CJUE, gr. ch., 2 mars 2021, n° C-425/19 P
COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Commission européenne
Défendeur :
République Italienne, Banca Popolare di Bari SCpA, Fondo Interbancario di Tutela dei Depositi, Banca d’Italia
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
K. Lenaerts
Présidents de chambre :
J. C. Bonichot, A. Arabadjiev, A. Prechal, M. Ilešič, L. Bay Larsen, A. Kumin, N. Wahl
Vice-président :
R. Silva de Lapuerta (rapporteure)
Juges :
E. Juhász, S. Rodin, F. Biltgen, K. Jürimäe, C. Lycourgos, N. Jääskinen
Avocat général :
E. Tanchev
Avocats :
A. Santa Maria, M. Crisostomo, E. Gambaro, F. Mazzocchi, M. Siragusa, G. Scassellati Sforzolini, G. Faella, A. Comino, M. Perassi, M. Todino, L. Sciotto, O. Capolino
LA COUR (Grande Chambre)
Arrêt
1 Par son pourvoi, la Commission européenne demande l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 19 mars 2019, Italie e.a./Commission (T 98/16, T 196/16 et T 198/16, ci-après l’« arrêt attaqué », EU:T:2019:167), par lequel celui-ci a annulé la décision (UE) 2016/1208 de la Commission, du 23 décembre 2015, concernant l’aide d’État SA.39451 (2015/C) (ex 2015/NN) mise à exécution par l’Italie en faveur de Banca Tercas (JO 2016, L 203, p. 1, ci-après la « décision litigieuse »).
Le cadre juridique
2 Le decreto legislativo n. 385, e successive modifiche e integrazioni – Testo unico delle leggi in materia bancaria e creditizia (décret législatif no 385 et modifications et ajouts ultérieurs, portant texte unique des lois sur les banques et le crédit), du 1er septembre 1993 (GURI no 230, du 30 septembre 1993, et supplément ordinaire à la GURI no 92), dans sa version applicable aux faits en cause (ci-après le « TUB »), confie à la Banca d’Italia (Banque d’Italie) le rôle d’autorité de surveillance du secteur bancaire et lui donne pour objectifs d’assurer la gestion saine et prudente des établissements surveillés, la stabilité globale, l’efficacité et la compétitivité du système financier ainsi que le respect des dispositions en matière de crédit.
3 Selon l’article 96, paragraphe 1, du TUB, les banques italiennes adhèrent à l’un des systèmes de garantie des dépôts institués et reconnus en Italie. Les banques coopératives de crédit adhèrent au système de garantie des dépôts constitué dans leur domaine.
4 Aux termes de l’article 96 bis, paragraphe 1, du TUB, les systèmes de garantie des dépôts effectuent les remboursements en cas de liquidation administrative forcée des banques agréées en Italie, ces systèmes pouvant toutefois prévoir d’autres cas et formes d’intervention. Conformément à l’article 96 ter, paragraphe 1, sous d), du TUB, la Banque d’Italie autorise, entre autres, les interventions des systèmes de garantie des dépôts « en tenant compte de la protection des déposants et de la stabilité du système bancaire ».
Les antécédents du litige
5 Les antécédents du litige figurent aux points 3 à 32 de l’arrêt attaqué et, pour les besoins du présent arrêt, peuvent être résumés de la manière suivante.
Les entités impliquées
6 Tercas-Cassa di risparmio della provincia di Teramo SpA (Banca Tercas SpA) (ci-après « Tercas ») est une banque au capital privé dont les activités se déploient principalement dans la région des Abruzzes (Italie). Banca Popolare di Bari SCpA (ci-après « BPB ») est la société holding d’un groupe bancaire au capital privé dont les activités se déploient principalement dans le sud de l’Italie.
7 Le Fondo interbancario di tutela dei depositi (ci-après le « FITD ») est un consortium de droit privé entre banques qui a été constitué, sur une base volontaire, au cours de l’année 1987. Ce consortium, de nature mutualiste, a été institué aux fins de la poursuite des intérêts communs de ses membres.
8 Conformément à l’article 1er de ses statuts, le FITD a pour but de garantir les déposants de ses membres. Au cours de l’année 1996, à la suite de la transposition dans l’ordre juridique italien de la directive 94/19/CE du Parlement européen et du Conseil, du 30 mai 1994, relative aux systèmes de garantie des dépôts (JO 1994, L 135, p. 5), le FITD a été reconnu par la Banque d’Italie comme étant l’un des systèmes de garantie des dépôts autorisés à opérer en Italie et le seul auquel pouvaient adhérer les banques non coopératives.
9 En vertu de l’article 27 de ses statuts, en cas de liquidation administrative forcée de l’un de ses membres, le FITD intervient en remboursant les dépôts des déposants effectués auprès de celui-ci dans la limite de 100 000 euros par déposant (ci-après « l’intervention obligatoire »).
10 Le FITD dispose également de la faculté d’intervenir en faveur de ses membres sur une base volontaire, dans les deux situations suivantes (ci-après les « interventions volontaires »). D’une part, conformément à l’article 28 de ses statuts, le FITD peut, au lieu de procéder au remboursement prévu au titre de la garantie des dépôts, intervenir dans des opérations de cession d’actifs et de passifs concernant l’un de ses membres placés sous le régime de la liquidation administrative forcée. D’autre part, en vertu de l’article 29, paragraphe 1, de ses statuts, le FITD peut intervenir au moyen de financements, de garanties, de prises de participation ou au moyen d’autres formes techniques pour soutenir l’un de ses membres placé sous le régime de l’administration extraordinaire, lorsque des perspectives de redressement existent et qu’une charge moins lourde est à prévoir par rapport à celle découlant de l’intervention du FITD dans l’hypothèse d’une liquidation administrative forcée de ce membre.
11 La Banque d’Italie est une autorité publique exerçant les fonctions de banque centrale de la République italienne. Elle est dotée d’une personnalité juridique autonome et distincte de celle de l’État italien. En tant que membre du Système européen de banques centrales (SEBC), la Banque d’Italie doit, en vertu de l’article 127, paragraphe 5, TFUE, contribuer à la bonne conduite des politiques menées par les autorités compétentes en ce qui concerne le contrôle prudentiel des établissements de crédit et la stabilité du système financier.
12 Afin de satisfaire aux objectifs qui lui sont fixés par le TUB, notamment en ce qui concerne la gestion saine et prudente des établissements surveillés, la Banque d’Italie dispose d’un pouvoir réglementaire, de pouvoirs de contrôle et d’inspection ainsi que de nombreuses compétences d’autorisation. Ces pouvoirs permettent à la Banque d’Italie d’intervenir dans tous les événements marquants de l’existence d’une banque, dans le respect de son autonomie commerciale et à la seule fin de vérifier si sa gestion est saine et prudente.
13 Au titre de ses prérogatives, la Banque d’Italie a notamment approuvé les statuts du FITD, assiste en tant qu’observateur sans droit de vote aux réunions de celui-ci et, conformément à l’article 96 ter, paragraphe 1, sous d), du TUB, approuve les interventions du FITD en faveur de ses membres.
Contexte et intervention du FITD en faveur de Tercas
14 Par décision du 30 avril 2012, sur proposition de la Banque d’Italie, qui avait relevé des irrégularités au sein de Tercas, le Ministero dell’Economia e delle Finanze (ministère de l’Économie et des Finances, Italie) a placé cette dernière sous administration extraordinaire. La Banque d’Italie a ensuite nommé un commissaire extraordinaire chargé de gérer Tercas pendant la période d’administration extraordinaire.
15 Au cours du mois d’octobre 2013, après avoir évalué différentes options susceptibles de mettre fin aux difficultés de Tercas, le commissaire extraordinaire a engagé des négociations avec BPB, qui avait exprimé son intérêt pour souscrire à une augmentation de capital de Tercas, à condition que soit effectué un audit préalable de cette banque et que le FITD couvre entièrement son déficit patrimonial.
16 Le 28 octobre 2013, à la suite d’une demande du commissaire extraordinaire de Tercas effectuée sur le fondement de l’article 29 des statuts du FITD, le comité de gestion de ce consortium a décidé d’intervenir en faveur de Tercas pour un montant maximal de 280 millions d’euros. Cette décision a été ratifiée par le conseil du FITD le 29 octobre 2013. Le 4 novembre 2013, conformément à l’article 96 ter, paragraphe 1, sous d), du TUB, la Banque d’Italie a approuvé cette intervention de soutien.
17 Le 18 mars 2014, le FITD a décidé de suspendre l’intervention envisagée compte tenu des incertitudes relatives à la situation économique et patrimoniale de Tercas ainsi qu’au traitement fiscal de cette intervention. En effet, à l’issue de l’audit sur les actifs de Tercas demandé par BPB, un désaccord était né entre les experts du FITD et ceux de BPB. Ce désaccord a ensuite été réglé à l’issue d’une procédure d’arbitrage.
18 Au vu des conclusions présentées par une société d’audit et de conseil dans un rapport du 26 mai 2014, et compte tenu du coût de l’intervention comparé au coût d’une indemnisation au titre de l’intervention obligatoire, le comité de gestion et le conseil du FITD ont décidé, le 30 mai 2014, d’intervenir en faveur de Tercas.
19 Le 7 juillet 2014, la Banque d’Italie a autorisé cette intervention du FITD en faveur de Tercas. Ladite intervention prévoyait trois mesures, à savoir, premièrement, une contribution de 265 millions d’euros destinée à couvrir les fonds propres négatifs de Tercas, deuxièmement, une garantie de 35 millions d’euros destinée à couvrir le risque de crédit lié à certaines expositions de Tercas et, troisièmement, une garantie de 30 millions d’euros destinée à couvrir les coûts découlant du traitement fiscal de la première mesure (ci-après les « mesures litigieuses »).
20 Lors d’une assemblée générale des actionnaires de Tercas, convoquée le 27 juillet 2014 par le commissaire extraordinaire en accord avec la Banque d’Italie, il a été décidé, d’une part, de couvrir partiellement les pertes, notamment en réduisant les fonds propres à zéro et en annulant l’ensemble des actions ordinaires en circulation, et, d’autre part, de faire passer le capital à 230 millions d’euros grâce à l’émission de nouvelles actions ordinaires proposées à BPB. Cette augmentation de capital a été effectuée le même jour.
21 Le 1er octobre 2014, le régime d’administration extraordinaire de Tercas a été levé et BPB a désigné les nouveaux organes de cette banque.
La procédure administrative et la décision litigieuse
22 Les 8 août et 10 octobre 2014, la Commission a demandé aux autorités italiennes des informations sur l’intervention du FITD en faveur de Tercas. Celles-ci ont répondu à ces demandes d’information les 16 septembre et 14 novembre 2014.
23 Par une lettre du 27 février 2015, la Commission a informé la République italienne de sa décision d’ouvrir la procédure prévue à l’article 108, paragraphe 2, TFUE à l’égard des mesures litigieuses. Le 24 avril 2015, la Commission a publié la décision d’ouverture au Journal officiel de l’Union européenne.
24 Le 23 décembre 2015, la Commission a adopté la décision litigieuse, par laquelle elle a constaté que les mesures litigieuses, autorisées en violation de l’article 108, paragraphe 3, TFUE, constituaient des aides incompatibles et illégales accordées par la République italienne à Tercas et a ordonné la récupération desdites aides.
La procédure devant le Tribunal et l’arrêt attaqué
25 La République italienne (T-98/16), BPB (T-196/16) ainsi que le FITD, soutenu par la Banque d’Italie (T-198/16), ont introduit chacun un recours contre la décision litigieuse.
26 En premier lieu, le Tribunal, aux points 68, 69 et 89 à 91 de l’arrêt attaqué, a constaté, en substance, qu’afin de conclure à l’imputabilité à l’État d’une mesure d’aide, la Commission est d’autant plus tenue d’avancer des indices suffisants pour démontrer que cette mesure a été adoptée sous l’influence ou le contrôle effectif des autorités publiques, lorsqu’est en cause une mesure adoptée par une entité privée, que lorsque la mesure est prise par une entreprise publique. Le Tribunal a relevé, dans ce contexte, que, à la différence d’une situation dans laquelle une mesure prise par une entreprise publique est imputée à l’État, la Commission ne peut se limiter, dans le cas d’une mesure adoptée par une entité privée, à établir que l’absence d’influence et de contrôle effectif des autorités publiques sur cette entité privée serait improbable.
27 En deuxième lieu, après avoir analysé, aux points 114 à 131 de l’arrêt attaqué, les éléments retenus par la Commission pour considérer que les mesures litigieuses pouvaient être imputées à l’État italien, le Tribunal a conclu, au point 132 de celui-ci, que la Commission n’avait pas prouvé à suffisance de droit l’implication des autorités publiques italiennes dans l’adoption de ces mesures ni, par conséquent, leur imputabilité à l’État au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE.
28 En troisième lieu, en ce qui concerne la notion d’intervention « au moyen de ressources d’État », au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, le Tribunal a jugé, au point 161 de l’arrêt attaqué, après avoir analysé, aux points 139 à 160, les indices produits à cet égard dans la décision litigieuse, que la Commission n’avait pas établi à suffisance de droit que les ressources en cause étaient contrôlées par les autorités publiques italiennes et qu’elles étaient donc à la disposition de ces autorités. Par conséquent, selon le Tribunal, la Commission n’était pas en mesure de conclure que, alors même que l’intervention du FITD en faveur de Tercas a été effectuée conformément aux statuts de ce consortium et dans l’intérêt de ses membres, en utilisant des fonds privés, ce seraient en réalité lesdites autorités qui, par l’exercice d’une influence dominante sur le FITD, auraient décidé d’orienter l’utilisation de ces ressources pour financer une telle intervention.
29 La première des conditions exigées pour qu’une aide soit qualifiée d’« aide d’État », au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, à savoir que cette aide soit accordée par l’État ou au moyen de ressources d’État, n’étant pas remplie, le Tribunal a annulé la décision litigieuse.
La procédure devant la Cour et les conclusions des parties au pourvoi
30 La Commission demande à la Cour :
– d’annuler l’arrêt attaqué ;
– de rejeter les recours formés en première instance dans la mesure où ceux-ci contestent que la décision litigieuse démontre que les conditions de l’imputabilité à l’État des mesures litigieuses et de leur financement au moyen de ressources d’État sont remplies ;
– de renvoyer l’affaire devant le Tribunal aux fins de l’examen des autres moyens de recours en première instance, et
– de réserver les dépens de la procédure de première instance et de pourvoi.
31 La Banque d’Italie, le FITD, BPB ainsi que la République italienne demandent à la Cour :
– de rejeter le pourvoi et
– de condamner la Commission aux dépens.
32 Par acte déposé au greffe de la Cour le 30 juillet 2019, la Fondazione Cassa di Risparmio di Pesaro, Montani Antaldi Srl, la Fondazione Cassa di Risparmio di Fano, la Fondazione Cassa di Risparmio di Jesi ainsi que la Fondazione Cassa di Risparmio della Provincia di Macerata ont demandé à être admises à intervenir dans la présente affaire au soutien des conclusions formulées par la République italienne, BPB, le FITD et la Banque d’Italie.
33 Par ordonnance du président de la Cour du 13 novembre 2019, Commission/Italie et Fondo interbancario di tutela dei depositi (C 425/19 P, non publiée, EU:C:2019:980), la demande d’intervention a été rejetée.
34 La République italienne a, en vertu de l’article 16, troisième alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, demandé que la Cour siège en grande chambre.
Sur le pourvoi
35 À l’appui de son pourvoi, la Commission soulève deux moyens.
Sur le premier moyen
Argumentation des parties
36 Le premier moyen, tiré de la violation de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, est divisé en deux branches.
37 Par la première branche, la Commission fait valoir que le Tribunal a commis une erreur de droit en lui imposant, pour déterminer si les exigences de l’imputabilité d’une aide à l’État et de l’octroi de celle-ci au moyen de ressources d’État étaient, en l’occurrence, remplies, une charge de la preuve plus lourde que celle exigée par la jurisprudence de la Cour.
38 En premier lieu, la Commission rappelle qu’il lui incombe, en vertu de cette jurisprudence, lorsqu’elle entend établir que les mesures adoptées par une entité distincte de l’État sont imputables aux autorités publiques, de fournir la preuve, au moyen d’un ensemble d’indices résultant du cas d’espèce, de l’implication ou de l’influence desdites autorités dans l’adoption de la mesure en cause, en démontrant la probabilité de l’implication des autorités publiques ou, à tout le moins, le caractère improbable d’une absence d’implication de celles-ci. En revanche, la Commission ne serait pas tenue de démontrer l’existence d’une incitation concrète ou d’instructions contraignantes données par ces autorités à l’entité qui a concrètement octroyé l’aide. Il ne serait pas non plus nécessaire qu’elle démontre l’incidence effective de cette implication sur le comportement de l’entité ni qu’elle établisse que le comportement de cette dernière aurait été différent si elle avait agi de manière autonome. À cet égard, en particulier, la Commission précise qu’elle n’est pas tenue de démontrer que l’imputabilité à l’État d’une mesure présuppose que l’intérêt public diverge de celui de cette entité. Enfin, le standard de preuve requis par la jurisprudence de la Cour ne varierait pas en fonction de la propriété, publique ou privée, de l’entité qui dispense l’aide.
39 Or, selon la Commission, aux points 69 et 89 à 91 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a violé ladite jurisprudence, en lui imposant de satisfaire à un standard de preuve plus rigoureux que celui prévu par celle-ci, pour démontrer l’imputabilité aux autorités publiques d’une mesure d’aide et prouver qu’une intervention a été réalisée au moyen des ressources d’État, pour le seul motif que, en l’occurrence, la mesure d’aide a été dispensée par une entité privée.
40 Il en résulte, selon la Commission, que le Tribunal a évalué de manière erronée, aux points 114, 116, 117 et 127 de l’arrêt attaqué, les indices qu’elle avait fournis à cet égard dans la décision litigieuse. En particulier, le Tribunal aurait considéré, à tort, que la Commission devait apporter la preuve, de manière positive, que les mesures litigieuses avaient été adoptées sous l’influence dominante des autorités publiques, ainsi que cette institution était sous l’obligation d’établir que ces autorités étaient impliquées dans toutes les phases de l’adoption de ces mesures, en donnant des instructions contraignantes, et que l’implication des autorités publiques avait eu une incidence sur le contenu desdites mesures.
41 Par ailleurs, la Commission relève qu’il est illogique de lui imposer une charge de la preuve renforcée dans l’hypothèse où l’entité qui a adopté les mesures est une entité privée, dès lors que, dans une telle situation, elle ne peut disposer, par définition, que d’un nombre d’indices réduit pour démontrer l’implication des autorités publiques. En particulier, en l’absence de liens de nature organique, cette implication devrait être recherchée sur la base d’indices moins visibles.
42 En deuxième lieu, la Commission fait, à titre subsidiaire, valoir que le FITD est une entité à laquelle la République italienne a confié des responsabilités spécifiques en vertu de la directive 94/19. Par conséquent, eu égard à la jurisprudence de la Cour en matière d’effet direct des directives non transposées ou transposées de manière incorrecte, en particulier à l’arrêt du 10 octobre 2017, Farrell (C 413/15, EU:C:2017:745), il serait possible de considérer ce consortium comme étant une émanation de l’État italien. Pour cette raison, quand bien même le Tribunal n’aurait pas commis d’erreur de droit en considérant qu’un niveau de preuve plus rigoureux est exigé dans le cas où l’entité dispensant les mesures d’aide est une entité privée, il aurait néanmoins entaché l’arrêt attaqué d’une erreur de droit en appliquant au FITD la distinction entre entités privées et entités publiques s’agissant des exigences relatives à l’imputabilité d’une aide à l’État et de l’octroi de celle-ci au moyen de ressources d’État.
43 En troisième lieu, la Commission rappelle que, en vertu de l’article 11, paragraphe 3, de la directive 2014/49/UE du Parlement européen et du Conseil, du 16 avril 2014, relative aux systèmes de garantie des dépôts (JO 2014, L 173, p. 149), les systèmes de garantie des dépôts peuvent adopter, pour éviter la défaillance d’un établissement de crédit, des « mesures autres que la résolution ». L’utilisation d’un tel instrument est néanmoins soumise à la condition qu’aucune mesure de résolution n’ait été prise à l’égard de l’établissement de crédit concerné. Or, aux termes de l’article 32, paragraphe 4, sous d), de la directive 2014/59/UE du Parlement européen et du Conseil, du 15 mai 2014, établissant un cadre pour le redressement et la résolution des établissements de crédit et des entreprises d’investissement et modifiant la directive 82/891/CEE du Conseil ainsi que les directives du Parlement européen et du Conseil 2001/24/CE, 2002/47/CE, 2004/25/CE, 2005/56/CE, 2007/36/CE, 2011/35/UE, 2012/30/UE et 2013/36/UE et les règlements du Parlement européen et du Conseil (UE) no 1093/2010 et (UE) no 648/2012 (JO 2014, L 173, p. 190), une mesure de résolution ne peut être prise que si un « soutien financier public exceptionnel » est requis, celui ci étant défini à l’article 2, paragraphe 1, point 28, de cette même directive comme étant « une aide d’État, au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE ».
44 Ainsi, dans la mesure où, en raison du standard de preuve plus rigoureux appliqué par le Tribunal, il serait pratiquement impossible pour la Commission de prouver l’implication de ressources d’État et l’imputabilité à l’État des mesures adoptées par les systèmes de garantie des dépôts lorsqu’ils sont composés de banques privées, ces systèmes pourraient constamment adopter des « mesures autres que la résolution », au sens de l’article 11, paragraphe 3, de la directive 2014/49, sans devoir déclencher la procédure de résolution visée à l’article 32 de la directive 2014/59. Par conséquent, l’arrêt attaqué permettrait aux États membres et aux banques de contourner ou, en tout état de cause, d’affaiblir les effets de la législation en matière d’union bancaire.
45 Par la seconde branche du premier moyen, la Commission fait valoir que le Tribunal a commis une erreur de droit en omettant de procéder à une analyse globale des indices de preuve produits par cette institution afin de démontrer que les conditions de l’imputabilité et des ressources d’État étaient, en l’occurrence, remplies.
46 Ce faisant, le Tribunal se serait écarté de la jurisprudence de la Cour selon laquelle la valeur probatoire des indices doit être appréciée en les examinant dans leur ensemble et cela même si ces derniers, pris individuellement et en dehors de leur contexte, ne sont pas forcément décisifs.
47 L’adoption d’une telle approche erronée, premièrement, aux points 96 à 99 de l’arrêt attaqué, aurait amené le Tribunal à énoncer que les interventions du FITD visent à poursuivre les intérêts privés de ses membres, sans fournir les raisons qui pourraient justifier une telle affirmation. Deuxièmement, aux points 100 à 106 de l’arrêt attaqué, le Tribunal aurait méconnu la nature du mandat public attribué au FITD par la législation italienne, en jugeant que celui-ci se limiterait aux interventions obligatoires, à savoir au remboursement des déposants. Or, selon la Commission, les interventions volontaires sont étroitement liées aux interventions obligatoires, dans la mesure où les premières ne peuvent être réalisées que si elles représentent une charge moins onéreuse par rapport à une éventuelle intervention obligatoire. Troisièmement, aux points 115, 116 et 126 de l’arrêt attaqué, le Tribunal aurait erronément écarté un à un les indices produits par la Commission en ce qui concerne l’implication de la Banque d’Italie dans l’octroi des mesures litigieuses, alors que ces indices, pris ensemble, auraient permis d’imputer les mesures litigieuses à l’État italien.
48 La République italienne, BPB, le FITD et la Banque d’Italie concluent, à titre principal, à l’irrecevabilité du premier moyen. À cet égard, ils estiment que la Commission, sous couvert de l’invocation d’une erreur de droit commise par le Tribunal, vise à obtenir de la Cour une nouvelle appréciation des faits et des preuves par rapport à celle opérée dans l’arrêt attaqué, notamment en ce qui concerne l’imputabilité à l’État des mesures litigieuses et la nature du mandat attribué au FITD.
49 La République italienne invoque en outre l’irrecevabilité de l’argument de la Commission selon lequel le Tribunal aurait dû analyser les preuves en tenant compte du contexte des négociations qui se sont déroulées entre le FITD, BPB et le commissaire extraordinaire, dans la mesure où le pourvoi ne conteste pas les points 125 à 132 de l’arrêt attaqué, dans lesquels le Tribunal a examiné cette question.
50 À titre subsidiaire, la République italienne, BPB, le FITD et la Banque d’Italie considèrent que le premier moyen n’est pas fondé.
51 La Commission réfute les arguments relatifs à la prétendue irrecevabilité du premier moyen, en faisant valoir que, par ce moyen, elle soulève la question du critère juridique sur lequel s’est fondé le Tribunal lors de l’examen des éléments de preuve produits pour démontrer l’influence exercée par les autorités italiennes sur les décisions du FITD.
Appréciation de la Cour
– Sur la recevabilité
52 Il ressort de l’article 256, paragraphe 1, TFUE et de l’article 58, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne que le pourvoi est limité aux questions de droit et que le Tribunal est, dès lors, seul compétent pour constater et apprécier les faits pertinents ainsi que les éléments de preuve. L’appréciation des faits et des éléments de preuve ne constitue pas, sous réserve du cas de leur dénaturation, une question de droit soumise, comme telle, au contrôle de la Cour dans le cadre d’un pourvoi. Une telle dénaturation doit ressortir de façon manifeste des pièces du dossier, sans qu’il soit nécessaire de procéder à une nouvelle appréciation des faits et des preuves (arrêt du 10 juillet 2019, VG/Commission, C 19/18 P, EU:C:2019:578, point 47 et jurisprudence citée).
53 En revanche, lorsque le Tribunal a constaté ou apprécié des faits, la Cour est compétente pour exercer son contrôle, dès lors que le Tribunal a qualifié leur nature juridique et en a fait découler des conséquences en droit (arrêt du 22 novembre 2012, E.ON Energie/Commission, C 89/11 P, EU:C:2012:738, point 65 et jurisprudence citée). Le pouvoir de contrôle de la Cour s’étend, notamment, à la question de savoir si les règles en matière de charge et d’administration de la preuve ont été respectées ainsi qu’à celle de savoir si le Tribunal a appliqué des critères juridiques corrects lors de son appréciation des faits et des éléments de preuve (voir, en ce sens, arrêt du 18 janvier 2017, Toshiba/Commission, C 623/15 P, non publié, EU:C:2017:21, point 39 et jurisprudence citée).
54 En l’occurrence, premièrement, il y a lieu de constater que, par son argumentation dans le cadre du premier moyen du pourvoi, la Commission critique non pas l’appréciation factuelle, opérée par le Tribunal, relative à la valeur probatoire des indices qu’elle avait produits devant celui-ci, mais l’application des règles en matière de charge et d’administration de la preuve réalisée par le Tribunal aux fins de l’appréciation de ces indices ainsi que de la qualification des mesures litigieuses.
55 Deuxièmement, s’agissant de l’exception d’irrecevabilité mentionnée au point 49 du présent arrêt, il convient de rappeler qu’il résulte de l’article 256, paragraphe 1, second alinéa, TFUE, de l’article 58, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne et de l’article 168, paragraphe 1, sous d), du règlement de procédure de la Cour qu’un pourvoi doit indiquer de façon précise les éléments critiqués de l’arrêt dont l’annulation est demandée ainsi que les arguments juridiques qui soutiennent de manière spécifique cette demande, sous peine d’irrecevabilité du pourvoi ou du moyen concerné (arrêt du 10 juillet 2014, Telefónica et Telefónica de España/Commission, C 295/12 P, EU:C:2014:2062, point 29 ainsi que jurisprudence citée). Or, en l’occurrence, il suffit de relever que la Commission a précisé, dans son pourvoi, qu’elle contestait, notamment, le point 126 de l’arrêt attaqué.
56 Dans ces conditions, le premier moyen du pourvoi est recevable.
– Sur le fond
57 En ce qui concerne la première branche du premier moyen, il y a lieu de rappeler, d’emblée, que la qualification d’« aide d’État » au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE suppose la réunion de quatre conditions, à savoir l’existence d’une intervention de l’État ou au moyen de ressources de l’État, que cette intervention soit susceptible d’affecter les échanges entre les États membres, qu’elle accorde un avantage sélectif à son bénéficiaire et qu’elle fausse ou menace de fausser la concurrence (arrêt du 15 mai 2019, Achema e.a., C 706/17, EU:C:2019:407, point 46 ainsi que jurisprudence citée).
58 S’agissant de l’existence d’une intervention de l’État ou au moyen de ressources de l’État, seule condition en cause dans la présente affaire, il convient de rappeler que, pour que des avantages puissent être qualifiés d’« aides » au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, ils doivent, d’une part, être accordés directement ou indirectement au moyen de ressources d’État et, d’autre part, être imputables à l’État (arrêt du 15 mai 2019, Achema e.a., C 706/17, EU:C:2019:407, point 47 ainsi que jurisprudence citée).
59 En ce qui concerne plus particulièrement l’imputabilité d’une mesure à l’État, la Cour a jugé que celle-ci ne saurait être déduite de la seule circonstance que ladite mesure a été prise par une entreprise publique. En effet, même si l’État est en mesure de contrôler une entreprise publique et d’exercer une influence dominante sur les opérations de celle-ci, l’exercice effectif de ce contrôle dans un cas concret ne saurait être automatiquement présumé. Il est encore nécessaire d’examiner si les autorités publiques doivent être considérées comme ayant été impliquées, d’une manière ou d’une autre, dans l’adoption de la mesure en cause (voir, en ce sens, arrêts du 16 mai 2002, France/Commission, C 482/99, EU:C:2002:294, points 50 à 52 ; du 23 novembre 2017, SACE et Sace BT/Commission, C 472/15 P, non publié, EU:C:2017:885, point 34, ainsi que du 10 décembre 2020, Comune di Milano/Commission, C 160/19 P, EU:C:2020:1012, point 46).
60 Ainsi, l’imputabilité à l’État d’une mesure d’aide prise par une entreprise publique peut être déduite d’un ensemble d’indices résultant des circonstances de l’espèce et du contexte dans lequel cette mesure est intervenue. À cet égard, il ne saurait être exigé qu’il soit démontré, sur le fondement d’une instruction précise, que les autorités publiques ont incité concrètement l’entreprise publique à prendre la mesure d’aide concernée (voir, en ce sens, arrêts du 16 mai 2002, France/Commission, C 482/99, EU:C:2002:294, points 53 et 55 ; du 23 novembre 2017, SACE et Sace BT/Commission, C 472/15 P, non publié, EU:C:2017:885, point 35, ainsi que du 10 décembre 2020, Comune di Milano/Commission, C 160/19 P, EU:C:2020:1012, point 47 et jurisprudence citée).
61 En particulier, est pertinent tout indice indiquant, dans le cas concret, ou bien une implication des autorités publiques ou l’improbabilité d’une absence d’implication dans l’adoption d’une mesure, eu égard également à l’ampleur de celle-ci, à son contenu ou aux conditions qu’elle comporte, ou bien l’absence d’implication desdites autorités dans l’adoption de ladite mesure (arrêt du 10 décembre 2020, Comune di Milano/Commission, C 160/19 P, EU:C:2020:1012, point 48).
62 Figurent, en outre, parmi les indices permettant de conclure à une telle imputabilité le fait que l’entreprise publique en question ne pouvait prendre la décision contestée sans tenir compte des exigences des pouvoirs publics ou des directives émanant des autorités publiques, l’intégration de l’entreprise publique dans les structures de l’administration publique, la nature de ses activités et l’exercice de celles-ci sur le marché dans des conditions normales de concurrence avec des opérateurs privés, le statut juridique de l’entreprise, ou encore l’intensité de la tutelle exercée par les autorités publiques (voir, en ce sens, arrêts du 16 mai 2002, France/Commission, C 482/99, EU:C:2002:294, points 55 et 56, ainsi que du 23 novembre 2017, SACE et Sace BT/Commission, C 472/15 P, non publié, EU:C:2017:885, point 36).
63 En l’occurrence, il y a lieu de relever, à titre liminaire, que le Tribunal, au point 70 de l’arrêt attaqué, a constaté que la Commission, dans la décision litigieuse, n’avait pas cherché à distinguer clairement l’exigence relative à l’imputabilité d’une aide à l’État de celle relative aux ressources de l’État. De même, dans son pourvoi, la Commission, en ce qui concerne cette seconde exigence, se borne à relever que, au point 91 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a renvoyé à son propre raisonnement relatif à l’exigence de l’imputabilité. Enfin, dans le cadre de la première branche du premier moyen du pourvoi, la Commission ne vise aucun des motifs, figurant aux points 133 à 161 de l’arrêt attaqué, consacrés spécifiquement à l’examen de l’exigence relative à l’utilisation des ressources de l’État.
64 Dans ces conditions, il y a lieu d’examiner uniquement la condition relative à l’imputabilité des mesures litigieuses aux autorités italiennes.
65 En premier lieu, il convient de relever, tout d’abord, que, aux points 63 à 68 et 83 à 86 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a rappelé la jurisprudence de la Cour concernant l’imputabilité d’une aide aux autorités publiques lorsque les avantages sont octroyés par des entités distinctes de l’État. En particulier, au point 68 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a souligné, en renvoyant aux points 50 à 52 et 55 de l’arrêt du 16 mai 2002, France/Commission (C 482/99, EU:C:2002:294), que, même dans la situation où l’aide est octroyée par une entreprise publique, l’exercice du contrôle des autorités publiques ne saurait être présumé et que la Commission doit disposer d’un ensemble d’indices résultant des circonstances de l’espèce et du contexte dans lequel le concours financier est intervenu afin d’établir le degré d’implication des autorités publiques dans l’octroi de l’aide par l’intermédiaire d’une entreprise publique.
66 Ce n’est qu’après avoir rappelé cette jurisprudence que le Tribunal a considéré, au point 69 de l’arrêt attaqué, que l’« obligation de la Commission » de disposer de tels indices « est d’autant plus nécessaire » dans une situation dans laquelle la mesure en cause est prise par une entité privée. En effet, ainsi que le Tribunal l’a relevé à ce même point 69, la Commission ne peut se fonder sur l’existence de liens capitalistiques entre une telle entité et l’État, dès lors que de tels liens font défaut dans une situation de ce type.
67 C’est à l’aune de ces considérations que le Tribunal a jugé, aux points 87 à 90 de cet arrêt, que la Commission ne pouvait, en l’espèce, s’appuyer sur l’improbabilité d’une absence d’influence et de contrôle effectif des autorités publiques sur l’entité privée dispensant l’aide, mais que, au contraire, dans une telle situation, cette institution est d’autant plus tenue d’exposer et d’étayer « des indices suffisants » de nature à établir que la mesure d’aide en cause a été adoptée sous l’influence ou le contrôle effectif des autorités publiques et que, partant, cette mesure est imputable à l’État.
68 Enfin, aux points 94 à 132 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a analysé les indices avancés par la Commission, puis a constaté, à l’issue de cette analyse, que les mesures litigieuses ne pouvaient pas être imputées aux autorités italiennes.
69 Or, en procédant aux constats exposés aux points 68 et 69 ainsi que 88 à 90 de l’arrêt attaqué, le Tribunal n’a ni méconnu la jurisprudence rappelée aux points 58 à 62 du présent arrêt, selon laquelle il appartient à la Commission de démontrer, sur la base d’un ensemble d’indices, que les mesures en cause étaient imputables à l’État, ni, partant, imposé à la Commission de satisfaire à un niveau de preuve plus élevé pour la seule raison que le FITD est une entité privée.
70 En effet, par de tels constats, le Tribunal s’est limité, d’une part, à prendre acte, ainsi qu’il ressort, notamment, des points 87 et 88 de l’arrêt attaqué, des différences objectives existant entre une situation dans laquelle l’entité dispensant l’aide est une entreprise publique et celle où, comme en l’occurrence, cette entité, à savoir le FITD, est privée.
71 D’autre part, aux points 69, 89 et 90 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a tiré les conséquences de ces différences objectives, afin de préciser le type d’indices qui permettraient, dans le cas d’espèce, de démontrer l’imputabilité des mesures litigieuses aux autorités italiennes.
72 Ainsi, contrairement à ce que soutient la Commission, dans une situation dans laquelle, comme en l’occurrence, l’entité ayant dispensé l’aide a une nature privée, les indices aptes à démontrer l’imputabilité à l’État de la mesure diffèrent de ceux exigés dans l’hypothèse où l’entité dispensatrice de l’aide est une entreprise publique.
73 Ce faisant, le Tribunal n’a pas imposé des standards de preuve différents, mais, au contraire, a appliqué la jurisprudence citée au point 60 du présent arrêt, selon laquelle les indices aptes à démontrer l’imputabilité d’une mesure d’aide résultent des circonstances de l’espèce et du contexte dans lequel cette mesure est intervenue, l’absence de lien capitalistique entre l’entité concernée et l’État présentant à cet égard une pertinence certaine.
74 Par ailleurs, c’est sur une lecture erronée du point 114 de l’arrêt attaqué qu’est fondé l’argument de la Commission selon lequel le Tribunal aurait subordonné l’imputabilité aux autorités italiennes des mesures litigieuses au fait que toutes les étapes de la mise en œuvre de l’intervention du FITD en cause aient été influencées par ces autorités. En effet, le Tribunal s’est limité à rappeler audit point qu’il convenait d’examiner les éléments sur la base desquels la Commission avait elle-même considéré, dans la décision litigieuse, que lesdites autorités disposaient de l’autorité et des moyens pour influencer toutes les étapes de la mise en œuvre des mesures litigieuses.
75 De même, c’est à tort que la Commission soutient que le Tribunal a jugé, au point 116 de l’arrêt attaqué, que, aux fins d’établir l’imputabilité à l’État d’une mesure adoptée par une entité privée, la Commission doit prouver l’incidence de l’implication des autorités publiques sur ladite mesure. En effet, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 97 de ses conclusions, le Tribunal, à ce point 116, n’a pas examiné si l’intervention de la Banque d’Italie avait eu une incidence concrète sur le contenu des mesures litigieuses, mais s’est borné à constater, d’une part, que cette autorité nationale n’avait aucun pouvoir d’influencer le contenu des interventions et, d’autre part, que la Banque d’Italie n’a qu’un pouvoir de contrôle de la conformité desdites mesures avec le cadre réglementaire, à des fins de surveillance prudentielle.
76 Enfin, aux points 117 et 127 de l’arrêt attaqué, le Tribunal n’a pas davantage jugé que le constat de l’imputabilité des mesures litigieuses aux autorités italiennes supposait que la Commission établisse que la Banque d’Italie dispose du pouvoir d’enjoindre aux systèmes de garantie des dépôts d’adopter des mesures d’intervention telles que les mesures litigieuses. En effet, dans le cadre de l’examen des indices retenus par la Commission dans la décision litigieuse pour conclure que les mesures litigieuses pouvaient être imputées à l’État italien, le Tribunal s’est limité à constater que l’invitation faite par la Banque d’Italie au FITD et à BPB de parvenir à un accord équilibré n’était pas destinée à donner des indications à ces parties et n’avait pas eu la moindre incidence sur la décision du FITD d’intervenir en faveur de Tercas au moyen des mesures litigieuses.
77 En deuxième lieu, s’agissant des arguments de la Commission concernant la nature du FITD, il y a lieu de rappeler, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général aux points 128 et 129 de ses conclusions, que la notion d’« émanation de l’État » a été dégagée par la Cour en vue de permettre aux justiciables d’invoquer des dispositions inconditionnelles et suffisamment précises d’une directive non transposée ou non correctement transposée à l’encontre d’organismes ou d’entités qui sont soumis à l’autorité ou au contrôle de l’État ou qui disposent de pouvoirs exorbitants par rapport à ceux qui résultent des règles applicables dans les relations entre particuliers (voir, en ce sens, arrêt du 10 octobre 2017, Farrell, C 413/15, EU:C:2017:745, point 33). Ainsi, cette notion n’a pas été développée dans le but de pouvoir qualifier d’aide d’État les mesures adoptées par de tels organismes ou entités et ne saurait, dès lors, être transposée à la question de l’imputabilité à l’État de mesures d’aide.
78 En troisième lieu, s’agissant du risque de contournement de la législation en matière d’union bancaire, il suffit de relever que l’argument de la Commission se fonde sur la prémisse selon laquelle le prétendu standard de preuve plus rigoureux relatif à l’imputabilité à l’État, auquel aurait eu recours le Tribunal, rendrait pratiquement impossible pour la Commission de démontrer cette imputabilité s’agissant des mesures adoptées par les systèmes de garantie des dépôts. Or, d’une part, il ressort des points 65 à 73 du présent arrêt que le Tribunal n’a pas appliqué, dans l’arrêt attaqué, un tel standard de preuve plus rigoureux. D’autre part, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 125 de ses conclusions, même s’il devait être considéré que, en l’occurrence, les mesures litigieuses ne sont pas imputables à l’État italien, cette circonstance n’impliquerait pas qu’une mesure prise par un système de garantie des dépôts ne puisse jamais être qualifiée d’aide d’État et, partant, ne soit jamais susceptible de déclencher la procédure de résolution visée à l’article 32 de la directive 2014/59. En effet, une telle qualification resterait possible, mais dépendrait des caractéristiques du système de garantie des dépôts et de la mesure en question.
79 Eu égard à l’ensemble de ces considérations, il y a lieu de rejeter la première branche du premier moyen.
80 En ce qui concerne la seconde branche du premier moyen, il convient de constater que cette dernière se fonde sur une lecture erronée de l’arrêt attaqué, dès lors que, contrairement à ce que prétend la Commission, le Tribunal n’a pas omis de procéder à une analyse globale des indices apportés par celle-ci afin de démontrer que l’intervention du FITD était imputable à l’État italien.
81 En effet, en premier lieu, aux points 71 à 82 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a exposé, en les résumant, l’ensemble de ces indices.
82 En deuxième lieu, dans le cadre de l’examen de la portée du mandat public confié au FITD, le Tribunal, aux points 96 à 105 de l’arrêt attaqué, a analysé l’ensemble des indices apportés par la Commission à cet égard. Ce n’est qu’après avoir procédé à cette analyse que le Tribunal a conclu, au point 106 de cet arrêt, qu’une intervention volontaire du FITD, telle que celle en cause en l’espèce, en ce qu’elle a une finalité différente de celle relative aux remboursements des dépôts prévue dans le cadre de la directive 94/19, ne constitue pas la mise en œuvre d’un mandat public.
83 En troisième lieu, dans le cadre de l’examen de l’autonomie du FITD lors de l’adoption des mesures litigieuses, après avoir rappelé que le FITD agit « dans l’intérêt [de ses membres] » et qu’« aucun élément de nature organique » ne lie celui-ci aux autorités publiques italiennes, le Tribunal a constaté, au point 114 de l’arrêt attaqué, que c’est « dans ce contexte » qu’il convenait d’analyser les éléments retenus par la Commission dans la décision litigieuse. Le Tribunal a constaté également, audit point 114, qu’il convenait de vérifier si « les indices » avancés par la Commission étaient suffisants pour démontrer l’imputabilité des mesures litigieuses à l’État italien. Le Tribunal a procédé à cette vérification aux points 115 et 131 de l’arrêt attaqué, incluant notamment, aux points 125 à 127 dudit arrêt, l’analyse du « contexte dans lequel l’intervention du FITD en faveur de Tercas [avait] été adoptée ».
84 Dans ces conditions, il y a lieu de constater que, ainsi qu’il ressort du point 132 de l’arrêt attaqué, c’est sur la base de l’analyse de l’ensemble des indices retenus par la Commission, placés dans leur contexte, et dès lors d’une manière conforme à la jurisprudence rappelée au point 60 du présent arrêt, que le Tribunal a jugé que cette institution avait commis une erreur de droit en estimant, au considérant 133 de la décision litigieuse, qu’elle avait démontré que les autorités italiennes avaient exercé un contrôle public substantiel dans la définition de l’intervention du FITD en faveur de Tercas.
85 Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de rejeter la seconde branche du premier moyen et, par conséquent, le premier moyen dans son intégralité.
Sur le second moyen
Argumentation des parties
86 Par son second moyen, la Commission fait valoir que le Tribunal a dénaturé les faits en cause ainsi que le droit italien.
87 Premièrement, le Tribunal, au point 116 de l’arrêt attaqué, aurait manifestement dénaturé le contenu de l’article 96 ter, paragraphe 1, du TUB, en jugeant que la Banque d’Italie n’avait exercé qu’un contrôle de légalité, et non d’opportunité, sur les mesures litigieuses. En effet, dans la mesure où il ressort de ladite disposition que la Banque d’Italie autorise les interventions de soutien en faveur des banques « en tenant compte de la protection des déposants et de la stabilité du système bancaire », le contrôle auquel cette autorité publique est susceptible de procéder irait au-delà d’une simple vérification de la légalité des mesures litigieuses, de sorte qu’elle pourrait être conduite à vérifier si de telles mesures répondent à ses objectifs de politique bancaire et financière.
88 Deuxièmement, la Commission fait valoir que le Tribunal, aux points 153 et 154 de l’arrêt attaqué, a dénaturé le contenu de l’article 21 des statuts du FITD, en jugeant que la méthode de financement des interventions volontaires était différente de celle des interventions obligatoires.
89 À cet égard, la Commission précise que le fait que le point 153 de l’arrêt attaqué débute par l’expression « en outre » ne permet pas de conclure au caractère surabondant de l’argumentation qu’il contient et, par suite, au caractère inopérant des griefs dirigés contre cette argumentation. En effet, selon la Commission, c’est précisément à ce point que le Tribunal a rejeté son argument selon lequel les contributions versées au FITD par les membres de ce consortium ont un caractère obligatoire et représentent, par conséquent, des ressources de nature étatique.
90 La République italienne, BPB, le FITD et la Banque d’Italie concluent, à titre principal, à l’irrecevabilité du second moyen et, à titre subsidiaire, à son caractère non fondé et, en tout état de cause, inopérant.
Appréciation de la Cour
91 Par son second moyen, la Commission fait valoir que, aux points 116 ainsi que 153 et 154 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a dénaturé, respectivement, le droit national et les faits en cause.
92 À cet égard, il y a lieu de rappeler, ainsi qu’il ressort de la jurisprudence figurant au point 52 du présent arrêt, que l’appréciation des faits ne constitue pas, sous réserve du cas de leur dénaturation, une question de droit soumise, comme telle, au contrôle de la Cour.
93 De même, pour ce qui est de l’examen, dans le cadre d’un pourvoi, des appréciations du Tribunal à l’égard du droit national, la Cour n’est compétente que pour vérifier s’il y a eu dénaturation de ce droit (voir, en ce sens, arrêt du 9 novembre 2017, TV2/Danmark/Commission, C 649/15 P, EU:C:2017:835, point 49 et jurisprudence citée).
94 Enfin, et comme il a été rappelé à ce même point 52 du présent arrêt, la dénaturation doit ressortir de façon manifeste des pièces du dossier, sans qu’il soit nécessaire de procéder à une nouvelle appréciation des faits et des preuves (voir, en ce sens, arrêt du 9 novembre 2017, TV2/Danmark/Commission, C 649/15 P, EU:C:2017:835, point 50 et jurisprudence citée).
95 En l’espèce, s’agissant de la prétendue dénaturation du droit national, il y a lieu de relever que, au point 116 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a rappelé que, selon l’article 96 ter, paragraphe 1, sous d), du TUB, la Banque d’Italie autorise les interventions des systèmes de garantie des dépôts « en tenant compte de la protection des déposants et de la stabilité du système bancaire ».
96 Or, le libellé de cette disposition permet de considérer que la Banque d’Italie est habilitée, à l’instar des autres autorités également chargées de la protection des intérêts publics, à opérer un contrôle des interventions des systèmes de garantie des dépôts au regard du cadre réglementaire en vigueur, afin de sauvegarder lesdits intérêts.
97 Par ailleurs, il convient de relever que, à ce même point 116 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a rappelé le cadre réglementaire dans lequel s’inscrit l’article 96 ter, paragraphe 1, sous d), du TUB, à la lumière duquel cette disposition doit, selon lui, être interprétée. Ainsi, en vertu de l’article 5 du TUB, la Banque d’Italie exerce des fonctions de surveillance prudentielle « en tenant compte de la gestion saine et prudente des établissements soumis à son contrôle, de la stabilité globale, de l’efficacité et de la compétitivité du système financier et du respect des dispositions applicables ». De même, il ressort dudit point 116 de l’arrêt attaqué que, selon l’article 19 du TUB, la Banque d’Italie autorise un certain nombre de décisions majeures des banques, telles que les acquisitions.
98 Dans ces conditions, contrairement à ce que prétend la Commission, il ne ressort pas manifestement de l’expression « en tenant compte de la protection des déposants et de la stabilité du système bancaire », figurant à l’article 96 ter, paragraphe 1, sous d), du TUB, que la Banque d’Italie exercerait un contrôle d’opportunité sur les interventions des systèmes de garantie des dépôts, telles que les mesures litigieuses, de sorte que la Commission n’a pas établi que le Tribunal, au point 116 de l’arrêt attaqué, a dénaturé cette disposition en jugeant que la Banque d’Italie n’effectue qu’un contrôle de conformité des mesures d’intervention avec le cadre réglementaire, à des fins de surveillance prudentielle.
99 S’agissant de la prétendue dénaturation de l’article 21 des statuts du FITD, il convient de relever que les arguments de la Commission se fondent sur une lecture erronée de l’arrêt attaqué, dans la mesure où, contrairement à ce que soutient cette institution, le Tribunal n’a pas jugé, aux points 153 et 154 de cet arrêt, que la méthode de financement des interventions volontaires était différente de celle des interventions obligatoires.
100 En effet, d’une part, dans le cadre de l’examen du prétendu caractère obligatoire des contributions utilisées par le FITD pour procéder à l’intervention en cause, le Tribunal, au point 153 de l’arrêt attaqué, s’est, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 177 de ses conclusions, borné à constater que, à la différence des ressources nécessaires pour le fonctionnement du consortium, lesdites contributions étaient considérées comme étant des avances « versées par les membres du FITD qui les gérait pour leur compte en qualité de mandataire ».
101 D’autre part, au point 154 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a jugé que, s’agissant des interventions volontaires, c’est l’obligation de contribuer à l’intervention, et non la méthode de financement des contributions, qui trouve sa source dans une disposition statutaire de nature privée, le Tribunal ayant souligné que l’obligation d’intervenir trouve sa source dans une disposition réglementaire lorsque le FITD est « spécialement mandaté par l’État pour gérer les contributions faites par les membres au titre de la garantie légale des dépôts ».
102 Dans ces conditions, le second moyen doit être rejeté comme étant non fondé, sans qu’il y ait lieu de se prononcer sur sa recevabilité.
103 Aucun des deux moyens soulevés par la Commission à l’appui de son pourvoi n’ayant été accueilli, il y a lieu de rejeter ce dernier dans son intégralité.
Sur les dépens
104 En vertu de l’article 184, paragraphe 2, du règlement de procédure, lorsque le pourvoi n’est pas fondé, la Cour statue sur les dépens. L’article 138, paragraphe 1, du même règlement, rendu applicable à la procédure du pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de celui ci, dispose que toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.
105 La République italienne, BPB, le FITD et la Banque d’Italie ayant conclu à la condamnation de la Commission et cette dernière ayant succombé en son pourvoi, il y a lieu de la condamner aux dépens.
Par ces motifs, la Cour (grande chambre) déclare et arrête :
1) Le pourvoi est rejeté.
2) La Commission européenne est condamnée aux dépens.