CA Lyon, 3e ch. A, 25 février 2021, n° 19/05598
LYON
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
LTKS (SAS)
Défendeur :
Casino Restauration (Sasu)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Esparbes
Conseillers :
Mme Clerc, Mme Homs
Avocats :
Me Galletti, Me Baufumé
EXPOSE DU LITIGE
Le 26 janvier 2016, la SAS Casino Restauration a cédé à la SAS Tibdel un fonds de commerce à l'enseigne « A la bonne heure » situé <adresse> au prix de 402 000 euros.
Ce fonds de commerce a fait l'objet d'un contrat de franchise, dit signé le 1er février 2016 par les parties, dont l'article 13 prévoyait au profit du franchiseur (la société Casino Restauration) ou à toute personne physique ou morale qu'il substituerait, un droit de préférence en cas de cession portant sur ce fonds de commerce.
Le contrat de bail commercial initialement signé le 31 juillet 2000 entre la société Casino Restauration et la société Immobilière Groupe Casino, transféré à la société Tibdel dans le cadre de la cession de fonds de commerce, prévoyait également un pacte de préférence au profit du bailleur, ou à toute personne physique ou morale que ce dernier se substituerait en cas de vente du droit au bail ou du fonds de commerce.
La société Tibdel a été placée en liquidation judiciaire par jugement du tribunal de commerce de Saint Etienne du 5 juillet 2017 qui a notamment désigné la SELARL MJ Alpes, prise en la personne de Me Blanchard, en qualité de liquidateur judiciaire.
Dans la perspective d'une cession amiable du fonds de commerce de la société Tibdel, le liquidateur judiciaire a reçu deux offres de reprise, l'une de la société Casino Restauration (127 800 euros), l'autre de MM. X et Y et la SAS Mélanie Resto (150 000 euros).
Avisée par courrier du liquidateur du 23 août 2017 de l'existence de ces deux offres et appelée à préciser si elle souhaitait exercer son droit de préférence prévu au contrat de franchise, la société Casino Restauration a répondu le 18 septembre 2017 qu'elle n'entendait pas renoncer à son droit de préférence et ferait connaître sa décision en cas d'offre dûment notifiée de se porter ou non acquéreur.
Par ordonnance du 2 novembre 2017, le juge commissaire à la liquidation judiciaire a rejeté les offres amiables de reprise comme insuffisantes au regard du prix réglé par la société Tibdel pour l'acquisition du fonds de commerce et a ordonné la vente aux enchères des éléments corporels et incorporels composant le fonds de commerce par le ministère de Me Brossat, commissaire-priseur, à charge pour ce dernier de respecter les clauses relatives aux pactes de préférence prévus dans le contrat de bail commercial et dans le contrat de franchise, de purger les pactes de préférence dans le cadre de la vente aux enchères publiques et de faire mention des dites clauses dans le cahier des charges pour parfaite information des adjudicataires.
Cette ordonnance a été signifiée le 2 novembre 2017 à MM. X et Y qui en ont relevé appel avant de se désister de leur recours (ordonnance de désistement du 23 janvier 2018).
MM. X et Y s'étant portés adjudicataires du fonds de commerce le 30 novembre 2017 pour le compte de leur société en formation (la SAS LTKS créée en décembre 2017 pour exploiter le fonds de commerce de la société Tibdel), la société Casino Restauration en réponse au courrier du commissaire-priseur du 4 décembre 2017, a signifié par courrier du 5 décembre 2017 sa volonté d'exercer son droit de préférence prévu au contrat de franchise.
Le commissaire-priseur a dès lors informé par courrier du 19 décembre 2017, MM. X et Y de leur substitution, en tant qu'adjudicataires, par la société Casino Restauration en exécution du droit de préférence.
Suivant acte extrajudiciaire du 21 février 2018, la société LTKS a assigné la société Casino Restauration devant le tribunal de commerce de Saint Etienne afin de contester cette substitution.
La médiation mise en oeuvre avec l'accord des parties n'a pas abouti.
Par jugement contradictoire du 10 juillet 2019, le tribunal de commerce précité a :
- constaté l'existence et la validité d'un droit de préférence au profit de la société Casino Restauration et ce, même en cas de vente aux enchères dans le cadre d'une procédure collective,
- constaté que malgré l'absence de précision de ce droit de préférence dans le cahier des charges du commissaire priseur, les consorts X/Y étaient parfaitement informés du droit de préférence dont disposait la société Casino Restauration,
- dit que c'est à bon droit que la société Casino Restauration a été désignée adjudicataire du fonds de commerce de la société Tibdel par substitution de la société LTKS,
- débouté la société LTKS de l'ensemble de ses demandes dont sa demande de dommages et intérêts,
- condamné la société LTKS à payer à la société Casino Restauration :
1 000 euros au titre de la procédure abusive,
1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- dit que les dépens sont la charge de la société LTKS,
- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire du jugement.
La société LTKS a relevé appel par acte du 31 juillet 2019.
Dans ses conclusions n° 1 déposées le 8 octobre 2019 sur le fondement des articles 1123 du code civil et R. 233-6 du code des «procédures d'exécution» (comprendre code des procédures civiles d'exécution), la société LTKS demande que la cour :
- réforme le jugement déféré en ce qu'il a constaté l'existence et la validité d'un droit de préférence au profit de la société Casino Restauration et ce, même en cas de vente aux enchères dans le cadre d'une procédure collective, et que malgré l'absence de prévision de ce droit de préférence dans le cahier des charges du commissaire priseur, les consorts X/Y étaient parfaitement informés du droit de préférence dont disposait la société Casino Restauration et que c'est à bon droit que celle ci a été désignée l'adjudicataire du fonds de commerce de la société Tibdel par substitution de la société LTKS,
- déclare nul et de nul effet le droit de préférence exercé par la société Casino Restauration lors de la cession du fonds de commerce de la société Tibdel, en conséquence,
- juge qu'elle devra être déclarée adjudicataire du fonds de commerce de la société Tibdel, sis<adresse>,
- ordonne en conséquence l'expulsion des lieux de la société Casino Restauration et/ou de tous occupants de son chef sous astreinte définitive de 1 000 euros par jour de retard, astreinte qui commencera à courir 2 jours après la signification du jugement à intervenir qui sera revêtu de l'exécution provisoire, subsidiairement,
- condamne la société Casino Restauration à payer la somme de 40 000 euros à titre de dommages et intérêts,
- condamne la société Casino Restauration à lui payer la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'en tous les dépens de première instance et d'appel avec distraction au profit de la SELARL Alphajuris, représentée par Me Galletti Robert, sur son affirmation de droit.
Dans ses conclusions n°2 déposées le 28 janvier 2020, la société Casino Restauration demande la confirmation du jugement dont appel dans l'ensemble de ses dispositions et notamment :
1) sur le fond, le rejet des demandes de la société LTKS,
- constater que l'article12 du contrat de franchise en date du 26 janvier 2016 prévoyait expressément l'existence d'un droit de préférence à son profit et ce, même en cas de vente aux enchères dans le cadre d'une procédure collective,
- constater que l'ordonnance rendue le 2 novembre 2017 par le juge commissaire près le tribunal de commerce de Saint Etienne ordonne expressément le respect de ce droit de préférence par les organes de la procédure collective,
- constater que malgré l'absence de précision de ce droit de préférence dans le cahier des charges, les consorts X/Y étaient parfaitement informés du droit de préférence dont elle disposait, l'ordonnance précitée leur ayant été notifiée par le greffe du tribunal de commerce de Saint Etienne,
- constater qu'elle était ainsi parfaitement en droit d'être substituée à la société LTKS en tant qu'adjudicataire du fonds de commerce de la société Tibdel,
- constater que la société LTKS n'apporte la preuve d'aucun préjudice subi du fait de cette substitution, par conséquent,
- confirmer le jugement déféré en ce qu'il a:
considéré que c'était à bon droit qu'elle a été désignée adjudicataire du fonds de commerce de la société Tibdel par substitution de la société LKTS,
débouté la société LTKS de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions dont sa demande de dommages et intérêts non justifiée à hauteur de 40 000 euros,
2) en tout état de cause,
- confirmer le jugement déféré en ce qu'il a constaté que la société LTKS avait abusé de son droit d'ester en justice en l'assignant alors que les consorts X/Y, qu'elle représente, avaient parfaitement connaissance de l'existence d'un droit de préférence à son profit et de son application potentielle avant de se porter adjudicataire du fonds de commerce de la société Tibdel, par conséquent,
- confirmer le jugement dont appel en ce qu'il a condamné la société LTKS à lui payer :
la somme de 1 000 euros au titre de la procédure abusive,
la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, et aux entiers dépens de première instance,
- condamner la société LTKS à lui payer la somme de 10 000 euros au titre de la procédure abusive,
- condamner la même à lui payer la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de la présente instance.
MOTIFS
Le contrat de franchise dit signé le 1er février 2016 par les parties, demeure soumis à la loi ancienne conformément aux dispositions de l'article 9 de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, complété par la loi du 20 avril 2018 ratifiant cette ordonnance.
C'est en vain que la société LTKS conteste le droit de préférence dont s'est prévalu la société Casino Restauration et demande à être déclarée adjudicataire du fonds de commerce litigieux en soutenant tout à la fois que :
- le droit de préférence institué par le contrat de franchise au profit de la société Casino Restauration ne peut s'appliquer, en cas de liquidation judiciaire, que dans le cas d'une cession de gré à gré autorisée par le juge commissaire et non dans l'hypothèse où celui ci décide de recourir à une vente aux enchères,
- conformément aux dispositions de l'article R. 233-6 du code des procédures civiles d'exécution, le droit de préférence ne s'impose pas à elle car il ne figure pas dans le cahier des charges de sorte qu'elle n'était pas informée de son existence.
En effet, d'une part, le contrat de franchise réserve expressément l'application du droit de préférence à l'hypothèse d'une vente judiciaire aux enchères du fonds de commerce ainsi qu'en atteste la rédaction de son article 13 : «le franchisé reconnaît au franchiseur , la société Casino Restauration ou à toute autre personne physique ou morale qu'elle se substituerait, un droit de préférence conférant au franchiseur ou toute autre personne substituée, la faculté d'acquérir aux prix, charges et conditions envisagés avec un tiers, quelle que soit la forme de la cession (vente, apport, fusion, cession d'actions ou de parts sociales, augmentation de capital, transfert de propriété ou de jouissance) portant sur le fonds de commerce ou sur le droit au bail des locaux dans lesquels celui ci est exploité, ou bien encore en cas de mise en location gérance. Le droit de préemption ainsi constitué vaut promesse irrévocable de cession (...).
En cas de mise en vente aux enchères publiques, soit volontaire, soit judiciaire, le franchisé ou ses héritiers et ayant cause devront en aviser la société Casino Restauration au moins un mois à l'avance par lettre recommandée avec avis de réception.
La société Casino Restauration ou toute autre personne physique ou morale qu'il (elle) se sera substitué(e), aura la faculté de se substituer à l'adjudicataire, soit le jour même de l'adjudication, soit dans les cinq jours de celle ci, à charge pour lui d'acquitter le prix de l'adjudication de la manière indiquée au cahier des charges et d'exécuter les charges et conditions de l'enchère (...).'»
Ensuite, outre le fait que l'article R. 233-6 du code précité est inapplicable au cas d'espèce, en ce qu'il figure à la sous section 2 «les droits d'associés et valeurs mobilières non admises aux négociations sur un marché réglementé ou sur un système multilatéral de négociation» de la section II du chapitre III du titre troisième dédié à la saisie des droits incorporels, l'ordonnance du juge commissaire du 2 novembre 2017 rejetant les offres amiables formulées par la société Casino Restauration, MM. X et Y et la société Melanie Resto, a décidé la vente aux enchères publiques du fonds de commerce en cause, en jugeant notamment qu'il appartiendra à Me Brossat, commissaire priseur en charge de la vente, de respecter les clauses de préférence énoncées dans le bail commercial du 31 juillet 2000, renouvelé le 24 décembre 2010, et le contrat de franchise du 1er février 2016, de purger les pactes de préférence dans le cadre de la vente aux enchères publiques, et de «faire mention desdites clauses dans le cahier des charges pour parfaite information des adjudicataires».
MM. X et Y, dont l'avocat a reçu notification de l'ordonnance précitée le 2 novembre 2017, ont eu nécessairement connaissance de cette décision pour en avoir relevé appel avant de se désister de leur recours, et ont donc été avisés de l'existence de la clause de préférence figurant dans le contrat de franchise (seul revendiqué par la société Casino Restauration pour se substituer à l'adjudicataire) que le juge commissaire avait mentionné dans son ordonnance.
Est en conséquence sans emport la circonstance que cette clause n'a pas été mentionnée dans le cahier des charges, cette mention ayant une vocation purement informative à destination des adjudicataires'; or, dans le cas d'espèce, les adjudicataires à savoir MM. X et Y agissant pour le compte de leur société LTKS en formation, avaient eu connaissance de cette clause dès le 2 novembre 2017 de sorte qu'ils ne peuvent soutenir utilement ne pas avoir été informés de son existence.
En tout état de cause, l'omission dans le cahier des charges de la clause litigieuse ne peut contrer l'ordonnance du juge commissaire qui faisait obligation au commissaire priseur, organe de la procédure de liquidation judiciaire, de respecter les clauses de préférence résultant du bail commercial et du contrat de franchise, s'agissant d'une décision de justice exécutoire ayant acquis force de chose jugée.
L'exercice du droit de préférence par la société Casino Restauration n'étant pas autrement discuté dans ses modalités par la société LTKS, il y a lieu de confirmer le jugement déféré qui a débouté cette dernière d'une part, de sa contestation quant à la désignation de la société Casino Restauration adjudicataire du fonds de commerce de la société Tibdel par l'effet de la clause de préférence portée dans le contrat de franchise et, d'autre part, de ses demandes indemnitaires subséquentes.
La société Casino Restauration est déboutée de sa réclamation de dommages et intérêts pour procédure abusive, y compris en appel, dès lors que l'appréciation inexacte que la société LTKS fait de ses droits ne constitue pas en soi une faute caractérisant un'abus'du droit d'agir'en justice, outre le fait qu'elle ne démontre pas en avoir subi un préjudice spécifique du fait de l'instance initiée à son encontre par cette dernière société.
Perdant son procès, la société LTKS garde la charge des dépens d'appel comme ceux de première instance et de ses frais, et elle doit verser à la société Casino Distribution une indemnité de procédure complémentaire pour la cause d'appel, celle retenue par le premier juge étant confirmée.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement et par arrêt contradictoire,
Confirme le jugement déféré sauf en ses dispositions relatives à la procédure abusive,
Statuant à nouveau sur ce point et ajoutant,
Déboute la SAS Casino Restauration de sa réclamation de dommages et intérêts pour procédure abusive, y compris en appel,
Condamne la SAS LTKS à payer à la SAS Casino Restauration une indemnité de procédure d'appel de 2 000 euros,
Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure au profit de la SAS LTKS en cause d'appel,
Condamne la SAS LTKS aux dépens d'appel.