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Décisions

Cass. com., 10 février 2021, n° 19-12.307

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

PARTIES

Demandeur :

Comepa Industries (SAS)

Défendeur :

Envitec-Wismar GmbH (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Mouillard

Rapporteur :

Mme Poillot-Peruzzetto

Avocat général :

M. Debacq

Avocats :

SCP Alain Bénabent, SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle et Hannotin,

T. com. Bobigny, du 17 mai 2016

17 mai 2016

Faits et procédure  

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 21 novembre 2018), par contrat du 28 février 1995, la société Envitec-Wismar (la société Envitec), société de droit allemand qui fabrique du matériel destiné au milieu hospitalier, a confié à la société Comepa, aux droits de laquelle est venue la société Comepa industries (la société Comepa), la distribution exclusive, sur le territoire français, de capteurs d'oxygène.

2. En contrepartie du bénéfice de l'exclusivité, la société Comepa s'est engagée, d'une part, à verser à la société Envitec une indemnité et, d'autre part, à s'approvisionner auprès du fournisseur dans des quantités déterminées.

3. Par une télécopie du 17 avril 2002, la société Comepa a accepté le principe du paiement d'une commission de 5 % sur les ventes des capteurs SpO2 et de 7 % sur les ventes totales des capteurs d'oxygène réalisées directement par la société Envitec auprès de la société Integral Process.

4. Le contrat était conclu pour une durée initiale s'achevant le 31 décembre 1997, renouvelable par tacite reconduction par période successive d'une année, à moins que l'une des parties le résilie pour la fin de l'année en cours, moyennant le respect d'un préavis de six mois.

5. Reprochant à la société Envitec de ne lui avoir pas versé ces commissions depuis 2008, d'avoir vendu certains produits directement à la société Air Liquide et d'avoir, par une notification du 25 mars 2013, résilié abusivement le contrat à effet au 31 décembre 2013, la société Comepa l'a assignée devant le tribunal de commerce de Bobigny pour obtenir, sur le fondement des articles 1134 et 1147 du code civil, réparation de ses préjudices.

6. Saisie de l'appel de la société Envitec, qui demandait, outre sa réformation, l'annulation partielle du jugement en ce qu'il avait statué sur le fondement de l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce, la cour d'appel l'a annulé en son entier puis, évoquant l'affaire, a statué au fond sur l'ensemble des demandes.

Examen des moyens

Sur le deuxième moyen, ci-après annexé

7. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen  

Enoncé du moyen

8. La société Comepa fait grief à l'arrêt d'annuler le jugement rendu par le tribunal de commerce de Bobigny le 17 mai 2016 et, usant de son pouvoir d'évocation, de rejeter l'ensemble de ses demandes, alors :

« 1°) que l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties ; que le juge doit se prononcer sur tout ce qui lui est demandé et seulement sur ce qui est demandé ; qu'en l'espèce, la société Envitec avait sollicité la nullité partielle du jugement, uniquement en ce qu'il l'avait condamnée à payer à la société Comepa la somme de 296 898 euros au titre de la rupture brutale du contrat de distribution du 28 février 1995 ; qu'en annulant le jugement en sa totalité sans relever aucune indivisibilité entre ses différents chefs, la cour d'appel a statué ultra petita, en violation des articles 4 et 5 du code de procédure civile ;

2°) que tout jugement doit être motivé ; qu'après avoir relevé que le tribunal avait méconnu les termes du litige, violé le principe du contradictoire et outrepassé son pouvoir juridictionnel en statuant – pour condamner la société Envitec à payer à la société Comepa la somme de 296 898 – sur le fondement de l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce, la cour d'appel a décidé d'annuler le jugement en sa totalité ; qu'en statuant ainsi, sans nullement motiver l'annulation des autres chefs du dispositif du jugement, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;  

3°) qu'une cour d'appel ne peut évoquer l'affaire que lorsqu'elle est saisie de l'appel d'un jugement ayant ordonné une mesure d'instruction, statué sur une exception de procédure ayant mis fin à l'instance, ou ayant prononcé un sursis à statuer lorsque l'appel a été autorisé par le premier président ; qu'en l'espèce, en usant de la faculté d'évocation, sans se trouver dans l'un des cas susvisés, la cour d'appel a excédé ses pouvoirs et violé les articles 380 et 568 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour  

9. Si c'est à tort que la cour d'appel, qui était saisie d'une demande d'annulation partielle du jugement qui lui était déféré, l'a annulé dans son intégralité puis, pour statuer sur l'ensemble du litige, a fait usage de son pouvoir d'évocation dans une hypothèse non prévue par l'article 568 du code de procédure civile, le moyen est néanmoins irrecevable, faute d'intérêt, dès lors qu'elle devait, en vertu de l'effet dévolutif de l'appel, statuer sur les autres chefs de décision, qu'il lui était demandé de réformer.

10. Le moyen est donc irrecevable.  

Mais sur le troisième moyen, pris en sa deuxième branche

Enoncé du moyen

11. La société Comepa fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande tendant à voir condamner la société Envitec à lui payer la somme de 30 108 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi par le détournement du client Air Liquide, alors « qu'elle faisait valoir qu'après avoir découvert que la société Envitec avait confié la distribution des produits relevant de l'exclusivité à la société Integral Process, la société Envitec lui avait proposé de lui verser, à titre de dédommagement, une commission de 5 % sur les ventes des capteurs SpO2 et de 7 % sur les ventes des capteurs à oxygène réalisées directement auprès de la société Integral Process ; qu'elle s'appuyait, à cet égard, sur un fax du 17 avril 2002 produit par la société Envitec elle-même matérialisant l'acceptation, par la société Comepa, de cette proposition ; qu'en déboutant la société Comepa de sa demande de réparation au titre de la violation de la clause d'exclusivité sans rechercher, ainsi qu'elle y avait été invitée, si l'inclusion des capteurs SpO2 dans le périmètre d'exclusivité ne résultait pas de l'accord des parties, matérialisé par la proposition émanant de la société Envitec et acceptée par la société Comepa, d'indemniser cette dernière par le versement de commissions calculées, notamment, sur un pourcentage des ventes de capteurs SpO2 réalisées par un distributeur concurrent, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1134 du code civil, en sa version applicable à la cause. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 455 du code de procédure civile :

12. Il résulte de ce texte que, sans être tenus de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, les juges doivent, pour motiver leur décision, répondre aux conclusions opérantes dont ils sont saisis.

13. Pour rejeter les demandes formées par la société Comepa au titre des ventes conclues directement par la société Envitec avec la société Air Liquide, en violation, selon elle, de l'exclusivité consentie, l'arrêt retient que cette exclusivité était subordonnée à un objectif de vente qui n'a pas été atteint, dès lors que les quotas à prendre en compte ne concernent que les capteurs énumérés à l'article 1 du contrat, et non les oxymètres SpO2, apparus en 1999, qui répondent à des utilisations différentes et font appel à des techniques différentes, le contrat n'incluant que les évolutions techniques, nouvelles versions ou mises à jour, des capteurs désignés.

14. En statuant ainsi, sans répondre aux conclusions de la société Comepa, qui prétendait démontrer que l'exclusivité incluait tous les nouveaux capteurs, en particulier l'oxymètre SpO2, en se fondant sur une télécopie du 17 avril 2002 par laquelle la société Envitec lui avait proposé, pour l'indemniser de la violation de son exclusivité avec le client Integral Process, le paiement d'une commission sur les ventes de ces capteurs, la cour d'appel n’a pas satisfait aux exigences du texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs,  

La Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette la demande de la société Comepa industries en paiement de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi par le détournement du client Air Liquide et en ce qu'il statue sur les dépens et sur l'application de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 21 novembre 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée.