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Décisions

Cass. com., 10 février 2021, n° 18-21.238

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

Johann Bonnet (SARL)

Défendeur :

Les Volailles de Tradition Française (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Mouillard

Rapporteur :

Mme Boisselet

Avocat général :

M. Debacq

Avocats :

Sarl Cabinet Briard, SCP Waquet, Farge et Hazan

T. com. Versailles du 4 janv. 2017

4 janvier 2017

Faits et procédure  

1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 22 mai 2018), la société Johann Bonnet exploite sous cette enseigne un commerce de vente ambulante de volailles sur neuf marchés parisiens.

2. Faisant valoir que la société Les Volailles de tradition française, qui exploite un commerce identique sur sept marchés parisiens, avait commis des actes constitutifs de parasitisme, la société Johann Bonnet l'a assignée aux fins de voir ordonner sous astreinte la cessation des actes de parasitisme qu'elle lui reprochait ainsi qu'en paiement de dommages-intérêts.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en ses huit premières branches  

Enoncé du moyen

3. La société Johann Bonnet fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes, alors: « 1°) o que le parasitisme consiste, pour un opérateur économique, à se placer dans le sillage d'un autre afin de tirer profit, sans rien dépenser, de ses efforts et de son savoir-faire, de la notoriété acquise ou des investissements consentis; qu'à la différence de la concurrence déloyale, qui ne saurait résulter d'un faisceau de présomptions, le parasitisme résulte d'un ensemble d'éléments appréhendés dans leur globalité ; qu'en énonçant que "les faits de parasitisme dont la société Johann Bonnet se prévaut pour solliciter l'indemnisation de son préjudice sont insuffisamment caractérisés" sans avoir appréhendé dans leur globalité, bien qu'y ayant été expressément invitée, l'ensemble des éléments dont se prévalait la société Johann Bonnet aux fins de voir caractériser les actes de parasitisme imputables à la société Les Volailles de tradition française, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382, devenu 1240, du code civil ; 2°) que le parasitisme consiste, pour un opérateur économique, à se placer dans le sillage d'un autre afin de tirer profit, sans rien dépenser, de ses efforts et de son savoir-faire, de la notoriété acquise ou des investissements consentis ; qu'il constitue un fait fautif générateur d'un droit à réparation sans qu'il soit nécessaire de démontrer l'existence d'un risque de confusion ; qu'en énonçant que les faits de parasitisme dont la société Johann Bonnet se prévaut pour solliciter l'indemnisation de son préjudice sont insuffisamment caractérisés aux motifs radicalement inopérants que "le logo des deux concurrents sur la partie basse des étals présentant des différences sensibles qui ne peuvent prêter à confusion et la provenance de Périgord noir utilisée par la société Johann Bonnet étant une caractéristique du produit suffisamment identifiable pour ne pas être confondue avec l'absence de provenance des volailles commercialisées par la société Les Volailles de tradition française" , la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382, devenu 1240, du code civil ; 3°) que le parasitisme consiste, pour un opérateur économique, à se placer dans le sillage d'un autre afin de tirer profit, sans rien dépenser, de ses efforts et de son savoir-faire, de la notoriété acquise ou des investissements consentis ; qu'il constitue un fait fautif générateur d'un droit à réparation sans qu'il y ait lieu pour celui qui s'en prévaut de justifier d'une situation de concurrence entre les parties ; qu'en énonçant que les faits de parasitisme dont la société Johann Bonnet se prévaut pour solliciter l'indemnisation de son préjudice sont insuffisamment caractérisés aux motifs radicalement inopérants que "les quelques exemples fournis par la société Johann Bonnet sont insuffisants à démontrer une parfaite identité des prix et promotions pratiqués par les deux commerces dont il convient de rappeler qu'ils s'exercent sur des territoires différents et visent donc des clientèles différentes", la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382, devenu 1240, du code civil ; 4°) que le parasitisme consiste, pour un opérateur économique, à se placer dans le sillage d'un autre afin de tirer profit, sans rien dépenser, de ses efforts et de son savoir-faire, de la notoriété acquise ou des investissements consentis ; qu'il constitue un fait fautif générateur d'un droit à réparation sans qu'il soit nécessaire de justifier du caractère original du concept ou des méthodes de commercialisation élaborés en contrepartie d'investissement aux fins d'acquérir une réputation ou une notoriété ; qu'en énonçant que les faits de parasitisme dont la société Johann Bonnet se prévaut pour solliciter l'indemnisation de son préjudice sont insuffisamment caractérisés aux motifs "qu'il n'y a cependant rien d'original pour un volailler d'afficher le terme volailles, désignant les produits qu'il vend, le fait que les commerçants se revalent d'une vente directe des producteurs ou éleveurs se voulant être un gage de qualité de ses produits, qui ne relève pas d'une technique de vente spécifique", que "tant par leurs appellations communes pour les volaillers, que par les ingrédients utilisés dans leurs préparations, les produits "faits maisons" ne recèlent aucune originalité particulière et peuvent être librement concurrencés", "qu'en ce qui concerne les dénominations spécifiques, la société Johann Bonnet revendique celle de "petits poulets" qui ne désigne qu'un produit courant et le qualifie par sa taille sans que puisse être sérieusement soutenu qu'il s'agit là de la création d'une dénomination originale qui ne saurait être frauduleusement reproduite" et que "la société Johann Bonnet entend ajouter que le personnel porte cravate et revêt une veste de chef blanche ce qui ne présente là encore aucune originalité mais entend démontrer un professionnalisme et un respect des règles d'hygiène qui sied aux commerces de bouche de qualité", sans s'expliquer, bien qu'y ayant été expressément invitée, sur le fait que le concept de commercialisation mis au point par la société Johann Bonnet, fût-il composé d'éléments qui, examinés séparément, n'auraient pas présenté chacun d'originalité particulière, consistait dans une combinaison harmonieuse et attractive de ces éléments née d'un investissement en terme de travail intellectuel et de coût, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382, devenu 1240, du code civil ; 5°) que le parasitisme consiste, pour un opérateur économique, à se placer dans le sillage d'un autre afin de tirer profit, sans rien dépenser, de ses efforts et de son savoir-faire, de la notoriété acquise ou des investissements consentis ; qu'en énonçant que les faits de parasitisme dont la société Johann Bonnet se prévaut pour solliciter l'indemnisation de son préjudice sont insuffisamment caractérisés, sans rechercher, bien qu'y ayant été invitée, si la société Les Volailles de tradition française n'avait pas tenté de profiter sans bourse déliée du slogan élaboré par la société Johann Bonnet, cette similitude tenant à l'emploi du même terme d'attaque "Volailles", du même terme "En", la première lettre en majuscule et la seconde en minuscule, du même terme "DIRECT" en lettre capitales, et du même terme "des" en lettres minuscules, les seules modifications apportées ayant à la substitution du mot "ELEVEUR" au lieu de "PRODUCTEUR" et à l'ajout de la provenance "Volailles du PERIGORD NOIR", la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382, devenu 1240, du code civil ; 6°) que le parasitisme consiste, pour un opérateur économique, à se placer dans le sillage d'un autre afin de tirer profit, sans rien dépenser, de ses efforts et de son savoir-faire, de la notoriété acquise ou des investissements consentis; qu'en énonçant que les faits de parasitisme dont la société Johann Bonnet se prévaut pour solliciter l'indemnisation de son préjudice sont insuffisamment caractérisés, sans rechercher, bien qu'y ayant été expressément invitée, si les préparations culinaires de la société Les Volailles de tradition française n'étaient pas identiques à celles élaborées par la société Johann Bonnet au regard tant des ingrédients utilisés que du mode de préparation par effilochage et de cuisson, tous deux identiques, outre l'utilisation d'un mode d'emballage spécifique tenant à la mise sous vide du foie-gras dans des petits sacs thermo-rétractables, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382, devenu 1240, du code civil ; 5 131 7°) que le parasitisme consiste, pour un opérateur économique, à se placer dans le sillage d'un autre afin de tirer profit, sans rien dépenser, de ses efforts et de son savoir-faire, de la notoriété acquise ou des investissements consentis ; qu'en énonçant que les faits de parasitisme dont la société Johann Bonnet se prévaut pour solliciter l'indemnisation de son préjudice sont insuffisamment caractérisés, sans rechercher, bien qu'y ayant été invitée, si les dénominations "petit poulet" et "poulette" ne participaient pas du concept de commercialisation élaboré par la société Johann Bonnet dès lors que l'étude réalisée par la société Johann Bonnet sur 23 commerces de volailles situés sur 8 marchés différents démontrait qu'elle était la seule à utiliser ces dénominations,  la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382, devenu 1240, du code civil ; 8°) que le parasitisme consiste, pour un opérateur économique, à se placer dans le sillage d'un autre afin de tirer profit, sans rien dépenser, de ses efforts et de son savoir-faire, de la notoriété acquise ou des investissements consentis ; qu'en énonçant que les faits de parasitisme dont la société Johann Bonnet se prévaut pour solliciter l'indemnisation de son préjudice sont insuffisamment caractérisés, sans rechercher, bien qu'y ayant été invitée, si la société Les Volailles de tradition française n'avait pas délibérément choisi de pratiquer les mêmes prix et promotions que ceux figurant sur la grille tarifaire de la société Johann Bonnet qui pratiquait elle-même des prix de 40 à 100 % supérieurs à ceux des commerces concurrents, contrepartie de la haute qualité des produits proposés à la clientèle, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382, devenu 1240, du code civil. »

Réponse de la Cour  

4. Après avoir analysé les différents reproches faits par la société Johann Bonnet à la société Les Volailles de tradition française, l'arrêt retient que chacun des éléments invoqués, prétendument originaux, est en réalité banal, faisant ressortir que, ni dans le détail ni dans leur ensemble, la société Johann Bonnet n'établissait qu'ils constituaient une valeur économique individualisée, fruit d'investissements, susceptible d'être protégée au titre du parasitisme. Sous le couvert de divers griefs non fondés de manque de base légale, le moyen ne tend qu'à remettre en cause cette appréciation souveraine de la cour d'appel.

5. En conséquence, le moyen, inopérant en ses deuxième et troisième branches qui critiquent des motifs surabondants, n'est pas fondé pour le surplus.

Sur le moyen, pris en ses neuvième et dixième branches

Enoncé du moyen

6. La société Johann Bonnet fait le même grief à l'arrêt, alors : « 9°) que tout jugement doit être motivé à peine de nullité ; qu'en énonçant que les faits de parasitisme dont la société Johann Bonnet se prévaut pour solliciter l'indemnisation de son préjudice sont insuffisamment caractérisés sans s'expliquer, ni même viser, sur la teneur des constats d'huissier effectués les 8 et 9 janvier 2016 desquels il résultait que la société Les Volailles de tradition française utilisait non seulement toute l'identité visuelle mise au point mais aussi l'ensemble du savoir-faire de la société Johann Bonnet, en copiant systématiquement les couleurs du stand, sa conception et son aménagement, les matériels utilisés, les étiquettes de prix et même les tenues des vendeurs, s'appropriant dans sa globalité le concept élaboré par la société Johann Bonnet, la cour d'appel a privé sa décision de motifs et a violé l'article 455 du code de procédure civile ; 10°) que dans ses conclusions d'appel, la société Johann Bonnet faisait valoir que la société Les Volailles de tradition française se fournissait auprès de la société Avigros et de la société Eurovolailles qui étaient toutes deux des fournisseurs historiques de la société Johann Bonnet, représentant respectivement, sur les quatre dernières années, un pourcentage de 31,75 % et de 23,42 % des achats totaux de marchandises ; qu'il était ajouté que M. Okay Bulut et M. Attila Aslan avaient retenus les mêmes fournisseurs que ceux de leur ancien employeur, avec lesquels ces deux anciens salariés étaient déjà en contact lorsqu'ils travaillaient pour la société Johann Bonnet de sorte que la société Les Volailles de tradition française avait ainsi pu économiser les efforts et les frais afférents à la recherche de fournisseurs venant répondre aux exigences de qualité des produits commercialisés par la société Johann Bonnet ; qu'il en était déduit que la société Les Volailles de tradition française avait tiré profit des recherches menées par la société Johann Bonnet sans avoir à en assumer les efforts et le coût ; qu'en ne répondant pas à ce moyen, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. »    

Réponse de la Cour  

7. La cour d'appel, qui s'est prononcée par les motifs vainement critiqués par les huit premières branches du moyen sur l'utilisation prétendument illicite par la société Les Volailles de tradition française de l'identité visuelle et du savoir-faire de la société Johann Bonnet, n'était pas tenue de s'expliquer sur les éléments de preuve qu'elle décidait d'écarter ni de répondre aux conclusions inopérantes de la société Johann Bonnet relatives à l'identité des fournisseurs des deux sociétés puisque le recours aux mêmes fournisseurs qu'une autre entreprise ne permet pas à lui seul de caractériser un comportement parasitaire, les fournisseurs étant libres de vendre leurs produits à qui ils le souhaitent, sauf clause d'exclusivité, qui n'est pas invoquée.

8. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour : REJETTE le pourvoi.