CA Nîmes, 1re ch. civ., 18 février 2021, n° 18/03914
NÎMES
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Défendeur :
Les Briconautes (SA), Techtronic Industries France (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Bruyère
Conseillers :
Mme Toulouse, Mme Sanjuan-Puchol
EXPOSE DU LITIGE
M. Serge P. a acquis le 25 avril 2015, une scie circulaire fabriquée par la Sas Techtronics Industries France auprès de la Sas T. Distribution exerçant sous l'enseigne Les Briconautes.
Le 26 mai 2015, M. P. s'est blessé à la main gauche en utilisant ladite scie circulaire.
Estimant que la scie circulaire présentait un défaut à l'origine de ses lésions, et un défaut de conformité tenant à la qualité du matériel et au défaut d'information de la notice, par actes des 20 janvier et 22 janvier 2016, M. P., a assigné la Sas Techtronics Industries France et la Sas T. Distribution exerçant sous l'enseigne Les Briconautes, devant le Tribunal de grande instance de Privas en réparation des préjudices subis.
Par ordonnance du 16 juin 2016, le juge de la mise en état a ordonné une expertise médicale et désigné le Dr L. pour y procéder.
Le rapport d'expertise a été déposé le 7 octobre 2016.
Par jugement contradictoire du 6 septembre 2018, le tribunal de grande instance de Privas a :
- débouté M. P. de l'intégralité de ses demandes,
- débouté M. P. de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné M. P. à payer à la Sas Techtronics Industries France la somme de 1 000 euros au titre de l'articte 700 du code de procédure civil,
- condamné M. P. à payer à la Sas T. Distribution exerçant sous l'enseigne Les Briconautes la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- laissé les dépens à sa charge dont distraction au profit des avocats.
Par déclaration du 5 novembre 2018, M. P. a interjeté appel de cette décision.
Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 12 octobre 2020, il demande à la cour d'infirmer le jugement déféré en ce qu'il :
- l'a débouté de l'intégralité de ses demandes en réparation des préjudices subis à l'encontre de la Sas Techtronics Industries France et à l'encontre de la Sas T. Distribution exerçant sous l'enseigne Les Briconautes,
- l'a débouté de sa demande au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile,
- l'a condamné à payer à la Sas Techtronics Industries France la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile,
- l'a condamné à payer à la Sas T. Distribution la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile,
- a laissé les dépens à sa charge, dont distraction au profit des avocats ;
Statuant à nouveau, il demande à la cour de :
- dire qu'il est établi que la scie de marque Rioby présentait lors de son utilisation le 26 mai 2015 un défaut à l'origine directe des lésions subies, un double défaut de conformité tenant à la qualité du matériel et du défaut d'information de la notice sur la nécessité de vérifier l'écrou de serrage avant d'utiliser la scie,
- dire que les sociétés Sas Techtronics Industries France et Sas T. Distribution sont solidairement responsables des préjudices subis par M. P.,
En conséquence,
- condamner solidairement les sociétés Sas Techtronics Industries France et Sas T. Distribution à payer à M. P. en réparation de ses préjudices subis les sommes suivantes :
- Assistance tierce personne : ..................................3 872,00 euros
- Déficit fonctionnel temporaire : .............................1 841,08 euros
- Souffrances endurées : ..........................................8 000,00 euros
- Préjudice esthétique temporaire : ..........................3 000,00 euros
- Déficit fonctionnel permanent : ............................39 000,00 euros
- Préjudice esthétique permanent : ..........................5 000,00 euros
- les condamner à lui payer la somme de 4 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi que les entiers dépens de première instance et d'appel, ceux d'appel, seront seront distraits au profit de la Selarl M. J., par application des dispositions de l'article 699 du Code de Procédure Civile.
Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 1er avril 2019, la Sas T. Distribution demande à la cour de confirmer en tous points la décision entreprise et par conséquent ;
. à titre principal,
- rejeter l'intégralité des demandes de M. P.,
. à titre subsidiaire,
Tenant compte du rapport de Monsieur L. et des observations du concluant,
- limiter l'indemnisation de M. P. dans de plus justes proportions,
- condamner la Sas Techtronics Industries France à la relever et garantir de toute condamnation éventuelle,
. en état de cause,
- condamner la partie succombante à lui payer la somme 3 500 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- condamner la partie succombante aux entiers dépens.
Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 9 octobre 2020, la Sas Techtronics Industries France demande à la cour de :
- confirmer purement et simplement le jugement rendu en toutes ses dispositions, en ce qu'il a :
- débouté M. P. de l'intégralité de ses demandes en réparation des préjudices subis à l'encontre de la Sas Techtronics Industries France et à l'encontre de la Sas T. Distribution exerçant sous l'enseigne Les Briconautes ;
- débouté M. P. de sa demande au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- condamné M. P. à payer à la Sas Techtronics Industries France la somme de 1000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- condamné M. P. à payer à la Sas T. Distribution exerçant sous l'enseigne Les Briconautes la somme de 1000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- laissé les dépens à la charge de M. P., dont distraction au profit des avocats sur leur affirmation de droit ;
Et par voie de conséquence,
- débouter M. P. de l'intégralité des demandes de formulées à l'encontre de la Sas Techtronics Industries France étant non fondées tant en droit qu'en fait ;
A titre subsidiaire, si la Cour infirmait le jugement rendu et statuait de nouveau :
- déclarer la Sas Techtronics Industries France recevable et bien fondée en son appel en garantie,
- condamner la Sas T. Distribution à la relever et garantir, sur le fondement de l'article 1240 du code civil de l'intégralité des condamnations qui viendraient à être prononcées à son encontre en principal, intérêts et frais ;
- constater les manquements commis par M. P. aux consignes de sécurité listées dans les consignes générales de sécurité et dans le manuel d'utilisation fournis, à l'origine de l'accident ;
- déclarer la victime responsable en tout ou partie de son préjudice eu égard à la faute ainsi commise, exonérant la Sas Techtronics Industries France de toute éventuelle responsabilité ;
A titre infiniment subsidiaire, sur l'indemnisation sollicitée par M. P.,
- constater que l'expert judiciaire n'a pas retenu en lien avec les faits litigieux les postes suivants : assistance par tierce personne et préjudice esthétique temporaire ;
- constater qu'aucune pièce n'est transmise pouvant justifier la prise en compte et l'indemnisation de tels préjudices ;
En conséquence,
- débouter M. P. toute demande d'indemnisation formulée au titre de l'assistance par tierce personne et du préjudice esthétique temporaire non retenus par l'expert judiciaire ;
- Pour les autres demandes (Déficit fonctionnel temporaire- souffrances endurées, déficit fonctionnel permanent et préjudice esthétique permanent), les ramener à de plus justes proportions et limiter l'indemnisation des préjudices de la victime, comme suit :
- Déficit fonctionnel temporaire..........1 473,25 euros
- Souffrances endurées........................6 500,00 euros
- Déficit Fonctionnel permanent.........28 000,00 euros
- Préjudice esthétique permanent........4 000 euros
Total : 39 973,25 euros
- débouter M. P. pour le surplus ;
- déclarer M. P. responsable de son préjudice eu égard à la la faute ainsi commise venant, en tout ou partie, exonérer la responsabilité éventuelle de l'exposante.
En tout état de cause :
- débouter M. P. de toutes ses demandes.
- condamner M. P., à lui payer la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel, dont distraction au profit de Selarl Lexavoue Nîmes représentée par Me Emmanuelle V., Avocat au barreau de Nîmes, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.
Par ordonnance du 25 mai 2020, la procédure a été clôturé le 13 octobre 2020 et l'affaire a été fixée à l'audience du 26 octobre 2020.
Il est fait renvoi aux écritures pour un plus ample exposé des éléments de la cause, des moyens et prétentions des parties, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
MOTIFS DE LA DECISION
Il est constant que M. Serge P. a acquis une scie circulaire de marque Ryobi auprès du magasin de bricolage exerçant sous l'enseigne Les Briconautes conçue et construite par la société Techtronic industries France.
L'accident s'est produit alors que M. P., selon ses propres déclarations, a utilisé pour la première fois la scie afin de couper une planche de coffrage en pin. Alors qu'il avait démarré la scie, la main droite placée sur la poignée de l'interrupteur, la main gauche placée sur la poignée annexe, la lame s'était mise à vibrer, s'était arrêtée puis était repartie brutalement, déviant de son axe de coupe et arrachant la planche du serre-joint qu'il tentait de rattraper, elle lui avait lui tranché à ce moment-là la main (amputation du pouce).
M. P. recherche tant la responsabilité de la société T. exerçant sous l'enseigne les Briconautes que celle de la société Techtronic industries France, dans l'accident dont il a été victime au regard des dispositions des articles 1386-1 et suivants du code civil, 1384-1 et suivants du code civil et enfin de l'article L. 221-1 du code de la consommation.
Sur la responsabilité du fait des produits défectueux
Le régime de la responsabilité du fait des produits défectueux est exclusif d'autres régimes de responsabilité contractuelle ou extracontractuelle de droit commun fondés sur le défaut d'un produit qui n'offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre, à l'exception des hypothèses de responsabilité pour faute et de garantie des vices cachés.
Le premier juge a visé les textes applicables en matière de responsabilité de produit défectueux :
- l'article 1386-1 ancien devenu 1245 du code civil suivant lequel le producteur est responsable du dommage causé par un défaut de son produit, qu'il soit ou non lié par un contrat à la victime ;
- l'article 1386-4 ancien devenu 1245-3 de ce même code aux termes duquel un produit est défectueux au sens du présent titre lorsqu'il n'offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre.
Il a également visé l'article L. 221-1-2 du code de la consommation en vigueur à l'espèce et devenu l'article L. 421-3 du même code qui dispose que le producteur fournit au consommateur les informations utiles qui lui permettent d'évaluer les risques inhérents à un produit pendant sa durée d'utilisation normale ou raisonnablement prévisible et de s'en prémunir lorsque les risques ne sont pas immédiatement perceptibles par le consommateur sans un avertissement adéquat.
Dans l'appréciation de la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre, il doit être tenu compte de toutes les circonstances et notamment de la présentation du produit, de l'usage qui peut en être raisonnablement attendu et du moment de sa mise en circulation.
La société Techtronic industries France, ne conteste pas avoir la qualité de producteur de la scie circulaire au sens des articles 1386-1 ancien et suivants du code civil.
Il appartient au demandeur en réparation du dommage causé par un produit qu'il estime défectueux, de prouver le défaut invoqué, fait générateur de la responsabilité de plein droit du fabricant ou producteur du produit concerné, et la preuve du dommage, du défaut et du lien de causalité entre le défaut et le dommage, peut résulter de présomptions graves, précises et concordantes.
Enfin, la preuve du défaut ne saurait résulter de la seule implication du produit dans la réalisation du dommage.
A cet effet, M. P. soutient que :
- la scie circulaire est affectée d'un défaut évident relatif à la sécurité mis en évidence par l'accident et le dommage qu'il a subi ;
- le défaut de sécurité résulte de l'insuffisance ou de l'inexistence de l'information et de mises en garde contre les dangers potentiels du produit. En l'espèce, aucune mention n'est portée sur la notice d'utilisation sur l'obligation de vérifier avant d'entreprendre la manutention du matériel.
A l'appui de son argumentation M. P. reprend devant la cour les attestations produites en première instance dans lesquelles ses proches indiquent tout en reconnaissant ne pas avoir été présents le jour de l'accident, que la lame de la scie n'aurait pas été serrée. Les essais réalisés par M.D. deux mois après l'accident en juillet 2015, n'apportent pas plus d'éléments à défaut d'autres éléments techniques venant corroborer ses dires.
Enfin, l'attestation de M.P. ne peut être retenue comme probante à défaut là encore d'être corroborée par des indices objectifs et concordants constituant la preuve du vice de la machine.
Il n'est donc pas démontré que la scie circulaire était affectée d'un vice de conception ou d'utilisation tel qu'avancé par M. P. et ses proches, au jour de l'accident.
S'agissant de l'insuffisance de l'information, la cour observe que la notice d'utilisation n'informe pas effectivement sur la nécessité de visser ou serrer certaines pièces comme le prétend M.P..
Cependant, la société fabricante verse tout particulièrement aux débats les consignes générales de sécurité qui indique en page 3 : « Avertissement Lisez attentivement tous les avertissements et toutes les instructions. Le non-respect des instructions présentées ci-après peut entraîner des accidents tels que des incendies, des chocs électriques et/ou des blessures corporelles graves.
« Utilisation et entretien des outils électriques » : (...) Entretenez vos outils avec soin. Contrôlez l'alignement des pièces mobiles. Vérifiez qu'aucune pièce n'est cassée. Contrôlez le montage et tout autre élément pouvant affecter le fonctionnement de l'outil. »
Le manuel d'utilisation rappelle également que le plan de coupe doit être stable (page 6), que la scie est munie d'un système de protection de la lame se rabattant automatiquement en cas de désengagement de la pièce à usiner et qu'il ne faut pas « passer vos mains sous la pièce à usiner (...) « Danger ! Veillez à garder vos mains éloignées de la zone de coupe lorsque l'outil est en fonctionnement » (page 6 et 9).
Enfin, le manuel rappelle qu'il « suffit d'une seconde d'inattention pour se blesser gravement ».
Ainsi le manuel de service concernant l'utilisation, l'entretien et la sécurité attire l'attention de l'utilisateur sur le risque du défaut d'alignement des pièce mobiles ou de leur bris et prescrit les conditions d'utilisation afin d'éviter un accident. Le manuel est clair et les mentions : Avertissement suivi du logo danger ! parfaitement mis en évidence, ne peuvent échapper au lecteur même peu attentif.
Le manuel de service du fabricant contenait donc toutes les consignes de sécurité et les conditions de manipulation.
Par ailleurs, les consignes de sécurité y sont dispensées de manière parfaitement compréhensible par un utilisateur normalement diligent même si elles demandent effectivement une certaine attention.
M.P. ne conteste pas que lui avaient été transmises ces informations.
Dès lors, il est établi que le fabricant a fourni des informations suffisantes sur l'usage de la scie offrant ainsi à son utilisateur la sécurité à laquelle il pouvait s'attendre.
M.P. ne peut donc qu'être débouté de ses demandes à l'encontre de la société fabricante et la décision de première instance confirmée de ce chef.
Sur la responsabilité de la Société T. Distribution exerçant sous l'enseigne Les Briconautes
Celle-ci est recherchée sur le fondement de l'article L. 211-4 du code de la consommation devenu L. 217-4 qui dispose que le vendeur, agissant dans le cadre de son activité professionnelle ou commerciale est tenu de livrer à l'acheteur, agissant en qualité de consommateur, un bien conforme au contrat et répond des défauts de conformité existant lors de la délivrance.
Il sera également observé que le vendeur débiteur de l'obligation d'information, se devait de veiller à ce que le manuel du fabricant qui contient les informations d'utilisation et les spécificités du produit soit bien remis à l'usager, ce qui en l'espèce, comme rappelé ci-dessus pour le fabricant, n'est pas contesté par M.P..
Par suite, alors que les règles de sécurité liées à l'utilisation et l'entretien lui ont été données, et que comme indiqué supra, il ne démontre pas que la scie circulaire présentait un défaut, il ne peut soutenir qu'elle n'était pas conforme, impropre à l'utilisation qu'il était en droit d'attendre.
Il ne peut par voie de conséquence être fait droit aux demandes de M.P. qui seront rejetées et la décision de première instance mérite confirmation.
Sur la demande de garantie
Au regard de ce qui a été jugé supra, la demande de garantie formée par la société T. Distribution est sans objet.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
M.P. partie perdante, supportera les entiers dépens d'appel et sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile sera rejetée.
Il sera ordonné le recouvrement direct des dépens au profit des conseils qui en ont fait la demande conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Enfin M.P. demange sera condamné à payer à la Sas T. Distribution et à la Sas Techtronics industries France la somme de 1 500 euros chacune aux titres des frais irrépétibles.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR, après en avoir délibéré conformément à la loi, statuant en matière civile, publiquement, par mise à disposition au greffe, par arrêt réputé contradictoire et en dernier ressort,
Confirme le jugement déféré en ses dispositions ;
Y ajoutant,
Condamne M. Serge P. à payer à la Sas T. Distribution et à la Sas Techtronics industries France la somme de 1 500 euros chacune aux titres des frais irrépétibles ;
Le condamne aux dépens d'appel et ordonne le recouvrement direct des dépens au profit des conseils qui en ont fait la demande conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ;
Déboute les parties du surplus de leurs demandes.