Cass. crim., 17 février 2021, n° 19-84.310
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Soulard
Rapporteur :
M. Wyon
Avocat général :
M. Petitprez
Avocats :
SCP Piwnica et Molinié, SCP Baraduc, Duhamel et Rameix
Faits et procédure
1. Il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. Le 14 février 2018, le rapporteur général de l’Autorité de la concurrence, à la suite d’une demande de l’Autorité belge de la concurrence fondée sur l’article 22 du règlement 1/2003 du Conseil du 16 décembre 2002, a donné instruction à ses services d’effectuer une enquête tendant à vérifier l’existence de pratiques prohibées par les articles L. 420-1 du code de commerce et 101-1 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne susceptibles d’être relevées dans le secteur de la distribution des produits cosmétiques de marque X.
3. Arguant d’un faisceau d'indices laissant présumer l'existence d'un système d'ententes verticales susceptibles de relever de la pratique prohibée par l'article L. 420-1, 2°, du code de commerce, et par l'article 101-1 du TFUE, l’Autorité de la concurrence a saisi le juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de Paris d’une requête aux fins de se voir délivrer, en application de l'article L. 450-4 du code de commerce, une ordonnance d’autorisation de visites et de saisies dans les locaux de l'entreprise X à Paris (75), <adresse 1> et <adresse 2>, et à <adresse 3> (45), ainsi que des sociétés du même groupe sises aux mêmes adresses.
4. Par ordonnance du 20 février 2018, le juge des libertés et de la détention a autorisé le rapporteur général de l'Autorité de la concurrence à procéder, dans les locaux de la société X, aux visites et saisies prévues dans le secteur concerné.
5. Les opérations de visites et de saisies se sont déroulées le 27 février.
6. La société X a formé un recours contre cette décision.
Examen des moyens
Sur le second moyen, pris en ses deuxième, troisième et quatrième branches
7. Les griefs ne sont pas de nature à permettre l’admission du pourvoi au sens de l’article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le premier moyen
Énoncé du moyen
8. Le moyen critique l’ordonnance attaquée en ce qu’elle a confirmé en toutes ses dispositions l’ordonnance du juge des libertés et de la détention de Paris en date du 20 févier 2018 ayant autorisé les opérations de visites et saisies, telles que demandées par l’Autorité de la concurrence, alors :
« 1°) que la condition d’affectation du commerce entre Etats membres, à laquelle est subordonnée l’application des dispositions du règlement n° 1/2003 du Conseil du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 et 82 du Traité, ne se confond pas avec l’objet et l’étendue de la mesure d’enquête ; que l’Autorité de la concurrence, saisie, sur le fondement de l’article 22, § 1, de ce règlement, par l’Autorité belge de la concurrence d’une demande de perquisition au siège social de la société X à Paris, aux fins de rechercher des éléments de preuve d’une pratique de prix minimum de revente imposés aux distributeurs de la société actifs ou établis en Belgique, a sollicité du juge des libertés et de la détention, une autorisation d’opération de visites et saisies dans différents locaux de la société et aux fins de rechercher des éléments de preuve d’une pratique de prix minimum de revente imposés aux distributeurs de la société, sans limitation géographique ; qu’en ce qu’il s’est fondé, pour dire que l’Autorité de la concurrence, n’avait pas excédé les termes de la requête adressée par son homologue belge, sur le constat selon lequel « la demande adressée à l’Autorité de la concurrence faisait donc expressément référence à la possibilité que la pratique anticoncurrentielle dont l’entreprise X est suspectée (…) affecte plusieurs pays de l’Union européenne dont la France », quand cette circonstance, si elle justifiait l’application du règlement et habilitait, en conséquence, l’Autorité belge de la concurrence à demander l’exécution d’une mesure d’instruction, était impropre à caractériser l’objet et l’étendue de la mesure demandée, le premier président a méconnu les articles 6, 8, 13 et 14 de la Convention européenne des droits de l’homme, 12 et 22, § 1, du règlement (CE) n° 1/2003 du Conseil du 16 décembre 2002, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
2°) que l’article 22, § 1, du règlement (CE) n° 1/2003 du Conseil du 16 décembre 2002, seul applicable lorsque une autorité nationale de concurrence sollicite d’une autorité de la concurrence d'un autre État membre l’exécution, sur son territoire, d’une mesure d’inspection ou de toute autre mesure d’enquête, n’habilite l’autorité requise qu’à exécuter, en application de son droit national, « au nom et pour le compte de l'autorité de la concurrence » requérante, la mesure d’instruction sollicitée ; que le juge, saisi d’une demande d’autorisation de visites et saisies, à la suite de la requête émise par une autorité de la concurrence d’un autre Etat membre, doit rechercher, au regard de l’objet et de l’étendue de la mesure d’instruction, telle que sollicitée par l’autorité de la concurrence étrangère et au regard des éléments de preuve communiqués par cette dernière, si la demande qui lui est soumise par l’autorité requise est fondée ; qu’en se bornant, pour dire que l’autorité de la concurrence française, n’avait pas excédé les termes de la requête adressée par son homologue belge, à relever, de manière inopérante, que la pratique suspectée était susceptible d’avoir des effets dans plusieurs pays de l’Union européenne, sans rechercher, au regard des « objectifs recherchés de la mesure », tels que mentionnés dans la demande d’assistance, quelle était l’étendue des opérations de visites sollicitées et les éléments de preuve recherchés, le premier président a encore méconnu les textes susvisés ;
3°) qu’il n’appartient ni à l’autorité nationale de la concurrence requise, ni au juge du for, auquel la demande d’autorisation des opérations de visites et saisies est soumise, de contrôler l’utilité, la pertinence ou encore le caractère suffisant de la mesure d’instruction sollicitée par l’autorité de la concurrence d’un autre Etat membre dans le cadre de sa propre enquête pour, éventuellement, la modifier et transmettre des éléments qui n’étaient pas demandés ; que l’Autorité belge de la concurrence a sollicité la recherche des documents concernant les décisions et instructions données par les employés de la société X visant l’imposition éventuelle d’un prix de revente minimum à ses distributeurs établis ou actifs en Belgique ; qu’en affirmant cependant, pour confirmer l’ordonnance entreprise ayant autorisé la recherche de telles décisions et instructions à tous les distributeurs de la société, quel que soit le lieu où ils sont établis ou actifs, que « limiter le champ d’enquête à un seul pays ne serait pas pertinent », le premier président a excédé ses pouvoirs et méconnu les textes susvisés ;
4°) que l’autorité nationale de la concurrence qui exécute, sur le fondement de l’article 22, § 1, du règlement n° 1/2003, une mesure d’instruction, à la demande d’une autorité nationale de la concurrence d’un autre Etat membre, agit « au nom et pour le compte » de cette dernière, sans pouvoir modifier l’objet ou l’étendue de la mesure sollicitée ; que l’Autorité belge de la concurrence a demandé, sur le fondement du texte susvisé, l’exécution d’ « une perquisition au siège de la société X SAS, situé <adresse 1> », précisant que « les documents recherchés concernent les décisions prises et les instructions données par les employés de X SAS notamment aux employés de la société X Belgique (ainsi que les discussions et décisions prises en interne par la société X Belgique) concernant l’imposition éventuelle d’un prix de revente minimum à ses distributeurs établis ou actifs en Belgique, d’instructions éventuelles de blocages de commandes en cas de non-respect de ces prix, et des discussions et décisions relatives à la rupture du contrat liant la société X SAS à certains distributeurs pour non-respect de prix de revente minimum » ; qu’en confirmant cependant l’ordonnance ayant autorisé « la recherche de la preuve des agissements qui entrent dans le champ des articles L. 420-1, 2°, du code de commerce et 101-1 a) TFUE, dans le secteur de la distribution des produits cosmétiques X, ainsi que toute manifestation de cette concertation prohibée », dans les locaux de l’entreprise X « <adresse 1> et <adresse 2> Paris et <adresse 3>, et des sociétés du même groupe sises aux mêmes adresses », le premier président a derechef méconnu les dispositions susvisées. »
Réponse de la Cour
9. Pour écarter le moyen qui soutenait que l’Autorité de la concurrence avait excédé les termes de la demande adressée par son homologue belge, l’ordonnance attaquée énonce que la requête de l’Autorité de la concurrence faisait suite à une demande d'assistance de l'Autorité belge de la concurrence sur le fondement de l'article 22, § 1, du règlement n° 1/2003, qui spécifiait que le marché des produits concerné est celui de la vente en gros de produits dermo-cosmétiques, que l’Autorité belge de la concurrence a des indications selon lesquelles le marché géographique comprend au moins la Belgique, que les pratiques de la société X semblent concerner l'ensemble de ses distributeurs sélectifs, y compris les distributeurs sélectifs présents en ligne, et qu’il apparaît crédible que le comportement supposé ait un effet sur le commerce inter-étatique, puisque le plaignant vend ses produits en Belgique, mais également dans d'autres pays de l'Union européenne, notamment en France.
10. Le premier président ajoute que la demande adressée à l'Autorité de la concurrence faisait donc expressément référence à la possibilité que la pratique anticoncurrentielle dont l'entreprise X est suspectée, à savoir la mise en place d'un système d'ententes verticales contraignant les revendeurs agréés à appliquer une remise maximale de 10 % sur le prix d'achat hors taxe, susceptible de relever de l'application des articles L. 420-1,2°, du code de commerce et 101-1 du TFUE, affecte plusieurs pays de l'Union européenne, dont la France.
11. Il retient que par ailleurs, le commerce en ligne, dont il est ici aussi question, se caractérise par la possibilité de réaliser des transactions au-delà des frontières nationales, de sorte que limiter le champ d'enquête à un seul pays ne serait pas pertinent, et conclut qu'il ne saurait être valablement soutenu que l’Autorité de la concurrence est allée au-delà des termes de la demande que l’Autorité belge de la concurrence lui a adressée.
12. En prononçant ainsi, et dès lors que lorsque l’Autorité de la concurrence, lorsqu’elle agit pour l’application de l'article 22 du règlement 1/2003 du Conseil du 16 décembre 2002, n’est pas pour autant privée des pouvoirs propres qu’elle tient des dispositions des articles L. 450-1 du code de commerce, qui lui permettent d’enquêter sur d’éventuelles irrégularités commises en France, et qu’elle avait ouvert une enquête sur l'existence d'un système d'ententes verticales susceptibles de relever de la pratique prohibée par l'article L. 420-1, 2°, du code de commerce et l'article 101-1 du TFUE, qui lui permettait de demander au juge des libertés et de la détention les mesures de visites et de saisies contestées, le premier président a justifié sa décision sans méconnaître les textes visés au moyen.
13. Ainsi, le moyen doit être écarté.
Sur le second moyen, pris en sa première branche
Énoncé du moyen
14. Le moyen critique l’ordonnance attaquée en ce qu’elle a confirmé en toutes ses dispositions l’ordonnance du juge des libertés et de la détention de Paris en date du 20 février 2018 ayant autorisé les opérations de visites et saisies, telles que demandées par l’Autorité de la concurrence, alors :
« 1°) que les termes de l’autorisation de visites et saisies donnée ne peuvent excéder la portée de l’infraction pouvant être suspectée sur le fondement des indices examinés ; qu’en affirmant, pour confirmer l’ordonnance du juge des libertés et de la détention, ayant autorisé des opérations de visites et saisies dans les locaux de la société X aux fins de rechercher, sans autre limitation, la preuve d’une pratique de prix de revente imposés par la société à ses distributeurs, qu’il découle des éléments communiqués par l’Autorité belge de la concurrence, qu’ « il peut être présumé que l’entreprise X exerce une pression sur ses distributeurs, notamment ceux déployant leur activité en ligne, afin de les obliger à appliquer les prix de revente établis par elle » et que « c’est donc à bon droit que le juge des libertés et de la détention de Paris a, à partir des éléments soumis à son examen et selon la méthode dite « du faisceau d’indices », estimé qu’il existait des présomptions simples selon lesquelles l’entreprise X violerait les articles L. 420-1, 2°, du code de commerce et 101-1 du TFUE, justifiant l’autorisation d’une visite domiciliaire », quand ces indices, visant exclusivement les relations existant entre la société X et des distributeurs établis ou actifs en Belgique, ne permettaient pas de présumer d’une pratique de prix de revente imposés par la société à ses distributeurs établis ou actifs en France, partant d’autoriser des opérations de visites et saisies en vue de rechercher la preuve d’une telle pratique au sein du réseau français de distribution de la société, le premier président a méconnu les articles 7 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, 6, 8, 13 et 14 de la Convention européenne des droits de l’homme, L 450-4 du code de commerce, 591 et 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
15. Pour écarter le moyen qui soutenait que les indices soumis au juge des libertés et de la détention ne lui permettaient pas de présumer l’existence des pratiques critiquées au sein du réseau français, l’ordonnance attaquée énonce qu'en l'espèce, la requête était accompagnée de trente pièces, dont il est spécifié qu'elles ont une origine apparemment licite, parmi lesquelles figurent un mail en date du 25 mai 2017 du Managing Director de Nuxe se plaignant d'une concurrence agressive sur les prix de vente en ligne des produits Nuxe, contrairement aux produits X, un échange de mails dont il ressort qu'une commande d'un pharmacien distributeur, l'entreprise belge Newpharma, a été bloquée en raison d'une promotion de moins 20 % octroyée par cette dernière et que, pour débloquer cette commande, Newpharma a dû relever son prix de vente au tarif recommandé par la société X, une lettre recommandée de la société X en date du 30 juin 2017 signifiant à Newpharma la fin du contrat de distribution sélective pour son point de vente au 31 décembre 2017, après une action de promotion à moins 15 % sur les produits X organisée par cette dernière en juin 2017, et une lettre adressée à la société X du 15 janvier 2018 faisant état du blocage des commandes effectuées les 15 et 20 décembre 2017, alors que Newpharma était toujours sous contrat.
16. Le premier président relève qu'il découle de l'ensemble de ces éléments qu'il peut être présumé que l'entreprise X exerce une pression sur ses distributeurs, notamment ceux déployant leur activité en ligne, afin de les obliger à appliquer les prix de revente établis par elle.
17. Il ajoute notamment que les pièces fournies par l’Autorité belge de la concurrence et annexées à la requête permettent de présumer que la pratique prohibée suspectée pourrait être mise en place à partir du siège social de la société X.
18. En statuant ainsi, le premier président, qui s'est référé, en les analysant, aux éléments d'information fournis par l'administration, a souverainement apprécié le caractère suffisant des présomptions d'agissements illicites, laissant soupçonner que la société X se livrait à des pratiques prohibées visant à imposer à ses distributeurs des prix de revente, y compris depuis la France ou sur le territoire français, et a justifié sa décision sans méconnaître les textes visés au moyen.
19. Dès lors, le moyen n’est pas fondé.
20. Enfin, en l'absence de doute raisonnable quant à l'interprétation du droit de l'Union européenne sur les questions soulevées par les moyens, qui ne mettent en cause que les pouvoirs propres de l’Autorité française de la concurrence, il n'y a pas lieu de saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle.
21. Par ailleurs l'arrêt est régulier en la forme.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi.