CJUE, 7e ch., 25 février 2021, n° C-712/19
COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Novo Banco SA
Défendeur :
Junta de Andalucía
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
M. Kumin
Juges :
M. von Danwitz (rapporteur), M. Xuereb
Avocat général :
M. Szpunar
Avocats :
Me Igual Gorgonio, Me Morillo Méndez, Me Velázquez Párraga
LA COUR (septième chambre),
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 49, 56 et 63 TFUE ainsi que de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (JO 2006, L 347, p. 1, ci-après la « directive TVA »), notamment de l’article 135, paragraphe 1, sous d), et de l’article 401 de celle-ci.
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Novo Banco SA à la Junta de Andalucía (gouvernement de la communauté autonome d’Andalousie, Espagne) au sujet de l’assujettissement de cette société à un impôt sur les dépôts effectués par les clients des établissements de crédit sis en Andalousie (ci-après l’« IDECA »).
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
3 L’article 135, paragraphe 1, sous d), de la directive TVA dispose :
« Les États membres exonèrent les opérations suivantes :
[...]
d) les opérations, y compris la négociation, concernant les dépôts de fonds, comptes courants, paiements, virements, créances, chèques et autres effets de commerce, à l’exception du recouvrement de créances ».
4 Aux termes de l’article 401 de cette directive :
« Sans préjudice d’autres dispositions communautaires, les dispositions de la présente directive ne font pas obstacle au maintien ou à l’introduction par un État membre de taxes sur les contrats d’assurance et sur les jeux et paris, d’accises, de droits d’enregistrement, et, plus généralement, de tous impôts, droits et taxes n’ayant pas le caractère de taxes sur le chiffre d’affaires, à condition que la perception de ces impôts, droits et taxes ne donne pas lieu dans les échanges entre États membres à des formalités liées au passage d’une frontière. »
Le droit espagnol
5 L’article 6 de la Ley 11/2010 de medidas fiscales para la reducción del déficit público y para la sostenibilidad (loi 11/2010, portant mesures fiscales en matière de réduction du déficit public et de durabilité) de la communauté autonome d’Andalousie, du 3 décembre 2010 (BOE no 314, du 27 décembre 2010, p. 107193, ci-après la « loi 11/2010 ») a instauré l’IDECA. Cet article prévoit :
« [...]
2. Nature et objet de l’impôt
L’[IDECA] est un impôt propre à la communauté autonome d’Andalousie, à caractère direct, qui, dans les termes prévus par la présente loi, grève les établissements mentionnés au paragraphe 5 du présent article du fait de la détention de dépôts effectués par des clients.
3. Fait générateur
Le fait générateur de l’[IDECA] est la détention de dépôts effectués par des clients, assortis d’une obligation de restitution.
[...]
5. Assujettis
(1) Les établissements de crédit sont assujettis, en qualité de contribuables, pour les dépôts effectués par les clients du siège central ou des agences situés en Andalousie.
[...]
(3) Les assujettis ne peuvent pas répercuter le montant de l’impôt sur des tiers.
6. Base imposable
(1) La base imposable est la moyenne arithmétique du solde final de la rubrique “4. Dépôts de la clientèle” du passif du bilan réservé des établissements de crédit de chaque trimestre civil de la période d’imposition, figurant dans les états financiers individuels et correspondant aux dépôts effectués auprès des sièges centraux ou agences situés en Andalousie.
[...]
7. Calcul de l’impôt
(1) Le montant brut de l’impôt s’obtient en appliquant à la base imposable le barème d’imposition suivant :
Base imposable jusqu’à (EUR) | Montant brut de l’impôt (EUR) | Reste de la base imposable jusqu’au palier suivant (EUR) | Taux applicable (pourcentage) |
150 000 000 | 0,3 | ||
150 000 000 | 450 000 | 450 000 000 | 0,4 |
600 000 000 | 2 250 000 | au-delà | 0,5 |
(2) Déductions générales. Le montant brut de l’impôt est minoré, aux conditions établies par voie réglementaire, des sommes suivantes :
a) 200 000 euros, lorsque le siège social de l’établissement de crédit est établi en Andalousie ;
b) 5 000 euros par agence établie en Andalousie. Ce montant est porté à 7 500 euros lorsque l’agence est située dans une commune dont la population inscrite est inférieure à 2 000 habitants.
(3) Déductions spécifiques. Sont également déductibles :
a) le montant des crédits, prêts et investissements destinés, lors de l’exercice, à des projets en Andalousie dans le cadre de la stratégie en vue d’une économie durable, indiqués dans les lois budgétaires de chaque année ;
b) les montants destinés à l’Œuvre sociale des caisses d’épargne et au Fonds d’éducation et de promotion des coopératives de crédit, effectivement investis en Andalousie pendant la période d’imposition.
[...]
(4) Le montant net de l’impôt est obtenu en appliquant les déductions établies aux points 2 et 3 du présent paragraphe. La somme des déductions est limitée au montant brut de l’impôt, sans que le montant net de l’impôt puisse être inférieur à zéro euro. Lorsque les déductions ne s’appliquent pas, le montant net de l’impôt est égal à son montant brut.
[...]
8. Période d’imposition et exigibilité
(1) La période d’imposition du présent impôt est l’année civile [...]
[...] »
6 Adoptée à la suite de l’instauration, par l’État espagnol, d’un impôt sur les dépôts effectués auprès des établissements de crédit, entré en vigueur le 1er janvier 2013, la seizième disposition additionnelle de la Ley 7/2013, del Presupuesto de la Comunidad Autónoma de Andalucía para el año 2014 (loi 7/2013, établissant le budget de la communauté autonome d’Andalousie pour l’année 2014), du 23 décembre 2013 (BOE no 18, du 21 janvier 2014, p. 3380), dispose :
« L’article 6 de la [loi 11/2010], qui réglemente l’IDECA, est privé d’effet, à compter du 1er janvier 2013 et aussi longtemps qu’existe un prélèvement fiscal au niveau étatique grevant le même fait générateur. »
Le litige au principal et les questions préjudicielles
7 Novo Banco, un établissement de crédit ayant son siège social au Portugal et disposant d’une succursale en Espagne, a fait l’objet de plusieurs avis d’imposition pour l’exercice 2012 au titre de l’IDECA.
8 Les réclamations administratives de Novo Banco présentées contre ces avis d’imposition ont été rejetées par des décisions de la Junta Superior de Hacienda de Andalucía (Conseil supérieur des impôts d’Andalousie, Espagne) du 12 mars 2015. De même, le recours introduit contre ces dernières décisions a été rejeté par un arrêt du Tribunal Superior de Justicia de Andalucía (Cour supérieure de justice d’Andalousie, Espagne) du 27 février 2017.
9 Novo Banco a formé un pourvoi en cassation contre cet arrêt devant le Tribunal Supremo (Cour suprême, Espagne), la juridiction de renvoi.
10 Devant cette juridiction, Novo Banco a fait valoir, d’une part, que les dispositions régissant l’IDECA, notamment le régime de déductions afférent à cet impôt, méconnaissent les articles 49, 56 et 63 TFUE, en ce qu’elles établissent une différence de traitement injustifiée entre les établissements de crédit, selon qu’ils ont ou non leur siège social sur le territoire de la communauté autonome d’Andalousie. D’autre part, cette société estime que l’IDECA doit être qualifié d’impôt indirect grevant les dépôts reçus par des établissements de crédit et, de ce fait, l’activité financière exercée au moyen de ces dépôts. Un tel impôt est, selon Novo Banco, incompatible avec l’article 135, paragraphe 1, sous d), et l’article 401 de la directive TVA.
11 S’agissant de la compatibilité de l’IDECA avec les articles 49, 56 et 63 TFUE, la juridiction de renvoi relève que l’analyse de cet impôt et de ses éléments essentiels, le rapport entre le taux de prélèvement et la portée des déductions et, en particulier, la déduction générale de 200 000 euros dont bénéficient les établissements de crédit ayant leur siège social sur le territoire de la communauté autonome d’Andalousie, la conduisent à considérer que l’IDECA est un impôt supporté, de facto, par les établissements de crédit ayant leur siège social en dehors de cette communauté autonome et, en particulier, dans d’autres États membres. La même analyse s’appliquerait aux déductions spécifiques visées à l’article 6, paragraphe 7, point 3, de la loi 11/2010.
12 Ladite juridiction se demande également si, malgré le caractère direct que lui attribue la loi 11/2010, l’IDECA doit être qualifié d’impôt indirect, dans la mesure où il grève, selon elle, des opérations commerciales. Ainsi, se poserait la question de savoir si l’IDECA est compatible avec l’article 135, paragraphe 1, sous d), et l’article 401 de la directive TVA, puisque cet impôt grève la détention de dépôts, alors que les opérations concernant les dépôts de fonds sont exonérées de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), en vertu de cet article 135, paragraphe 1, sous d).
13 Dans ces conditions, le Tribunal Supremo (Cour suprême) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
« 1) Les articles 49, 56 et 63 TFUE, qui garantissent, respectivement, la liberté d’établissement, la libre prestation des services et la libre circulation des capitaux, doivent-ils être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent, en particulier, à un système de déductions tel que celui prévu pour l’IDECA à l’article 6, paragraphe 7, points 2 et 3, de la [loi 11/2010] ?
2) L’IDECA doit-il être qualifié d’impôt indirect malgré le caractère direct que lui attribue l’article 6, paragraphe 2, de cette loi, et, dans l’affirmative, l’existence et la perception de cet impôt sont-elles compatibles avec la TVA au regard des dispositions des articles 401 et 135, paragraphe 1, sous d), de la directive TVA ? »
Sur les questions préjudicielles
Sur la première question
14 Par sa première question, la juridiction de renvoi demande si les libertés fondamentales consacrées aux articles 49, 56 et 63 TFUE doivent être interprétées en ce sens qu’elles s’opposent à un système de déductions générales et spécifiques prévu par une réglementation nationale qui institue un impôt grevant les dépôts effectués par les clients des établissements de crédit établis sur le territoire d’une communauté autonome.
15 L’IDECA est un impôt sur les dépôts effectués par les clients des établissements de crédit auprès des sièges centraux ou des agences situés en Andalousie. Deux types de déductions sont prévus à l’article 6, paragraphe 7, de la loi 11/2010, à savoir, d’une part, des déductions générales, au point 2 de cette disposition, et, d’autre part, des déductions spécifiques, au point 3 de celle-ci.
Sur les déductions générales
16 S’agissant des déductions générales, il convient de relever que la première de celles-ci, visée à l’article 6, paragraphe 7, point 2, sous a), de la loi 11/2010, prévoit une déduction de 200 000 euros du montant brut de l’IDECA en faveur des établissements de crédit dont le siège social est situé en Andalousie. La seconde, prévue à l’article 6, paragraphe 7, point 2, sous b), de cette loi, prévoit une déduction du montant brut de l’IDECA de 5 000 euros par agence établie en Andalousie, ce dernier montant étant porté à 7 500 euros pour toute agence située dans une commune de moins de 2 000 habitants.
17 Dans la mesure où la juridiction de renvoi demande à la Cour d’interpréter l’article 49 TFUE, relatif à la liberté d’établissement, l’article 56 TFUE, relatif à la libre prestation des services et l’article 63 TFUE, relatif à la libre circulation des capitaux, il convient de déterminer si les dispositions de la réglementation de la communauté autonome d’Andalousie en cause au principal relatives aux déductions générales sont susceptibles de relever de ces libertés.
18 S’agissant de la question de savoir si une législation nationale relève de l’une ou de l’autre des libertés de circulation, il résulte d’une jurisprudence bien établie qu’il y a lieu de prendre en considération l’objet de la législation en cause (arrêt du 10 février 2011, Haribo Lakritzen Hans Riegel et Österreichische Salinen, C‑436/08 et C‑437/08, EU:C:2011:61, point 34 ainsi que jurisprudence citée).
19 Dans la mesure où les déductions générales prévues à l’article 6, paragraphe 7, point 2, de la loi 11/2010 ne bénéficient qu’aux établissements de crédit dont le siège social ou les agences sont situés en Andalousie, elles visent le lieu d’établissement de ces entités et sont donc susceptibles d’affecter de manière prépondérante la liberté d’établissement. Par conséquent, ces déductions générales doivent être examinées uniquement au regard de l’article 49 TFUE.
20 La liberté d’établissement, que l’article 49 TFUE reconnaît aux ressortissants de l’Union européenne et qui comporte pour eux l’accès aux activités non salariées et l’exercice de celles-ci ainsi que la constitution et la gestion d’entreprises dans les mêmes conditions que celles définies par la législation de l’État membre d’établissement pour ses propres ressortissants, comprend, conformément à l’article 54 TFUE, pour les sociétés constituées en conformité avec la législation d’un État membre et ayant leur siège statutaire, leur administration centrale ou leur principal établissement à l’intérieur de l’Union, le droit d’exercer leur activité dans l’État membre concerné par l’intermédiaire d’une filiale, d’une succursale ou d’une agence (arrêt du 6 septembre 2012, Philips Electronics UK, C‑18/11, EU:C:2012:532, point 12 et jurisprudence citée).
21 S’agissant des sociétés, il importe de relever que leur siège, au sens de l’article 54 TFUE, sert à déterminer, à l’instar de la nationalité des personnes physiques, leur rattachement à l’ordre juridique d’un État membre. Admettre que l’État membre d’établissement puisse librement appliquer un traitement différent en raison du seul fait que le siège d’une société est situé dans un autre État membre viderait l’article 49 TFUE de son contenu. La liberté d’établissement vise ainsi à garantir le bénéfice du traitement national dans l’État membre d’accueil, en interdisant toute discrimination fondée sur le lieu du siège des sociétés (arrêt du 18 juillet 2007, Oy AA, C‑231/05, EU:C:2007:439, point 30 et jurisprudence citée).
22 Pour qu’une différence de traitement entre sociétés en fonction du lieu de leur siège soit compatible avec la liberté d’établissement, il faut soit qu’elle concerne des situations qui ne sont pas objectivement comparables, la comparabilité d’une situation transfrontalière avec une situation interne devant alors être examinée en tenant compte de l’objectif poursuivi par les dispositions nationales en cause, soit qu’elle soit justifiée par une raison impérieuse d’intérêt général (arrêts du 1er avril 2014, Felixstowe Dock and Railway Company e.a., C‑80/12, EU:C:2014:200, point 25, ainsi que du 22 février 2018, X et X, C‑398/16 et C‑399/16, EU:C:2018:110, point 32).
23 Afin qu’une restriction à la liberté d’établissement soit justifiée par des raisons impérieuses d’intérêt général, encore faut-il qu’elle soit propre à garantir la réalisation de l’objectif poursuivi et qu’elle n’aille pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif (arrêts du 18 juillet 2007, Oy AA, C‑231/05, EU:C:2007:439, point 44 et jurisprudence citée, ainsi que du 12 décembre 2013, Imfeld et Garcet, C‑303/12, EU:C:2013:822, point 64).
24 S’agissant de la première déduction, visée à l’article 6, paragraphe 7, point 2, sous a), de la loi 11/2010, il convient de constater qu’elle institue une différence de traitement entre, d’une part, les établissements de crédit dont le siège social est situé en Andalousie, qui bénéficient de l’avantage fiscal résultant de la déduction en cause et, d’autre part, ceux dont le siège social est situé dans une autre région d’Espagne ou dans un autre État membre, qui ne bénéficient pas de cette déduction et sont donc soumis à une taxation plus élevée.
25 Contrairement à ce que fait valoir le gouvernement de la communauté autonome d’Andalousie, il ne saurait être considéré que cette différence de traitement est modérée ou compensée par la déduction générale prévue à l’article 6, paragraphe 7, point 2, sous b), de la loi 11/2010, selon laquelle tous les établissements de crédit bénéficient de déductions en fonction du nombre d’agences implantées en Andalousie, indépendamment du lieu de leur siège.
26 En ce qui concerne la comparabilité des situations des établissements de crédit dont le siège est situé en Andalousie et de ceux qui, tout en ayant leur siège dans un État membre autre que le Royaume d’Espagne, disposent d’agences en Andalousie, il convient de relever que, pour l’ensemble des établissements de crédit, la base imposable de l’IDECA est constituée par la moyenne arithmétique du solde des dépôts effectués auprès des sièges centraux ou des agences situés en Andalousie. Or, en traitant d’une manière identique ces deux catégories d’établissements de crédit aux fins de l’imposition, le législateur admet que, au regard des modalités et des conditions de cette imposition, il n’existe, entre ceux-ci, aucune différence de situation objective pouvant justifier une différence de traitement (voir, en ce sens, arrêts du 28 janvier 1986, Commission/France, 270/83, EU:C:1986:37, point 20, ainsi que du 12 juin 2018, Bevola et Jens W. Trock, C‑650/16, EU:C:2018:424, point 34).
27 En ce qui concerne la possibilité de justifier la restriction à la liberté d’établissement par une raison impérieuse d’intérêt général, le gouvernement de la communauté autonome d’Andalousie fait valoir que les déductions générales visent à encourager des pratiques d’inclusion financière en milieu rural, ainsi que l’installation et l’efficacité des établissements de crédit en Andalousie. À cet égard, il suffit de constater qu’un tel objectif ne saurait justifier la limitation de l’octroi d’un traitement favorable, à savoir une déduction de 200 000 euros du montant brut de l’IDECA, aux seuls établissements de crédit ayant leur siège social en Andalousie, étant donné que, à la différence du nombre et du lieu des agences, la présence du seul siège social sur un territoire donné n’apparaît pas de nature à contribuer à la couverture de ce territoire par des services financiers de proximité. En tout état de cause, il n’a pas été démontré qu’une telle limitation serait nécessaire pour atteindre ces buts.
28 Par conséquent, il convient de conclure que l’article 49 TFUE doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une disposition telle que l’article 6, paragraphe 7, point 2, sous a), de la loi 11/2010, en vertu de laquelle une déduction générale afférente à un impôt frappant les dépôts effectués par les clients d’établissements de crédit actifs sur le territoire d’une région donnée au sein d’un État membre est octroyée, à hauteur de 200 000 euros, au bénéfice des seuls établissements de crédit dont le siège social est établi sur le territoire de ladite région.
29 La seconde déduction générale, visée à l’article 6, paragraphe 7, point 2, sous b), de la loi 11/2010, prévoit une déduction du montant brut de l’IDECA d’un montant de 5 000 euros par agence établie sur le territoire de la communauté autonome d’Andalousie, ce dernier montant étant porté à 7 500 euros pour toute agence située dans une commune de moins de 2 000 habitants.
30 à cet égard, il convient de relever que tous les établissements de crédit assujettis à l’IDECA peuvent bénéficier de cette seconde déduction générale, indépendamment du fait que leur siège social soit situé en Andalousie, dans une autre région d’Espagne ou un autre État membre de l’Union. Une disposition prévoyant une telle déduction n’institue donc pas de discrimination ostensible en fonction du lieu dudit siège social.
31 S’agissant de la question de savoir si une telle disposition peut être considérée comme étant constitutive d’une discrimination indirecte, il convient de relever que sont prohibées non seulement les discriminations ostensibles fondées sur le lieu du siège des sociétés, mais encore toutes les formes dissimulées de discrimination qui, par application d’autres critères de distinction, aboutissent en fait au même résultat (voir, en ce sens, arrêt du 5 février 2014, Hervis Sport- és Divatkereskedelmi, C‑385/12, EU:C:2014:47, point 30).
32 En l’occurrence, s’il ressort de la demande de décision préjudicielle que la juridiction de renvoi estime qu’une telle déduction contribue à ce que l’IDECA grève, de facto, les seuls établissements de crédit dont le siège n’est pas situé sur le territoire de la communauté autonome d’Andalousie, ni la juridiction de renvoi ni les parties qui ont soumis des observations écrites n’ont apporté de précisions suffisantes sur ce point, de telle sorte que la Cour n’est pas en mesure de statuer à cet égard.
33 Partant, il convient de conclure que l’article 49 TFUE doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à une disposition telle que l’article 6, paragraphe 7, point 2, sous b), de la loi 11/2010, en vertu de laquelle, s’agissant d’un impôt sur les dépôts effectués par les clients des établissements de crédit actifs sur le territoire d’une région donnée d’un État membre, une déduction du montant brut de cet impôt est octroyée, à hauteur de 5 000 euros, pour chaque agence établie sur le territoire de cette région, ce montant étant porté à 7 500 euros pour toute agence située dans une commune de moins de 2 000 habitants, à moins que cette déduction n’entraîne, dans les faits, une discrimination fondée sur le lieu du siège des établissements de crédit concernés qui ne serait pas justifiée, ce qu’il incombe à la juridiction de renvoi de vérifier.
Sur les déductions spécifiques
34 À titre liminaire, il convient de relever que si, ainsi qu’il a été rappelé au point 14 du présent arrêt, la première question se réfère aux articles 49, 56 et 63 TFUE, il y a lieu d’examiner les déductions spécifiques instituées à l’article 6, paragraphe 7, point 3, de la loi 11/2010 à la lumière de la seule libre circulation des capitaux. En effet, ces déductions ne requièrent aucun lien avec le lieu d’établissement des établissements de crédit concernés. En outre, dans la mesure où ces déductions ne s’appliquent qu’à l’égard de crédits, de prêts et d’investissements destinés à des projets réalisés en Andalousie, elles visent à orienter des flux de capitaux et, partant, elles relèvent en premier lieu de la libre circulation des capitaux, leur effet sur la libre circulation de services n’étant que secondaire.
35 S’agissant de ces déductions spécifiques, il convient de relever que l’article 6, paragraphe 7, point 3, de la loi 11/2010 permet aux établissements de crédit concernés de déduire du montant brut de l’IDECA le montant des crédits, prêts et investissements destinés à des projets réalisés en Andalousie dans le cadre d’une stratégie en vue d’une économie durable, mentionnés dans les lois budgétaires adoptées chaque année par cette communauté autonome, ainsi que les montants destinés à l’Œuvre sociale des caisses d’épargne et au Fonds d’éducation et de promotion des coopératives de crédit, effectivement investis en Andalousie pendant la période d’imposition concernée.
36 Or, s’agissant des modalités d’application et des objectifs poursuivis par les déductions spécifiques en cause au principal, la demande de décision préjudicielle se borne à se référer, sans autre précision, à une stratégie d’économie durable, ainsi qu’à une œuvre sociale des caisses d’épargne et à un fonds d’éducation et de promotion des coopératives de crédit. À cet égard, notamment, la juridiction de renvoi ne précise pas davantage quels types de projets sont susceptibles d’ouvrir droit à ces déductions, dans l’application qui est faite de cette disposition dans les lois budgétaires adoptées annuellement par la communauté autonome d’Andalousie, dont le contenu n’a pas été porté à la connaissance de la Cour. Ainsi, les indications figurant dans la demande de décision préjudicielle quant aux modalités d’application et aux objectifs poursuivis par les déductions spécifiques en cause au principal ne permettent pas à la Cour de se prononcer en connaissance de cause sur la compatibilité de ces déductions spécifiques avec l’article 63 TFUE.
37 Cependant, dans la mesure où, dans ses observations écrites, le gouvernement de la communauté autonome d’Andalousie fait valoir que l’objectif principal des déductions spécifiques est d’encourager l’investissement dans cette communauté autonome et de promouvoir l’épargne régionale, il convient d’apporter les précisions suivantes afin de fournir une réponse utile à la première question.
38 À cet égard, dans l’hypothèse où ces déductions spécifiques devraient être comprises comme poursuivant un objectif purement économique, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier, il convient de relever, tout d’abord, que, dans la mesure où celles-ci ont pour conséquence que l’IDECA frappe uniquement les dépôts visés par la loi 11/2010 qui ne sont pas investis dans des projets réalisés en Andalousie, alors que les dépôts utilisés à ces fins bénéficient desdites déductions, l’article 6, paragraphe 7, point 3, de la loi 11/2010 est constitutif d’une différence de traitement susceptible de dissuader les établissements de crédit soumis à l’IDECA d’investir dans d’autres États membres.
39 Ensuite, le lieu d’investissement ne saurait, par définition, constituer un critère valable pour conclure à l’existence d’une différence objective entre les situations en cause et pour exclure, en conséquence, l’existence d’une discrimination interdite par l’article 63 TFUE [voir, en ce sens, arrêts du 16 juin 2011, Commission/Autriche, C‑10/10, EU:C:2011:399, point 35, et du 18 juin 2020, Commission/Hongrie (Transparence associative), C‑78/18, EU:C:2020:476, point 63].
40 Enfin, conformément à une jurisprudence constante, un objectif de nature purement économique ne saurait justifier une restriction à une liberté fondamentale garantie par le traité FUE (arrêt du 7 avril 2011, Commission/Portugal, C‑20/09, EU:C:2011:214, point 65 et jurisprudence citée).
41 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la première question que la liberté d’établissement consacrée à l’article 49 TFUE doit être interprétée en ce sens que, s’agissant de déductions appliquées sur le montant brut d’un impôt grevant les dépôts effectués par les clients d’établissements de crédit ayant leur siège central ou des agences situés sur le territoire d’une région d’un État membre,
– elle s’oppose à une déduction de 200 000 euros appliquée sur le montant brut de cet impôt en faveur des établissements de crédit dont le siège social est situé sur le territoire de cette région ;
– elle ne s’oppose pas à des déductions appliquées sur le montant brut dudit impôt, de 5 000 euros par agence établie sur le territoire de ladite région, ce dernier montant étant porté à 7 500 euros pour toute agence située dans une commune de moins de 2 000 habitants, à moins que ces déductions n’entraînent, dans les faits, une discrimination fondée sur le lieu du siège des établissements de crédit concernés qui ne serait pas justifiée, ce qu’il incombe à la juridiction de renvoi de vérifier.
L’article 63, paragraphe 1, TFUE doit être interprété en ce sens que, s’agissant d’un impôt grevant les dépôts effectués par les clients d’établissements de crédit ayant leur siège central ou des agences situés sur le territoire d’une région d’un État membre, il s’oppose à des déductions du montant brut de cet impôt égales aux crédits, prêts et investissements destinés à des projets réalisés dans cette région, pour autant que ces déductions poursuivent un objectif de nature purement économique.
Sur la seconde question
42 Par sa seconde question, la juridiction de renvoi demande si l’article 135, paragraphe 1, sous d), et l’article 401 de la directive TVA doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à un impôt national tel que l’IDECA.
43 À titre liminaire, il convient de relever que l’assujettissement des dépôts effectués par les clients d’établissements de crédit à l’IDECA ne remet pas en cause l’exonération applicable à ces dépôts, au titre de l’article 135, paragraphe 1, sous d), de la directive TVA. Dès lors, cet article n’est pas pertinent en l’occurrence.
44 En vertu de l’article 401 de la directive TVA, les dispositions de celle-ci ne font pas obstacle au maintien ou à l’introduction par un État membre de taxes sur les contrats d’assurance et sur les jeux et paris, d’accises, de droits d’enregistrement, et, plus généralement, de tous impôts, droits et taxes n’ayant pas le caractère de taxes sur le chiffre d’affaires, à condition que la perception de ces impôts, droits et taxes ne donne pas lieu dans les échanges entre États membres à des formalités liées au passage d’une frontière.
45 Il s’ensuit que, selon une jurisprudence constante de la Cour, le maintien ou l’introduction par un État membre d’impôts, de droits et de taxes ne sont autorisés qu’à la condition que ceux-ci ne soient pas assimilables à une taxe sur le chiffre d’affaires (arrêts du 20 mars 2014, Caixa d’Estalvis i Pensions de Barcelona, C‑139/12, EU:C:2014:174, point 28, et du 12 juin 2019, Oro Efectivo, C‑185/18, EU:C:2019:485, point 21 ainsi que jurisprudence citée).
46 Pour apprécier si un impôt, un droit ou une taxe a le caractère d’une taxe sur le chiffre d’affaires, au sens de l’article 401 de la directive TVA, il y a notamment lieu de rechercher s’il a pour effet de compromettre le fonctionnement du système commun de TVA en grevant la circulation des biens et des services, et en frappant les transactions commerciales d’une façon comparable à celle qui caractérise la TVA. La Cour a précisé, à cet égard, que doivent, en tout cas, être considérés comme grevant la circulation des biens et des services d’une façon comparable à la TVA les impôts, les droits et les taxes qui présentent les caractéristiques essentielles de la TVA, même s’ils ne sont pas en tous points identiques à celle-ci (arrêts du 7 août 2018, Viking Motors e.a., C‑475/17, EU:C:2018:636, points 36 et 37, ainsi que du 3 mars 2020, Vodafone Magyarország, C‑75/18, EU:C:2020:139, points 59 et 60).
47 En revanche, l’article 401 de la directive TVA ne s’oppose pas au maintien ou à l’introduction d’une taxe qui ne présenterait pas l’une des caractéristiques essentielles de la TVA (arrêt du 3 mars 2020, Vodafone Magyarország, C‑75/18, EU:C:2020:139, point 61 et jurisprudence citée).
48 Il ressort de la jurisprudence que lesdites caractéristiques sont au nombre de quatre, à savoir l’application générale de la TVA aux transactions ayant pour objet des biens ou des services, la fixation de son montant proportionnellement au prix perçu par l’assujetti en contrepartie des biens et des services qu’il fournit, la perception de cette taxe à chaque stade du processus de production et de distribution, y compris à celui de la vente au détail, quel que soit le nombre de transactions intervenues précédemment, et la déduction de la TVA due par un assujetti des montants acquittés lors des étapes précédentes du processus de production et de distribution, de telle sorte que cette taxe ne s’applique, à un stade donné, qu’à la valeur ajoutée à ce stade et que la charge finale de ladite taxe repose en définitive sur le consommateur (arrêt du 3 mars 2020, Vodafone Magyarország, C‑75/18, EU:C:2020:139, point 62 et jurisprudence citée).
49 En l’occurrence, il convient de constater que l’IDECA ne présente pas les caractéristiques essentielles de la TVA.
50 En effet, tout d’abord, cet impôt est dû par les établissements de crédit en raison de la détention de dépôts effectués par leurs clients et non en raison des opérations commerciales consistant en des dépôts de fonds, de telle sorte qu’il ne saurait être considéré qu’il s’applique à des transactions ayant pour objet des biens ou des services. Ensuite, la base imposable de l’IDECA correspondant à la moyenne arithmétique du solde trimestriel de la rubrique du passif du bilan des établissements de crédit, relative aux dépôts de leurs clients, le montant de cet impôt n’est pas fixé proportionnellement à la contrepartie perçue par les établissements de crédit. En outre, l’IDECA n’est pas perçu à chaque stade du processus de production et de distribution de services financiers. Enfin, dans la mesure où l’article 6, paragraphe 5, point 3, de la loi 11/2010 interdit expressément aux établissements de crédit de répercuter le montant de l’IDECA sur des tiers, la charge finale de cette taxe n’est pas supportée en définitive par les consommateurs.
51 Dans ces conditions, l’IDECA ne constitue ni une taxe sur le chiffre d’affaires ni un impôt assimilable à une telle taxe, au sens de l’article 401 de la directive TVA.
52 Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de répondre à la seconde question que l’article 401 de la directive TVA doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à une législation nationale instituant un impôt dû par les établissements de crédit en raison de la détention de dépôts de clients, dont la base imposable correspond à la moyenne arithmétique du solde trimestriel de ces dépôts et qui ne peut être répercuté par le contribuable sur des tiers.
Sur les dépens
53 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (septième chambre) dit pour droit :
1) La liberté d’établissement consacrée à l’article 49 TFUE doit être interprétée en ce sens que, s’agissant de déductions appliquées sur le montant brut d’un impôt grevant les dépôts effectués par les clients d’établissements de crédit ayant leur siège central ou des agences situés sur le territoire d’une région d’un État membre,
– elle s’oppose à une déduction de 200 000 euros appliquée sur le montant brut de cet impôt en faveur des établissements de crédit dont le siège social est situé sur le territoire de cette région ;
– elle ne s’oppose pas à des déductions appliquées sur le montant brut dudit impôt, de 5 000 euros par agence établie sur le territoire de ladite région, ce dernier montant étant porté à 7 500 euros pour toute agence située dans une commune de moins de 2 000 habitants, à moins que ces déductions n’entraînent, dans les faits, une discrimination fondée sur le lieu du siège des établissements de crédit concernés qui ne serait pas justifiée, ce qu’il incombe à la juridiction de renvoi de vérifier.
L’article 63, paragraphe 1, TFUE doit être interprété en ce sens que, s’agissant d’un impôt grevant les dépôts effectués par les clients d’établissements de crédit ayant leur siège central ou des agences situés sur le territoire d’une région d’un État membre, il s’oppose à des déductions du montant brut de cet impôt égales aux crédits, prêts et investissements destinés à des projets réalisés dans cette région, pour autant que ces déductions poursuivent un objectif de nature purement économique.
2) L’article 401 de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à une législation nationale instituant un impôt dû par les établissements de crédit en raison de la détention de dépôts de clients, dont la base imposable correspond à la moyenne arithmétique du solde trimestriel de ces dépôts et qui ne peut être répercuté par le contribuable sur des tiers.