CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 24 février 2021, n° 19/05987
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Défendeur :
Burger King France (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Dallery
Conseillers :
M. Gilles, Mme Depelley
Avocats :
Me Cheval, Me Etevenard, Me Menguy
FAITS ET PROCÉDURE :
Vu le jugement rendu le 12 février 2019 par le tribunal de commerce de Bobigny qui a :
- dit qu'aucun engagement contractuel ne s'est formé entre les parties et débouté les demandeurs (M. X et la société Y de l'ensemble de leurs demandes sur un fondement contractuel,
- dit que les demandeurs ne rapportent pas la preuve d'avoir été maintenus par leur partenaire potentiel dans un état d'ignorance de l'échec programmé des négociations, ni d'une quelconque mauvaise foi dans le comportement du défendeur (la société Burger King France) et les a déboutés en conséquence de l'ensemble de leurs demandes sur un fondement délictuel,
- débouté les demandeurs de leurs demandes d'indemnisation de ces chefs de préjudice,
- débouté le défendeur de sa demande reconventionnelle pour procédure abusive,
- condamné les demandeurs solidairement aux dépens et in solidum à payer au défendeur la somme de 15 000 € par application de l'article 700 du code de procédure civile,
- dit n'y avoir lieu d'ordonner l'exécution provisoire ;
Vu l'appel relevé par M. X et par la société Y qui demandent à la cour, dans leurs dernières conclusions notifiées le 23 décembre 2020, au visa des articles 1134 et 1382 du code civil, d'infirmer le jugement et, statuant à nouveau, de :
1°) à titre principal :
- dire que la société Burger King France a commis une faute en ne respectant pas la promesse synallagmatique de signature de contrats de franchise dont elle était débitrice, faute contractuelle qui engage sa responsabilité contractuelle à l'égard de M. X,
- en conséquence, condamner la société Burger King France à payer à M. X une somme dans une fourchette s'établissant entre 1 750 000 et 3 500 000 €, à titre de réparation du préjudice subi sur le terrain de la perte de chance,
- en conséquence, condamner la société Burger King France à payer à M. X la somme de 70 000 € en réparation de son préjudice moral,
2°) à titre subsidiaire :
- dire que la société Burger King France a commis une faute délictuelle dans la conduite des négociations, conduites de mauvaise foi et rompues brutalement, faute qui engage sa responsabilité délictuelle à l'égard de M. X,
- en conséquence, condamner la société Burger King France à payer à M. X les sommes de :
16 222 € en indemnisation des frais vainement engagés,
500 000 € au titre de la perte d'opportunités,
70 000 € en réparation de son préjudice moral,
3°) en tout état de cause :
- dire que la société Burger King France, par sa faute, qu'elle ressorte de la violation de ses engagements contractuels ou de la rupture fautive des pourparlers, a également commis une faute de nature délictuelle qui engage sa responsabilité à l'égard de la société Y,
- en conséquence, condamner la société Burger King France à payer la somme de 50 000 € à la société Y en réparation de son préjudice moral,
4°) débouter la société Burger King France de toutes ses demandes, en particulier de sa demande de dommages intérêts pour procédure abusive,
5°) condamner la société Burger King France aux entiers dépens et à payer à chacun des appelants la somme de 15 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Vu les dernières conclusions notifiées le 11 décembre 2020 par la société Burger King France qui demande à la cour, au visa des articles 1103 et 1104 (anciennement 1134) du code civil ainsi que des articles 1240 et suivants (anciennement 1382) du code civil, de :
1°) juger qu'elle n'a commis aucune faute à l'égard des appelants et, notamment, juger que le seul document d'information précontractuelle du 27 octobre 2015 ne saurait être qualifié d'offre ou de promesse,
2°) en conséquence :
- déclarer mal fondé l'appel interjeté,
- débouter M. X et la société Y de toutes leurs demandes indemnitaires à titre principal et à titre subsidiaire,
- confirmer le jugement en toutes ses dispositions sauf en en ce qu'il l'a déboutée de sa demande reconventionnelle pour procédure abusive,
- statuant à nouveau sur ce seul chef, condamner solidairement M. X et la société Y à lui payer la somme de 150 000 € pour procédure abusive,
3°) en tout état de cause, condamner solidairement M. X et la société Y aux entiers dépens et à lui payer la somme de 50 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
SUR CE LA COUR
En mai 2013, M. X a constitué avec son épouse la société Y ayant pour objet la gestion de patrimoine immobilier.
En décembre 2013, il a contacté la société Burger King France ; celle-ci lui a adressé un dossier de candidature le 2 janvier 2014 ; M. X lui a renvoyé ce dossier dûment rempli le 15 janvier 2014 ; il y mentionnait son expérience professionnelle, notamment sa dernière activité en qualité de président de la sas Josselin 45 qui représentait différentes marques automobiles, précisait que son apport maximal dans le projet serait de 200 000 euros et indiquait qu'il souhaitait exercer son activité en priorité dans le Loiret, avec développement complémentaire dans le Loir et Cher, les Yvelines, Marseille, Bordeaux et qu'il souhaitait ouvrir 3 à 4 restaurants sur une période de 6 ans ; la société Burger King France a validé sa candidature en juillet 2014.
M. X, qui avait demandé à bénéficier d'une formation dès le 10 juillet 2014, a effectué cette formation et obtenu la certification Burger King le 28 octobre 2014.
Le 28 septembre 2015, la société Burger King France a informé M. X de son projet de rachat du groupe D, dont la réalisation était encore soumise à des conditions suspensives.
Le 24 octobre 2015, M. X a signé le récépissé certifiant avoir reçu de la part de la société Burger King France le document d'information précontractuelle visé à l'article L. 330-3 du code de commerce ainsi que le projet de contrat de franchise dont la conclusion était envisagée.
M. X et la société Burger King France ont poursuivi leurs échanges jusqu'à ce que par courriel du 30 mai 2016, M. X informe celle-ci qu'il mettait fin à son engagement et à son implication dans le développement de la marque Burger King ; il y précisait qu'il devait installer et faire fructifier la franchise Burger King dans la ville de Tours et son agglomération et indiquait, notamment :
« Deux années sont désormais écoulées et les propositions qui me sont faites pour le développement de la marque sur Tours ne sont absolument plus celles qui m'avaient été annoncées :
- Partage de la ville avec un autre investisseur susceptible d'ouvrir avant moi,
- Développement conditionné et donc forcé par les souhaits de l'exploitant actuel D de la zone, sans même avoir l'opportunité de discuter directement avec lui,
- Changement de contrat avec le franchiseur (à savoir 1 seul contrat de franchise et le potentiel développement en location gérance). »
Suivant lettre de leur conseil du 11 octobre 2016, M. X et la société Y ont reproché à la société Burger King France d'avoir modifié brutalement, unilatéralement et fondamentalement le périmètre des engagements négociés entre les parties, notamment en modifiant les projets d'implantation et le mode d'exploitation sur lesquels les parties étaient d'accord, et lui ont demandé si elle entendait tenter de parvenir à une résolution amiable du litige.
Aucun règlement amiable du litige n'étant intervenu, M. X et la société Y ont, le 14 décembre 2016, saisi le tribunal de commerce de Bobigny qui, par le jugement déféré, les a déboutés de leurs demandes de dommages intérêts et a rejeté la demande reconventionnelle de la société Burger King France pour procédure abusive.
Les appelants recherchent la responsabilité de la société Burger King France, à titre principal, sur un fondement contractuel et, à titre subsidiaire, sur un fondement délictuel pour rupture fautive des négociations.
Ils rappellent que l'obligation de bonne foi trouve à s'appliquer dans le cadre des négociations précontractuelles et que l'existence d'un accord de principe ou, plus encore, d'un avant contrat entre les partenaires est susceptible de donner un fondement contractuel à l'action en responsabilité pour manquement à cette obligation ; ils prétendent que le document d'information précontractuelle, accompagné du projet de franchise, envoyé par le franchiseur, constitue une offre de conclure un contrat de franchise, qui a été acceptée par la signature du franchisé ; ils en déduisent une promesse synallagmatique de franchise ; ils ajoutent que renoncer à un contrat dont la nature a été contractuellement déterminée en proposant à l'autre partie un contrat d'une autre nature revient à rompre l'accord de principe ou la promesse de contracter et constitue à tout le moins un manquement à l'exécution de bonne foi des contrats.
En fait, les appelants formulent les reproches successifs suivants à l'encontre de l'intimée :
a) inexécution de sa promesse relativement au lieu et au nombre de restaurants :
ils exposent en ce sens :
- qu'une promesse a été faite à M. X sur la signature de deux contrats de franchise pour l'exploitation de restaurants à Tours, l'un en centre-ville, l'autre à Tours nord avec un drive,
- que l'abandon du site de Tours nord est inhérent aux difficultés opérationnelles de la société Burger King France lors de la reprise du réseau D
- que dans l'attente de l'hypothétique ouverture du restaurant au centre-ville de Tours, M. X a vu les ex franchisés D, ouvrir des restaurants Burger King à Tours sud et à St Pierre des Corps à 1,5 kilomètres du centre-ville,
- que lorsque la société Burger King lui a présenté le site de Tours centre-ville en juillet 2015, elle prévoyait un chiffre d'affaires potentiel de 4 000 000 €, alors qu'elle a affirmé en première instance que le chiffre d'affaires atteindrait 3 128 000 € en 2018, soit une différence considérable,
- que ce seul restaurant en franchise n'était pas rentable et qu'il est actuellement exploité en location gérance par le groupe de M. E qui exploite trois autres restaurants de la ville,
- qu'en lui proposant le seul site de Tours centre-ville en franchise et non en location gérance, la société Burger King France faisait l'économie d'un investissement risqué,
- que l'intégralité des prévisions de M. X et des financements qu'il avait mis en place ont été remis en cause par le nouveau périmètre contractuel que la société Burger King France a tenté de lui imposer en violation de ses engagements initiaux ;
b) mauvaise foi et déloyauté relativement à l'absorption du réseau D :
A ce titre, les appelants reprochent à la société Burger King France :
- d'avoir laissé croire, que suite au rachat du réseau D rien ne changerait par rapport à ce qui avait été promis,
- d'avoir sacrifié son partenaire franchisé, le risque contentieux et de réputation étant moindre avec lui qu'avec des locataires gérants du réseau D bien organisé,
- d'avoir continué à laisser les structures des associés et proches du groupe Burger King ouvrir des restaurants en franchise sans se soucier de la présence ou non de D sur les zones concernées ;
Ils soulignent :
- que bien avant l'opération de rachat de D, M. Z, franchisé de D depuis 20 ans, émettait des prétentions concrètes et sérieuses quant à sa situation dans l'agglomération de Tours une fois le rachat réalisé,
- que l'intimée leur a fait signer le document d'information précontractuelle après le rachat de D puis a continué à leur faire croire que l'articulation des réseaux ne posait aucune difficulté,
- qu'une négociation avec M. Z aurait permis de dégager une solution dans l'intérêt des trois parties et que l'absence de communication claire et transparente de la société Burger King France sur la réalité de la situation nourrit encore le grief de déloyauté et de mauvaise foi ;
c) inexécution de la promesse relativement au mode d'exploitation des restaurants à ouvrir par M. X :
Selon les appelants :
- la société Burger King France a maintenu ses futurs franchisés dans la croyance que les promesses de franchise seraient tenues pour mieux surprendre leur consentement à un contrat de location gérance aux conditions complétement différentes, en particulier quant à la propriété du fonds de commerce,
- que seul M. X était débiteur d'une obligation d'exclusivité, lui interdisant avant la signature des contrats de franchise de travailler à un autre projet similaire, alors que la société Burger King France restait libre de discuter, négocier et conclure des promesses de contrat avec d'autres candidats,
- qu'il existait un déséquilibre patent entre la situation de M. X et celle de l'ex franchisé qui a ouvert des restaurants à Tours sud et à Saint Pierre des Corps ainsi qu'un café Starbucks en plein centre-ville au mépris du principe d'exclusivité.
Mais la société Burger King France réplique à juste raison que le document d'information pré contractuelle n'est qu'un document d'information à caractère général portant sur le réseau Burger King, que dans ce document et dans le projet de contrat de franchise joint il n'est aucunement fait état d'un emplacement sélectionné par le franchisé et agréé par le franchiseur; en conséquence les allégations des appelants relatives à une promesse synallagmatique de contrat qui résulterait d'une offre acceptée au reçu de ce document doivent être écartées.
Il convient de rechercher si entre juillet 2014, date d'agrément de la candidature de M. X, et la cessation des relations notifiées par celui-ci le 30 mai 2016 des promesses lui ont été données par la société Burger King France sur la conclusion d'un contrat de franchise portant sur deux restaurants dans la zone de Tours et si la société Burger a manqué à son obligation de bonne foi lors des pourparlers en vue de la conclusion d'un tel contrat.
Les pièces versées aux débats par les parties montrent que plusieurs implantations ont été recherchées mais n'ont pas été retenues :
- entre janvier 2014 et décembre 2015 à Saran, Orléans, Blois et Angers,
- tout au long de l'année 2015 dans l'agglomération de Tours : sur le site de La Riche/Les 2 Lions en octobre 2015, sur le site Tour des Atlantes à Saint Pierre des Corps en novembre 2015, sur le site de Saint Cyr sur Loire en décembre 2015 et sur le site de Chambray les Tours où était déjà exploité un restaurant D.
Il apparaît que le projet d'implantation sur le site Tours nord, envisagé dès juillet 2015 par M. X n'a pas abouti, la société Burger King France faisant état de la proximité d'un restaurant D qui bénéficiait d'un bail de 12 ans dont la résiliation n'était pas négociable ; avisé de la difficulté, M. X écrivait à la société Burger King France, le 9 novembre 2015, qu'il attendait son arbitrage sur les différents sites D de Tours, qu'il continuait à travailler sur le site de Tours centre-ville et voulait ouvrir un restaurant en priorité dans la zone nord.
Par courriel du 7 septembre 2015, M. X, qui s'était intéressé en juillet 2015 à un emplacement en centre-ville de Tours, <adresse>, a informé la société Burger King France, qui avait négocié une offre d'acquisition des locaux concernés, qu'il ne souhaitait pas poursuivre ce projet insuffisamment rentable mais se déclarait persuadé que d'autres opportunités se présenteraient.
Par courriel du 25 janvier 2016, M. X a interrogé la société Burger King France sur le devenir des sites D actuels et sur le point de savoir s'ils resteraient entre les mains de M. Y X
Puis par courriel du 16 février 2016, M. X a informé la société Burger King France qu'il voulait orienter son développement sur les zones de Tours nord, Saint Cyr sur Loire et La Riche/les 2 Lions, soit la partie nord, nord-ouest et ouest de l'agglomération de Tours, laissant la possibilité à M. Z de continuer à exploiter Saint Pierre des Corps, Chambray les Tours et Tours centre-ville et qu'il souhaitait impérativement ouvrit le premier Burger King sur la zone Tours nord.
Il résulte de l'analyse de ces éléments que la société Burger King France a toujours accompagné M. X dans la recherche d'emplacements pour s'implanter, en ce compris dans l'agglomération de Tours, et ne lui a pas caché l'existence des franchises D qui y existaient, dont celles de M. Y X
Les appelants ne démontrent aucun accord de principe, avant contrat ou promesses de contrat de franchise de la part de la société Burger King France portant sur l'exploitation de deux restaurants, l'un au centre-ville de Tours, l'autre dans la zone nord de Tours comme souhaité par M. X X
Contrairement à ce qui est prétendu par les appelants, M. X n'était tenu par aucune exclusivité et restait libre de contacter d'autres franchiseurs ; la société Burger King France, quant à elle, n'avait accordé à M. X aucune exclusivité pour l'ouverture d'un ou plusieurs restaurants sur une zone déterminée.
Par ailleurs rien n'établit que la société Burger King France aurait voulu imposer à M. X la conclusion d'un contrat de location gérance à la place du contrat de franchise initialement envisagé.
Aucune faute ou mauvaise foi n'est démontrée à l'encontre de la société Burger King France lors du déroulement des pourparlers.
En conséquence, les appelants seront déboutés de l'intégralité de leurs demandes.
Pour réclamer la somme de 150 000 €, à titre de dommages intérêts, la société Burger King France expose que M. X et la société Y ont engagé une procédure abusive dépourvue de tout fondement sérieux et qu'ils ont déposé des plaintes pénales artificielles dans le seul but de lui nuire, au mépris de la plus élémentaire bonne foi.
Mais les appelants, en introduisant la présente procédure puis en relevant appel du jugement, n'ont pas fait dégénérer en abus leur droit d'agir en justice ; la société Burger King France sera donc déboutée de sa demande de dommages intérêts.
Vu les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, il y a lieu d'allouer la somme supplémentaire de 30 000 euros à la société Burger King France et de rejeter la demande des appelants de ce chef.
PAR CES MOTIFS
Confirme le jugement en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
Déboute les parties de toutes leurs autres demandes,
Condamne solidairement M. X et la société Y aux dépens d'appel et à payer la somme de 30 000 euros à la société Burger King France par application de l'article 700 du code de procédure civile.