CA Aix-en-Provence, ch. 1 sect. 1, 9 février 2021, n° 18/11380
AIX-EN-PROVENCE
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Défendeur :
Espace Détente (Sté), Mercedes Benz France (Sté), Rapido (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Brue
Conseillers :
Mme Dampfhoffer, Mme Demont
EXPOSE :
Par jugement du 25 juin 2018, le tribunal de grande instance d'Aix-en-Provence a statué ainsi qu'il suit :
- déclare l'action de Monsieur et Madame A. non prescrite sur le fondement de la délivrance non conforme ainsi que sur le fondement de la garantie des vices cachés,
- rejette en conséquence les demandes de M. R. en sa qualité de liquidateur amiable de la société Espace détente quant à son appel en garantie contre la société Rapido et la société Mercedes Benz France,
- rejette les demandes indemnitaires de Monsieur et Madame A.,
- rejette la demande de dommages et intérêts de M. R.,es qualité,
- condamne solidairement monsieur et madame A. à verser à M. R. en sa qualité de liquidateur amiable la somme de 2 500 € par application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'à supporter les dépens,
- condamne M. R. en sa qualité de liquidateur amiable à verser à la société Rapido et à la société Mercedes la somme de 1 200 € chacune par application de l'article 700 du code de procédure civile,
- rejette la demande d'exécution provisoire.
Appel de cette décision a été relevé par Monsieur et Madame A..
Aux termes de leurs dernières conclusions du 26 novembre 2020, Monsieur et Madame A. demandent de :
- confirmer le jugement qui a rejeté le moyen de la prescription,
- infirmer le jugement qui a rejeté leur demande sur le fondement de l'obligation de délivrance et sur le fondement de la garantie des vices cachés,
- prononcer la résolution de la vente du 17 novembre 2009 portant sur le camping-car Rapido 991 Mercedes aux torts du vendeur,
- condamner la société Espace détente en la personne de son liquidateur à leur restituer la somme de 80 500 €, soit le montant de la vente et des frais de cartes grises contre restitution du véhicule ainsi que la somme de 6 000 euros pour les préjudice annexes listés par l'expert, y compris l'assurance,
- à titre subsidiaire, si la cour ne prononçait pas la résolution de la vente,
- condamer la société Espace détente en la personne de son liquidateur amiable ou tout autre succombant à supporter le coût des travaux de remise en état du véhicule, soit, la somme de 19 979,50 euros et à leur payer la somme de 60 000 €, montant de la décote du véhicule,
- dans tous les cas, condamner la société Espace détente en la personne de son liquidateur ou tout autre succombant à leur payer la somme de 50 000 € à titre de dommages et intérêts pour leur préjudice de jouissance, 10 000€ au titre de préjudice moral, 15 000 € par application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens, y compris les frais de l'expertise.
M. R., en sa qualité de liquidateur amiable de la société Espace détente, a conclu le 27 novembre 2020 en demandant de :
- rejeter la demande de réformation des appelants,
- confirmer le jugement en ce qu'il a rejeté les demandes indemnitaires des appelants, en ses dispositions condamnant les appelants à l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens,
- le réformer en ses autres dispositions,
- déclarer l'action prescrite,
- condamner solidairement les appelants à lui verser la somme de 15 000€ au titre de l'article 1134 al 3 ancien du Code civil, la somme de 15 000 € par application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'à supporter les dépens,
- condamner solidairement les appelants à relever et garantir la société de toute condamnation au profit de la société Rapido et de la société Mercedes,
- à titre subsidiaire, déclarer l'appel en garantie recevable et non prescrit,
- dire que la société Rapido est responsable des désordres affectant la cellule et que la société Mercedes est responsable des désordres affectant le moteur,
- condamner Monsieur et Madame A. solidairement à restituer le véhicule à la société Espace détente qui le restituera à la société Mercedes qui restituera la cellule à la société Rapido,
- dire que la société Mercedes et la société Rapido doivent le remboursement des frais de restitution du véhicule sur présentation des justificatifs par ceux qui les ont exposés,
- dire que la société Mercedes et la société Rapido devront la relever et garantir des indemnités mises à la charge de la société Espace détente,
- en tout état de cause, débouter la société Mercedes et la société Rapido de toutes leurs demandes,
- condamner tout succombant à la somme de 3 500 € par application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens.
La société Mercedes Benz France a conclu le 27 novembre 2020 en demandant de :
- à titre principal, confirmer le jugement et rejeter toute demande sur la garantie des vices cachés comme prescrite et mal fondée,
- à titre subsidiaire, dire que l'existence d'un défaut de conformité qui lui serait imputable n'est pas établie, aucune analyse technique contradictoire ne le démontrant,
- en conséquence, rejeter toutes les demandes à son encontre,
- condamner toute partie succombante à lui verser la somme de 5 000 € par application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'à supporter les dépens.
Par conclusions du 30 septembre 2020, la société Rapido a conclu en demandant de :
- confirmer le jugement,
- y ajoutant,
- condamner la société Espace détente à lui payer la somme de 3 500 € par application de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la même ou qui mieux le devra à supporter les dépens,
- subsidiairement, si le jugement était infirmé sur la prescription, dire que le véhicule était conforme à la commande, qu'il ne présentait pas de vices cachés et rejeter toutes les demandes formulées à son encontre,
- dire que l'appel en garantie ne peut aboutir compte tenu de la nature des désordres constatés par l'expert judiciaire et qu'à tout le moins, sa part de responsabilité sera limitée à 15 % du montant des sommes mises à la charge de la société Espace détente,
- en toute hypothèse, réduire le montant des sommes réclamées par les appelants à titre de dommages et intérêts,
- limiter la restitution du prix à hauteur de la somme reçue de la société Espace détente et conditionner sa condamnation à la restitution du véhicule soit, par les époux A. soit, par la société Espace détente,
- le cas échéant, condamner la société Espace détente ou qui mieux le devra à lui payer la somme de 3 500 € par application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens.
L'ordonnance de clôture a été prise le 1er décembre 2020.
Motifs
Monsieur et Madame A. ont acheté, auprès de la société Espace détente, un véhicule camping-car d'exposition de marque Rapido au prix de 80 000 €, qu'ils ont acquitté outre les frais de carte grise pour 500 €.
Ils ont pris possession du véhicule le 17 novembre 2009 après l'avoir commandé le 2 octobre 2009.
Ils exposent que dès le 23 novembre 2009, ils ont dû solliciter l'intervention du concessionnaire à la suite de problèmes électriques ; que de nouveaux désordres sont apparus pendant les fêtes de Noël 2009.
Les désordres sur le moteur ont donné lieu en janvier 2010 à son échange.
Une expertise amiable a ensuite été organisée au contradictoire de la société Espace détente et de la société Rapido.
Dans le cadre judiciaire, une autre expertise a été ordonnée en référé et le rapport en a été déposé le 20 novembre 2014.
Il n'est pas contesté :
- que la société Mercedes a livré le chassis nu,
- que la société Rapido a effectué les travaux concernant la carosserie et les aménagements intérieurs
- et que la société Espace détente est le vendeur du véhicule aux époux A..
Les demandes de M et Madame A. contre leur vendeur sont fondées sur l'obligation de délivrance conforme et sur la garantie des vices cachés.
Il est, en premier lieu, débattu entre les parties du moyen tiré de la prescription.
Dans la mesure :
- où l'instance en référé engagée par les époux A. le 11 août 2011a donné lieu à une ordonnance de désignation d'expert du 13 septembre 2011, avec le dépôt de son rapport le 20 novembre 2014,
- où le point de départ du délai de 5 ans de la prescription ( applicable à l'action fondée sur l'article 1604 du code civil ) et de celui de 2 ans prévu à l'article 1648 du Code Civil ( applicable à l'action fondée sur l'article 1641) se situe au jour du dépôt du rapport de l'expertise qui seule a permis à Monsieur et Madame A. de connaître les faits leur permettant d'exercer l'action, et également a permis la découverte du vice,
- où l'assignation qu'ils ont délivrée à la société Espace détente est en date du 30 août 2016 et celle à son liquidateur est en date du 7 novembre 2016,
Le moyen tiré de la prescription sera rejeté relativement à l'action des époux A. contre leur vendeur.
En ce qui concerne les demandes de la société Espace détente contre les sociétés Mercedes et Rapido, elles ont été formulées aux termes d'un acte d'appel en garantie du 18 avril 2017.
Cet acte qui est un appel en garantie en suite de la demande formulée par les époux A., n'encourt pas la prescription dès lors que le point de départ en est fixé à la date de l'assignation délivrée sur l'action principale.
Sur le fond, l'expertise a relevé les désordres suivants :
- un décollement de la peinture du rétroviseur avant gauche, du jambage à l’arrière-suite à un accrochage, de l'enjoliveur arrière, du mono Rapido, de l'enjoliveur boucle arrière, des enjoliveurs bois des rives des meubles, y compris les appui-têtes, de l'habillage du plafond
- un mauvais ajustement de l'aile avant gauche au bas de caisse, du meuble évier et de la porte gaz,
- l'étanchéité et la fermeture porte cellule,
- une fente de l'aile avant gauche,
- une extraction difficile du bac vidange WC et une absence d'étanchéité de la porte de fermeture de la cellule,
- des rayures portant sur le lanterneau supérieur et sur les faces du réfrigérateur,
- un débordement du mastic sur les cadres baies, un encadrement moustiquaire porte cellule de couleurs différentes,
- une caméra de recul qui ne fonctionne pas,
- l'inefficacité de la retenue de la porte cellule sous caisse,
- des caches vis manquants,
- l'inefficacité du système de retenue de la porte du réfrigérateur, le bac batterie cassé,
- la mauvaise fermeture du tiroir sous la plaque de cuisson et l'absence d'isolation des connexions électriques sous cette plaque,
- un porte-savon cassé, l'étanchéité de la lanterne de salle de bains, un caillebotis de douche ne pouvant sortir, la porte de la salle de bains voilée, le lanterneau de la cuisine qui ne s'ouvre pas et la fenêtre du WC qui ne ferme pas, un porte serviette avec vis manquantes,
Une moustiquaire non étanche, un tirant placard de chambre cassé.
L'expert relève encore, sans donner de description plus précise : fixation enjoliveur frein à main, fermeture placard salon, compartiment lit, rideau lit du haut, accoudoir siège chauffeur, cache ceinture de sécurité passager, interrupteur chambre.
L'expert note de ces différents chefs que le véhicule présente de nombreux désordres qui proviennent 'en majeure partie de sa présentation-démonstration à la clientèle... jusqu'à sa vente'; qu'au jour de la vente, certains désordres étaient apparents à la livraison, tels que le porte savon, l'accoudoir chauffeur, le cache ceinture, le choc arrière et qu'il est difficile d'incriminer l'utilisation ; que ces désordres troublent la jouissance de ses utilisateurs; que les désordres consécutifs au temps d'utilisation ne relèvent pas systématiquement d'une mauvaise utilisation, mais de la conception même de la cellule et de ses meublants, de ses équipements, voire des matériaux utilisés; que le véhicule est immobilisé depuis plus de 3 ans et que sa décôte est de 30 000€.
Il évalue les réparations à réaliser à la somme de 7 997,98€, hors réparation de la caméra de recul.
Les époux A. fondent leur demande de résolution et leur demande subsidiaire d'indemnisation sur les 41 désordres relevés par l'expert qui ne concernent donc ni le chassis, ni le moteur.
Par suite, et vu la seule livraison par la société Mercedes du châssis et du moteur, aucun de ceux-ci ne lui sont imputables et toute demande formée à son encontre sera, en conséquence, rejetée, les sociétés Rapido et Espace détente ne formulant pas non plus de griefs relativement à ces éléments.
Les époux A. développent leurs demandes en faisant état de ce qu'il y a un défaut de conformité du véhicule livré au regard du véhicule commandé doublé d'une erreur sur une qualité substantielle ouvrant droit à la résiliation sur le fondement de l'article 1604 du Code Civil.
Ils affirment notamment que le terme 'modèle d'exposition' figurant sur la facture pouvait laisser supposer qu'ils acquéraient un véhicule de ce même modèle, mais neuf, ce que, selon eux, sous entendait le prix payé équivalent à un véhicule neuf.
Or, d'une part, l'erreur sur une qualité substantielle est susceptible de fonder une demande de nullité et non de résolution ; d'autre part, l'inexécution de l'obligation de délivrance suppose que le véhicule livré ne soit pas conforme à celui commandé au regard des stipulations contractuelles liant les parties.
A cet égard , il sera relevé que le véhicule commandé était bien noté sur la facture comme étant un véhicule 'd'exposition', modèle 2009, qui certes, est un véhicule neuf pour n'avoir pas roulé, mais qui peut présenter une usure liée aux manipulations auxquelles il a été soumis précisément pendant les temps de sa présentation à la clientèle, de sorte que vu ce terme clairement spécifié, dont le sens ne peut prêter à confusion, et vu le certificat provisoire d'immatriculation qui leur a été remis mentionnant comme première date de mise en circulation le 17 novembre 2009, les acquéreurs ne peuvent sérieusement se plaindre d'un défaut de conformité de ce chef, ni en toute hypothèse, prétendre avoir été abusés par leur vendeur.
Dans la mesure où par ailleurs le prix de 80 000 € incluait diverses options, il ne peut, non plus, être prétendu qu'ils auraient été également trompés sur la qualité du véhicule au motif qu'ils l'auraient payé au même tarif qu'un véhicule neuf.
Les époux A. affirment encore que le véhicule n'était pas conforme aux spécifications convenues et qu'il ne présentait pas de conformité par rapport à sa « destination normale » du fait du nombre importants de vices l'affectant.
Il sera, sur ces points, à nouveau, rappelé que le défaut de conformité s'entend par rapport aux seules spécifications contractuelles et non par rapport à la « destination normale » du véhicule et que s'agissant du fondement tiré de la garantie des vices cachés, il est nécessaire :
- que les vices en litige soient cachés,
- qu'ils soient antérieurs à la vente
- et qu'ils compromettent la destination normale du véhicule ou en diminuent tellement l'usage que l'acquéreur ne l'aurait pas acquis ou l'aurait acquis à un moindre prix.
Or, vu les observations expertales sus-citées, vu celles de l'expertise amiable qui a collationné en page 2 de son rapport les ' anomalies' au jour de la vente, vu également la nature même des désordres et vu enfin, le courrier de M et Mme A. en date du 26 décembre 2009 en citant certains comme apparents au jour de leur prise de possession, il sera considéré que :
- pour ceux qui sont consécutifs aux manipulations dont le véhicule a été l'objet pendant le temps de son exposition, mais que ni l'expert ni aucune des parties ne listent précisément, la cour a ci-dessus retenu que les acquéreurs étaient dûment informés de cette situation.
Par suite ils ne sauraient s'en prévaloir au titre du défaut de délivrance conforme
- et qu'en toute hypothèse, pour tous,
Soit, ils étaient visibles lors de la vente et les acquéreurs qui n'ont pas formulé au jour de la livraison de réserves à leur égard sont mal fondés à les invoquer que ce soit au titre du défaut de délivrance, ou au titre des vices cachés ;
Soit, ils ne sont pas dûment établis comme étant imputables aux intimés; ainsi en est-il, par exemple, des rayures sur le lanterneau qui peuvent provenir de l'utilisation des acquéreurs, eux-mêmes, ainsi que le note l'expert amiable; il en est de même du lanterneau de la cuisine qui ne ferme pas ou du tirant de placard qui est cassé, de l'inefficacité des systèmes de retenue de fermeture de porte, du grief relatif à la porte de salle de bains voilée et à la fenêtre du WC qui ne ferme pas ;
Soit, enfin, et à supposer qu'ils constituent un vice caché antérieur à la vente, ils ne compromettent de toute façon pas l'usage conforme à sa destination du véhicule, ni n'en diminuent tellement l'usage que l'acheteur ne l'aurait pas acquis ou n'en aurait donné qu'un moindre prix.
Qu'il sera à cet égard relevé :
D'une part, que les observations de l'expert qui a certes écrit qu'il ' serait difficile d'envisager une sortie en camping-car, mais que tout peut se faire avec un peu de bonne volonté, (et que) dans ces conditions la jouissance du véhicule laisserait alors à désirer pour les utilisateurs' ou qu'il ' parait difficile d'envisager la moindre utilisation du camping-car sans avoir à remédier aux désordres' ne sont pas propres, vu par ailleurs les développements ci-dessus sur la nature et consistance des vices, à remettre en cause cette appréciation,
D'autre part, que l'évaluation des réparations nécessaires à l'ensemble de ces désordres telle que faite par l'expert vient corroborer cette appréciation, les appelants ne la combattant pas utilement, versant, en effet, de ce chef des évaluations qu'ils ont fait établir postérieurement aux travaux de celui-ci de sorte qu'elles n'ont pu lui être soumises et que leur pertinence dans ces conditions ne peut être retenue .
Il en résulte que les demandes, tant des époux A. que de la société Espace détente sont recevables mais qu'elles seront rejetées comme mal fondées.
Vu les articles 696 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, contradictoirement, en matière civile et en dernier ressort,
Réforme le jugement en ce qu'il a déclaré prescrite l'action à l'encontre de la société Rapido et de la société Mercedes Benz France sur le fondement de la garantie des vices cachés et statuant à nouveau,
Déclare les demandes de ces chefs non prescrites,
Confirme le jugement en ses autres dispositions, sauf en ses condamnations sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, et statuant à nouveau :
Dit n'y avoir lieu à l'application de l'article 700 du code de procédure civile devant le tribunal,
Y ajoutant :
Rejette toute demande contre les sociétés Rapido et Mercedes-Benz France,
Dit n'y avoir lieu à l'application de l'article 700 du code de procédure civile devant la cour,
Condamne Monsieur et Madame A. à supporter les dépens de la procédure d'appel avec distraction en application de l'article 699 du code de procédure civile.