Cass. 1re civ., 17 février 2021, n° 19-20.935
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
PARTIES
Demandeur :
Fleurance
Défendeur :
IDEOJ Avocats
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Batut
Rapporteur :
Mme Le Gall
Avocats :
Me Balat, SARL Matuchansky, Poupot et Valdelièvre, Mme Le Gall
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Grenoble, 2 juillet 2019), le 14 décembre 2017, M. Fleurance, avocat associé au sein de la société BDLG Solfiges, a démissionné. Le 28 février 2018, l'assemblée générale des associés a pris acte de sa démission et accepté qu'elle prenne effet le jour-même.
2. En l'absence d'accord sur la reprise de certains dossiers, M. Fleurance a saisi le bâtonnier de l'ordre des avocats au barreau de Vienne de diverses demandes dont la nullité de la clause de non-concurrence du pacte d'associés conclu le 24 octobre 2012.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
3. M. Fleurance fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes, alors « que le juge ne peut interpréter les clauses claires et précises d'un contrat à peine de dénaturation ; qu'en affirmant que « rien dans la rédaction de la clause [du pacte d'associés conclu le 24 octobre 2012 par les parties] n'interdit aux clients de la société BDLG Sofiges de suivre l'avocat de leur choix et de conserver Jean-Yves Fleurance comme conseil », cependant que cette clause stipule que « Monsieur Jean-Yves Fleurance ne pourra, sans l'accord écrit de la société, succéder à celle-ci dans les dossiers ou travaux en cours », de sorte que les clients de la société BDLG Sofiges ne sont évidemment pas libres de suivre l'avocat de leur choix et de conserver M. Fleurance comme conseil, puisque ce choix est en réalité exercé par la société BDLG Sofiges dans le cadre de la clause précitée, la cour d'appel a dénaturé le sens de la convention conclue par les parties, violant ainsi l'article 1192 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu l'obligation pour le juge de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis :
4. Pour déclarer régulière la clause aux termes de laquelle M. Fleurance ne pourra, sans l'accord écrit de la société, succéder à celle-ci dans les dossiers et travaux en cours, l'arrêt énonce que rien n'interdit aux clients de la société BDLG Sofiges de suivre l'avocat de leur choix et de conserver M. Fleurance comme conseil.
5. En se prononçant ainsi, alors que cette clause soumet la succession de l'avocat, ancien associé, dans les dossiers ou travaux en cours, à l'accord écrit de la société, la cour d'appel en a dénaturé les termes clairs et précis, violant le principe susvisé.
Et sur le moyen, pris en sa deuxième branche
Enoncé du moyen
6. M. Fleurance fait le même grief à l'arrêt, alors « qu'une clause de non-concurrence stipulée par un cabinet d'avocats ne peut porter atteinte à la liberté de choix de l'avocat par son client ; qu'en l'espèce, la clause litigieuse stipule que « Monsieur Jean-Yves Fleurance ne pourra, sans l'accord écrit de la société, succéder à celle-ci dans les dossiers ou travaux en cours » ; que, dans ses écritures d'appel, M. Fleurance faisait valoir qu'exiger l'accord écrit de la société BDLG Sofiges préalablement à la reprise des dossiers constituait une atteinte excessive à la liberté de choix du client, puisque ce dispositif avait pour conséquence, en cas de refus de la société, d'interdire au client de le choisir comme conseil ; qu'en affirmant pourtant qu'une telle clause ne portait pas une atteinte excessive à la liberté de choix de l'avocat, cependant que cette clause ne constituait pas seulement une clause de non-sollicitation de la clientèle, mais qu'elle interdisait à M. Fleurance, « sans l'accord écrit de la société », d'assister les clients de la société BDLG Sofiges dans le cadre de dossiers que ceux-ci auraient pu souhaiter lui confier, ce qui revenait à interdire à ces clients de le choisir librement comme conseil, la cour d'appel a violé l'article 1134 ancien du code civil applicable en la cause, ainsi que le principe de la liberté de choix de la clientèle. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance no 2016-131 du 10 février 2016, et le principe de la liberté d'exercice de la profession d'avocat :
7. Pour déclarer régulière la clause litigieuse, l'arrêt énonce qu'elle a pour seul objet de prémunir la société BDLG Sofiges contre une cession de clientèle dont le prix ne serait pas payé.
8. En statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté que la clause litigieuse prévoyait que M. Fleurance ne pouvait, sans l'accord écrit de la société, succéder à celle-ci dans les dossiers ou travaux en cours, ce dont il se déduisait que cette clause portait une atteinte excessive à la liberté de choix de l'avocat par le client, la cour d'appel a violé les texte et principe susvisés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres branches du moyen,
La Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 2 juillet 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Grenoble ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Lyon ;
Condamne la société BDLG Sofiges, nouvellement dénommée IDEOJ avocats, aux dépens ; En application de l'article 700 du code de procédure civile,
Rejette les Demandes.