Cass. com., 10 février 2021, n° 19-10.919
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
PARTIES
Demandeur :
Lepetit
Défendeur :
Cabinet Robert (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Mouillard
Rapporteur :
Mme Lion
Avocat général :
M. Debacq
Avocats :
SCP de Chaisemartin, Doumic-Seiller, SCP Zribi et Texier
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Limoges, 18 octobre 2018), M. Lepetit a quitté la société d'expertise-comptable Cabinet Robert (la société Robert), dont il était associé, et a, à cette occasion, acquis une partie de la clientèle de cette société, en vertu d'un acte du 11 avril 2011 qui comportait une clause d'interdiction, pour la cédante, de démarcher la clientèle cédée, et, pour le cessionnaire, de démarcher la clientèle non cédée.
2. Reprochant à la société Robert d'avoir adressé, le 5 mai 2011, un document publicitaire à la clientèle qui lui avait été cédée, en méconnaissance de la clause d'interdiction de démarchage, M. Lepetit l'a assignée en paiement de la pénalité contractuellement prévue en cas de non-respect de cette clause et la société Robert a formé une demande reconventionnelle en paiement de cette même pénalité et, à titre subsidiaire, en réparation de son préjudice résultant d'actes de concurrence déloyale.
Examen des moyens
Sur le premier moyen et sur le deuxième moyen, pris en sa première branche, ci-après annexés
3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation. Mais sur le deuxième moyen, pris en sa sixième branche
Enoncé du moyen
4. M. Lepetit fait grief à l'arrêt de le condamner à verser à la société Robert la somme de 20 000 euros au titre de la concurrence déloyale, alors « qu'une faute déontologique ne peut constituer un acte de concurrence déloyale que si elle est à l'origine du transfert de clientèle allégué ; qu'en se bornant, en l'espèce, à affirmer que M. Lepetit s'était rendu coupable d'un acte de concurrence déloyale envers la société Robert car la faute commise - en l'occurrence avoir commencé sa mission dans les neuf sociétés du groupe Géry sans avoir obtenu l'acceptation de son prédécesseur, en sachant que des honoraires n'avaient pas été réglés par des sociétés de ce groupe et sans attendre la décision de l'Ordre des experts-comptables auquel il était tenu de se référer - était en lien direct avec la perte de chiffre d'affaires correspondant à ces neuf clients, sans constater que la faute déontologique reprochée était à l'origine du transfert de la clientèle des neuf sociétés du groupe Géry, dont elle relevait par ailleurs que celles-ci avaient sollicité les services de M. Lepetit en l'absence de tout démarchage de sa part, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 devenu l'article 1240 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 1382, devenu 1240, du code civil :
5. Il résulte de ce texte qu'un manquement à une règle de déontologie, dont l'objet est de fixer les devoirs des membres d'une profession et qui est assortie de sanctions disciplinaires, ne constitue un acte de concurrence déloyale par détournement de clientèle que s'il est établi que ce manquement est à l'origine du transfert de clientèle allégué.
6. Pour confirmer le jugement en ce qu'il condamnait M. Lepetit à payer à la société Robert la somme de 20 000 euros au titre de la concurrence déloyale, l'arrêt, après avoir relevé, par motifs propres et adoptés, que M. Lepetit, qui avait été sollicité par les sociétés Géry, n'avait pas démarché celles-ci, retient qu'en commençant sa mission concernant les neuf dossiers Géry sans avoir obtenu l'acceptation de la société Robert, en sachant que des honoraires lui restaient dus et sans attendre la décision de l'Ordre des experts-comptables, qui avait été saisi de la difficulté, M. Lepetit a violé l'article 23 du code de déontologie des experts-comptables et a commis une faute, se rendant coupable d'un acte de concurrence déloyale envers la société Robert, dans la mesure où la faute ainsi commise est en lien direct de causalité avec la perte de chiffre d'affaires, pour la société Robert, correspondant à ces neuf clients.
7. En se déterminant ainsi, sans constater que la faute qu'elle avait caractérisée était à l'origine du transfert de clientèle qu'elle retenait, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
Et sur le troisième moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
8. M. Lepetit fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande tendant à voir condamner la société Robert à lui payer la somme de 10 000 euros en réparation de son préjudice moral, alors « que par application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation à intervenir du chef du dispositif condamnant M. Lepetit à verser à la société Robert la somme de 20 000 euros au titre de la concurrence déloyale, entraînera, par voie de conséquence, la cassation des dispositions le déboutant de sa demande de dommages-intérêts en réparation du préjudice moral subi du fait des accusations mensongères portées à son encontre, qui se trouvent dans leur dépendance nécessaire. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 624 du code de procédure civile :
9. La cassation prononcée sur le deuxième moyen entraîne la cassation, par voie de conséquence, du chef de dispositif critiqué par le moyen, qui s'y rattache par un lien de dépendance nécessaire.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour : CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne M. Lepetit à payer à la société Cabinet Robert la somme de 20 000 euros au titre de la concurrence déloyale, et rejette la demande formée par M. Lepetit en réparation de son préjudice moral, l'arrêt rendu le 18 octobre 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Limoges ; Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Poitiers.