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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 11, 26 février 2021, n° 18/20619

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Syndicat des Copropriétaires du Centre Commercial de Saint Michel sur Orge

Défendeur :

Securitas France (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Ardisson

Conseillers :

Mme Sentucq, Mme Paulmier Cayol

Avocats :

Me Maupas Oudinot, Me Reingewirtz

TGI Paris, du 3 juill. 2018

3 juillet 2018

La société Securitas France (société Securitas) a passé avec la société Sudeco, syndic représentant les syndicats et associations des copropriétaires commerçants des centres commerciaux du groupe Casino, dix-neuf contrats pour la sécurité incendie, la surveillance et le gardiennage des sites, et dont un contrat souscrit, le 27 septembre 2012, avec le syndicat des copropriétaires du centre commercial de Saint Michel sur Orge situé à Saint Michel sur Orge (le syndicat) stipulant en son article 6 qu'il prendra effet au 2 octobre 2012 pour une durée d'un an au terme duquel, sauf préavis de trois mois de l'une ou l'autre partie, le contrat sera reconduit tacitement pour une période indéterminée.

Alors que par une lettre datée du 9 mars 2015, la société Sudeco a dénoncé au syndicat la résiliation du contrat précisant qu'une société CIPS devait lui succéder à compter du 13 avril 2015, la société Securitas a assigné, successivement, la société Sudeco puis le syndicat devant président du tribunal de commerce de Saint Etienne en réparation du préjudice pour le non-respect de la durée du préavis contractuel avant d'assigner aux mêmes fins les deux devant le tribunal de grande instance de Paris y compris en dommages et intérêts fondés sur la rupture brutale de la relation commerciale établie prise en application des dispositions de l'article L. 442-6, 5° du code de commerce .

Dans sa décision 3 juillet 2018, la juridiction civile a :

- débouté la société Securitas de l'ensemble de ses demandes à l'encontre de la société Sudeco,

- condamné le syndicat à payer à la société Securitas la somme de 57 410,78 euros de dommages et intérêts,

- débouté la société Securitas de ses demandes fondées sur l'article L. 442-6, 5° du code de commerce,

- débouté le syndicat de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive,

- condamné le syndicat à verser à la société Sudeco la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens,

- ordonné l'exécution provisoire ;

Vu l'appel interjeté le 5 septembre 2018 par le syndicat des copropriétaires du centre commercial de Saint Michel sur Orge ;

Vu les conclusions remises par le réseau privé virtuel des avocats le 6 janvier 2021 pour le syndicat des copropriétaires du centre commercial de Saint Michel sur Orge afin d'entendre, en application des articles 1134 et 1147 anciens du code civil, L. 136-1 du code de la consommation, L. 442-6, l, 5° du code de commerce :

- dire l'appel du syndicat des copropriétaires recevable et fondé,

- réformer le jugement en ce qu'il a fait droit à la demande indemnitaire de la société Securitas formulée au titre du préavis conventionnel de trois mois,

- dire que le préavis contractuel de trois mois a été respecté et que le syndicat n'a commis aucune faute contractuelle, subsidiairement,

- réduire la condamnation à la marge brute historique sans TVA réalisée par la société Securitas sur deux mois l'indemnité octroyée par les premiers juges, en tout état de cause,

- rejeter l'appel incident de la société Securitas comme non fondé,

- condamner la société Securitas à payer une indemnité de 5 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la société Securitas aux entiers dépens d'instance et d'appel qui pourront être recouvrés avec le bénéfice de l'article 699 du code de procédure civile ;

Vu les conclusions remises par le réseau privé virtuel des avocats le 08 janvier 2021 pour la société Securitas France afin d'entendre en application des articles 1134 du code civil et L. 442-6, 5° du Code de commerce :

- confirmer le jugement en ce qu'il a condamné à régler la somme de 56 799 euros pour non-respect du préavis contractuel outre les frais irrépétibles et les dépens,

- infirmer le jugement pour le surplus,

- décider que le syndicat a rompu brutalement la relation commerciale établie avec la société Securitas,

- condamner le syndicat à régler les sommes de :

. 28 399 euros pour la rupture brutale de la relation commerciale établie,

. 10 000 euros en raison de la non reprise de certains de ses salariés à la suite de la résiliation du contrat de prestation de services de sécurité,

. 5 000 euros en réparation de son préjudice de désorganisation,

- condamner le Syndicat à régler la somme de 4 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner le Syndicat en tous les dépens, dont distraction au profit de Me David Reingewirtz.

SUR CE, LA COUR,

Pour un exposé complet des faits et de la procédure, la cour renvoie expressément au jugement et aux écritures des parties ainsi que cela est prescrit à l'article 455 du code de procédure civile, les conclusions déposées à l'audience du 13 janvier 2021 pour la société Securitas devant être écartées pour ne pas viser la demande de révocation de l'ordonnance de clôture rendue le 7 janvier 2021.

1. Sur la preuve de la dénonciation du renouvellement du contrat et la réparation du préjudice

Pour entendre infirmer le jugement qui l'a condamné au paiement des indemnités de résiliation du contrat au motif qu'il avait manqué à son obligation de dénoncer dans le délai contractuel de trois mois la non reconduction tacite du contrat, le syndicat soutient, en premier lieu, avoir respecté ce délai en mettant aux débats, pour la première fois en cause d'appel, un avis de réception du 31 mars 2014 d'une lettre dénonçant à la société Securitas le contrat pour le centre commercial « Géant Casino Cap de Cres à Millau ».

Au demeurant, le contrat signé le 27 septembre 2012 par le syndic de copropriété Sudeco avec la société Securitas est passé pour des prestations au nom et au profit du centre commercial de Saint Michel sur Orge, et non celui de Millau, de sorte qu'il ne peut se déduire qu'il a été régulièrement dénoncé dans le délai convenu entre les parties.

En second lieu, le syndicat prétend avoir pu dénoncer la reconduction du contrat sans délais en soutenant qu'en sa qualité de syndicat de copropriétaires, il est assimilé à un non professionnel et peut bénéficier des dispositions de l'article L. 136-1 du code de la consommation suivant lesquelles, lorsque le professionnel prestataire n'a pas informé le consommateur par écrit, au plus tôt trois mois et au plus tard un mois avant le terme de la période autorisant le rejet de la reconduction, de la possibilité de ne pas reconduire le contrat qu'il a conclu avec une clause de reconduction tacite, le consommateur peut mettre gratuitement un terme au contrat, à tout moment à compter de la date de reconduction.

Toutefois, l'exécution du contrat a excédé le terme d'un an, de sorte que suivant ses stipulations à l'article 6 rapportées ci-dessus, la convention des parties s'est poursuivie à durée indéterminée, et tandis, d'autre part, qu'il est constant que les prestations de services sont réalisées dans l'intérêt des établissements de chacun des commerçants membres du syndicat de copropriétaires, le syndicat n'est pas fondé à opposer le bénéfice de l'article L. 136-1 précité réservé aux consommateurs.

Alors enfin que les parties s'accordent dans leurs conclusions que la société Securitas a été privée d'un préavis de deux mois sur les trois stipulés à l'article 6 du contrat, et qu'aux termes de l'article 1147 du code civil, dans sa version applicable au litige, il est prescrit que « le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, toutes les fois qu'il ne justifie pas que l'inexécution provient d'une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu'il n'y ait aucune mauvaise foi de sa part », le jugement sera confirmé en ce qu'il a retenu la condamnation du syndicat à verser, non la marge brute perdue par la société Securitas, mais la perte du chiffre d'affaires dont elle a été privée et établie à la somme de 57 410,78 euros.

2. Sur l'application des dispositions de l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce

Pour voir confirmer le jugement en ce qu'il a débouté la société Securitas de ses demandes de dommages et intérêts qu'elle entend fonder sur la rupture brutale de la relation commerciale établie, le syndicat soutient que son activité est par nature civile, qu'il ne constitue pas une entreprise et, derechef qu'il est un non professionnel, en sorte qu'il échappe au champ d'application de l'article 442-6, I, 5° du code de commerce stipulant que « engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels. Lorsque la relation commerciale porte sur la fourniture de produits sous marque de distributeur, la durée minimale de préavis est double de celle qui serait applicable si le produit n'était pas fourni sous marque de distributeur. A défaut de tels accords, des arrêtés du ministre chargé de l'économie peuvent, pour chaque catégorie de produits, fixer, en tenant compte des usages du commerce, un délai minimum de préavis et encadrer les conditions de rupture des relations commerciales, notamment en fonction de leur durée. Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure ».

Toutefois, ainsi que cela est déjà retenu au point 2. ci-dessus, les prestations de services de la société Securitas ont été souscrites dans l'intérêt de l'exploitation des établissements de chacun des commerçants membres du syndicat de copropriétaires, de sorte que la nature civile de la personnalité du syndicat des copropriétaires ne fait pas écran à la nature commerciale de la relation des parties au sens de l'article 442-6, I, 5° du code de commerce , et tandis que le contrat a été renouvelé pour se poursuivre à durée indéterminée, il se déduit la preuve d'une relation commerciale établie.

Ensuite, il est manifeste qu'en dénonçant la relation commerciale dans le délai d'un mois pour une prestation de mise à disposition de personnels de sécurité devant être réaffectés par la société Securitas sur d'autres sites, le syndicat a brutalement rompu la relation commerciale et sur la base de la durée de cette relation de deux ans et demi, la cour fixera à quatre mois le préavis utile.

En revanche, l'assiette de l'indemnisation de ce préavis ne peut comprendre l'équivalent du chiffre d'affaires comme le prétend la société Securitas, mais celui de la marge brute. A défaut de production sur cette valeur, la cour fixera à 6 000 euros le montant des dommages et intérêts propres à réparer le préjudice.

Par ailleurs, la société Securitas est mal fondée à prétendre au dédommagement distinct qui résulterait, d'une part, de la charge des deux salariés affectés sur le site de Saint Michel sur Orge qui n'ont pas été repris par l'entreprise qui a succédé aux contrats, alors qu'aucun justificatif ne permet d'établir qu'ils n'ont pu être réaffectés par la société Securitas sur un autre marché ou qu'ils ont été licenciés, et d'autre part, de la désorganisation de l'entreprise entraînée par la rupture des dix-huit contrats de sécurité incendie et de gardiennage que la société Securitas a passés avec d'autres syndicats de commerçants établis sur les sites du groupe Casino, alors que ceux-ci ne sont pas dans la cause.

3. Sur les frais irrépétibles et les dépens

Le syndicat succombant à l'action, le jugement sera confirmé en ce qu'il a statué sur les dépens et les frais irrépétibles, et statuant de ces chefs en cause d'appel, le syndicat sera condamné aux dépens ainsi qu'à payer la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

Confirme le jugement en l'état de ses dispositions déférées, sauf celle qui a débouté la société Securitas France de sa demande fondée sur les dispositions de l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce ;

Statuant à nouveau de ce chef et y ajoutant,

Dit que le syndicat des copropriétaires du centre commercial de Saint Michel sur Orge a rompu brutalement la relation commerciale établie avec la société Securitas France ;

Condamne le syndicat des copropriétaires du centre commercial de Saint Michel sur Orge à payer à la société Securitas France la somme de 6 000 euros de dommages et intérêts ;

Condamne le syndicat des copropriétaires du centre commercial de Saint Michel sur Orge aux dépens dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile ;

Condamne le syndicat des copropriétaires du centre commercial de Saint Michel sur Orge à payer à la société Securitas France la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.