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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 10 février 2021, n° 18/27645

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Millet Mountain Group (SAS)

Défendeur :

Melrose Studio (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Dallery

Conseillers :

M. Gilles, Mme Depelley

Avocats :

Me Bellichach, Me Favier, Me Boccon-Gibod, Me Skeif

T. com. Lyon, du 19 nov. 2018, n° 2017J1…

19 novembre 2018

FAITS ET PROCÉDURE :

La SAS Millet Mountain group, anciennement Eider, est un concepteur et fabricant de vêtements de sport et de loisirs en montagne.

La société Melrose Studio (ci-après « Melrose ») est un bureau de style, qui propose à ses clients des croquis de mode, logos et autres dessins pour le marché de la mode.

Dans le cadre et pour les besoins de son activité, la société Millet Mountain group a chargé la société Melrose, depuis 1996, de l'assister dans la recherche de tendances en vue de la création de ses produits.

Cette collaboration, ayant pris la forme de contrats de prestation de services, a pris fin à l'issue d'un contrat signé en 2015, portant sur la saison été 2017 et hiver 2017/2018.

Invoquant une rupture brutale des relations commerciales établies, la société Melrose a assigné, le 13 juillet 2017, la société Millet devant le tribunal de commerce de Lyon.

C'est dans ces conditions que le tribunal de commerce de Lyon, par un jugement du 19 novembre 2018, a :

- Dit que la société Millet Mountain group a rompu sans préavis la relation commerciale établie avec la société Melrose Studio ;

- Condamné la société Millet Mountain Group à payer à la société Melrose Studio la somme de 86 567 euros au titre de l'indemnité de rupture des relations commerciales établies ;

- Rejeté la demande en réparation d'un préjudice occasionné par l'emploi et la rupture conventionnelle de sa salariée « X » ;

- Débouté les parties du surplus de leurs demandes, comme étant mal fondées ;

- Ordonné l'exécution provisoire ;

- Condamné la société Millet Mountain Group à verser la somme de 4 000 euros à la société Melrose Studio au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamné la société Millet Mountain Group aux entiers dépens de l'instance.

Vu les dernières conclusions notifiées et déposées le 29 juillet 2019 par la société Millet Mountain group, par lesquelles il est demandé à la Cour de :

Vu les dispositions de l'article L. 442-6, I, 5° ancien du code de commerce,

- Dire son appel recevable et bien fondé ;

Y faisant droit :

- Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la société Melrose Studio de sa demande en réparation d'un préjudice occasionné par l'emploi et la rupture conventionnelle de sa salariée «X» ;

- Le réformer pour le surplus ;

Statuant à nouveau :

- Dire que les demandes de la société Melrose Studio sont autant irrecevables que mal fondées et, en conséquence, les rejeter ;

- Condamner la société Melrose Studio au règlement de la somme de 12 000 euros au visa des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers frais et dépens de l'instance de première instance et d'appel.

Vu les dernières conclusions notifiées et déposées le 28 mai 2019 par la société Melrose Studio, par lesquelles il est demandé à la Cour de :

Vu l'ancien article L. 442-6, I, 5° et le nouvel article L. 442-1 du code de commerce,

Vu l'ancien article 1162 du code civil,

Vu les articles 699, 700 et 900 et suivants du code de procédure civile,

Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :

- Constaté l'existence de relations commerciales établies entre les parties ;

- Constaté la rupture brutale des relations commerciale établies ;

- Condamné la société Millet Mountain group (anciennement Eider) à lui verser la somme 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, et aux dépens ;

Infirmer le jugement en ce qu'il a :

- Limité le montant de la condamnation de la société Millet à la somme de 86 567 euros,

Statuant à nouveau :

- Condamner la société Millet Mountain Group (anciennement Eider) à lui payer la somme de 153 790,63 euros en réparation de son entier préjudice ;

- Condamner la société Millet Mountain Group (anciennement Eider) à lui payer la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, dépens en sus.

SUR CE

LA COUR

- Sur l'existence d'une rupture brutale de relations commerciales établies

L'appelante soutient que l'article L. 442-6 du code de commerce est inapplicable en l'espèce, dans la mesure où les parties se sont contentées de conclure successivement des contrats à durée déterminée qui n'ont jamais été tacitement reconduits, de sorte qu'aucune prévisibilité quant à la poursuite ou non de la relation ne pouvait en résulter.

Le tribunal de commerce a considéré, au contraire, que la succession des contrats de collaboration, depuis 1996 jusqu'au dernier établi le 1er juillet 2015 pour la collection été 2017 et hiver 2017-2018, caractérisait une relation commerciale établie.

La société Melrose studio fait valoir ou soutient, à l'appui de la confirmation du jugement entrepris sur ce point, que :

- une succession de contrats ponctuels peut être suffisante pour caractériser une relation commerciale établie même en l'absence d'accord cadre ;

- il suffit que la relation présente un caractère suivi, stable et habituel et que la victime de la rupture brutale ait pu raisonnablement anticiper pour l'avenir une certaine continuité du flux d'affaires avec son partenaire commercial ;

- il n'y a jamais eu de mise en compétition avec des concurrents préalablement à la souscription des contrats ;

- l'absence de prévisibilité légitime de poursuite de la relation ne peut donc pas être valablement soutenue en présence d'une collaboration dont le succès est démontré et qui a été réitérée chaque année pendant vingt ans ;

- elle commençait toujours son travail sur la nouvelle collection sans contrat par des recherches de tendances pendant 3 à 4 semaines incluant des voyages à l'étranger et c'est seulement à la suite, lors de réunions de compte rendu, que les détails contractuels étaient arrêtés ;

- la société Millet Mountain group transmettait pour signature par voie postale les exemplaires du contrat qu'elle prenait soin de dater du jour de l'envoi et de régulariser ;

- par exemple pour la collection été 2015, pour un contrat signé le 1er octobre 2013 par l'appelante, la première réunion avait eu lieu le 18 septembre 2013 après plusieurs semaines de recherche en amont ;

- le cas du contrat signé le 30 septembre 2014 présente des caractéristiques similaires, avec un nécessaire travail préalable à la première réunion du 29 septembre ;

- ces éléments démontrent la souplesse du rapport contractuel et la confiance entre les parties.

Sur ce :

Il n'y a pas eu en l'espèce d'accord cadre liant les parties, mais seulement des contrats, qui se sont succédés au fil du temps.

Il n'y a en l'espèce aucune convention globale susceptible d'être interprétée en faveur de la société Melrose.

Les contrats ayant lié les parties depuis 1996 sont des contrats de collaboration artistique, conclus à durée déterminée pour une ou deux saisons particulières ou pour une collection particulière, sans possibilité de reconduction à l'issue de la réalisation des travaux commandés.

Afin de déterminer si, à l'issue du dernier contrat, la société Melrose était en situation de raisonnablement prévoir qu'elle serait de nouveau sollicitée pour les saisons suivantes, il importe considérer la nature des informations échangées entre les partenaires.

Or, il est établi que cet arrêt des commandes, loin d'avoir pu surprendre la société Melrose, avait été explicitement évoqué entre les parties dès avant la conclusion du dernier contrat, lequel s'est d'ailleurs inscrit dans une modification de la demande à l'égard du collaborateur artistique, puisque le donneur d'ordre, affirmant son légitime pouvoir de maîtrise du processus créatif, a souhaité adopter un fonctionnement de collaboration différent avec son partenaire et a altéré le rythme des contrats qui avait été pratiqué depuis plusieurs années, sans que cela puisse lui être valablement reproché dans le cadre de la présente instance.

En effet, alors qu'il y avait eu, depuis 2009, deux contrats par an, un pour la collection d'été signée en septembre de l'année n-2 et l'autre pour la collection d'hiver signé en février ou mars de l'année n-1, il n'y a pas eu de contrat entre celui du 30 septembre 2014, afférent à la collection d'été 2016, et celui du 1er juillet 2015, afférent aux collections d'été 2017 et d’hiver 2017/2018 ensemble.

Il importe peu qu'avant 2009 il soit arrivé certaines années, qu'un seul contrat ne soit signé pour les collections d'été et d'hiver, et non deux.

S'agissant du dernier contrat - au rebours de ce que fait valoir la société Melrose Studio pour 2014 et 2015 afin d'illustrer la souplesse contractuelle et la confiance entre parties dont elle se prévaut - il y eut un unique contrat signé le 1er juillet 2015, portant à la fois sur la collection été 2017 et la collection hiver 2017/2018.

Et encore, non seulement le rythme des contrats a-t-il été altéré, mais le processus de collaboration artistique a lui aussi été profondément modifié.

En effet, pour la collection été 2017, le jour de la signature du contrat a été également celui d'un « brief », suivi d'un premier rendez-vous le 8 juillet, presqu'immédiatement suivi d'une tournée sur salon effectuée en commun en semaine 29, avec enfin un « deuxième et dernier rendez-vous » sur 2 jours les 3 et 4 septembre.

Pour la collection hiver 2017/2018, un processus semblable a été instauré avec un « brief » en semaine 49 de 2015, suivi d'un premier rendez-vous de tendances/couleurs en semaine 3 de janvier 2016 pour valider la direction, suivi d'une tournée commune sur salon en janvier et de deux rendez-vous en février 2015.

A titre de comparaison, pour la collection d'été 2016 le contrat du 30 septembre 2014 avait donné lieu à une présentation par le prestataire, concomitante à la signature, des tendances et gammes couleurs, suivie début octobre de la proposition de direction de style, de concept et de « trim » avec shopping comme support, suivi mi-octobre de la proposition de tendances de graphisme et d'imprimé.

Toujours à titre de comparaison, le contrat du 23 février 2014 pour la collection d'hiver 2015/2016 avait donné lieu à la présentation concomitante des tendances, suivie début mars de la finalisation de la sélection des matières et de la présentation des gammes de couleurs, suivie mi-mars de la remise de 60% des croquis, suivie début avril de la remise du solde des croquis, suivie mi-mai des essayages de prototypes.

Or, l'ensemble de ces modifications s'est inscrit dans le cadre d'explications données par le donneur d'ordre au collaborateur artistique, qui a formellement averti celui-ci du caractère précaire de la relation commerciale.

C'est ainsi que par lettre du 23 juin 2015, le donneur d'ordres, en même temps qu'il a communiqué pour signature le dernier contrat, a indiqué expressément qu'il souhaitait pouvoir mettre un terme au partenariat, à l'issue de l'achèvement des prestations définie par ce contrat, si le nouveau fonctionnement testé ne lui donnait pas satisfaction.

L'attestation circonstanciée de Mme Y corrobore qu'en plus des travaux pour la collection hiver 2017/2018, il n'y a eu aucun travail effectué d'accord entre les parties pour la saison été 2018, le principe de la fin de la collaboration ayant été préalablement posé.

Il résulte de ces éléments que la Cour ne peut qualifier de rupture brutale de relations commerciales établies le fait que la société Millet Mountain group n'ait plus sollicité la société Melrose pour les collections postérieures à l'été 2018.

Le jugement entrepris sera donc réformé en ce qu'il a alloué une indemnité à la société Melrose sur le fondement de la rupture brutale de relations commerciales établies.

La société Melrose doit en effet être déboutée de toute demande à ce titre.

- Sur les autres prétentions et les frais

Le jugement entrepris sera donc réformé, sauf en ce qu'il a débouté la société Melrose de sa demande contre la société Millet Mountain group concernant Mme Z.

La société Melrose, qui succombe, sera condamnée aux dépens et, en équité, versera à la société Millet Moutain group une somme au titre de l'article 700 du code de procédure civile qui sera précisée au dispositif du présent arrêt.

PAR CES MOTIFS

Statuant dans le cadre de l'appel,

Réforme le présent arrêt, sauf en ce qu'il a débouté la société Melrose Studio de sa demande au titre du préjudice relatif à Mme X,

Statuant de nouveau sur les chefs réformés :

Déboute la société Melrose Studio de sa demande au titre de la rupture brutale de relations commerciales établies,

Déboute la société Melrose Studio du surplus de ses demandes,

Condamne la société Melrose Studio à payer à la société Millet Mountain group une somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la société Melrose Studio aux entiers dépens de première instance et d'appel,

Rejette toute autre demande.