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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 10 février 2021, n° 19/02025

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Schnoeller (SARL)

Défendeur :

Tereos Starch & Sweeteners Europe (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Dallery

Conseillers :

M. Gilles, Mme Depelley

T. com. Nancy, du 7 sept. 2018

7 septembre 2018

FAITS ET PROCÉDURE :

Vu le jugement rendu le 7 novembre 2018 par le tribunal de commerce de Nancy qui a :

- condamné la société Tereos Syral à payer à la société Schnoeller la somme de 3 295 euros avec intérêts au taux légal à compter du 11 février 2016,

- débouté la société Schnoeller du surplus de ses demandes,

- condamné la société Tereos Syral aux dépens et à payer à la société Schnoeller la somme de 2 000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile,

- autorisé l'exécution provisoire du jugement ;

Vu l'appel interjeté par la société Schnoeller et ses dernières conclusions notifiées le 9 novembre 2020 par lesquelles elle demande à la cour, au visa de l'article L 442-6 du code de commerce et de l'article 1134 du code civil, de :

1) confirmer le jugement en ce qu'il a :

- reconnu l'existence d'une relation commerciale établie entre les parties,

- reconnu la survenance d'une rupture brutale et abusive de la société Tereos Syral à son encontre,

- fait application de l'article L 442-6-1 5° du code de commerce et accordé un droit à réparation,

- fait courir les intérêts au taux légal sur la condamnation à compter du 11 février 2016, date de l'assignation,

- condamné la société Tereos Syral aux dépens et au paiement de la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour la première instance,

2) infirmer le jugement pour le surplus et faisant usage de son pouvoir d'évocation :

- fixer à 24 mois le préavis suffisant au regard de la durée de la relation commerciale mais également des caractéristiques de spécifiques des deux partenaires et de la relation commerciale,

- condamner la société Tereos Syral à lui payer :

Une somme comprise entre 33 243 € et 99 848 €, « ou tout montant considéré comme pertinent par les juges », à titre de dommages-intérêts, au titre de la rupture brutale et abusive,

la somme de 30 000 euros, à titre de dommages-intérêts, pour préjudice moral,

- qualifier de fautif le refus de la société Tereos Syral de payer la TVA normalement applicable en France,

- condamner la société Tereos Syral à lui payer la somme de 1 201 euros au titre du préjudice subi, avec intérêts au taux légal à compter du jugement à intervenir,

- débouter la société Tereos Syral de son appel incident et de ses demandes,

3) en tout état de cause, condamner la société Tereos Syral aux dépens de la procédure d'appel et au paiement de la somme de 2 500 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel ;

Vu les dernières conclusions notifiées le 29 mai 2020 par la société Tereos Starch and Sweeteners Europe, précédemment dénommée Tereos Syral, ci-après la société Tereos, qui demande à la cour, au visa des articles L 442-6-1 5° du code de commerce et 1134 du code civil dans leurs rédactions applicables aux faits de l'espèce, de :

1) réformer le jugement en ce qu'il :

- a retenu l'existence d'une relation commerciale établie entre les parties et condamné la société Tereos à payer la somme de 3 295 euros pour rupture brutale,

- condamné la société Tereos au paiement de la somme de 2 000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile,

2) confirmer le jugement en ce qu'il a débouté la société Schnoeller :

- de sa demande indemnitaire de 30 000 euros pour préjudice moral,

- de sa demande indemnitaire de 1 201 euros pour faute contractuelle de facturation,

3) débouter la société Schnoeller de toutes ses demandes et la condamner à lui payer la somme de 2 000 euros en cause d'appel au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

4) subsidiairement, si la cour retenait l'existence d'une relation commerciale établie entre les parties :

- confirmer le jugement en ce qu'il a fixé à 5 mois la durée du préavis suffisant,

- fixer à 1 137,70 euros le montant de l'indemnité de brusque rupture due à la société Schnoeller,

5) plus subsidiairement encore, confirmer le jugement déféré en ce qu'il a fixé ce montant à la somme de 3 295 euros.

SUR CE, LA COUR

Depuis 1995, la société Tereos Starch and Sweeteners Europe, anciennement dénommée Sereos Syral, (ci-après la société Tereos) exerce une activité de fabrication de produits amylacés à Marckolsheim dans le Bas-Rhin ; elle a confié diverses missions à la société Schnoeller, située dans la même localité et qui a pour activité, notamment, le transport et l'ambulance en véhicules de transports légers.

Par lettre de son conseil du 26 novembre 2013, la société Schnoeller s'est plainte d'une rupture brutale de la relation commerciale établie intervenue en juillet 2013, s'estimant fondée à réclamer la somme de 28.332 € en réparation du préjudice subi.

La société Tereos a répondu, par lettre du 18 décembre 2013, qu'elle avait pris la décision d'arrêter sa collaboration avec la société Schnoeller au mois d'août dernier après avoir été informée de l'ouverture d'une information judiciaire pour escroquerie et travail dissimulé à l'encontre des dirigeants de cette société, mais qu'après ré-examen du dossier elle se déclarait prête à reprendre les relations commerciales sans délai.

Par lettre du 29 août 2014, faisant valoir que la société Tereos n'avait pas repris ses commandes depuis sa lettre du 18 décembre 2013, la société Schnoeller a déclaré prendre acte de la rupture brutale et abusive des relations.

Des échanges entre les parties en vue d'un accord amiable n'ayant pas abouti, la société Schnoeller a, le 11 février 2016, fait assigner la société Tereos devant le tribunal de commerce de Nancy afin d'obtenir des dommages-intérêts.

Le tribunal, par le jugement déféré, a condamné la société Tereos au paiement de la somme de 3 295 euros, à titre de dommages-intérêts et rejeté le surplus des demandes de la société Schnoeller.

Sur les demandes de dommages-intérêts pour rupture brutale et abusive de la relation commerciale :

Au soutien de ses prétentions l'appelante expose :

- qu'il existait une relation commerciale établie depuis au moins 12 ans, matérialisée par des transports réguliers de diverses natures : transports d'échantillons, de documents et de personnes,

- que son chiffre d'affaires annuel moyen avec la société Tereos a été de 10 312 euros sur 10 ans et de 18 888 euros sur les trois dernières années,

- que la durée effective de la relation a été de 18 ans, et même 23 ans, comme ayant débuté avec la société fondatrice Jungbunzlauer et s'étant poursuivie au profit d'une autre société du groupe Tereos, la société belge Syral Belgium, les commandes étant émises par la société Tereos pour le compte de la société mère,

- que la société Tereos a rompu la relation sans notification écrite ni préavis, ni motivation, c'est à dire de manière brutale et abusive,

- qu'une mise en examen de ses gérants n'établit pas leur culpabilité et que la perte de confiance invoquée par le partenaire, fondée ou non, n'est pas de nature à justifier une rupture brutale.

La société Schnoeller fait valoir qu'un préavis de 24 mois, ou à tout le moins de 18 mois, aurait dû lui être accordé ; elle évalue son préjudice à la somme minimum de 33 243 euros calculée sur la base d'un chiffre d'affaires annuel moyen de 18 888 euros et d'un taux de marge brute de 80 % ; elle ajoute que si la cour acceptait de prendre en compte la courbe de croissance des trois dernières années, l'indemnisation serait comprise entre 50 646 euros et 99 848 euros.

La société Tereos fait état d'une moindre qualité de service depuis 2012 et allègue que c'est la publication d'un article dans le journal local sur des malversations dans la gestion de la société d'ambulances de Marckolsteim qui a tari sa confiance dans sa co-contractante; cependant elle n'invoque pas, dans ses moyens en défense, celui tiré de l'existence de fautes graves qui justifierait une rupture sans préavis; en tout état de cause, elle ne démontre pas de telles fautes qui l'auraient conduites à la rupture, alors que par lettre du 18 décembre 2013, elle se déclarait prête à reprendre les relations.

L'intimée prétend que si les activités de transport développées par la société Schnoeller sont commerciales pour celle-ci, il n'en résulte pas automatiquement qu'elles le seraient pour elle-même ; elle conteste le caractère établi de la relation en soulignant les périodes de très faible activité certains mois, ce qui caractériserait selon elle un fort aléa.

Soutenant que l'appelante ne démontre pas un commencement de la relation en 1995, elle conclut à la confirmation du jugement en ce qu'il a retenu une durée de 12,5 ans et a fixé la durée du préavis à 5 mois.

Elle allègue que la demande de dommages-intérêts repose sur une moyenne de chiffres d'affaires et sur une marge qui sont contestés ; sur la base d'un chiffre d'affaires annuel de 12 688,60 €, d'un taux de marge de 22,2 % (moyenne entre le taux de 31 % pour le transport de personnes et de 13,4 % pour le fret) et d'un préavis de 5 mois, elle évalue le préjudice à la somme de 1 173,70 euros ; subsidiairement, elle conclut à la confirmation du montant de 3 295 euros fixé par le tribunal.

Il est constant que la SARL Schnoeller et la SAS Tereos ont entretenu des relations commerciales portant sur la fourniture par la première de prestations de services commandées par la seconde.

La société Tereos reconnait l'existence de relations depuis 2000; la société Schnoeller ne démontre pas l'existence de relations établies qui auraient débuté en 1995 : en effet, les éléments comptables qu'elle produit concerne des périodes postérieures à 2000; par ailleurs l'attestation rédigée par Mme S., qui précise qu'elle a travaillé pour l'entreprise Syral en tant que standardiste de 1999 à 2004 et qu'il était fait appel aux services de l'entreprise Schnoeller pour des trajets en taxi, ne suffit pas à prouver des relations commerciales établies depuis 1995.

Les chiffres d'affaires réalisés par la société Schnoeller avec la société Tereos depuis 2000, même s'ils ont présenté des fluctuations au cours des années et des mois, attestent du caractère établi de la relation depuis cette date ; l'expert-comptable de l'appelante certifie en effet que ces chiffres d'affaires HT se sont élevés à 13 910 euros en 2010, 14 388 euros en 2011 et 28 366 euros en 2012.

Cependant la société Schnoeller déclare elle-même qu'elle ne réalisait que 2 % de son chiffre d'affaires avec la société Tereos.

Au regard de ces éléments, même si les relations ont duré 13,5 mois un préavis de 5 mois était suffisant pour permettre à la société Schnoeller, qui n'a pas subi une grande désorganisation de son activité, de retrouver d'autres clients pour son activité.

La société Schnoeller justifie de ses chiffres d'affaires avec la société Tereos par les extraits de son grand livre et l'attestation de son expert-comptable ; en revanche le taux de marge de 88 % qu'elle entend voir appliquer n'est pas démontré, l'expert-comptable se bornant à déduire des chiffres d'affaires les frais de carburant ainsi que les frais d'entretien et de perte de valeur du véhicule utilisé, sans tenir compte des autres frais et charges épargnés, notamment les frais de personnel.

En appliquant au chiffre d'affaires annuel moyen de 18.888 euros calculé sur les années 2010, 2011 et 2012, une perte de marge nette qui peut être retenue de l'ordre de 40 %, pendant la période de 5 mois, le calcul aboutit à une somme de 3 148 euros très légèrement inférieure au montant retenu par le tribunal, soit 3 295 euros ; l'entier préjudice subi du fait de la brutalité de la rupture sera ainsi réparé par la somme allouée par le tribunal, avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation; la rupture ne présentant pas un caractère abusif, la société Schnoeller ne peut obtenir de dommages-intérêts sur ce fondement.

Sur la demande de dommages-intérêts pour préjudice moral

Pour demander des dommages-intérêts au titre d'un préjudice moral, la société Schnoeller prétend que la rupture s'est produite dans des conditions vexatoires et qu'elle a subi une perte d'image et de solvabilité ; elle expose en ce sens :

- que la société Tereos a bafoué le principe de la présomption d'innocence,

- qu'elle a leurré sa partenaire par une prétendue reprise de la relation en réalité jamais voulue,

- qu'elle l'a évincée du transport de marchandises alors que ce type de transport n'était pas concerné par l'enquête en cours.

Elle fait état de la souffrance que le comportement de la société Tereos a causé à ses dirigeants, du manque de considération exprimée au travers de sa proposition transactionnelle et de la gangrène inoculée par la rupture à sa réputation locale.

Mais il n'est justifié d'aucun comportement vexatoire de la société Tereos, laquelle restait libre de mettre fin à la relation commerciale établie sous réserve de respecter un préavis suffisant.

C'est par des motifs pertinents, que la cour fait siens, que le tribunal a rejeté la demande de dommages-intérêts pour préjudice moral.

Sur la demande en paiement de la somme de 1 201 euros

La société Schnoeller reproche à la société Tereos de s'être continuellement refusée à appliquer la TVA sur les prestations de transport effectuées sur le territoire français, en dépit des rappels qu'elle lui a fait de cette obligation; elle fait valoir que suite à un contrôle fiscal, elle a fait l'objet d'un redressement pour absence de facturation de la TVA, d'un montant de 1 201 euros ; elle précise prendre acte de l'absence de contestation de la faute et donc de sa reconnaissance implicite.

Mais la société Tereos conteste sa responsabilité au motif que c'est la société Schnoeller qui ne lui a pas facturé la TVA par hypothèse due.

La cour constate que l'appelante, qui avait la charge de la facturation, ne produit pas devant la cour le redressement fiscal dont elle fait état ; elle ne justifie pas non plus des rappels qu'elle aurait adressés à sa co-contractante sur l'obligation de s'acquitter de la TVA.

En conséquence, sa demande sera rejetée.

Sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile

Chaque partie, qui succombe partiellement en ses demandes, doit garder la charge de ses dépens d'appel.

Vu les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, les demandes de chacune des parties à ce titre en cause d'appel seront rejetées.

PAR CES MOTIFS

Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,

Déboute les parties de toutes leurs autres demandes,

Dit que chacune des parties conservera la charge de ses dépens d'appel.