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Décisions

Cass. com., 10 février 2021, n° 18-24.302

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

PARTIES

Demandeur :

S. Com sécurité (SAS)

Défendeur :

Frstemjak, Innovation et Techniques Industrielles (SAS), Ars-Virtualys (SARL), Global Service Intervention Sûreté (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Mouillard

Rapporteur :

Mme Lefeuvre

Avocat général :

M. Debacq

Avocats :

SCP de Chaisemartin, Doumic-Seiller, SCP Baraduc, Duhamel et Rameix

Lyon, 3e ch. A, du 13 sept. 2018

13 septembre 2018

Faits et procédure  

1. Selon l'arrêt attaqué (Lyon, 13 septembre 2018), le capital de la SAS S. Com sécurité (la société S. Com), qui exerce une activité de télésurveillance, est détenu en totalité par la SAS Iris (la société Iris), dont M. Frstemjak est associé.

2. M. Frstemjak a été nommé président de la société Iris le 7 juillet 2010 et président de la société S. Com le 16 décembre 2010.

3. Il est également associé de la société Ars-Virtualys, qui exerce une activité de gestion des appels en provenance des systèmes d'alarme et de retransmission aux stations, et le principal associé et dirigeant de la société Innovation et technique industrielle (la société ITI), qui a pour activité la vente de matériel de sécurité et l'installation des systèmes de sécurité, ainsi que de la société Global service intervention sûreté (la société GSI), qui a une activité de télésurveillance mais qui, ne détenant pas de station lui permettant de traiter les appels, sous-traite cette activité à des sociétés équipées de stations.  

4. M. Frstemjak a été révoqué de son mandat de président de la société Iris lors de l'assemblée générale du 17 décembre 2012 et de celui de président de la société S. Com lors de l'assemblée générale du 31 décembre 2012.

5. Le 24 juin 2013, la société S. Com a formé une action en concurrence déloyale contre la société GSI, en restitution de sommes versées à cette dernière ainsi qu'aux sociétés ITI et Ars-Virtualys, et en responsabilité contre M. Frstemjak.  

6. Pour contester la recevabilité de l'action engagée par la société S. Com, M. Frstemjak et les sociétés ITI, GSI et Ars-Virtualys ont soulevé la nullité des assemblées générales ayant révoqué M. Frstemjak de ses mandats. Ils se sont également opposés aux prétentions de cette société et ont formé, pour certains d'entre eux, des demandes reconventionnelles.  

Examen des moyens  

Sur le premier moyen du pourvoi principal

Enoncé du moyen

7. La société S. Com fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande de condamnation solidaire de la société GSI et de M. Frstemjak à lui payer une certaine somme à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice résultant d'actes de concurrence déloyale commis par la société GSI et d'un manquement à l'obligation de loyauté commis par M. Frstemjak, alors :

« 1°/ que les dirigeants sociaux sont tenus d'une obligation de loyauté et de fidélité à l'égard de la société qu'ils dirigent, leur interdisant durant leur mandat de faire concurrence à cette société ; qu'en l'espèce, il résulte des constatations de l'arrêt que M. Frstemjak a exercé pendant la même période les fonctions de directeur général de la société S. Com et de gérant de la société GSI et que pendant cette période, des contrats de télésurveillance conclus entre la société S. Com et ses clients ASTP, Feu Vert, Transport Alloin et Secmi, ont été transférés à la société GSI, et qu'en outre, la société GSI a fait exécuter les prestations, objets de ces contrats, par la société S. Com, n'ayant pas les moyens de les exécuter elle-même ; qu'en écartant pourtant toute responsabilité de M. Frstemjak envers la société S. Com, au titre de la perte des clients ASTP, Feu Vert, Transport Alloin et Secmi, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations dont il résultait que M. Frstemjak avait manqué à son obligation de loyauté et de fidélité envers la société S. Com, en s'appropriant, en sa qualité de gérant de la société GSI, des contrats de télésurveillance de la société S. Com, violant ainsi les articles L. 227-8 et L. 225-251 du code de commerce ;

2°/ que le manquement de M. Frstemjak à son obligation de loyauté et de fidélité envers la société S. Com, du fait du transfert des contrats de clients de cette société à la société GSI implique que cette société a commis une faute constitutive de concurrence déloyale, en s'appropriant ces clients ; que la cassation à intervenir sur la première branche entraînera par voie de conséquence la cassation du chef du dispositif ayant débouté la société S. Com de son action en concurrence déloyale à l'encontre de la société GSI, en application de l'article 624 du code de procédure civile ;

3° / qu'en se bornant à retenir, pour débouter la société S. Com de son action en concurrence déloyale à l'encontre de la société GSI, que « le transfert des contrats est établi, mais qu'il n'est pas prouvé qu'il soit le résultat d'un agissement de la société GSI », sans rechercher, comme il lui était demandé, si la concurrence déloyale de la société GSI ne résultait pas d'un manquement de son dirigeant, M. Frstemjak, à son obligation de loyauté et de fidélité envers la société S. Com, dont il était aussi le dirigeant, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles les articles L. 227-8 et L. 225-251 du code de commerce, ensemble l'article 1382 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016. »

Réponse de la Cour

8. D'une part, il ne résulte ni de l'arrêt ni de ses conclusions, que la société S. Com ait soutenu, devant la cour d'appel, que la concurrence déloyale reprochée à la société GSI résultait du manquement de M. Frstemjak à son obligation de loyauté et de fidélité envers elle, de sorte que la cour d'appel n'était pas tenue d'effectuer la recherche invoquée par la troisième branche, qui ne lui était pas demandée.

9. D'autre part, ayant relevé, par des motifs vainement critiqués par la troisième branche, qu'aucune condamnation n'avait été prononcée contre la société GSI, la cour d'appel a pu, en l'état des conclusions d'appel de la société S. Com, et sans méconnaître les conséquences légales de ses constatations, retenir que la demande de condamnation solidaire de M. Frstemjak était sans objet.

10. Enfin, le moyen, pris en sa première branche ayant été rejeté, la deuxième branche, qui invoque une cassation par voie de conséquence, est devenue sans portée.

11. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le quatrième moyen de ce pourvoi

Enoncé du moyen

12. La société S. Com fait grief à l'arrêt de la condamner à payer à la société ITI une certaine somme au titre de factures émises en 2013, alors « que pour accueillir la demande reconventionnelle de la société ITI en paiement de la somme de 48 075,89 euros au titre des factures qu'elle a émises en 2013, la cour s'est bornée à affirmer que le bien-fondé de cette facture est établi par les pièces produites par la société ITI ; qu'en statuant de la sorte, sans analyser même de façon sommaire, les pièces sur lesquelles elle s'est fondée, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences de l'article 455 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

13. L'arrêt relève d'abord que la société ITI produit le contrat commercial aux termes duquel la société S. Com s'engageait à lui verser une certaine rémunération en contrepartie de l'apport de contrats, une première convention d'assistance aux termes desquels elle s'engageait à fournir conseil et assistance pour la gestion administrative et le suivi comptable de la société S. Com, deux autres conventions aux termes desquels elle avait la charge du support de correspondant télésurveillance, l'ensemble des factures réglées par la société S. Com, et des courriers électroniques envoyés ou reçus par ses salariés en relation avec les prestations prévues par les conventions. Il retient ensuite que, bien que critiquant ces éléments, la société S. Com ne rapporte pas la preuve du caractère indu des paiements dont elle sollicite la restitution, cependant qu'elle pouvait apporter la preuve positive qu'elle avait exécuté elle-même les prestations litigieuses, qu'elle disposait d'autres salariés que ceux mentionnés dans les conventions ou que ces salariés pouvaient assumer la totalité des prestations administratives et comptables prévues dans les conventions d'assistance. Il retient qu'il en va de même en ce qui concerne la convention d'apport d'affaires. De ces constatations et appréciations, la cour d'appel, qui ne s'est pas bornée à affirmer que le bien-fondé des factures dont le règlement était sollicité était établi par les pièces produites par la société ITI, a souverainement déduit que la demande reconventionnelle en paiement de cette dernière devait être accueillie.

14. Le moyen n'est donc pas fondé.

Et sur le moyen du pourvoi incident

Enoncé du moyen

15. M. Frstemjak et les sociétés ITI, Ars-Virtualys et GSI font grief à l'arrêt de rejeter leur demande de nullité des assemblées générales des sociétés Iris et S. Com des 17 et 31 décembre 2012 et de déclarer recevable l'action de cette dernière, alors « que le défaut de convocation du commissaire aux comptes à une assemblée générale d'actionnaires entraîne la nullité des délibérations de l'assemblée ; qu'en l'espèce, pour rejeter la demande en nullité des assemblées générales des 17 et 31 décembre 2012 pour défaut de convocation du commissaire aux comptes, pénalement sanctionné par l'article L. 820-4 du code de commerce, et partant écarter la demande d'irrecevabilité de l'action en justice de la société S. Com, la cour d'appel s'est bornée à affirmer que l'article L. 235-1 du code de commerce ne sanctionne par la nullité que la violation d'une disposition impérative du livre II, ce qui n'est pas le cas de l'article L. 820-4 du même code contenu dans son livre VIII ; qu'en s'abstenant de rechercher, au besoin d'office, si la nullité des délibérations litigieuses pouvait être prononcée sur le fondement de l'article L. 820-3-1 du code de commerce, qui prévoit expressément cette sanction en cas de délibération prise en l'absence d'un commissaire aux comptes régulièrement désigné, auquel il convient d'assimiler l'absence d'un commissaire aux comptes non convoqué, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 820-3-1 du code de commerce. »

Réponse de la Cour

16. La nullité prévue par l'article L. 820-3-1 du code de commerce n'est pas applicable en cas de défaut de convocation du commissaire aux comptes aux assemblées générales en cause. Le moyen, qui soutient la thèse contraire, n'est donc pas fondé.

Mais sur le deuxième moyen du pourvoi principal

Enoncé du moyen

17. La société S. Com fait grief à l'arrêt de la condamner à payer à M. Frstemjak une certaine somme à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi du fait d'actes de dénigrement, alors « que les abus de la liberté d'expression prévus et réprimés par la loi du 29 juillet 1881 ne peuvent être réparés sur le fondement de l'article 1382, devenu 1240 du code civil ; qu'en l'espèce, pour considérer que les termes des accusations portées contre M. Frstemjak à l'encontre de différents clients caractérisaient un acte de dénigrement de l'ancien dirigeant portant atteinte à son image, la cour d'appel s'est fondée sur le courrier du 22 mai 2013 de M. Avril, « informant la société Maroquinerie Arnaud qu'ayant repris la présidence de la société suite à la révocation de M. Frstemjak par le tribunal de commerce, il s'est aperçu que son contrat avait été transféré à la société GSI ce qui s'inscrivait dans une démarche de détournement d'actif et de trésorerie au préjudice de la société S. Com » ; qu'en statuant de la sorte, quand les termes de ce courrier ne pouvaient relever que des dispositions de la loi du 29 juillet 1881, la cour d'appel a violé l'article 29 de cette loi, ensemble l'article 1382 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 29 de la loi du 29 juillet 1881 et 1382, devenu 1240, du code civil :

18. Les abus de la liberté d'expression prévus et réprimés par la loi du 29 juillet 1881 ne peuvent être réparés sur le fondement du second de ces textes.

19. Pour condamner la société S. Com à payer à M. Frstemjak une certaine somme à titre de dommages-intérêts l’arrêt, après avoir relevé que M. Frstemjak produisait une lettre adressée le 22 mai 2013 par le nouveau dirigeant de la société S. Com, informant une société tierce qu'ayant repris la présidence de la société à la suite de la révocation de M. Frstemjak, il s'était aperçu que son contrat avait été transféré à la société GSI, ce qui s'inscrivait dans une démarche de détournement d'actif et de trésorerie au préjudice de la société S. Com, retient que les termes de ces accusations caractérisent un acte de dénigrement de l'ancien dirigeant portant atteinte à son image et obligeant son auteur à réparer le préjudice en résultant.

20. En statuant ainsi, alors que les imputations litigieuses, qui visaient une personne physique déterminée, étaient constitutives de diffamation, de sorte qu'elles ne pouvaient être sanctionnées que sur le fondement de la loi du 29 juillet 1881, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Et sur le troisième moyen de ce pourvoi

Enoncé du moyen

21. La société S. Com fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande en paiement de dommages-intérêts formée contre M. Frstemjak en raison d'un transfert d'actifs à la société Ars-Virtualys, alors « que si la responsabilité personnelle d'un dirigeant à l'égard des tiers ne peut être retenue que s'il a commis une faute détachable de ses fonctions, une simple faute d'imprudence suffit à engager la responsabilité d'un dirigeant à l'égard de la société ; qu'en l'espèce, pour estimer que la responsabilité de M. Frstemjak, en sa qualité de dirigeant de la société S. Com, n'était pas engagée à l'égard de cette société, la cour d'appel a considéré que pour être sanctionnée, la faute de gestion du dirigeant d'une société doit être une faute détachable ou séparable des fonctions sociales, intentionnelle, d'une particulière gravité et incompatible avec l'exercice normal des fonctions sociales et qu'en l'espèce, la société S. Com ne démontrait pas que le transfert de numéros 0800 à la société Ars-Virtualys, titulaire du contrat d'infogérance et chargée par celui-ci de la conception et de la gestion d'un service de numéros spéciaux 0800 destiné à absorber les appels émis par les systèmes d'alarme installés chez les clients de la société S. Com, constituait une telle faute de gestion personnelle du dirigeant ; qu'en statuant de la sorte, quand une simple faute d'imprudence ou de négligence suffisait à engager la responsabilité de M. Frstemjak à l'égard de la société S. Com, la cour d'appel a violé les articles L. 227-8 et L. 225-51 du code de commerce. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 225-251, alinéa 1, et L. 227-8 du code de commerce :  

22. Selon le premier de ces textes, les administrateurs et le directeur général sont responsables individuellement ou solidairement selon le cas, envers la société ou envers les tiers, soit des infractions aux dispositions législatives ou réglementaires applicables aux sociétés anonymes, soit des violations des statuts, soit des fautes commises dans leur gestion. Selon le second, les règles de la mise en cause de la responsabilité personnelle des dirigeants des sociétés par actions simplifiées sont les mêmes que celles afférentes à la responsabilité des dirigeants de sociétés anonymes.  

23. Pour rejeter la demande de dommages-intérêts formée par la société S. Com contre M. Frstemjak en raison d'un transfert d'actifs à la société Ars-Virtualys, l'arrêt, après avoir énoncé que, pour être sanctionnée, la faute de gestion du dirigeant d'une société devait être une faute détachable ou séparable des fonctions sociales, intentionnelle, d'une particulière gravité et incompatible avec l'exercice normal des fonctions sociales, retient que la société S. Com ne démontre pas que le transfert de numéros 0800 à la société Ars-Virtualys est constitutif d'une telle faute.

24. En statuant ainsi, alors que la mise en œuvre de la responsabilité du dirigeant à l'égard de la société est subordonnée à la preuve d'une simple faute de gestion, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, la Cour : CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la société S. Com sécurité à payer à M. Frstemjak la somme de 5 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi du fait d'actes de dénigrement, en ce qu'il rejette la demande de condamnation de M. Frstemjak au paiement de la somme de 45 000 euros formée par la société S. Com sécurité et en ce qu'il statue sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 13 septembre 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Lyon ; Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Lyon, autrement composée.