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Décisions

CA Rennes, 2e ch., 5 février 2021, n° 17/06243

RENNES

Arrêt

Infirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Christien

Conseillers :

Mme Gelot-Barbier, Mme Barthe-Nari

Avocat :

SCP Ipso Facto Avocats

CA Rennes n° 17/06243

5 février 2021

EXPOSÉ DU LITIGE :

Suivant bon de commande du 21 février 2014, M. Pierre F. a acquis de la société B. un véhicule Jeep Cherokee d'occasion, mis en circulation en 1996 et affichant 126 100 km au compteur, moyennant le prix de 6 900 euros.

Cette somme comprenait la valeur du véhicule, soit 3 000 euros, et le coût de réparations sollicités par M. F., soit 3 900 euros.

Le contrôle technique du véhicule a été effectué le 10 avril 2014, suivi d'une contre-visite le 10 mai 2014.

Après réalisation des travaux par la société B., M. F. a pris possession du véhicule le 21 mai 2014.

Ayant perçu un bruit à l'arrière du véhicule, M. F. l'a ramené au garage B. qui a refixé le pot d'échappement le 23 mai 2014.

Le 2 juin 2014, à la suite d'une panne, le véhicule a été conduit au garage Bruno qui a remplacé la batterie, la société B. s'engageant à prendre en charge le coût de cette intervention.

C'est dans ce contexte qu'une expertise amiable, diligentée par l'assureur de M. F., a été réalisée le 27 juin 2014 au terme de laquelle l'expert a conclu à l'existence d'un vice affectant le pont arrière du véhicule.

Une seconde expertise amiable s'est tenue contradictoirement le 14 octobre 2014 et a confirmé le défaut relevé sur le pont arrière.

Les parties n'ayant pu parvenir à un accord, M. F. a sollicité et obtenu en référé la désignation d'un expert, suivant ordonnance du 3 septembre 2015.

L'expert désigné, M. M., a déposé son rapport daté du 12 décembre 2015. S'il confirme l'existence de désordres, il estime néanmoins qu'ils n'affectent pas l'utilisation du véhicule et que s'agissant du défaut du pont arrière, seule pièce mécanique présentant un défaut, il devra être remplacé à plus ou moins long terme.

Par acte du 30 mars 2016, M. F. a fait assigner la société B. devant le tribunal de grande instance de Nantes aux fins d'obtenir l'annulation de la vente sur le double fondement de la non-conformité et du vice caché, la restitution du prix et le paiement de dommages et intérêts.

Par jugement du 13 juillet 2017, le tribunal a prononcé la résolution de la vente du véhicule pour non-conformité, ordonné les restitutions réciproques, la société B. étant condamnée à récupérer le véhicule sous astreinte, et alloué à M. F. les sommes de :

- 2 093,50 euros en réparation du préjudice matériel,

- 35,33 euros par mois au titre de l'assurance du véhicule, à compter du 1er mai 2017 et jusqu'à récupération du véhicule,

- 2 000 euros en réparation du préjudice de jouissance,

- 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Le tribunal a par ailleurs condamné la société B. aux entiers dépens et ordonné l'exécution provisoire du jugement.

La société B. a relevé appel de cette décision le 24 août 2017 et demande à la cour de :

Vu les articles 1103, 1104, et 1193 du code civil

Vu les articles 1641 et suivants du code civil,

- réformer le jugement entrepris et débouter M. F. de toutes demandes fins et conclusions à son encontre,

- très subsidiairement, dire n'y avoir lieu à allocation de dommages et intérêts pour préjudice de jouissance ni au titre du remboursement de la prime d'assurance,

- condamner M. F. aux entiers dépens, incluant les dépens de la procédure de référé, d'expertise, et de première instance et d'appel,

- et dire que, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile, la SCP R.L.Le B. pourra recouvrer directement les frais dont elle a fait l'avance sans en avoir reçu provision.

- et dire que, dans l'hypothèse ou à défaut de règlement spontané des condamnations prononcées par le jugement à intervenir, une exécution forcée serait nécessaire, le montant des sommes retenues par l'huissier de justice, par application des articles 10 et 12 du décret du 8 mars 2001 portant modification du décret du 12 décembre 1996 numéro 96/1080 relatives aux tarifs d'huissier, devra être supporté par M. F., notamment les frais exposés en 2016 dans le cadre de l'exécution provisoire.

Par ordonnance du conseiller de la mise en état en date du 20 décembre 2019, les conclusions déposées par M. F. le 11 mai 2018 ont été déclarées irrecevables.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure ainsi que des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère aux énonciations de la décision attaquée ainsi qu'aux dernières conclusions déposées pour la société B. le 13 novembre 2017, l'ordonnance de clôture ayant été rendue le 8 octobre 2020.

EXPOSÉ DES MOTIFS :

Sur la procédure :

M. F. ayant été déclaré irrecevable à conclure par ordonnance définitive du conseiller de la mise en état, il convient de rappeler que, conformément aux dispositions de l'article 472 du code de procédure civile, la cour ne peut faire droit aux prétentions et moyens de l'appelante que dans la mesure où elle les estime réguliers, recevables et bien fondés au regard des motifs par lesquels le tribunal s'est déterminé, que l'intimé est réputé s'approprier en application du dernier alinéa de l'article 954 du code de procédure civile.

Par ailleurs et selon les dispositions de l'article 906 du code de procédure civile, les pièces déposées au soutien de conclusions irrecevables sont elles-mêmes irrecevables.

Sur le fond :

Le premier juge a prononcé la résolution de la vente après avoir retenu un manquement du vendeur à l'obligation de délivrance prévue par l'article 1603 du code civil et un défaut de conformité du bien au sens des articles L. 217-4 et suivants du code de la consommation.

Il résulte du premier de ces textes que le vendeur est tenu de délivrer à l'acheteur un bien conforme aux stipulations convenues.

Les articles L. 217-4 et suivants du code de la consommation, relatifs à la garantie légale de conformité, sont issus de l'ordonnance du 14 mars 2016 et sont entrés en vigueur le 1er juillet 2016. Ils ne sont donc pas applicables au litige, la vente du véhicule ayant été conclue antérieurement à cette date.

Le contrat litigieux est soumis aux dispositions antérieures, figurant aux articles L. 211-4 et suivants du code de la consommation.

En application de l'article L. 211-4, le vendeur est tenu de livrer un bien conforme au contrat et répond des défauts de conformité existant lors de la délivrance.

L'article L. 211-5 précise que pour être conforme au contrat, le bien doit :

1° Être propre à l'usage habituellement attendu d'un bien semblable et, le cas échéant :

- correspondre à la description donnée par le vendeur et posséder les qualités que celui-ci a présentées à l'acheteur sous forme d'échantillon ou de modèle ;

- présenter les qualités qu'un acheteur peut légitimement attendre eu égard aux déclarations publiques faites par le vendeur, par le producteur ou par son représentant, notamment dans la publicité ou l'étiquetage ;

2° Ou présenter les caractéristiques définies d'un commun accord par les parties ou être propre à tout usage spécial recherché par l'acheteur, porté à la connaissance du vendeur et que ce dernier a accepté.

Selon l'article L. 211-8, si l'acheteur est en droit d'exiger la conformité du bien au contrat, il ne peut cependant contester la conformité en invoquant un défaut qu'il connaissait ou ne pouvait ignorer lorsqu'il a contracté.

Le premier juge a considéré que les désordres affectant le véhicule 'sont bien constitutifs d'un défaut de conformité, le vendeur n'ayant pas, d'une part, rempli son obligation de réparation des désordres signalés lors de l'achat et devant être réparés pour la livraison du véhicule, et d'autre part, n'ayant pas délivré un véhicule conforme à son usage puisque les réparations demandées avant la livraison n'ont pas été efficientes.' Constatant que le remplacement du véhicule était impossible, il en a déduit que la résolution de la vente devait être prononcée.

Pour contester cette décision, la société B. soutient que les anomalies constatées sur le véhicule, autres que celle affectant le pont arrière, ne pouvaient pas justifier la résolution de la vente dans la mesure où elles étaient soit apparentes soit sans incidence sur l'usage normal du véhicule. S'agissant du pont arrière, elle fait valoir que M. F. avait une parfaite connaissance de ce défaut au moment de la vente et, à aucun moment, n'a exigé qu'il y soit remédié, l'usure des roulements du pont arrière ne nécessitant pas un remplacement immédiat.

Les deux rapports d'expertise amiable, établis le 2 juillet 2014 par le cabinet Betami et le 27 octobre 2014 par le cabinet D. (après réunion contradictoire pour ce dernier), sont joints au rapport d'expertise judiciaire produit par l'appelante.

Selon ces deux cabinets d'expertise, le véhicule présente plusieurs anomalies, à savoir une courroie accessoire non conforme aux préconisations du constructeur, un tube silencieux d'échappement mal positionné contre la barre stabilisatrice arrière, un dysfonctionnement du toit ouvrant électrique, du siège AVG, de l'autoradio et de l'ordinateur de bord, l'absence du cache bagage, une antenne électrique cassée, un bac à batterie découpé, une infiltration d'eau au niveau du plancher conducteur et une avarie sur le pont arrière.

Le cabinet D. estime que le défaut affectant le pont arrière est suffisamment important pour être qualifié de vice rédhibitoire.

Lors de l'examen du véhicule, l'expert judiciaire a confirmé l'existence des désordres décrits par les deux experts amiables - à l'exception du dysfonctionnement du siège et de l'infiltration d'eau - ainsi que leur antériorité à la vente.

Il est constant que lors de la commande du 21 février 2014, les parties avaient convenu de la réalisation de travaux par le vendeur avant la livraison, en vue de la remise en état du véhicule et du contrôle technique auquel il devait être soumis. Il est également admis que le 21 mai 2014, la société B. a remis à M. F. la liste des prestations effectivement réalisées.

Ces travaux portaient sur les vidanges moteur, boîte, pont, le remplacement des filtres, le remplacement des plaquettes avant et arrière ainsi que des rotules pivot avant droit et avant gauche, la réfection de l'étrier arrière, le remplacement du silencieux et du catalyseur, la réparation et le remplacement des essuie-glaces, le remplacement des bougies et de la batterie, ainsi que le remplacement des quatre pneus (avec une participation de l'acheteur à hauteur de 225 euros).

Il est établi, en outre, ainsi que cela ressort d'ailleurs du rapport du cabinet D. et du rapport d'expertise judiciaire (page 9), que lors de la commande du véhicule et après essai, M. F. avait perçu un bruit au niveau du pont.

Le premier juge a retenu comme étant constant le fait que ce dernier aurait demandé à la société B. de remédier, avant la livraison, au défaut affectant le pont arrière, ainsi qu'au dysfonctionnement du toit ouvrant.

Or, devant la cour, la société B. conteste formellement que les travaux qui lui avaient été confiés par M. F. comprenaient d'autres prestations que celles figurant dans la liste du 21 mai 2014 et ajoute que le remplacement du pont arrière aurait conduit à doubler le prix de ces travaux.

De plus, il ne ressort ni du rapport du cabinet D. ni du rapport de M. M. que les réparations réalisées par la société B. et détaillées dans l'attestation du 21 mai 2014 ne correspondent pas à celles qui avaient été convenues entre les parties selon l'ordre de réparation rédigé au moment de la commande.

Si M. F. a pu indiquer à l'expert du cabinet D. que lors de l'établissement du chèque, le 21 février 2014, il avait demandé au vendeur de procéder, en outre, à des vérifications concernant le toit ouvrant et le bruit pont, ses déclarations sont contestées par la société B. et, en tout état de cause, il n'est pas établi que le vendeur avait accepté d'effectuer les travaux de remise en état du toit ouvrant et du pont arrière. Il convient de souligner que ces prestations ne figurent pas dans la liste des travaux dressée par la société B. le 21 mai 2014 et que l'acheteur n'a émis aucune réserve au moment de prendre livraison du véhicule.

L'expert judiciaire précise, en réponse à un dire de M. F., que la qualité des travaux de remise en état par le garage B. est satisfaisante quand bien même la courroie remplacée a une gorge de moins que la courroie d'origine, ce qui n'affecte pas le bon fonctionnement du véhicule.

Il s'ensuit que les seules non-conformités susceptibles d'être reprochées à la société B. sont relatives à la courroie accessoire, qui doit être remplacée afin de satisfaire aux préconisations du constructeur, à la batterie qui a dû être changée douze jours seulement après la livraison du véhicule, et qu'au demeurant la société B. avait accepté de prendre à sa charge (rapport cabinet D., page 4), au tube silencieux d'échappement mal positionné et au bac à batterie découpé.

Les autres défauts constatés sur le véhicule ne relèvent pas de la garantie légale de conformité dès lors qu'ils n'affectent pas des pièces que le vendeur s'était engagé à remplacer ou à réparer et qu'ils ne compromettent pas l'utilisation du véhicule ni ne concourent à sa dangerosité (rapport d'expertise judiciaire, page 7 et rapport cabinet D., page 8). Sur ce dernier point, l'expert amiable et l'expert judiciaire s'accordent pour indiquer que le défaut du pont arrière n'empêche pas d'utiliser le véhicule et ne nécessitera un remplacement qu'à « moyenne échéance », selon le premier, ou « à plus ou moins long terme » selon M. M..

De plus, et ainsi que le fait justement observer la société B., il y a lieu de relever que plusieurs désordres étaient apparents au moment de la vente, à savoir le dysfonctionnement de la radio, du toit ouvrant, du siège AVG et de l'ordinateur de bord, l'absence de cache bagage et l'antenne cassée.

Enfin, il sera rappelé qu'il s'agit d'un véhicule d'occasion mis en circulation en 1996, qui avait parcouru 126 100 km au moment de la vente, et qui avait été très peu utilisé pendant plusieurs années.

Au regard des non-conformités retenues, qui affectent la courroie accessoire, la batterie, le positionnement du silencieux et le bac à batterie, et constituent ainsi des défauts mineurs, la résolution de la vente serait disproportionnée et se heurte aux dispositions de l'article L. 211-10 dernier alinéa du code de la consommation dans sa rédaction applicable au litige.

M. F. ayant refusé la proposition de la société B. de procéder elle-même aux réparations nécessaires à la suppression de ces défauts, le préjudice qu'il subit ne peut donner lieu qu'à l'allocation de dommages et intérêts.

Subsidiairement et à l'appui de sa demande de résolution de la vente, M. F. avait invoqué la garantie des vices cachés devant le premier juge.

Selon les dispositions de l'article 1641 du code civil, le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l'usage auquel on la destine, ou qui diminuent tellement cet usage, que l'acheteur ne l'aurait pas acquise, ou n'en aurait donné qu'un moindre prix, s'il les avait connus.

Il incombe à l'acheteur qui exerce l'action rédhibitoire sur le fondement du texte précité de rapporter la preuve d'un vice caché, de son antériorité à la vente et de sa gravité caractérisée par l'impropriété à destination ou la diminution de l'usage normal.

Il résulte des développements qui précèdent que lors de l'essai du véhicule, M. F. avait perçu le bruit au niveau du pont arrière et que, pour autant, ainsi que la société B. le fait justement valoir, il n'a pas estimé devoir conditionner son acquisition à la réalisation de travaux sur cet élément.

Il a été retenu, en outre, que plusieurs désordres étaient apparents au moment de la vente, de sorte que le vendeur ne peut être tenu à garantie les concernant.

Enfin, il ressort du rapport d'expertise judiciaire, mais également du rapport du cabinet D., que l'ensemble des défauts relevés, quels qu'ils soient, n'empêchent pas une utilisation normale du véhicule, compte tenu de son âge et du kilométrage déjà parcouru, et que s'agissant particulièrement du pont arrière, son remplacement ne s'impose pas à brève échéance. Il sera d'ailleurs rappelé que la panne survenue le 2juin 2014 était consécutive à une défectuosité de la batterie, laquelle a été changée.

Il n'est donc pas démontré que le véhicule litigieux était atteint d'un vice caché au moment de la vente, de sorte que la demande de résolution du contrat ne peut pas plus prospérer sur ce fondement.

Le jugement entrepris sera par conséquent infirmé en ce qu'il a prononcé la résolution de la vente, ordonné les restitutions réciproques entre les parties et condamné la société B. au paiement de dommages et intérêts au titre des frais de carte grise, des frais d'assurance et du préjudice de jouissance.

Le défaut de conformité n'ayant été admis que pour la courroie accessoire, la batterie, le mauvais positionnement du silencieux et le bac à batterie, la cour est en mesure de chiffrer le préjudice résultant de la nécessité d'y remédier à la somme de 1 000 euros.

M. F. sera débouté de toutes ses prétentions plus amples ou contraires.

Sur les autres demandes :

Le jugement entrepris étant infirmé en toutes ses dispositions, il en sera de même concernant les dépens et frais irrépétibles.

M. F. qui succombe principalement en appel sera condamné aux dépens de première instance et d'appel, en ce compris les frais de référé et d'expertise judiciaire. Il n'y a pas lieu, à cet égard, de prévoir que les sommes retenues par l'huissier de justice chargé de l'exécution forcée seront supportées par la partie tenue aux dépens ainsi que le sollicite la société B..

Il n'apparaît pas inéquitable enfin de laisser à la charge de la société B. les frais irrépétibles qu'elle a exposés de sorte que sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile sera rejetée.

PAR CES MOTIFS,

La cour,

Infirme le jugement rendu le 13 juillet 2017 par le tribunal de grande instance de Nantes,

Statuant à nouveau sur l'entier litige,

Déboute M. Pierre F. de sa demande tendant à voir prononcer l'annulation, ou la résolution, de la vente du véhicule Jeep Cherokee immatriculé DF-593-JH conclue le 21 février 2014 avec la société B.,

Condamne la société B. à payer à M. Pierre F. la somme de 1 000 euros à titre de dommages et intérêts pour défaut de conformité,

Déboute M. Pierre F. de l'ensemble de ses demandes plus amples ou contraires,

Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne M. Pierre F. aux dépens de première instance et d'appel, en ce compris les frais de référé et d'expertise judiciaire, et dit qu'ils seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.