CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 10 février 2021, n° 19/00634
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Selarl Ekyp (ès qual.), Style Informatique (Sté)
Défendeur :
Dunod Editeur (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Dallery
Conseillers :
M. Gilles, Mme Depelley
FAITS ET PROCÉDURE :
La Sarl Style Informatique avait pour activité principale la composition d'ouvrages, scolaires, techniques et scientifiques.
La société Dunod Editeur SA est spécialisée dans le secteur de l'édition du livre et d'ouvrages de formation universitaire et professionnelle.
A la suite d'un appel d'offres émis par la société Dunod Editeur le 12 juin 2009 remporté par la société Style Informatique, un accord est conclu pour une période d'un an renouvelable.
Le 24 novembre 2014, la société Dunod Editeur fait parvenir un second appel d'offres portant sur les ouvrages des fonds Dunod et Armand Colin, sociétés venant de fusionner.
La société Style Informatique ne remporte pas cet appel d'offres.
Par jugement du 7 octobre 2015, le tribunal de commerce de Bordeaux prononce la liquidation judiciaire de la société Style Informatique et désigne la Selarl Christophe Mandin, mandataire judiciaire, en qualité de liquidateur.
Invoquant une rupture brutale des relations commerciales établies, la Selarl Christophe Mandin en qualité de mandataire judiciaire à la liquidation judiciaire de la société Style Informatique, assigne la société Dunod devant le tribunal de commerce de Bordeaux.
Par jugement du 16 novembre 2018, le tribunal de commerce de Bordeaux :
- Déboute la Selarl Christophe Mandin ès qualités de l'intégralité de ses demandes ;
- Condamne la Selarl Christophe Mandin ès qualités à verser à la société Dunod Editeur SA la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
- Condamne la Selarl Christophe Mandin ès qualités aux dépens ;
- Ordonne que ces sommes s'imputent en frais privilégiés de la procédure.
Vu l'appel interjeté et les dernières conclusions datées du 15 octobre 2020 notifiées et déposées le 20 octobre suivant par la Selarl EKIP, venant aux droits de la Selarl Christophe Mandin, en qualité de mandataire ad hoc ayant pour mission de poursuivre les instances en cours à la suite de la liquidation judiciaire de la société Style Informatique, par lesquelles il est demandé à la Cour de :
Vu l'article L. 442-6 du code de commerce,
- Déclarer la SELARL EKIP, venant aux droits de la SELARL M. ès qualité recevable et bien fondée en ses demandes ;
- Débouter la société Editions Dunod de l'ensemble de ses demandes ;
- Réformer le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;
- Dire et juger brutale la rupture des relations commerciales entre la société Style Informatique et les éditions Dunod et Armand Colin ;
- Dire et juger qu'un préavis de 24 mois supplémentaire aurait dû être respecté par les éditions Dunod ;
- Condamner les Editions Dunod à réparer les préjudices subis, et partant au paiement des sommes suivantes, avec intérêt à compter de la première mise en demeure :
Préjudice commercial : 192 203 euros HT
Conséquences des licenciements économiques : 9 490 euros
Perte de chance de céder l'activité : 72 000 euros
Préjudice moral : 5 000 euros
- Condamner la société Dunod au paiement de la somme de 7 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- La condamner aux entiers dépens de première instance et d'appel.
Vu les dernières conclusions notifiées le 14 mai 2020 par la société Dunod Editeur, par lesquelles il est demandé à la Cour de :
Vu l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce,
Il est demandé à la Cour de :
- Confirmer le jugement du tribunal de commerce de Bordeaux du 16 novembre 2018 en ce qu'il a dit et jugé que la société Dunod ne s'est pas rendue coupable d'une rupture brutale de ses relations commerciales avec la société Style Informatique ;
- Infirmer le jugement du tribunal de commerce de Bordeaux du 16 novembre 2018 en ce qu'il a retenu 29 années à titre de relations commerciales établies entre les parties ;
En conséquence,
- Dire et juger que la SELARL M. ès qualités ne démontre aucune antériorité des relations commerciales établies à compter de l'année 1986 ;
En tout état de cause,
- Dire et juger la SELARL M. ès qualité infondée dans ses demandes au titre de la rupture brutale des relations commerciales et d'indemnisation du préjudice et l'en débouter ;
- Condamner la SELARL M. ès qualité au paiement de la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- Condamner la SELARL M. ès qualité aux entiers dépens.
SUR CE, LA COUR,
Sur la rupture brutale des relations commerciales établies
L'appelante soutient que :
- les parties ont été en relations commerciales entre 1986 et 2015, soit durant 26 ans, indépendamment des formes qu'ont pris ces relations, et notamment de la création de la société des éditions Dunod en 1991,
- aucune faute ne lui est imputable dans le cadre de ses relations commerciales avec l'intimée,
- l'existence d'un appel d'offres n'exonère par une entreprise de ses obligations à l'égard d'un partenaire commercial, notamment s'agissant du délai de préavis raisonnable en cas de rupture des relations,
- l'intimée a rompu de façon brutale les relations commerciales, en l'absence de préavis écrit tenant compte de l'antériorité de leurs relations,
- la brutalité est d'autant plus manifeste qu'elle ne s'est vu confier que du travail à perte à compter de la signification de la rupture,
- elle était en état de dépendance économique et n'a pas eu le temps de trouver de nouveaux clients.
L'intimée oppose le caractère précaire des relations entre les parties, découlant de l'institution d'une procédure d'appel d'offres à la fin de l'année 2009, réitérée à la fin de l'année 2014, laquelle procédure a été acceptée par l'appelante sans réserve ni contestation de quelque nature que ce soit, démontrant qu'elle avait elle-même conscience de la précarité des relations commerciales et acceptait le processus de remise en cause potentielle desdites relations.
Elle ajoute que :
- l'appelante ne prouve pas l'antériorité alléguée des relations, qu'au contraire, les pièces versées aux débats par l'appelante tendent à prouver que les relations étaient distendues pendant la période 1986 à 1997,
- il n'est pas possible de faire remonter l'antériorité des relations commerciales à l'année 2000 en vertu de la fusion entre les sociétés Dunod et Armand Colin en 2014, en l'absence de manifestation expresse de volonté de poursuivre la relation commerciale,
- elle lui a concédé un préavis ainsi qu'il résulte des commandes qu'elle lui a passé.
- l'appelante n'était pas en situation de dépendance économique à son égard dans la mesure où les données chiffrées ne permettent pas de l'établir et qu'elle ne rapporte pas la preuve de l'impossibilité économique ou technique de diversifier son activité.
Sur ce,
L'article L. 422-6, I, 5° du code de commerce dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019 applicable au litige, dispose qu'engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels.
Une relation commerciale « établie » au sens de cet article doit présenter un caractère « suivi, stable et habituel » et permettre raisonnablement d'anticiper pour l'avenir une certaine continuité du flux d'affaires entre les partenaires commerciaux, ce qui implique, notamment qu'elle ne soit pas entachée par des incidents susceptibles de remettre en cause sa stabilité, voire sa régularité.
En l'espèce, un premier appel d'offres a été lancé par la société Dunod, au début de l'année 2009 (sa pièce 1), puis un second appel d'offres au mois de novembre 2014.
Si la société Style Informatique a remporté le premier appel d'offres, elle a perdu le second (pièce 15 de l'appelante).
L'appel d'offres lancé au mois de novembre 2014 (pièce 14 de l'appelante) a été adressé à la société Style Informatique le 24 novembre 2014 (pièce 6 de l'intimée).
Cette dernière y a répondu et a participé le 6 janvier 2015 à l'entretien « soutenance/ négociation » de l'offre, au cours duquel il lui a été indiqué qu'elle était un peu trop chère sur certaines prestations.
Style informatique a renvoyé une nouvelle réponse à l'appel d'offres le 15 janvier suivant (sa pièce 44) et par lettre du 27 février 2015, Dunod lui fait savoir qu'elle n'avait pas été retenue (sa pièce 15).
La première procédure d'appel d'offres notifiée à la société Style informatique par Dunod en 2009, a précarisé la relation commerciale entre les parties.
En participant au nouvel appel d'offres notifié au mois de novembre 2014, la société Style Informatique, qui avait connaissance du caractère précaire de la relation commerciale entretenue avec Dunod, ne peut se prévaloir d'une rupture brutale par cette dernière de la relation commerciale établie sur le fondement de l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce.
En conséquence, la société Ekip ès qualités est déboutée de ses demandes sur le fondement de la rupture brutale des relations commerciales établies.
Le jugement est confirmé.
Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile
La société appelante, partie perdante, est condamnée aux dépens d'appel et déboutée de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
L'équité ne commande pas de faire application de ce dernier article au profit de la société Dunod Editeur.
PAR CES MOTIFS,
Confirme le jugement ;
Rejette toute autre demande.
Condamne aux dépens d'appel la Selarl EKIP, venant aux droits de la Selarl Christophe Mandin, en qualité de mandataire ad hoc ayant pour mission de poursuivre les instances en cours à la suite de la liquidation judiciaire de la société Style Informatique.