CA Paris, Pôle 5 ch. 7, 11 février 2021, n° 20/08582
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Apple France (SARL), Apple Distribution International Limited (Sté), Apple Operations Europe Limited (Sté), Apple Europe Limited (Sté), Apple Operations International Limited (Sté), Apple Sales International Limited (Sté), Apple Inc. (Sté), Ingram Micro Inc. (Sté), Ingram Micro Europe BV (Sté), Ingram Micro (SAS), Tech Data Corporation (Sté), Tech Data (Netherlands) BV (Sté), Tech Data France Holding (SARL), Tech Data France (SAS)
Défendeur :
Leloup-Thomas (ès qual.), eBizcuss.com, Autorité de la concurrence, Ministre de l'Economie
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Schmidt
Conseillers :
Mme Maitrepierre, Mme Tréard
Avocats :
Me Boccon Gibod, Me Thill-Tayara, Me Teytaud, Me Giraud, Me Moisan, Me Vidal
Vu la décision n° 20-D-04 du 16 mars 2020 de l'Autorité de la concurrence ;
Vu le recours formé à l'encontre de cette décision par déclaration déposée le 7 juillet 2020 au greffe de la cour d'appel par les sociétés Apple France, Apple Sales International Limited, Apple Distribution International Limited, Apple Europe Limited, Apple Operations Europe Limited, Apple Operations International Limited et Apple Inc. (les sociétés Apple), enregistrée sous le n° RG 20/08582 ;
Vu le recours formé à l'encontre de cette décision par déclaration déposée le 10 juillet 2020 au greffe de la cour d'appel par les sociétés Tech Data Corporation, Tech Data B.V, Tech Data France Holding et Tech Data France (les sociétés Tech Data), enregistrée sous le n° RG 20/08930 ;
Vu le recours formé à l'encontre de cette décision par déclaration déposée le 15 juillet 2020 au greffe de la cour d'appel par les sociétés Ingram Micro Inc, Ingram Micro Europe BV et Ingram Micro SAS (les sociétés Ingram Micro), enregistrée sous le n° RG 20/09103 ;
Vu les déclarations d'intervention volontaire et de recours incident à chacun de ces trois recours déposés par Mme Leloup-Thomas, en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société eBizcuss.com, au greffe de la cour d'appel le 14 septembre 2020 ;
Vu l'ordonnance du 24 novembre 2020 ayant joint sous le n° RG 20/08582, les recours enregistrés sous les n° RG 20/08582, 20/08930 et 20/09103 ;
Vu l'avis de caducité du recours incident adressé aux parties le 27 novembre 2020 ;
Vu l'avis d'irrecevabilité de l'intervention volontaire adressé aux parties le 27 novembre 2020 ;
Vu les observations en réponse des sociétés Apple déposées au greffe de la cour d'appel le 11 décembre 2020 ;
Vu les observations en réponse de Mme Leloup-Thomas, ès qualités, déposées au greffe de la cour d'appel le 14 décembre 2020 ;
Vu la lettre de l'Autorité de la concurrence du 18 décembre 2020 ;
Le ministère public ayant reçu toutes les pièces de la procédure ;
Après avoir entendu à l'audience publique du 26 janvier 2021 en leurs observations orales le conseil de la société eBizcuss.com, celui des sociétés Apple, Ingram Micro et AF AG, ainsi que le représentant de l'Autorité de la concurrence.
1. Par la décision n° 20-D-04 du 16 mars 2020 relative à des pratiques mises en oeuvre dans le secteur de la distribution de produits de marque Apple, l'Autorité de la concurrence, sur saisine de la société eBizcuss.com, a infligé des sanctions pécuniaires aux sociétés Apple, Tech Data et Ingram Micro pour avoir enfreint les dispositions de l'article L. 420-1 du code de commerce, ainsi que celles de l'article 101, paragraphe 1, du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne.
2. Les sociétés sanctionnées ont chacune formé un recours en annulation, et subsidiairement, en réformation contre cette décision.
3. Les exposés des moyens, déposés au greffe les 13 et 14 août 2020 au soutien de ces recours, ont été notifiés par lettres des mêmes jours, notamment, à Mme Leloup-Thomas, en qualité de liquidateur judiciaire de la société eBizcuss.com.
4. Cette dernière a déposé le 14 septembre 2020 une déclaration d'intervention volontaire et une déclaration de recours incident à chacun de ces recours.
5. La notification de ces déclarations à l'Autorité de la concurrence ne figurant pas dans les dossiers de la Cour, des avis ont été adressés par le greffe à Mme Leloup-Thomas, ès qualités, et aux autres parties afin de recueillir leurs observations sur la caducité et l'irrecevabilité susceptibles d'être encourues en application des dispositions des articles R. 464-16 et R. 464-17 du code de commerce.
6. Mme Leloup-Thomas, en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société eBizcuss.com, demande à la Cour de constater que ses déclarations de recours incident ne sont pas caduques et de déclarer recevables ses déclarations d'intervention volontaire.
7. Elle soutient, en premier lieu, que les articles R. 464-16 et R. 464-17 du code de commerce ne s'appliquent qu'aux personnes qui ne sont pas parties au recours et qui entendent intervenir soit pour former un recours incident soit pour intervenir volontairement et ne s'appliquent pas à celles qui sont déjà mises dans la cause. Elle fait valoir qu'elle est déjà dans la cause dès lors que chacun des demandeurs au recours lui a notifié sa déclaration de recours et son exposé des moyens.
8. Elle soutient, en second lieu, qu'elle a satisfait aux exigences des articles précités pour avoir notifié ses déclarations de recours incident et d'intervention volontaire aux demandeurs au recours, et au ministre chargé de l'Economie. Elle fait valoir que l'Autorité de la concurrence n'est pas une partie devant la juridiction de recours au sens des dispositions précitées de sorte qu'elle n'avait pas à lui notifier ses actes de procédure.
9. À titre subsidiaire, elle demande à la Cour de la mettre d'office dans la cause.
10. Les sociétés Apple demandent à la Cour de prononcer l'irrecevabilité de la déclaration d'intervention volontaire, la caducité de la déclaration de recours incident, et de condamner Mme Leloup-Thomas, ès qualités, à lui payer la somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
11. S'agissant de la déclaration d'intervention volontaire, elles font valoir que cette déclaration ne leur a été notifiée que le 21 septembre 2020, soit après l'expiration du délai impératif prévu à l'article R. 464-17 du code de commerce, et que de ce seul fait, l'intervention volontaire de la société eBizcuss.com est irrecevable. Elles font valoir qu'elle est également irrecevable pour ne pas avoir été notifiée à l'Autorité de la concurrence comme l'exige le texte précité.
12. S'agissant de la déclaration de recours incident, elles font valoir qu'il résulte de la lecture combinée des articles R. 464-16 et R. 464-13 du code de commerce que la société eBizcuss.com aurait dû, sous peine de caducité de sa déclaration de recours, la dénoncer aux parties à l'instance devant la Cour, à savoir les sociétés Apple et l'Autorité de la concurrence en application de l'article R. 464-11 du code de commerce, ainsi qu'au ministre chargé de l'Economie au plus tard le 21 septembre 2020 et justifier auprès du greffe avoir effectué ces formalités. Elles soulignent que, sauf erreur, il résulte de l'avis de caducité adressé par le greffe que cette justification n'est pas parvenue au greffe de la cour d'appel de Paris dans le délai imparti.
13. L'Autorité a, par une lettre adressée le 18 décembre 2020, indiqué qu'elle n'entendait pas présenter d'observations écrites sur la recevabilité des recours et qu'elle s'en remettait à la sagesse de la Cour.
Sur ce, la Cour,
Sur la caducité du recours incident
14. Aux termes de l'article R. 464-11 du code de commerce, figurant à la section II intitulée « Des recours exercés devant la cour d'appel de Paris contre les décisions de l'Autorité de la concurrence », l'Autorité est partie à l'instance selon les modalités prévues aux dispositions des articles R. 464-12 à R. 464-24 du même code.
15. Parmi ces dispositions figure l'article R. 464-16, alinéa 2 qui fait obligation à l'auteur d'un recours incident de le dénoncer aux parties devant la juridiction de recours et au ministre chargé de l'Economie, lorsqu'il n'est pas partie à l'instance, et ce dans les conditions prévues à l'article R. 464-13, c'est à dire, dans les cinq jours suivant le dépôt de sa déclaration de recours, à peine de caducité de cette dernière, relevée d'office.
16. La déclaration de recours incident doit donc être dénoncée à l'Autorité, qui est partie devant la juridiction de recours au sens de l'article R. 464-16 du code de commerce, cette dénonciation ayant pour finalité de porter à sa connaissance l'existence de ce recours.
17. En l'espèce, si le liquidateur judiciaire de la société eBizcuss.com a dénoncé son recours incident aux sociétés sanctionnées et au ministre chargé de l'Economie, il n'a pas procédé à cette formalité à l'égard de l'Autorité, dans le délai imparti, ce qui n'est pas contesté.
18. Dès lors, ses déclarations de recours incident sont caduques.
Sur la recevabilité de l'intervention volontaire
19. Aux termes de l'article R. 464-17, alinéa 1er, du code de commerce, lorsque le recours risque d'affecter les droits ou les charges d'autres personnes qui étaient parties en cause devant l'Autorité de la concurrence, ces personnes peuvent intervenir à l'instance devant la cour d'appel.
20. L'alinéa 3 de ce texte fait obligation à la partie qui déclare intervenir volontairement de notifier, dans le délai d'un mois à compter de la réception des observations écrites du demandeur au recours principal, sa déclaration d'intervention volontaire aux parties devant la juridiction de recours ainsi qu'au ministre chargé de l'Economie, et ce à peine d'irrecevabilité relevée d'office.
21. L'Autorité étant une partie devant la juridiction de recours au sens de ces dispositions, par application de l'article R. 464-11 du code de commerce précité, toute déclaration d'intervention volontaire doit donc lui être notifiée.
22. En l'espèce, les observations écrites, déposées au greffe le 13 août 2020 par les sociétés Apple et le 14 août 2020 par les sociétés Ingram Micro et Tech Data, ont été notifiées par lettres des mêmes jours, au liquidateur judiciaire de la société eBizcuss.com.
23. Si le liquidateur judiciaire de la société eBizcuss.com a dénoncé ses déclarations d'intervention volontaire aux sociétés sanctionnées et au ministre en charge de l'économie dans les délais impartis, celles-ci n'ont pas été notifiées à l'Autorité de la concurrence dans le délai d'un mois à compter de la réception de ces observations écrites, ce qui n'est pas contesté, de sorte qu'elles sont irrecevables.
24. La circonstance que les déclarations de recours principaux et les exposés complets des moyens ont été notifiés à la société eBizcuss.com ne permettent pas de considérer que cette dernière est partie à l'instance au recours, ces notifications ayant pour seule finalité de lui permettre précisément de déterminer si les recours entrepris sont de nature à affecter ses droits et de décider, s'il y a lieu, d'intervenir volontairement à l'instance ouverte par ces recours pour se voir conférer la qualité de partie à l'instance.
25. La mention de la société eBizccuss.com, faisant état de sa qualité de partie intervenante dans l'ordonnance du délégué du premier président fixant le calendrier de procédure, résulte du dépôt au greffe d'actes de procédure pris en cette qualité et ne préjuge pas de leur recevabilité, laquelle est appréciée ultérieurement par la Cour.
Sur la demande subsidiaire de « mise en cause d'office »
26. Selon le dernier alinéa de l'article R. 464-17 du code de commerce la Cour peut, à tout moment, mettre d'office en cause d'autres personnes qui étaient parties en cause devant l'Autorité lorsque leurs droits et obligations risquent d'être affectés par le recours.
27. En l'espèce, la société eBizcuss.com a saisi l'Autorité des pratiques qui ont été sanctionnées par la décision attaquée et a été mise en liquidation judiciaire peu de temps après cette saisine.
28. Ses droits et obligations, ainsi que les droits de ses créanciers, risquent d'être affectés par les recours formés par les sociétés Apple, Tech Data et Ingram Micro.
29. En conséquence, et compte tenu que les diligences ont été accomplies à l'égard des autres parties et du ministre charge de l'économie, la Cour estime qu'il y a lieu d'exercer les pouvoirs qui lui sont conférés par les dispositions précitées, et de mettre d'office en cause la société eBizcuss.com.
30. La Cour rappelle que cette mise en cause d'office autorise la société eBizcuss.com à présenter des observations sur le mérite des recours formés par les sociétés sanctionnées mais ne l'autorise pas à saisir la Cour de prétentions autonomes.
Sur la demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile
31. L'équité commande que les sociétés Apple conservent la charge de leurs frais irrépétibles.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
DÉCLARE caduques les déclarations de recours incident déposées par Mme Leloup-Thomas, en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société eBizcuss.com ;
DÉCLARE irrecevables les déclarations d'intervention volontaire déposées par Mme Leloup-Thomas, en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société eBizcuss.com ;
MET d'office en la cause Mme Leloup-Thomas, en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société eBizcuss.com ;
DIT que Mme Leloup-Thomas, en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société eBizcuss.com, communiquera aux parties sanctionnées par la décision attaquée, à l'Autorité de la concurrence et au ministre chargé de l'Economie, les écritures qu'elle entend déposer au greffe de la Cour, conformes à ce statut procédural ;
REJETTE la demande des sociétés Apple formée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE Mme Leloup-Thomas, en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société eBizcuss.com, aux dépens.