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Décisions

CA Agen, ch. civ. sect. com., 8 février 2021, n° 19/00093

AGEN

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Voicevale France (SARL)

Défendeur :

FCD (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Menu

Conseillers :

M. Segonnes, Mme Schmidt

Avocat :

Selarl Action Juris

T. com. Cahors, du 19 déc. 2018

19 décembre 2018

EXPOSE DU LITIGE

La société Mc Cormick, cliente de la société Voiceval France, spécialisée dans la vente de fruits secs, a souhaité commander à celle-ci 10 tonnes d'amandes naturelles pasteurisées.

La société Voicevale France a dès lors pris attache, courant décembre 2016, auprès de la société FCD SAS, spécialisée dans la pasteurisation, pour faire procéder par cette dernière à cette opération.

La pasteurisation et le conditionnement de 10 tonnes d'amandes en provenance des Etats-Unis ont donc été réalisées par la société FCD SAS et le 13 janvier 2017, les amandes ont été livrées par transporteur à la société Calabas industries aux fins d'entreposage pour le client final la société Mc Cormick.

Cependant, à la réception des produits, la société Calabas industries a émis des réserves sur la qualité de la marchandise en constatant que de l'eau se trouvait dans les « big bags » contenant les amandes.

La société FCD SAS, informée de la situation, a indiqué ne pas être opposée à effectuer un nouveau traitement des amandes gratuitement.

Le 9 février 2017, la société FCD SAS a ainsi réceptionné le lot refusé par la société Mc Cormick pour retraitement des amandes, lesquelles après nouvelle pasteurisation, ont été remises dans les big bags précédemment utilisés.

Il a été procédé à l'enlèvement de la marchandise le 14 février 2017 pour un nouveau stockage chez la société Calabas industries qui n'a émis aucune réserve à la réception des produits.

Le 2 mars 2017, la société Mc Cormick a cependant décelé des moisissures sur une partie des amandes.

Dans ces conditions, un dossier d'assurance a été ouvert par la société Voicevale France pour indemnisation de son préjudice.

Une expertise a été réalisée le 14 mars 2017 aux termes de laquelle, la responsabilité de la société FCD SAS a été mise en cause par l'expert de la compagnie d'assurance de la société Voicevale France.

Par suite, afin de limiter le préjudice, le stock d'amandes litigieux a été remis pour pasteurisation et décontamination à la société Steripure, pour, après traitement, rendre les amandes consommables.

Les 06 et 11 avril 2018, la société FCD SAS a adressé un courriel intitulé « diffusion d'un dossier dénommé « Récapitulatif affaire Voicevale », à la société Voicevale France et aux clients de celle-ci, ayant acheté une partie du lot des amandes initiales, pour dénoncer l'attitude de la société Voicevale France et de son personnel et en a transmis une copie à la DGCCRF.

Par acte en date du 18 juin 2018, la Société Voicevale France a saisi le Tribunal de Commerce de Cahors aux fins d'obtenir la condamnation de la société FCD SAS à lui payer sur le fondement des articles 1240 et suivants du code civil :

- la somme de 50 000 euros à titre de dommages et intérêts,

- la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Par jugement du 19 décembre 2018, le tribunal de commerce de Cahors a débouté la société Voicevale France de ses demandes et l'a condamnée à payer 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile à la société FCD SAS.

La société Voicevale France a interjeté appel le 21 janvier 2019 de cette décision et a conclu à l'infirmation totale du jugement entrepris en ce qu'il l'a déboutée de toutes ses demandes tant de dommages et intérêts qu'au titre des frais irrépétibles et de publication dans un journal national quotidien.

L'appelante, par premières conclusions du 1er avril 2019 et dernières conclusions du 16 septembre 2019, demande à la cour de :

 Condamner la société FCD SAS à payer à la société Voicevale France les sommes de :

- 50 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi en raison du dénigrement et de l'atteinte à son image commerciale,

- 8 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Ordonner la publication du dispositif du jugement à intervenir dans un journal national quotidien, aux frais de la société FCD SAS dans la limite de 5 000 euros,

Débouter la société FCD SAS de toutes ses demandes, fins et conclusions,

Condamner la société FCD SAS aux entiers dépens.

A l'appui de ses prétentions, la société Voicevale France fait valoir que le tribunal de commerce de Cahors n'a pas été saisi d'un litige commercial qui a été réglé par une indemnisation par sa compagnie d'assurances mais de manœuvres dénigrantes et à des fins de discrédit de la part de la société FCD SAS. A cet égard, elle considère que les premiers juges n'ont donné aucune appréciation sur la virulence des termes employés par la société FCD SAS et leur impact sur son image commerciale et affirme que l'attitude de la société FCD SAS relève d'une intention de nuire. A cet égard, elle souligne qu'elle a subi un préjudice commercial avec une baisse de chiffre d'affaires avec deux de ses clients destinataires des courriels envoyés par la société FCD SAS et qu'un contrôle sanitaire de la DGCCRF a été réalisé auprès de certains d'entre eux. Enfin, elle réfute tout caractère avarié, avant pasteurisation, des amandes les rendant impropres à la consommation et soutient que le principe de précaution ne trouve aucune application s'agissant de produits vendus depuis de nombreux mois.

La société FCD SAS, intimée, par premières conclusions du 24 juin 2019 et conclusions récapitulatives du 1er septembre 2020 demande à la cour :

- la confirmation du jugement entrepris au visa des articles 1240 et suivants du code civil, de l'article 14 du règlement CE n°178/2002 et de l'article 10 de la Convention Européenne des Droits de l'Homme, en ce qu'elle n'a commis aucune faute.

Elle forme cependant appel incident et sollicite l'infirmation partielle de la décision en ce qu'elle a été déboutée de sa demande reconventionnelle en réparation et, en conséquence, demande la condamnation de la société Voiceval à lui verser :

- la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive au visa de l'article 32-1 du code de procédure civile ;

- la somme de 8 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'à supporter les entiers dépens de la procédure.

A l'appui de ses prétentions, la société FCD SAS fait valoir que les amandes livrées pour pasteurisation par la société Voicevale France contenaient « une forte contamination en levures et moisissures » au regard de l'échantillon RAW prélevé et les rendant impropres à la consommation. Poursuivant, elle considère qu'elle s'est interrogée à juste titre sur la qualité des produits commercialisés par la société Voicevale France et ce conformément au principe de précaution et à la réglementation européenne. Elle souligne qu'à défaut de communication des justificatifs qu'elle avait sollicités auprès de la société Voicevale France, elle avait averti cette dernière qu'elle informerait les autorités compétentes des risques encourus en termes de santé publique. En tout état de cause, elle estime qu'elle n'est pas responsable de la survenance des moisissures apparues sur le lot d'amandes qu'elle a traité et que le courriel envoyé ne constituait qu'un simple rappel chronologique de la situation. Ainsi, elle avance qu'elle n'a commis aucune faute et que la société Voicevale France ne peut démontrer aucun préjudice en lien avec un prétendu manquement. Enfin, elle se prévaut de son droit à la liberté d'expression et indique avoir agi dans un but d'intérêt général pour l'information du public.

La cour pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des prétentions et moyens des parties fait expressément référence à la décision entreprise et aux dernières conclusions régulièrement déposées en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 09 septembre 2020 et l'affaire fixée à plaider le 19 octobre 2020.

MOTIFS

Sur la responsabilité de la société FCD SAS

L'article 1240 du code civil dispose que 'tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer'.

Le litige dont est saisi la cour n'est pas un litige commercial, lequel a fait l'objet d'une indemnisation par l'assurance à ce titre. Il convient d'apprécier dans le présent cas si la responsabilité de la société FCD SAS peut être engagée en raison de la diffusion d'un écrit qui par sa nature et son contenu a pu causer un préjudice à la société Voicevale France.

Sur la faute

En premier lieu, il sera observé que la diffusion de l'écrit litigieux a été faite auprès de la société Voicevale France, de certains de ses clients et de la DGCCRF qui a par la suite effectué des contrôles de qualité auprès des partenaires commerciaux de la société Voicevale France.

En second lieu, les termes employés excluent tout conditionnel et véhiculent des informations non étayées et qui ne sont que l'opinion de la société FCD. Ainsi, il est indiqué : « En quelques jours Voicevale vend 10T de produit contaminé, impropre à la consommation humaine sans traitement et sans analyses supplémentaires. Ainsi leurs clients Boraal, Noiseraie production et Secrets de fruits ont reçu SANS en être informés par Voicevale des amandes envahies de moisissures et levures et donc potentiellement hautement toxiques ».

Lesdits propos ne sont pas l'exercice d'un droit à la liberté d'expression qui trouve sa limite dans le dénigrement fait par son auteur. En portant à la connaissance des partenaires commerciaux de la société Voicevale France un écrit intitulé « récapitulatif affaire Voicevale », la société FCD SAS a tenté de faire passer pour certaines et fondées des informations qui étaient contestables et qui ne représentaient que son point de vue.

Il ressort encore de la présentation faite par la société FCD SAS, que la société Voicevale France est dénuée de tout scrupule et est prête à toute compromission pour maintenir sa marge car elle mentionne dans son écrit : « C'est le branlebas de combat : le pari risqué tenté par Voicevale s'effondre : Mac Cormick a refusé les amandes moisies de Voicevale ! Au lieu d'une petite marge, l'affaire va se conclure sur des pertes. Voicevale et par la voix de Mr T. et Mme F. sont prêts à tout pour ne pas perdre d'argent. A ce point leur seule et unique solution est de faire payer à quelqu'un d'autre ! Ils vont faire appel à un comparse : Mr P. expert chez Survey CL qui va les aider à construire une mise en cause à charge d'un payeur. »

Il est manifeste que de telles données, nominatives de surcroît, s'inscrivent dans une volonté de compromettre la réputation de la société Voicevale France et de la discréditer auprès de ses partenaires commerciaux. En accréditant l'idée qu'elle entretient des connivences avec des tiers chargés de limiter ses éventuelles pertes financières, la société FCD SAS remet en cause la loyauté de la société Voicevale France dans les relations contractuelles et ce faisant a pour intention de lui nuire en portant atteinte à son image commerciale.

A cet égard, la société FCD SAS ne peut se retrancher derrière une mesure de précaution sanitaire et le respect d'une réglementation européenne alors que la thèse développée est vindicative et ne s'apparente pas à un rapport objectif. Plusieurs mois s'étant écoulés entre l'expertise de mars 2017 (dépôt du rapport en novembre 2017) et la diffusion de l'écrit en avril 2018, les marchandises querellées étaient depuis longtemps mises sur le marché de sorte que l'objectif recherché était davantage celui de susciter un contrôle de la part des services interpellés que de prévenir un risque sanitaire déjà ancien. Ainsi les termes employés comme « Dans un souci répété d'économie et en dépit des risques (...) font courir sciemment un risque important, potentiellement mortel aux consommateurs » ne font preuve d'aucune nuance et délivrent des informations trompeuses qui ne sont pas qu'empreintes de subjectivité ou d'une insuffisante rigueur.

Par ailleurs, en faisant état des prix pratiqués par la société Voicevale France au stade du conditionnement et non de la commercialisation, la société FCD SAS divulgue des informations de nature confidentielle qui ne lui appartient pas de délivrer. Ainsi, des clients comme la société B. et la société Boraal ayant reçu l'écrit ont interpellé la société Voicevale France pour indiquer leur incompréhension et préciser que des analyses avaient établi que le lot reçu était « d'une rare qualité physico-chimique (pour une amande naturelle) », et s'étonnant qu'« un sous-traitant de la société Voicevale France ait pu avoir connaissance d'informations internes à l'entreprise.»

En tout état de cause, il appartenait à la société FCD SAS en cas de désaccord avec les conclusions expertales réalisées dans le cadre du litige commercial d'exercer toutes les voies de droit qu'elle estimait nécessaires pour faire valoir ses intérêts sans recourir à de tels procédés.

Par conséquent, l'écrit litigieux n'est pas qu'un simple résumé du déroulement du litige mais un écrit dénigrant délivrant des informations douteuses et sous tendu par une intention de nuire de sorte que la société FCD SAS a bien commis une faute au sens de l'article 1240 du code civil à l'égard de la société Voicevale France.

Sur le préjudice et le lien de causalité

La société Voicevale France indique avoir subi un préjudice en termes d'image commerciale auprès de ses clients qui s'est traduit par une plus faible commande de produits de la part de deux clients ayant reçu l'écrit de la société FCD SAS.

Des pièces versées, il résulte d'un comparatif entre l'année 2017 et l'année 2018, une baisse sensible des commandes de la part de la société Mc Cormick et de la société Boraal. Ainsi, la société Mc Cormick a commandé en 2018 pour 1 721 298 euros de marchandises contre 3 206 840 euros en 2017 et la société Boréal a commandé en 2018 pour 195 991 euros de produits contre 274 673 euros en 2017.

La baisse constatée dans les commandes est majeure puisqu'elle est presque de moitié pour la société Mc Cormick et de près de 30 % pour la société Boraal et constitue un préjudice commercial pour la société Voicevale France qui s'est traduit par une baisse de chiffre d'affaires.

Le fait que la DGCCRF ait effectué des contrôles analytiques auprès des clients de la société Voicevale France en lien avec le courrier reçu a ajouté un trouble supplémentaire en soumettant ces derniers à des vérifications.

Par conséquent, le préjudice de la société Voicevale France est certain et est en lien direct avec les agissements fautifs de la société FCD SAS de sorte que la responsabilité civile de celle-ci se trouve engagée en application de l'article 1240 du code civil.

Compte tenu des pièces produites, la société FCD SAS sera condamnée à verser à la société Voicevale France la somme de 15 000 euros de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi.

Partant, la société FCD SAS sera déboutée de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive.

Il sera ordonné en outre la publication du présent dispositif dans un journal national quotidien, aux frais de la Société FCD SAS dans la limite de 5 000 euros.

Sur les frais irrépétibles et dépens

La société FCD SAS, succombant à l'instance, sera condamnée à verser à la société Voicevale France la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens de première instance et d'appel.

PAR CES MOTIFS :

La Cour, après en avoir délibéré conformément à la loi, statuant par arrêt contradictoire prononcé par mise à disposition au greffe, et en dernier ressort,

INFIRME le jugement du tribunal de commerce de Cahors du 19 novembre 2018 en toutes ses dispositions ;

Statuant à nouveau :

DÉCLARE la société FCD SAS responsable du préjudice subi par la société Voicevale France du fait de son comportement fautif ;

CONDAMNE, en conséquence, la société FCD SAS à verser à la société Voicevale France la somme de 15 000 euros à titre de dommages et intérêts ;

DÉBOUTE la société FCD SAS de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive ;

ORDONNE la publication du présent dispositif dans un journal national quotidien, aux frais de la Société FCD SAS dans la limite de 5 000 euros ;

CONDAMNE la société FCD SAS à verser à la société Voicevale France la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE la société FCD SAS aux entiers dépens de première instance et d'appel.