fois pour un an, du 1er novembre 2011 au 31 octobre 2012, puis une seconde fois, jusqu'au 31 octobre 2013.  

3. Par lettre du 18 février 2013, la société HP a informé la société Bizcom du non-renouvellement du contrat-cadre à cette dernière échéance.  

4. Estimant avoir subi des préjudices du fait des pratiques restrictives de concurrence, déloyales et abusives de la société HP, la société Bizcom l'a assignée en réparation de ceux-ci.

Examen des moyens  

Sur les troisième et quatrième moyens et le cinquième moyen, pris en ses première et troisième branches, ci-après annexés  

5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces  moyens, qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen, pris en sa troisième branche

Enoncé du moyen

6. La société Bizcom fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable comme nouvelle la demande tendant à l'indemnisation du préjudice subi du fait de la menace de rupture brutale, à hauteur de 500 000 euros, alors « que devant la cour d'appel, les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu'elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge ; que les parties peuvent expliciter les prétentions qui étaient virtuellement comprises dans les demandes et défenses soumises au premier juge et ajouter toutes les demandes qui en sont l'accessoire, la conséquence ou le complément ; que la société Bizcom exposait ajouter, à hauteur d'appel, des demandes de réparation de préjudices supplémentaires à ceux invoqués en première instance et subis en raison de la rupture brutale des relations commerciales ; qu'en jugeant cette demande irrecevable comme nouvelle, la cour d'appel a violé les articles 565 et 566 du code de procédure civile, ce dernier dans sa rédaction applicable au litige. »

Réponse de la Cour  

7. Après avoir relevé que la demande d'indemnisation formée en cause d'appel à hauteur de 500 000 euros est fondée sur l'article L. 442-6, I, 4° du code de commerce, lequel dispose qu'engage la responsabilité de leur auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait d'obtenir ou de tenter d'obtenir, sous la menace d'une rupture totale ou partielle des relations commerciales établies, des conditions manifestement abusives concernant les prix, les délais de paiement, les modalités de vente ou les services ne relevant pas des obligations d'achat et de vente, l'arrêt retient que la société Bizcom échoue à démontrer que cette demande, qui doit articuler des faits précis imputables à la société HP, que ne caractérise pas une simple allégation d'une volonté non équivoque de celle-ci d'évincer brutalement son co-contractant, a préalablement été soumise au premier juge ou qu'elle en est l'accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire au sens de l'article 566 du code de procédure civile.

8. En l'état de ces énonciations et appréciations, faisant ressortir que la société Bizcom n'avait pas soumis aux premiers juges une demande de dommages-intérêts fondée sur le préjudice spécifique qui aurait été causé par le fait que la société HP l'aurait, sous la menace de la rupture de la relation commerciale, contrainte à diverses conditions de leur partenariat, relevant de l'article L. 442-6, I, 4° du code de commerce dans sa rédaction alors applicable, et qu'une telle demande puisse constituer l'accessoire, la conséquence ou le complément d'une demande d'indemnisation d'un préjudice causé par une faute distincte prise de la rupture brutale des relations commerciales dans les conditions prévues à l'article L. 442-6, I, 5° du même code, c'est à bon droit que la cour d'appel a retenu que cette demande était nouvelle et, partant, irrecevable.

9. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le cinquième moyen, pris en sa deuxième branche  

Enoncé du moyen

10. La société Bizcom fait grief à l'arrêt de la débouter de sa demande tendant à voir la société HP condamnée à réparer le préjudice causé par une rupture brutale partielle de la relation commerciale, alors « qu'engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice qui en résulte, le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels ; qu'en se bornant à affirmer, pour exclure toute nécessité de préavis écrit et toute baisse significative des relations commerciales entre novembre 2011 et le 18 février 2013, date de l'annonce de la rupture totale des relations, que la société Bizcom aurait conservé 85 % de l'activité traitée en 2012 et des commissions d'un montant de 1 466 380 euros et de 1 719 847 euros pour l'année 2011, sans préciser quel élément de preuve elle retenait pour exclure la baisse très significative de l'activité qu'établissait la société Bizcom par la production de nombreuses pièces, dont ses bilans, pour prouver que le volume d'affaires avait diminué de 55,7 % entre l'exercice 2011/2012 et l'exercice 2012/2013, puis de 78,99 % pour la période suivante, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce. »

Réponse de la Cour

11. L'arrêt, par motifs adoptés, constate qu'en novembre 2011, la société HP avait averti la société Bizcom d'une baisse d'activité à compter de février 2012, qu'après une augmentation en janvier et février, la baisse du chiffre d'affaires de la société Bizcom sur l'année 2012 a été progressive puisque cette société a conservé 85 % de l'activité traitée et qu'il n'existait pas de stipulation d'un volume garanti et qu'aucune exclusivité n'avait été accordée, mention expressément reprise dans la lettre du 26 septembre 2012 visée par la société Bizcom rappelant les dispositions contractuelles applicables de l'article 21.8.

12. En l'état de ces constatations et appréciations, et dès lors qu'il ne résulte pas de ses conclusions que la société Bizcom ait contesté le montant des rémunérations retenues à partir de la comparaison desquelles a été établi le ratio précité de 85 %, la cour d'appel, qui en a déduit l'absence d'une rupture partielle de la relation commerciale, excluant ainsi l'exigence de l'octroi d'un préavis, a légalement justifié sa décision.

13. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le deuxième moyen

Enoncé du moyen

14. La société Bizcom fait grief à l'arrêt de dire irrecevables comme prescrites les demandes tendant à l'indemnisation des préjudices matériels à hauteur de 646 967 euros et du préjudice moral, à hauteur de 200 000 euros, alors « que la demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription ; qu'en ne recherchant pas, comme il lui était demandé, si les demandes d'indemnisation au titre des préjudices matériels évalués à la somme de 646 967 euros et le préjudice moral évalué à la somme de 200 000 euros n'avaient pas été formées en première instance, mais formulées différemment, ce qui avait ainsi interrompu le cours de la prescription, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 2241 du code civil. »

Réponse de la Cour  

15. Il résulte des conclusions de la société Bizcom que les demandes d'indemnisation visées par le moyen ont été formées en conséquence de la rupture prétendument brutale invoquée. La cour d'appel ayant jugé que la rupture n'était pas brutale, le moyen est inopérant.  

Mais sur le premier moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen  

16. La société Bizcom fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable comme nouvelle la demande tendant à l'indemnisation du préjudice subi du fait de l'absence d'attribution de volume minimum, à hauteur de 400 000 euros, alors « que devant la cour d'appel, les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu'elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge même si leur fondement juridique est différent ; que les parties peuvent expliciter les prétentions qui étaient virtuellement comprises dans les demandes et défenses soumises au premier juge et ajouter toutes les demandes qui en sont l'accessoire, la conséquence ou le complément ; que, devant le tribunal, la société Bizcom imputait à la société HP des comportements déloyaux et notamment lui reprochait, lors des négociations commerciales préalables à la signature du contrat en décembre 2009, de lui avoir fait réaliser des investissements surdimensionnés pour répondre aux promesses de lui confier la totalité de l'activité OTC, promesses que la société HP n'a jamais accepté d'inscrire dans le contrat et par lesquelles elle ne s'est pas sentie liée ; que, devant les premiers juges, la société Bizcom incluait l'évaluation de ce dommage dans l'ensemble des manque à gagner subis ; que, devant la cour d'appel, la société Bizcom a explicité ses prétentions relatives à la déloyauté de la société HP en évaluant de manière autonome le préjudice né de son comportement dans les négociations initiales ; qu'en jugeant que cette demande serait nouvelle à hauteur d'appel et irrecevable, quand elle était virtuellement comprise dans les prétentions formulées devant le tribunal et tendait aux mêmes fins, la cour d'appel a violé les articles 565 et 566 du code de procédure civile, ce dernier dans sa rédaction applicable au litige. »

Réponse de la Cour  

Vu les articles 565 et 566 du code de procédure civile, ce dernier dans sa rédaction applicable au litige :

17. Selon ces textes, les prétentions formées en cause d'appel ne sont pas nouvelles dès lors qu'elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge, même si leur fondement juridique est différent, les parties pouvant aussi expliciter les prétentions qui étaient virtuellement comprises dans les demandes et défenses soumises au premier juge et ajouter à celles-ci toutes les demandes qui en sont l'accessoire, la conséquence ou le complément.

18. Pour juger que la demande d'indemnisation à hauteur de 400 000 euros relative à l'absence d'attribution de volume minimum est nouvelle et, partant, irrecevable, l'arrêt, après avoir rappelé que la société Bizcom soutenait que cette demande était la conséquence des comportements fautifs de la société HP, qui lui avait fait supporter des garanties démesurées, exorbitantes et totalement disproportionnées au regard des volumes réellement confiés, retient qu'une telle demande, en ce qu'elle est formée en cause d'appel au titre de la période antérieure à la souscription du contrat, n'a pas été soumise en tant que telle au premier juge, la société Bizcom sollicitant au contraire, tant devant le tribunal qu'en cause d'appel, la condamnation de la société HP pour n'avoir pas respecté un engagement de volume d'activité garanti contractuellement à hauteur de 100 %, de sorte qu'elle n'est pas virtuellement comprise dans les demandes et défenses soumises au premier juge conformément à l'article 566 du code de procédure civile.  

19. En statuant ainsi, alors que la société Bizcom, qui invoquait, devant les premiers juges, l'existence d'un déséquilibre significatif dans les relations entre les parties et la déloyauté de la société HP dans l'exécution du contrat, demandait la réparation du préjudice causé par le comportement de la société HP qui lui aurait fait souscrire des garanties disproportionnées au regard du volume d'activité qu'elle lui avait effectivement confié, ce dont il résulte que la prétention formée en cause d'appel tendait aux mêmes fins, peu important le changement du fondement juridique de la demande, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Et sur ce moyen, pris en sa deuxième branche

Enoncé du moyen

20. La société Bizcom fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable comme nouvelle la demande tendant à l'indemnisation du préjudice subi du fait de la mauvaise foi dans la période post-contractuelle, à hauteur de 200 000 euros, alors « que devant la cour d'appel, les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu'elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge même si leur fondement juridique est différent ; que les parties peuvent expliciter les prétentions qui étaient virtuellement comprises dans les demandes et défenses soumises au premier juge et ajouter toutes les demandes qui en sont l'accessoire, la conséquence ou le complément ; que, devant les premiers juges, la société Bizcom imputait à la société HP des comportements déloyaux dont, notamment, celui tenant à l'obligation qu'elle lui avait imposée de maintenir des garanties dont le coût était très élevé pendant plusieurs mois au-delà de la fin du contrat en paralysant corrélativement une part importante de sa trésorerie ; que, devant la cour d'appel, elle précisait ses demandes de réparation du comportement déloyal de la société HP en évaluant séparément le préjudice causé par cette faute ; qu'en jugeant pourtant cette demande irrecevable comme nouvelle, la cour d'appel a violé les articles 565 et 566 du code de procédure civile, ce dernier dans sa rédaction applicable au litige. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 565 et 566 du code de procédure civile, ce dernier dans sa rédaction applicable au litige :

21. Pour déclarer irrecevable comme nouvelle la demande d'indemnisation à hauteur de 200 000 euros au titre de la mauvaise foi durant la période post-contractuelle sur le fondement des articles 1134 et 1135 du code civil, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016, l'arrêt retient qu'en l'absence de toute demande d'indemnisation des manœuvres déloyales post-contractuelles devant le premier juge, pour sanctionner des faits distincts des actes de concurrence déloyale, la demande d'indemnisation, dont la cour est saisie, n'est pas l'accessoire, la conséquence ou le complément des premières demandes, limitées au contrat.

22. En statuant ainsi, alors que la société Bizcom soutenait devant les premiers juges que le fait, imputé à la société HP, d'avoir conservé des garanties et bloqué sa trésorerie après la cessation du contrat était fautif et lui avait causé un préjudice dont elle réclamait réparation pour un montant plus élevé que celui demandé à hauteur d'appel, ce dont il résultait que la demande formée en appel n'était pas nouvelle, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déclare irrecevables comme nouvelles les demandes en paiement des sommes de 400 000 et 200 000 euros formés par la société Bizcom Europe, l'arrêt rendu le 11 janvier 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée.