CA Poitiers, 2e ch. civ., 16 février 2021, n° 20/02044
POITIERS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Lyspackaging (SAS)
Défendeur :
Kerhea (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Franco
Conseillers :
Mme Brieu, M. Chiron
EXPOSE DU LITIGE
La SAS Lyspackaging a été immatriculée le 12 janvier 2015 au RCS de Saintes et exerce une activité de fabrication d'articles d'emballage en matière plastique tels que bouteilles, flacons, bidons, articles de bouchage etc., extrusion, injection et soufflage de toute matière plastique, conditionnement de boissons, études, conseil, conception, réalisation, production, distribution, commercialisation de tous produits et services dans le domaine de l'emballage de fabrication et à la commercialisation de contenants et d'articles d'emballage alimentaires tels que des bouteilles, flacons, bidons ou autres articles de bouchage.
Elle fabrique et commercialise, notamment, des contenants à base de PLA (acide polylactique), et en particulier des bouteilles non capsulées Veganbottle©BX, en utilisant des déchets de canne à sucre (ou bagasse).
Depuis la fin de l'année 2015, elle a noué une relation d'affaires avec la société Ekoverde, immatriculée le 6 janvier 2015 au registre du commerce et des sociétés de la Roche-sur-Yon, ayant son siège à Sainte-Foy et pour associés MM. Alessio R., Lucien K. et Bertrand B., dont l'objet social est le commerce de tous articles et produits non alimentaires et ou matériels destinés notamment à l'entretien et au nettoyage de toute surface et de tout véhicule ainsi que toutes opérations d'achat, de vente, distribution, location de tout matériels produits et prestations de services pouvant favoriser la réalisation de son objet.
Le 20 octobre 2015, la société Lyspackaging a conclu avec la société Ekoverde, pour une durée de cinq ans, un contrat de confidentialité et de non-divulgation, dans lequel il était rappelé que le donneur (à savoir la société Lyspackaging) possédait des connaissances concernant un procédé et/ou un produit intitulé :
- bouteilles et bouchons spécifiques,
- développement de nouveaux matériaux,
- design et procédé de fabrication,
Et que le bénéficiaire (la société Ekoverde) possédait des connaissances concernant la vente en vrac, les distributeurs automatiques de produits alimentaires et non alimentaires, les bornes de collecte du bio plastique.
Le 5 mars 2016, les mêmes parties ont convenu d'un contrat de partenariat au terme duquel la société Ekoverde s'engageait à acheter et à exploiter des bouteilles réalisées sur mesure pour son compte en PLA par la société Lyspackaging; ces bouteilles étant destinées à la vente et la distribution de produits en vrac tels que l'eau du robinet et des détergents commercialisés par la société Ekoverde.
Il était stipulé que la société Ekoverde restait la seule et unique bénéficiaire des moules conçus par la société Lyspackaging pour son compte dans le but de souffler les bouteilles en PLA, et que jusqu'à dénonciation du contrat par l'une des parties, elle resterait le bénéficiaire exclusif de cette production de bouteilles en PLA.
En contrepartie, la société Lyspackaging s'engageait à mettre à disposition de la société Ekoverde la documentation nécessaire qui a trait aux marchandises concernées ainsi que toutes informations utiles pouvant servir de support de communication.
Les deux parties s'engageaient aux termes de son contrat à ne pas faire preuve de concurrence déloyale de la clientèle quel que soit le moyen employé.
Chacune des parties devait considérer comme confidentielles pendant toute la durée du contrat et après son expiration toutes informations obtenues dans le cadre de son exécution ; les deux parties s'interdisaient plus particulièrement de communiquer à des tierces personnes autres que son personnel toute information relative au contrat.
Au mois d'avril 2019, M.K., toujours associé de la société Ekoverde, a fait immatriculer au registre du commerce et des sociétés de la Roche-sur-Yon la société dénommée Kerhea, ayant pour activité la fabrication la commercialisation, la collecte et recyclage de produits biosourcés, flacons, gourdes, consommables divers, et plus généralement tous produits issus du végétal.
Par courrier recommandé en date du 2 décembre 2019, la société Lyspackaging a mis en demeure la société Kerhea de cesser tout acte et toute communication caractérisant un manquement à l'engagement de non-concurrence et de confidentialité.
Par acte en date du 16 janvier 2020, la société Lyspackaging a fait assigner la société Kerhea et M; K. devant le juge des référés du tribunal de commerce de la Roche-sur-Yon en cessation sous astreinte des activités illicites des défendeurs et en paiement d'une indemnité provisionnelle à valoir sur son préjudice commercial et sur son préjudice moral, en exposant que les bouteilles présentées par la défenderesse sur son site Internet, dénommées KO ou gourdes Klo en matière 100% végétale à partir de ressources non alimentaires, et en particulier à partir de déchets de canne à sucre, étaient identique (sauf pour leur design) aux bouteilles objets du contrat de partenariat et de l'engagement de confidentialité.
Lors de l'audience du 25 mai 2020, le président du tribunal de commerce statuant en référé a renvoyé l'affaire au fond à l'audience du 2 juin 2020.
Par jugement en date du 1er septembre 2020, le tribunal de commerce de La Roche-sur-Yon a :
- débouté la Société Lyspackaging de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions.
- dit et jugé que la Société Lyspackaging n`a pas usé de procédure abusive pour ester en Justice, mais a souhaité trancher judiciairement un litige commercial avec la Société Kerhea,
- débouté celle-ci et M. Lucien K. de leurs demandes reconventionnelles.
- dit et jugé qu`il n`y a pas lieu à publication de la présente décision dans un journal.
- condamné la société Lyspackaging à payer à la Société Kerhea et M. L. K. la somme de deux mille euros (2 000,00 euros) à chacun au titre de l`article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens de l'instance.
Le tribunal a considéré, en substance, que la société Lyspackaging ne disposait pas d'un savoir-faire unique, dès lors que plusieurs sociétés concurrentes réalisaient également des bouteilles 100% végétales, certaines depuis 2002 ; qu'en outre, M. K. n'était pas partie à titre personnel aux contrats de partenariat d'octobre 2015 et avril 2016 ; et que les défendeurs avaient apporté en cours de procédure les éléments factuels relatifs à leur chaîne de partenaires, fournisseurs et sous-traitants.
Par déclaration en date du 30 septembre 2020, la société Lyspackaging a relevé appel de ce jugement à l'encontre de M. Lucien K., et de la société Kerhea.
Par ordonnance en date du 8 octobre 2020, elle a été autorisée à faire assigner à jour fixe les intimés.
L'assignation a été délivrée le 13 octobre 2020.
Dans ses dernières conclusions remises au greffe et notifiées le 5 novembre 2020, la société Lyspackaging demande à la cour de :
Vu l'article 1240 du code civil,
Vu les articles L. 151-1 et suivants, et notamment les articles L. 152-3 et L. 152-7 du code de commerce,
Vu les articles L. 121-1, L. 121-2, L. 121-3, L. 121-4 et L. 121-5 du code de la consommation relatifs aux pratiques commerciales déloyales et trompeuses, et la Directive 2005/29/CE du Parlement européen et du Conseil du 11 mai 2005 relative aux pratiques commerciales déloyales des entreprises vis-à-vis des consommateurs dans le marché intérieur (dite « Directive sur les pratiques commerciales déloyales »),
Vu le Règlement UE n° 10/2011 de la Commission du 14 janvier 2011 concernant les matériaux et objets en matière plastique destinés à entrer en contact avec des denrées alimentaires,
Vu notamment l'article R. 543-43 du code de l'environnement et l'arrêté du 7 février 2012 relatif aux exemples d'application des critères précisant la notion d'« emballage » définis à l'article R. 543-43 du code de l'environnement,
Vu la norme NF EN 13432, et la note de position du Conseil National de l'Emballage adressée au mois de juillet 2009 au Ministre de l'Ecologie, de l'Energie, du Développement durable et de la Mer, au Ministre de l'Alimentation, de l'Agriculture et de la Pêche, au Ministre de l'Industrie et à l'ADEME, relative aux « Emballages compostables et matériaux plastiques dits 'biodégradables' issus de ressources renouvelables »,
Vu l'article L. 131-1 du code des procédures civiles d'exécution,
Vu la jurisprudence citée,
DECLARER irrecevables et en tous cas mal fondés la société Kerhea et M. K. en l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions ; les en DEBOUTER,
REFORMER le jugement prononcé le 1er septembre 2020 par le Tribunal de Commerce de LA-ROCHE-SUR-YON, sauf en ce qu'il a :
- dit et jugé que la société Lyspackaging n'a pas usé de procédure abusive pour ester en Justice, mais a souhaité trancher judiciairement un litige commercial avec la société Kerhea,
- débouté la société Kerhea et M. K. de leurs demandes reconventionnelles,
ET STATUANT A NOUVEAU,
DECLARER que la société Kerhea et M. K. ne sont pas détenteurs pour les produits qu'ils présentent à la vente (bouteilles KO et gourdes Klo) notamment sur le site Internet de la société Kerhea à tout le moins depuis le mois de novembre 2019 :
- du certificat ou des rapports d'essais complets et obligatoires d'aptitude de ces produits à rentrer en contact avec ou à conditionner des liquides et boissons conformément à la règlementation sanitaire et alimentaire applicable d'une part,
- et du certificat ou des rapports de conformité de ces mêmes produits à la norme NF EN 13432 justifiant de leur compostabilité et de leur biodégradabilité d'autre part,
- DECLARER fausse et trompeuse, au sens des articles L. 121-1 et suivants du code de la consommation, la publicité assurée par la société Kerhea et M. K. notamment sur le site Internet de l'entreprise depuis à tout le moins le mois de novembre 2019, publicité portant sur des bouteilles et gourdes fabriquées à partir de matière 100 % végétale, dites aptes à rentrer en contact avec ou à conditionner des liquides et boissons, dites entièrement compostables, biodégradables, recyclables et répondant soi-disant à la norme NF EN 13432, produits qui, de surcroît et en considération des déclarations faites par les intimés devant le premier Juge et réitérées devant la Cour, auraient en réalité été inexistants et non disponibles au jour de l'audience de plaidoirie qui s'est tenue le 7 juillet 2020 devant le tribunal de commerce de LA-ROCHE-SUR-YON, et dont on ignore aujourd'hui encore s'ils le sont réellement (existants et disponibles), bien que la société Kerhea en poursuive toujours la publicité sur son site Internet,
- CONDAMNER solidairement la société Kerhea et M. K. à cesser toute activité et tout acte matériel de production, d'offre, de mise sur le marché constitutif de concurrence déloyale, de parasitisme ou d'utilisation et d'exploitation illicites d'informations confidentielles portant sur un savoir-faire, un secret de fabrique et un secret des affaires protégés dont ils se sont rendus coupables, ainsi, à tout le moins, que tout acte de promotion, de publicité trompeuse et de communication portant sur des bouteilles et gourdes fabriquées à partir de matière 100 % végétale, dites aptes à rentrer en contact avec ou à conditionner des liquides et boissons, dites entièrement compostables, biodégradables, recyclables et répondant soi-disant à la norme NF EN 13432, au préjudice de la société Lyspackaging et tels que :
- fabrication directe ou fabrication par le biais de sous-traitants ou de partenaires commerciaux, puis commercialisation de bouteilles et de gourdes issues d'une confection en matière 100 % végétale, et présentées avec les caractéristiques, qualités et propriétés évoquées ci-dessus (notamment en ce que ces produits satisfont soi-disant aux normes sanitaires, alimentaires et environnementales qui y sont attachées),
- démarchage de clients particuliers ou professionnels, présentation et distribution de ces produits sur des salons, congrès ou manifestations professionnels ou non, présentation de ces produits dans la presse écrite, à la radio ou la télévision, ou encore à travers tout média ou support publicitaire destiné aux particuliers ou aux professionnels notamment sur le site
Internet de la société Kerhea,
ASSORTIR les interdictions et condamnations précédemment prononcées, d'une astreinte de 15 000 euros par infraction constatée à compter de la signification de la décision à intervenir, astreinte à laquelle seront solidairement condamnés la société Kerhea et M. K. en cas de manquement,
CONDAMNER solidairement la société Kerhea et M. K. à rappeler sans délai des circuits commerciaux et à les écarter définitivement de ces circuits, l'ensemble des bouteilles et gourdes confectionnées à partir de matière 100 % végétale, dites aptes à rentrer en contact avec ou à conditionner des liquides et boissons, dites entièrement compostables, biodégradables, recyclables et répondant soi-disant à la norme NF EN 13432, et à en justifier auprès de la société Lyspackaging dans le délai de 15 jours suivant la signification de la décision à intervenir, à peine d'astreinte de 5 000 euros par jour de retard passé ce délai,
ORDONNER la publication dans les journaux OUEST-FRANCE et SUD-OUEST, aux frais exclusifs de la société Kerhea et de M. K., dans un délai de 15 jours suivant la signification de l'arrêt à intervenir et à peine d'astreinte de 1 000 euros par jour de retard passé ce délai, du dispositif de la décision en ce qu'il a été enjoint à la société Kerhea et à M. K. de cesser sous astreinte toute activité déloyale, parasitaire et illicite, toute publicité trompeuse et toute communication au préjudice de la société Lyspackaging, portant sur la fabrication, la commercialisation et la distribution de bouteilles et gourdes confectionnées à partir de matière 100 % végétale, dites aptes à rentrer en contact avec ou à conditionner des liquides et boissons, dites entièrement compostables, biodégradables, recyclables et répondant soi-disant à la norme NF EN 13432,
ORDONNER également la publication sur la page d'accueil du site Internet de la société Kerhea, aux frais exclusifs de celle-ci, sur un bandeau fixe et dans un espace correspondant à la moitié de l'écran, pendant une durée ininterrompue de 2 mois, dans un délai de 2 jours suivant la signification de l'arrêt à intervenir et à peine d'astreinte de 1 000 euros par jour de retard passé ce délai, du dispositif de la décision en ce qu'il a été enjoint à la société Kerhea et à M. K. de cesser sous astreinte toute activité déloyale, parasitaire et illicite, toute publicité trompeuse et toute communication au préjudice de la société Lyspackaging, portant sur la fabrication, la commercialisation et la distribution de bouteilles et gourdes confectionnées à partir de matière 100 % végétale, dites aptes à rentrer en contact avec ou à conditionner des liquides et boissons, dites entièrement compostables, biodégradables, recyclables et répondant soi-disant à la norme NF EN 13432,
DIRE que la Cour d'Appel de Poitiers se réserve la possibilité de liquider l'ensemble des astreintes provisoires ainsi prononcées,
CONDAMNER in solidum la société Kerhea et M. K. à verser à la société Lyspackaging la somme de 75 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de ses préjudices commerciaux et moraux,
CONDAMNER in solidum la société Kerhea et M. K. à restituer à la société Lyspackaging les sommes versées au titre de l'exécution provisoire dont était assorti le jugement prononcé le 1er septembre 2020 par le Tribunal de Commerce de LA-ROCHE-SUR-YON, majorées des intérêts au taux légal à compter du 16 novembre 2020,
CONDAMNER in solidum la société Kerhea et M. K. à verser à la société Lyspackaging la somme de 15 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNER in solidum les mêmes aux entiers dépens de première instance et d'appel, en ce compris le coût du procès-verbal de constat dressé le 27 novembre 2019 par la SELARL M. R., Huissier de Justice (320 euros), et dont distraction pour ceux qui la concernent au profit de la SCP G. A. W. en application de l'article 699 du code de procédure civile.
Dans ses conclusions remises au greffe et notifiées le 10 décembre 2020, M. Lucien K. et la société Kerhea demandent à la cour de :
Vu les articles 151-1 et suivants du Code de commerce,
Vu l'article 32-1 du Code de procédure civile,
Vu l'article 1240 du Code civil,
Vu l'article 700 du Code de procédure civile,
Vu la jurisprudence,
Vu les pièces du dossier,
IN LIMINE LITIS,
DIRE ET JUGER que la SAS Lyspackaging n'a pas notifié ses pièces à l'avocat constitué pour la SAS Kerhea et M. Lucien K., et notamment lors de la notification de conclusions signifiées par message RPVA du 5 novembre 2020,
DIRE ET JUGER en conséquence irrecevables les pièces visées dans les conclusions signifiées par message RPVA du 5 novembre 2020,
AU FOND
- confirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de LA ROCHE SUR YON en date du 1 er septembre 2020 en ce qu'il a :
- débouté la Société Lyspackaging de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
- condamné la Société Lyspackaging à payer à la Société Kerhea et M. Lucien K. la somme de 2 000,00 Euros à chacun au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamné la Société Lyspackaging aux entiers dépens et frais de l'instance
REFORMER le Jugement rendu par le Tribunal de commerce de LA ROCHE SUR YON en date du 1er septembre 2020 sur les autres chefs de dispositifs,
ET STATUANT A NOUVEAU
- de dire et juger que la SAS Lyspackaging n'est pas et n'a jamais été « le seul opérateur à fabriquer et proposer à la vente des contenants fabriqués à partir de matière 100% végétale ».
- de dire et juger que cette présentation frauduleuse pouvant être qualifiée de pratiques commerciales trompeuses et déloyales, caractérise un comportement fautif de la SAS Lyspackaging dans l'exercice de son droit d'ester en justice visant à voir prononcer la cessation de l'activité principale de la SAS Kerhea,
- de dire et juger que la SAS Kerhea a subi un préjudice moral et financier tiré de la nécessité de faire valoir ses droits face à de telles demandes injustifiées et abusives créant un risque de cessation totale de son activité.
- de dire et juger que la Société Kerhea a été contrainte pour faire valoir ses droits de désigner plusieurs de ses partenaires et plusieurs documents contractuels couverts par le secret des affaires.
- de condamner en conséquence la SAS Lyspackaging à verser à la SAS Kerhea la somme de 50 000,00 Euros de dommages et intérêts pour procédure abusive sur le fondement des articles 32-1 du Code de procédure civile et 1240 du Code civil.
- d'ordonner la publication de la décision à intervenir dans le journal Ouest France dans un délai de quinze jours à compter de la signification de la décision, aux frais de la SAS Lyspackaging, à peine d'astreinte de 1 000,00 Euros par jour de retard à l'expiration de ce délai.
En tout état de cause
- de condamner la SAS Lyspackaging à verser à M. Lucien K. et la SAS Kerhea la somme de 10 000,00 Euros à chacun au titre des frais irrépétibles.
Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie expressément aux dernières conclusions précitées pour plus ample exposé des prétentions et moyens des parties.
MOTIFS DE LA DECISION :
1- Sur la demande de rejet de pièces :
Se fondant sur l'avis de la cour de cassation en date du 25 juin 2012, la société Kerhea et M. K. demandent à la cour de déclarer irrecevables les pièces qui sont visées dans les conclusions notifiées le 5 novembre 2020 par la société Lyspackaging, mais qui n'ont pas été communiquées simultanément.
Mais il convient de relever que l'avis précité est sans incidence dans la présente instance, puisqu'il concernait l'application des dispositions de l'article 906 du code de procédure civile, dans le cadre d'une procédure ordinaire.
Dans une procédure à jour fixe, aucune disposition ne permet de déclarer irrecevables des pièces qui auraient été communiquées seules, sans notification simultanée des conclusions.
La société Kerhea et M. K. n'ont pas contesté avoir eu communication, le 18 novembre 2020, puis le 2 décembre 2020, de l'ensemble des pièces numérotées l à 36 visées au bordereau de communication de pièces annexé aux conclusions notifiées le 2 décembre 2020.
Le principe du contradictoire a été respecté.
En conséquence, il convient de déclarer les pièces recevables.
2- sur le fond :
2.1- Selon les dispositions de l'article L. 121-1 du code de la consommation, « les pratiques commerciales déloyales sont interdites.
Une pratique commerciale est déloyale lorsqu'elle est contraire aux exigences de la diligence professionnelle et qu'elle altère ou est susceptible d'altérer de manière substantielle le comportement économique du consommateur normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, à l'égard d'un bien ou d'un service.
Le caractère déloyal d'une pratique commerciale visant une catégorie particulière de consommateurs ou un groupe de consommateurs vulnérables en raison d'une infirmité mentale ou physique, de leur âge ou de leur crédulité s'apprécie au regard de la capacité moyenne de discernement de la catégorie ou du groupe.
Constituent, en particulier, des pratiques commerciales déloyales les pratiques commerciales trompeuses définies aux articles L. 121-2 à L. 121-4 et les pratiques commerciales agressives définies aux articles L. 121-6 et L. 121-7. »
Selon les dispositions de l'article L. 121-2 du code de la consommation, « Une pratique commerciale est trompeuse si elle est commise dans l'une des circonstances suivantes :
1°) Lorsqu'elle crée une confusion avec un autre bien ou service, une marque, un nom commercial ou un autre signe distinctif d'un concurrent ;
2°) Lorsqu'elle repose sur des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur et portant sur l'un ou plusieurs des éléments suivants :
a) L'existence, la disponibilité ou la nature du bien ou du service ;
b) Les caractéristiques essentielles du bien ou du service, à savoir : ses qualités substantielles, sa composition, ses accessoires, son origine, sa quantité, son mode et sa date de fabrication, les conditions de son utilisation et son aptitude à l'usage, ses propriétés et les résultats attendus de son utilisation, ainsi que les résultats et les principales caractéristiques des tests et contrôles effectués sur le bien ou le service
(...) »
La société Lyspackaging a fait constater par huissier, le 27 novembre 2019, que figuraient sur le site Internet de la société Kerhea (Kerhea.com) des pages concernant les bouteilles KO et les gourdes KLO.
Il est présenté, notamment :
- en page 19 du constat, une bouteille KO avec étiquette verte « 100% issue du végétal » décrite comme 100 % biodégradable,
- en page 20 une bouteille KO portant une étiquette bleue, dite « bouteille végétalisée »,
- en page 21, une photographie de gourde KLO,
- en page 23, une description :
- gourde 100 % issue du végétal (déchets de canne à sucre),
- fabriquée en PLA
- bouteille tout ou partie issue du végétal (non de ressources alimentaires)
- biodégradable, compostable et/ou recyclables.
La société Lyspackaging a en outre produit une copie de différentes captures d'écran, sur le site Kerhea.com, le 14 février 2020 (sa pièce 21) et le 25 septembre 2020 (sa pièce 29).
Dans la présentation de la bouteille KO, il est indiqué « PLA certifié sans OGM, compostable industriellement selon la norme NF EN 13432 en vigueur et recyclable. »
La société Lyspackaging soutient (page 37 de ses dernières conclusions) qu'en présentant à la vente sur leur site Internet, notamment, des bouteilles et gourdes destinées à être en contact avec des liquides et boissons, fabriquées soi-disant à partir de matière bioplastique PLA issue du végétal (déchets de canne à sucre), « biodégradable(s), compostable(s) », propriété dont elle ne peut manifestement pas bénéficier au sens de la réglementation applicable, la société Kerhea et M. K. se sont rendus et se rendent toujours coupables de pratiques commerciales déloyales.
Elle précise à cet égard que la société Kerhea et M. K. ne disposent pas pour les bouteilles KO et les gourdes KLO d'un certificat d'alimentarité et d'un certificat de compostabilité.
Les intimés répliquent qu'un contrôle normal d'alimentarité a été obtenu pour la bouteille KO, que cette bouteille est réalisée à partir de PLA CORBION qui est conforme à la norme de biodégradabilité NF EN 13 432 et que la gourde KLO, en cours de finalisation, ne devrait pas être composée seulement de PLA, mais également de PHA.
La cour rappellera en premier lieu qu'un fait générateur de concurrence déloyale peut consister dans l'inobservation d'une réglementation dans la mesure où, en s'affranchissant des réglementations ou prohibitions légales, une entreprise perturbe le marché.
Il est constant que la bouteille KO et la gourde KLO sont destinées à servir de contenants de liquides alimentaires.
A ce titre, ces produits relèvent du champ d'application du règlement (CE) n° 1935/2004 du Parlement européen et du Conseil du 27 octobre 2004 concernant les matériaux et objets destinés à entrer en contact avec des denrées alimentaires.
Selon l'article 2.1 de ce règlement (Définitions), Aux fins du présent règlement, les définitions pertinentes du règlement (CE) n° 178/2002 sont applicables, à l'exception des définitions suivantes de la « traçabilité » et de la « mise sur le marché » :
a) « traçabilité », la capacité de retracer, à travers toutes les étapes de la fabrication, de la transformation et de la distribution, le cheminement d'un matériau ou d'un objet ;
b) « mise sur le marché », la détention de matériaux et objets en vue de leur vente, y compris l'offre en vue de la vente ou toute autre forme de cession, à titre gratuit ou onéreux, ainsi que la vente, la distribution et les autres formes de cession proprement dites (souligné par la cour)
L'affirmation de la société Kerhéa, selon laquelle la gourde KLO est en cours de finalisation, n'est pas contredite par les pièces produites par la société Lyspackaging.
Au vu du procès-verbal de constat dressé par huissier le 27 novembre 2019 (pièce11-2 de l'appelante), le site Kerhea.com ne permet pas au consommateur d'acheter ce produit en ligne, et il ne donne aucune information sur des points de vente physiques.
Il n'est pas démontré que la société Kerhéa détiendrait actuellement des gourdes KLO en vue de leur mise en vente sur le marché, et la seule commande de soufflage de préformes en matière PLA dont a justifié la société Kerhéa concerne exclusivement des bouteilles de 500 ml (commande du 12 septembre 2019 auprès de la société COMEP) et non des gourdes.
Il est constant que la bouteille KO a été mise sur le marché, au sens du règlement précité, puisque la société Kerhéa et M. K. indiquent en avoir vendu au salon Atlantica de la Rochelle en octobre 2020. Ils précisent à cet égard, sans être utilement contredits par la société appelante, qu'il n'a été vendu à cette occasion que des bouteilles KO avec étiquette bleu, dite « bouteille végétalisée » selon le site kerhéa.com, avec une publicité sur le stand « la bouteille KO est recyclable » (pièce 46 des intimés) et non 100 % végétale ou biodégradable.
Les intimés justifient avoir obtenu, pour la bouteille PLA Matière CORBION, et selon analyse réalisée le 25 septembre 2020 par le laboratoire CTCPA (et donc avant le salon Atlantica) des valeurs de migration globale inférieures à la limite fixée par la législation en vigueur.
Au vu de la photographie prise par le laboratoire (page2/3 du rapport) il s'agissait là d'une analyse du produit fini, muni de son bouchon.
Il n'est pas démontré par la société appelante que ce rapport d'alimentarité soit insuffisant ou incomplet pour permettre une mise sur le marché.
Par ailleurs, la société Kerhea justifie, par un bon de commande du 4 juillet 2019, qu'elle se fournit auprès de la société Polymix pour l'achat de matière PLA Luminy L175 (sa pièce 45).
Il s'agit d'une référence commerciale de granulés produits par la société Total Corbion PLA, qui a obtenu un certificat de conformité à la norme EN 13432 délivré le 25 mars 2020 par la société de certification TUV Austria Cert.
Il ressort de l'article 1er la norme précitée, produite en son entier par la société appelante, que si un emballage est constitué de différents composants, dont certains sont compostables et d'autres non compostables, l'emballage lui-même n'est pas compostable.
Il résulte en outre ressort du courriel adressé le 12 juin 2020 par M. B. (société Bio-Fed) à M. K. que le certificat du 25 mars 2020 granulés n'est relatif qu'à la matière (granulés PLA) et que pour faire certifier le produit fini (à savoir la bouteille), une autre certification est nécessaire.
Mais, à l'examen des copies de captures d'écran issues du site Kerhea.com, il apparaît que la société Kerhea ne s'est pas prévalue de la norme EN 13432 que pour le PLA, et non pour la bouteille entière.
En toutes hypothèses, il sera de nouveau rappelé que le site Internet ne permet pas la vente aux consommateurs, que la seule vente effective a eu lieu lors d'un salon, et que, dans ces conditions une telle présentation à visée essentiellement promotionnelle sur le site Internet n'était pas de nature à altérer de manière substantielle le comportement économique d'un consommateur normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, au sens de l'article L. 121-1alinéa 2 du code de la consommation.
En conséquence, la société appelante ne démontre pas l'existence de faits de concurrence déloyale par violation des dispositions du code de la consommation.
2.2- La société appelante soutient qu'il existe des faits distincts de concurrence déloyale en raison de l'utilisation illicite de son savoir-faire, dont M. K. aurait eu connaissance dans le cadre des contrats conclus avec la société Ekoverde.
Elle précise que le savoir-faire et les informations confidentielles révélés à M. K. concernaient le processus complet de fabrication des bouteilles, de leur conception à leur exécution, à savoir la matière spécifique employée, la recette de fabrication, les machines de production et l'outillage particulier mis au point par la société Lyspackaging (et notamment presses à injecter et souffleuses), le process concernant les réglages et les cadences spécifiques des machines, les études et plans techniques portant sur les préformes et les bouteilles, notamment sur les calculs de structure du contenant, le type de préforme à réaliser, l'épaisseur et la masse volumique du matériau à mettre en œuvre, le niveau maximum de remplissage.
Il convient de rappeler que selon l'article 1 g) du règlement (UE) n°330/2010 de la commission du 20 avril 2010 concernant l'application de l'article 101, paragraphe 3, du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne à des catégories d'accords verticaux et de pratiques concertées, le savoir-faire signifie « un ensemble secret, substantiel et identifié d'informations pratiques non brevetées, résultant de l'expérience du fournisseur et testées par celui-ci ; dans ce contexte, « secret » signifie que le savoir-faire n'est pas généralement connu ou facilement accessible ; « substantiel » se réfère au savoir-faire qui est significatif et utile à l'acheteur aux fins de l'utilisation, de la vente ou de la revente des biens ou des services contractuels ; « identifié » signifie que le savoir-faire est décrit d'une façon suffisamment complète pour permettre de vérifier qu'il remplit les conditions de secret et de substantialité ».
Il est constant que le détenteur d'un savoir-faire peut agir en responsabilité sur le fondement de l'article 1240 du code civil contre celui qui a surpris ses secrets d'affaires ou de fabrication, à condition de prouver les éléments de la responsabilité civile délictuelle, à savoir un dommage réparable directement causé par la faute du défendeur.
Il incombait donc à la société Lyspackaging, demandeur à l'action en responsabilité, d'établir le caractère fautif des moyens ayant permis à M. K. et à la société Kerhea d'avoir accès à son savoir-faire et la seule similitude des produits, non protégés par un droit privatif, ne suffit pas à caractériser l'appropriation déloyale du travail d'autrui ou l'utilisation fautive de techniques propres au concurrent.
A cet égard, la seule circonstance que la société Ekoverde, dont M. K. était associé, a eu connaissance d'informations sur le savoir-faire de la société Lyspackaging, dans le cadre du contrat de partenariat du 5 avril 2016, est insuffisant pour démontrer un détournement de ce savoir-faire par la société Kerhea.
M. K. a certes indiqué dans ses dernières conclusions (page 13) « avoir été informé d'un certain nombre d'échanges ayant eu lieu entre les sociétés Ekoverde et Lyspackaging, pouvant représenter un accès à des informations qui pourraient être considérées comme confidentielles en application du régime de droit commun » mais il conteste formellement avoir utilisé ou exploité même de manière indirecte une information confidentielle provenant de la société Lyspackaging.
Les intimés font en outre valoir, à juste titre, que la société Lyspackaging, immatriculée en 2015, qui ne dispose d'aucun brevet en matière de fabrication de bouteilles en matière végétale, ne dispose pas d'un savoir unique en la matière, et n'est pas le seul opérateur en mesure de fabriquer et proposer à la vente des contenants issus à 100 % de matière végétale.
Il ressort des pièces 12 à 21 communiquées par les intimés que la première bouteille en PLA a été réalisée en 2002 par la société NatureWorks, et que le concept a ensuite été développé en 2006 en partenariat avec la société Belu.
D'autres sociétés ont ensuite fabriqué des bouteilles en PLA : il est ainsi produit un article de presse en ligne, en date du 17 mars 2011, qui fait référence à la mise sur le marché français par la société Brita à partir d'avril 2001 d'une bouteille issue à 100% (bouchon compris) de plantes glucidiques comme la betterave sucrière, la canne à sucre ou le maïs.
Sans être utilement contredite sur ce point, la société Kerhea cite d'autres opérateurs sur le même marché : les sociétés Vegetal & Mineral Water (depuis 2011), Urthpact (2013) Plant Made Bottle, For the better good, Avitez.
La société Kerhea, qui reconnaît ne pas assurer elle-même le process industriel de fabrication des bouteilles KO et gourdes KLO, a révélé dans le cadre de l'instance le nom des sociétés assurant pour elle les trois phases de la production (extraction de la matière; injection des granulés dans un moule pour fabriquer des préformes, et soufflage des préformes dans un moule pour obtenir la forme de la bouteille) et au vu des devis et factures produites au débat, il n'est pas établi, comme le soutient l'appelante, que cette chaîne de fabrication soit « le fruit de l'imagination fertile de M. K., probablement stimulée par une longue période de confinement ».
Il n'existe par ailleurs aucun risque de confusion entre les bouteilles KO et les bouteilles VeganBottle commercialisées par la société Lyspackaging, qui présentent un design totalement différent.
Dès lors que la société Kerhea est en mesure d'assurer la production de ses bouteilles et gourdes par des sociétés utilisant des techniques connues de plusieurs industriels opérant sur le même secteur concurrentiel, et que la preuve n'est pas rapportée du détournement ou utilisation non autorisée d'informations, secrets d'affaires ou secret de fabrique propres à la société Lyspackaging, au sens de l'article L. 621-1 du code de la propriété intellectuelle, c'est à juste titre que le tribunal de commerce a rejeté l'action en concurrence déloyale en rejetant l'ensemble de ses demandes.
Sur les demandes accessoires :
Dès lors que le jugement est confirmé, il n'y a pas lieu de condamner in solidum M. K. et la société Kerhea à restituer les sommes versées au titre de l'exécution provisoire.
Au visa de l'article 32-1 du code de procédure civile, M. K. et la société Kerhea sollicitent la condamnation de la société Lyspackaging au paiement de la somme de 50 000 euros à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive, en soutenant que l'action en concurrence déloyale a été engagée avec une particulière mauvaise foi par une société ne disposant d'aucun brevet se servant d'arguments mensongers en tentant de supprimer un opérateur économique qui ne fait qu'utilisé des connaissances libres de droit.
Il sera rappelé que le droit d'agir en Justice ne peut dégénérer en abus que si son titulaire en a fait, à dessein de nuire, un usage préjudiciable à son adversaire.
En l'espèce, la société Kerhea ne justifie pas avoir, indépendamment de ses frais irrépétibles, subi un préjudice économique ou moral certain du fait de la procédure, notamment en raison de la révélation d'une partie de son circuit de production.
Il convient en conséquence de confirmer le jugement en ce qu'il a rejeté la demande de dommages et intérêts.
M. K. et la société Kerhea demandent en outre que soit ordonnée la publication de l'arrêt dans le journal Ouest-France.
Toutefois, il n'est pas démontré que l'action en concurrence déloyale engagée par la société Lyspackaging ait donné lieu à un écho médiatique.
La publication du présent arrêt n'apparaît donc ni nécessaire ni opportune.
En revanche, il est équitable d'allouer à M. K. et la société Kerhea, ensemble, une indemnité de 8 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Échouant en son recours, la société Lyspackaging supportera les dépens d'appel ainsi que ses propres frais irrépétibles.
PAR CES MOTIFS :
La Cour,
Déclare recevables les pièces visées dans les conclusions signifiées par la société Lyspackaging selon message RPVA du 5 novembre 2020,
Confirme le jugement en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
Condamne la société Lyspackaging à payer à M. K. et la société Kerhea, ensemble, une indemnité de 8 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Rejette le surplus des demandes,
Condamne la société Lyspackaging aux dépens d'appel.