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Décisions

CJUE, 5e ch., 3 mars 2021, n° C-434/19

COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Poste Italiane SpA, Agenzia delle entrate – Riscossione

Défendeur :

Riscossione Sicilia SpA agente riscossione per la provincia di Palermo e delle altre provincie siciliane , Poste Italiane SpA

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Regan

Juges :

M. Ilešič, M. Juhász, M. Lycourgos (rapporteur), M. Jarukaitis

Avocat général :

M. Campos Sánchez-Bordona

Avocats :

Me Fratini, Me Sandulli, Me Visentini, Me Papa Malatesta

CJUE n° C-434/19

3 mars 2021

LA COUR (cinquième chambre),

1 Les demandes de décision préjudicielle portent sur l’interprétation des articles 14, 102, 106 et 107 TFUE.

2 Ces demandes ont été présentées dans le cadre de litiges opposant, d’une part, Poste Italiane SpA à Riscossione Sicilia SpA agente riscossione per la provincia di Palermo e delle altre provincie siciliane (ci-après « Riscossione Sicilia ») (affaire C‑434/19) et, d’autre part, l’Agenzia delle entrate – Riscossione (Administration fiscale – Perception, Italie) (ci-après l’« Agence de perceptione ») à Poste Italiane (affaire C‑435/19) au sujet de demandes de paiement de commissions adressées par Poste Italiane aux concessionnaires en charge de la perception de l’imposta comunale sugli immobili (taxe foncière communale, ci-après l’« ICI ») pour les services de gestion des comptes courants postaux desdits concessionnaires, affectés à la perception de l’ICI auprès des contribuables.

Le droit italien

3 L’article 2, paragraphes 18 à 20, de la legge n. 662 – Misure di razionalizzazione della finanza pubblica (loi no 662, relative à des mesures de rationalisation des finances publiques), du 23 décembre 1996 (supplément ordinaire à la GURI no 303, du 28 décembre 1996, ci-après la « loi no 662/1996 »), prévoit :

« 18.  [...] l’entreprise Poste Italiane peut fixer des commissions à charge des titulaires de comptes postaux.

[...]

19. Les services postaux et de paiement pour lesquels un régime de monopole légal n’est pas expressément prévu par la réglementation en vigueur sont fournis par l’entreprise Poste Italiane et les autres opérateurs opérant en régime de libre concurrence. Concernant lesdits services, toute forme d’obligation tarifaire ou sociale qui incombe à l’entreprise Poste Italiane, ainsi que toute forme de facilitation tarifaire relative à des usagers de l’entreprise susmentionnée définies par la législation en vigueur cessent à compter du 1er avril 1997 [...] Il est fait obligation à l’entreprise Poste Italiane de tenir un registre comptable séparé, en distinguant en particulier entre les coûts et les recettes liés aux prestations de services fournies dans le cadre d’un régime de monopole légal et ceux liés aux prestations fournies dans le cadre d’un régime de libre concurrence.

20. À compter du 1er avril 1997, les prix des services visés au paragraphe 19 sont fixés, y compris par voie conventionnelle, par l’entreprise Poste Italiane, en tenant compte des exigences de la clientèle et des caractéristiques de la demande, ainsi que de l’exigence de préserver et de développer les volumes de trafic [...] »

4 L’article 10, paragraphe 3, du decreto legislativo n. 504, Riordino della finanza degli enti territoriali, a norma dell’articolo 4 della legge 23 ottobre 1992, n. 421 (décret législatif no 504, relatif à la réorganisation du financement des collectivités territoriales en application de l’article 4 de la loi no 421 du 23 octobre 1992), du 30 décembre 1992 (supplément ordinaire à la GURI no 305, du 30 décembre 1992, ci-après le « décret législatif no 504/1992 »), dispose :

« L’impôt dû en vertu du paragraphe 2 doit être acquitté par versement direct au concessionnaire en charge de la perception dans la circonscription à laquelle appartient la commune visée à l’article 4 ou sur un compte courant postal à cet effet au nom du concessionnaire susmentionné [...]. La commission due au concessionnaire est à la charge de la commune taxatrice et est fixée à 1 % des sommes perçues, avec un minimum de 3 500 lires [italiennes (ITL) (environ 1,75 euro)] et un maximum de 100 000 [ITL (environ 50 euros)] pour chaque versement effectué par le contribuable ».

5 Les articles 5 à 7 du decreto del Ministro delle Finanze n. 567 – Regolamento di attuazione dell’articolo 78, commi da 27 a 38, della legge 30 dicembre 1991, n. 413, concernente l’istituzione del conto fiscale (décret du ministre des Finances no 567, portant règlement de mise en œuvre de l’article 78, paragraphes 27 à 38, de la loi no 413 du 30 décembre 1991 relative à la mise en place du compte fiscal), du 28 décembre 1993 (GURI no 306, du 31 décembre 1993), permettent aux titulaires d’un compte fiscal de verser les montants relatifs à l’impôt sur le revenu des personnes physiques, l’impôt sur le revenu des personnes morales, même dus en qualité de tiers-payeur, l’impôt local sur les revenus, les impôts de substitution aux impôts susmentionnés et la taxe sur la valeur ajoutée, directement aux guichets du concessionnaire ou encore auprès d’un des établissements de crédit, par la voie d’un mandat irrévocable de paiement au concessionnaire.

6 L’article 59, paragraphe 1, sous n), du decreto legislativo n. 446 – Istituzione dell’imposta regionale sulle attivita’ produttive, revisione degli scaglioni, delle aliquote e delle detrazioni dell’Irpef e istituzione di una addizionale regionale a tale imposta, nonche’ riordino della disciplina dei tributi locali (décret législatif no 446, portant instauration de l’impôt régional sur les activités productives, révision des tranches, des taux et des déductions de l’impôt sur les revenus des personnes physiques et institution d’une taxe additionnelle régionale à cet impôt, ainsi que réorganisation de la réglementation de la fiscalité locale), du 15 décembre 1997 (supplémentaire ordinaire à la GURI no 298, du 23 décembre 1997), a réservé aux communes l’adoption de la réglementation en matière de perception des contributions locales, avec pour objectif de « rationaliser les modalités d’exécution des versement, tant volontaires qu’à la suite de vérifications, en prévoyant un versement sur le compte courant postal établi au nom de l’administration fiscale de la commune, un versement directement auprès de l’administration fiscale de la commune, ainsi qu’un paiement par la voie du système bancaire, s’ajoutant ou se substituant au paiement auprès du concessionnaire chargé de la perception ».

7 Selon l’article 3, paragraphe 1, du decreto del Presidente della Repubblica n. 144 – Regolamento recante norme sui servizi di bancoposta (décret du président de la République no 144, portant réglementation relative aux services bancaires postaux), du 14 mars 2001 (GURI no 94, du 23 avril 2001, ci-après le « décret présidentiel no 144/2001 »), « sauf disposition contraire dans le présent décret, les rapports avec la clientèle et le compte courant postal sont régis par voie contractuelle dans le respect des dispositions du code civil et des lois spéciales ».

8 Le decreto-legge n. 70 – Semestre Europeo – Prime disposizioni urgenti per l’economia (décret-loi no 70, relatif au semestre européen – Premières dispositions urgentes en faveur de l’économie), du 13 mai 2011 (GURI no 110, du 13 mai 2011), converti en loi, tel que modifié par le decreto-legge n. 16 (décret-loi no 16), du 2 mars 2012 (GURI no 52, du 2 mars 2012, ci-après le « décret-loi no 70/2011 »), prévoit, à son article 7, paragraphe 2, sous gg-septies) :

« dans le cas où la perception des recettes est confiée aux personnes visées à l’article 52, paragraphe 5, sous b), du décret législatif no 446, du 15 décembre 1997, celle-ci est effectuée au moyen de l’ouverture d’un ou plusieurs comptes courants de perception, postaux ou bancaires, au nom de l’attributaire et affectés au recouvrement des recettes du pouvoir adjudicateur, sur lesquels doit être versé l’ensemble des sommes perçues. »

9 Par la décision tarifaire no 57/1996 du conseil d’administration de Poste Italiane (ci-après la « décision tarifaire no 57/1996 »), le prélèvement d’une commission a été prévu sur chaque opération de gestion du compte courant postal détenu par un concessionnaire du service de perception des impôts. Cette commission a été notamment fixée à 100 ITL (environ 0,05 euro) du 1er avril 1997 au 31 mai 2001 et à 0,23 euro (environ 450 ITL) du 1er juin 2001 au 31 décembre 2003.

Les litiges au principal et les questions préjudicielles

10 En Italie, le décret législatif no 504/1992 a soumis les contribuables assujettis au paiement de l’ICI à l’obligation de verser le montant dû par eux à un des concessionnaires de l’État en charge de la perception de cette taxe et du reversement de ce montant aux communes bénéficiaires. Selon cette même réglementation, l’ICI doit être acquittée par un versement direct au concessionnaire de la circonscription dans laquelle est située la commune bénéficiaire ou par un versement sur un compte courant postal ouvert au nom de ce concessionnaire.

11 Les litiges au principal portent sur les demandes de paiement de commissions adressées par Poste Italiane à deux concessionnaires en charge de la perception de l’ICI, Riscossione Sicilia et l’Agence de perception.

12 Le paiement de ces commissions a été demandé pour la gestion, de l’année 1997 à l’année 2011, des comptes courants dont ces concessionnaires disposent auprès de Poste Italiane, afin de permettre aux contribuables d’y verser les sommes qu’ils devaient au titre de l’ICI.

13 Lesdites commissions ont été calculées sur la base du tarif déterminé par la décision tarifaire no 57/1996.

14 Dans le litige à l’origine de l’affaire C‑434/19, Poste Italiane a saisi le Tribunale di Palermo (tribunal de Palerme, Italie) pour que le concessionnaire en charge de la perception de l’ICI, devenu par la suite Riscossione Sicilia, soit condamné à payer la commission due sur chacune des opérations de versement de l’ICI effectuée par chaque contribuable au moyen d’un bulletin de versement postal sur le compte courant établi au nom de ce concessionnaire, à savoir 0,05 euro (environ 100 ITL) du 1er avril 1997 au 31 mai 2001, 0,23 euro (environ 450 ITL) du 1er juin 2001 au 31 décembre 2003 et, après le 1er janvier 2004, les montants correspondant aux variations tarifaires successives. Par un jugement du 7 juin 2011, le Tribunale di Palermo (tribunal de Palerme) a rejeté la demande de condamnation dont il était saisi et, par un arrêt du 11 mai 2016, la Corte d’appello di Palermo (cour d’appel de Palerme, Italie) a réformé partiellement ce jugement, en accueillant l’appel interjeté par Poste Italiane en ce que celle-ci avait fourni la preuve de ses prétentions pour la période postérieure au 1er juin 2006.

15 Dans le litige à l’origine de l’affaire C‑435/19, Poste Italiane a saisi le Tribunale di Macerata (tribunal de Macerata, Italie) pour que l’Agece de perception, le concessionnaire en charge de la perception de l’ICI, soit condamnée à payer la commission due sur chacune des opérations de versement de l’ICI effectuée par chaque contribuable au moyen d’un bulletin de versement postal sur le compte courant établi au nom de ce concessionnaire, à savoir 0,05 euro (environ 100 ITL) du 1er avril 1997 au 31 mai 2001 et 0,23 euro (environ 450 ITL) du 1er juin 2001 au 20 décembre 2001. Par un jugement du 11 juin 2009, le Tribunale di Macerata (tribunal de Macerata) a rejeté la demande de condamnation dont il était saisi et, par un arrêt du 10 août 2016, la Corte d’appello di Ancona (cour d’appel d’Ancône, Italie) a réformé totalement le jugement rendu par ce tribunal, en accueillant l’appel interjeté par Poste Italiane et en considérant que celle-ci avait le droit d’appliquer la commission en cause et d’en demander le paiement.

16 Les litiges au principal sont pendants devant la juridiction de renvoi saisie, dans l’affaire C‑434/19, du pourvoi principal formé par Poste Italiane et du pourvoi incident formé par Riscossione Sicilia et, dans l’affaire C‑435/19, du pourvoi principal formé par l’Agence de perception et du pourvoi incident formé par Poste italiane SpA – Bancoposta.

17 En ce qui concerne la légalité de la commission appliquée par Poste Italiane, la juridiction de renvoi a estimé, dans un arrêt du 26 mars 2014, que les dispositions des articles 18 à 20 de la loi no 662/1996 ne trouvent pas à s’appliquer à des activités soumises à un régime de monopole légal, tel que le service de compte courant postal prévu à l’article 10 du décret législatif no 504/1992. Elle a considéré que l’objectif consistant à maximiser la perception des impôts au moyen d’un service déployé sur l’ensemble du territoire, grâce à la très large répartition territoriale des bureaux de poste qui permet d’atteindre le contribuable plus facilement, justifie cette situation de monopole légal. Selon cet arrêt de la juridiction de renvoi, le décret législatif no 504/1992, qui instaure le monopole légal en question, ne prévoit pas la gratuité du service de gestion du compte courant destiné au versement de l’ICI, de telle sorte que, indépendamment de l’obligation faite au concessionnaire d’ouvrir un compte courant postal, le service doit être réputé comme étant fourni, par nature, à titre onéreux, au même titre que le service ordinaire de gestion d’un compte courant dans les conditions de libre concurrence.

18 Toutefois, saisie à présent de litiges relatifs à l’obligation d’acquitter, entre l’année 1997 et l’année 2011, la commission appliquée par Poste Italiane, la juridiction de renvoi s’interroge sur la légalité, au regard des règles du droit de l’Union, et plus précisément de celles relatives au droit de la concurrence et aux aides d’État, du fait que l’article 10 du décret législatif no 504/1992 réserve à Poste Italiane le service de gestion des comptes courants affectés à la perception de l’ICI.

19 Selon cette juridiction, le rapport de nature conventionnelle qui lie une commune à son concessionnaire chargé de la perception de l’ICI a pour objet l’exercice d’une activité économique consistant à collecter les recettes fiscales, qui peut être définie comme un service d’intérêt économique général, au sens de l’article 106, paragraphe 2, TFUE. Ce rapport se distinguerait de celui, de nature privée, qui lie Poste Italiane et le concessionnaire chargé de la perception de l’ICI et qui serait inhérent à l’ouverture et à la gestion du compte courant postal. Ladite juridiction précise que l’article 10, paragraphe 3, du décret législatif no 504/1992, nonobstant la limitation qu’il introduit en ce qui concerne la possibilité pour le concessionnaire de choisir son cocontractant, à savoir Poste Italiane, ne prévoit pas de différence entre le rapport qui lie ces derniers et le rapport qu’entretient Poste Italiane avec ses autres clients titulaires d’un compte postal.

20 Ladite juridiction estime que l’article 10 du décret législatif no 504/1992 ne peut être considéré comme compatible avec la législation de l’Union que dans la mesure où le service de gestion de compte courant réservé à Poste Italiane relèverait de la notion de « gestion de service d’intérêt économique général », au sens de l’article 106, paragraphe 2, TFUE. Il conviendrait de déterminer si, malgré l’absence de disposition légale analogue dans la réglementation régissant le recouvrement des impôts locaux autres que l’ICI, l’exigence consistant à maximiser l’efficacité de la collecte de ce dernier impôt grâce au vaste déploiement géographique des bureaux de poste satisferait au critère de mission particulière et, partant, si elle justifierait une limitation à l’application des règles de l’Union en matière de concurrence, au sens des articles 14 et 106 TFUE.

21 Dans l’hypothèse où le service lié à la gestion du compte courant postal destiné à la perception de l’ICI serait considéré comme un service d’intérêt économique général, la juridiction de renvoi demande, en premier lieu, si le pouvoir conféré à Poste Italiane de déterminer la commission pourrait, en ce qu’elle constituerait en substance, selon le concessionnaire, une taxe ou contribution obligatoire, imposée par la loi, et donc une aide accordée au moyen de fonds publics, être qualifié d’« aide d’État illégale », au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, étant précisé que cette mesure n’a jamais fait l’objet d’une notification préalable à la Commission européenne en vertu de l’article 108, paragraphe 3, TFUE.

22 La juridiction de renvoi demande, en second lieu, si la fixation unilatérale de la commission en cause au principal par Poste Italiane ne pourrait pas être qualifiée d’abusive et être donc interdite en vertu de l’article 102, premier alinéa, TFUE. Elle indique que le concessionnaire ne peut se soustraire au paiement de cette commission, sous peine de manquer aux obligations qui lui incombent en vertu du rapport juridique distinct qui le lie à l’organisme taxateur local et qui a pour objet la perception de l’ICI.

23 Dans ces conditions, la Corte suprema di cassazione (Cour de cassation, Italie) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1) L’article 14 TFUE ([...] article 7 D du traité [CE], devenu [...] article 16 CE) et l’article 106, paragraphe 2, TFUE ([...] article 90 du traité [CE], devenu [...] article 86, paragraphe 2, CE), ainsi que la notion de “service d’intérêt économique général” s’opposent-ils à une réglementation, telle que celle résultant des dispositions combinées de l’article 10, paragraphe 3, du décret législatif no 504/1992 et de l’article 2, paragraphes 18 à 20, de la loi no 662/1996, qui instaure et maintient, y compris après la privatisation des services bancaires postaux proposés par Poste Italiane [...], une activité réservée (en régime de monopole légal) en faveur de Poste Italiane [...] ayant pour objet la gestion du service lié au compte courant postal affecté à la collecte d’un impôt local, à savoir l’ICI, compte tenu de l’évolution de la réglementation nationale en matière de perception des impôts qui, depuis 1997 au moins, permet aux contribuables et aux collectivités locales taxatrices de recourir librement à des modalités de paiement et de perception des impôts (y compris locaux) par la voie du système bancaire ?

2) S’il devait être constaté, en réponse à la première question, que le monopole légal instauré en l’espèce répond aux caractéristiques du service d’intérêt économique général, l’article 106, paragraphe 2, TFUE ([...] article 90 du traité [CE], devenu [...] article 86, paragraphe 2, CE) et l’article 107, paragraphe 1, TFUE ([...] article 92 du traité [CE], devenu [...] article 87 CE), tels qu’interprétés par la Cour de justice en ce qui concerne les critères permettant de distinguer une mesure légale prise à titre de compensation pour [la prise en charge] d’obligations de service public d’une aide d’État illégale (arrêt du 24 juillet 2003, Altmark Trans et Regierungspräsidium Magdeburg, C‑280/00, EU:C:2003:415), s’opposent-ils à une réglementation, telle que celle résultant des dispositions combinées de l’article 10, paragraphe 3, du décret législatif no 504/1992, de l’article 2, paragraphes 18 à 20, de la loi no 662/1996, ainsi que de l’article 3, paragraphe 1, du décret [présidentiel] no 144/2001, qui confère à Poste Italiane [...] le pouvoir de fixer unilatéralement le montant de la “commission” dont le concessionnaire (attributaire) du service de perception de l’ICI est redevable et qui est appliquée à chaque opération de gestion effectuée sur le compte courant postal établi au nom du concessionnaire/attributaire, compte tenu du fait que, par la décision [tarifaire] no 57/1996 de son conseil d’administration, Poste Italiane [...] a fixé ladite commission à 100 [ITL] pour la période du 1er avril 1997 au 31 mai 2001 et à 0,23 euro pour la période à partir du 1er juin 2001 ?

3) L’article 102, premier alinéa, TFUE ([...] article 86 du traité [CE], devenu [...] article 82, premier alinéa, CE), tel qu’interprété par la Cour [...] (voir arrêts du 13 décembre 1991, GB-Inno-BM, C‑18/88, EU:C:1991:474 ; du 25 juin 1998, Dusseldorp e.a., C‑203/96, EU:C:1998:316, et du 17 mai 2001, TNT Traco, C‑340/99, EU:C:2001:281), s’oppose-t-il à une réglementation telle que celle résultant des dispositions combinées de l’article 2, paragraphes 18 à 20, de la loi no 662/1996, de l’article 3, paragraphe 1, du décret présidentiel no 144/2001 et de l’article 10, paragraphe 3, du décret législatif no 504/1992, dans la mesure où le concessionnaire (attributaire) a l’obligation d’acquitter la “commission”, telle qu’elle a été unilatéralement fixée et/ou modifiée par Poste Italiane [...] et où il ne peut résilier le contrat de compte courant postal, sous peine de manquer à l’obligation prévue à l’article 10, paragraphe 3, du décret législatif no 504/1992, ainsi que, en conséquence, à l’obligation de perception de l’ICI qui lui incombe à l’égard de la collectivité locale taxatrice ? »

La procédure devant la Cour

24 L’audience de plaidoiries, dont la tenue avait été fixée au 22 avril 2020, a, en raison de la crise sanitaire et des incertitudes que celle-ci a fait peser sur la date à laquelle la Cour pourrait reprendre son activité juridictionnelle dans des conditions normales, été annulée et les questions qui avaient été posées pour réponse orale ont été transformées en questions pour réponse écrite. Poste Italiane, l’Agence de perception et la Commission ont répondu aux questions posées dans le délai imparti par la Cour.

Sur les questions préjudicielles

Sur les première et deuxième questions

Sur la recevabilité de la première question

25 Poste Italiane  soutient, à titre principal, que la première question est irrecevable, au motif que, d’une part, il est impossible de la comprendre en ce qu’elle vise l’article 14 TFUE et, d’autre part, il appartient aux seules juridictions nationales d’appliquer directement les conditions prévues à l’article 106, paragraphe 2, TFUE.

26 En premier lieu, il convient de rappeler que, dans le cadre de la coopération entre la Cour et les juridictions nationales instituée à l’article 267 TFUE, il appartient au seul juge national, qui est saisi du litige et qui doit assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir, d’apprécier, au regard des particularités de l’affaire, tant la nécessité d’une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre son jugement, que la pertinence des questions qu’il pose à la Cour. Par conséquent, dès lors que les questions posées portent sur l’interprétation du droit de l’Union, la Cour est, en principe, tenue de statuer (arrêt du 19 décembre 2019, Darie, C‑592/18, EU:C:2019:1140, point 24 et jurisprudence citée).

27 Il s’ensuit que les questions portant sur le droit de l’Union bénéficient d’une présomption de pertinence. Le refus de la Cour de statuer sur une question préjudicielle posée par une juridiction nationale n’est possible que s’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation sollicitée du droit de l’Union n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique, ou lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées (arrêt du 8 octobre 2020, Union des industries de la protection des plantes, C‑514/19, EU:C:2020:803, point 29 et jurisprudence citée).

28 En second lieu, il convient de rappeler que, dans le cadre de la procédure de coopération entre les juridictions nationales et la Cour instituée à l’article 267 TFUE, il appartient à celle-ci de donner au juge national une réponse utile qui lui permette de trancher le litige dont il est saisi. Dans cette optique, il incombe, le cas échéant, à la Cour de reformuler les questions qui lui sont soumises (arrêts du 28 novembre 2000, Roquette Frères, C‑88/99, EU:C:2000:652, point 18, et du 19 décembre 2019, Nederlands Uitgeversverbond et Groep Algemene Uitgevers, C‑263/18, EU:C:2019:1111, point 31 ainsi que jurisprudence citée).

29 À ces fins, la Cour peut extraire de l’ensemble des éléments fournis par la juridiction nationale, et notamment de la motivation de la décision de renvoi, les éléments dudit droit qui appellent une interprétation compte tenu de l’objet du litige au principal (arrêt du 19 décembre 2019, Nederlands Uitgeversverbond et Groep Algemene Uitgevers, C‑263/18, EU:C:2019:1111, point 32 ainsi que jurisprudence citée).

30 Or, en l’occurrence, si la première question mentionne bien l’article 14 TFUE, elle porte aussi sur l’article 106 TFUE et, plus spécifiquement, sur la notion de service d’intérêt économique général, couverte par ces deux articles, et vise à savoir, en substance, si une activité telle que celle réservée à Poste Italiane pour gérer le service lié au compte courant postal affecté à la collecte de l’ICI répond aux caractéristiques d’un tel service d’intérêt économique général. Cette question porte ainsi sur l’interprétation du droit de l’Union et n’apparaît ni comme hypothétique ni comme dénuée de rapport avec le litige au principal. La Cour dispose, en outre, des éléments nécessaires pour y répondre.

31 Partant, la première question est recevable.

Sur le fond

32 Par ses première et deuxième questions, qu’il convient d’examiner conjointement, la juridiction de renvoi demande en substance si l’article 106, paragraphe 2, et l’article 107 TFUE doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à la mise en œuvre des règles nationales obligeant les concessionnaires en charge de la perception de l’ICI à disposer d’un compte courant ouvert à leur nom auprès de Poste Italiane pour permettre le versement de cette taxe par les contribuables et à s’acquitter d’une commission pour la gestion dudit compte courant, lorsque ces règles n’ont pas été notifiées à la Commission au titre de l’article 108, paragraphe 3, TFUE.

33 À titre liminaire, il convient de rappeler que, si la Commission, agissant sous le contrôle des juridictions de l’Union, est exclusivement compétente pour apprécier la compatibilité d’une aide avec le marché intérieur (voir en ce sens, notamment, arrêt du 3 septembre 2020, Vereniging tot Behoud van Natuurmonumenten in Nederland e.a./Commission, C‑817/18 P, EU:C:2020:637, point 99 et jurisprudence citée), cette circonstance ne fait pas obstacle à ce qu’une juridiction nationale interroge la Cour à titre préjudiciel sur l’interprétation de la notion d’« aide ». Ainsi, la Cour peut fournir au juge de renvoi les éléments d’interprétation relevant du droit de l’Union lui permettant de déterminer si une mesure nationale peut être qualifiée d’« aide d’État », au sens de l’article 107 TFUE (arrêt du 18 mai 2017, Fondul Proprietatea, C‑150/16, EU:C:2017:388, point 12 et jurisprudence citée).

34 En outre, afin d’assurer l’effet utile de l’obligation de notification des projets tendant à instituer ou à modifier des aides d’État, prévue à l’article 108, paragraphe 3, TFUE, ainsi qu’un examen approprié et complet des aides d’État par la Commission, les juridictions nationales sont tenues de tirer toutes les conséquences d’une violation de cette obligation et d’adopter les mesures propres à y remédier, même si le bénéficiaire de l’aide illégale est une entreprise chargée de la gestion d’un service d’intérêt économique général, au sens de l’article 106, paragraphe 2, TFUE (voir, en ce sens, arrêt du 24 novembre 2020, Viasat Broadcasting UK, C‑445/19, EU:C:2020:952, point 43).

35 Il convient également de préciser que l’examen de la question de savoir si la mesure en cause doit être qualifiée d’« aide d’État », au sens de l’article 107 TFUE, qui peut impliquer le contrôle du respect des conditions posées par la jurisprudence issue de l’arrêt du 24 juillet 2003, Altmark Trans et Regierungspräsidium Magdeburg (C‑280/00, EU:C:2003:415), intervient en amont de l’examen d’une mesure d’aide au titre de l’article 106, paragraphe 2, TFUE. Cette question est en effet préalable à celle consistant à vérifier, le cas échéant, si une aide incompatible avec le marché intérieur est néanmoins nécessaire à l’accomplissement de la mission impartie au bénéficiaire de la mesure en cause, au titre de l’article 106, paragraphe 2, TFUE (voir, en ce sens, arrêts du 8 mars 2017, Viasat Broadcasting UK/Commission, C‑660/15 P, EU:C:2017:178, point 34, ainsi que du 15 mai 2019, Achema e.a., C‑706/17, EU:C:2019:407, point 102).

36 Afin de répondre aux première et deuxième questions, il convient donc d’examiner d’abord si la mesure en cause au principal doit être qualifiée d’« aide d’État », au sens de l’article 107 TFUE.

37 La qualification d’« aide d’État », au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, suppose la réunion de quatre conditions, à savoir l’existence d’une intervention de l’État ou au moyen de ressources d’État, que cette intervention soit susceptible d’affecter les échanges entre les États membres, qu’elle accorde un avantage sélectif à son bénéficiaire et qu’elle fausse ou menace de fausser la concurrence (arrêt du 15 mai 2019, Achema e.a., C‑706/17, EU:C:2019:407, point 46 ainsi que jurisprudence citée).

38 S’agissant, en premier lieu, de la condition relative à l’intervention de l’État ou au moyen des ressources d’État, il convient de préciser que la distinction établie à l’article 107, paragraphe 1, TFUE, entre les « aides accordées par les États » et les aides accordées « au moyen de ressources d’État » ne signifie pas que tous les avantages consentis par un État constituent des aides, qu’ils soient ou non financés au moyen de ressources étatiques, mais vise seulement à inclure dans cette notion les avantages qui sont accordés directement par l’État ainsi que ceux qui le sont par l’intermédiaire d’un organisme public ou privé, désigné ou institué par cet État (arrêt du 21 octobre 2020, Eco TLC, C‑556/19, EU:C:2020:844, point 26 et jurisprudence citée).

39 Il s’ensuit que, pour que des avantages puissent être qualifiés d’« aides », au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, ils doivent, d’une part, être accordés directement ou indirectement au moyen de ressources d’État et, d’autre part, être imputables à l’État (arrêt du 15 mai 2019, Achema e.a., C‑706/17, EU:C:2019:407, point 47 et jurisprudence citée).

40 S’agissant, premièrement, de la condition relative à l’imputabilité à l’État d’une mesure d’aide, celle-ci exige d’examiner si les autorités publiques ont été impliquées dans l’adoption de cette mesure (arrêt du 21 octobre 2020, Eco TLC, C‑556/19, EU:C:2020:844, point 23).

41 En l’occurrence, il résulte des décisions de renvoi que le dispositif en cause au principal a été institué par des dispositions de nature législative et réglementaire. En effet, l’obligation pour les concessionnaires de disposer d’un compte courant auprès de Poste Italiane pour la perception de l’ICI a été instituée par le décret législatif no 504/1992, alors que le droit, pour cette entreprise, de percevoir une commission pour la gestion de ce compte a été prévu par la loi no 662/1996. Dans ce contexte, qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier, le dispositif obligeant les concessionnaires à disposer d’un compte courant ouvert à leur nom auprès de Poste Italiane pour permettre le versement de l’ICI par les contribuables et à s’acquitter d’une commission pour la gestion dudit compte courant peut être considéré comme imputable à l’État.

42 En ce qui concerne, deuxièmement, la condition liée au transfert de ressources d’État, il importe de préciser que la notion de « ressources d’État » englobe tous les moyens pécuniaires que les autorités publiques peuvent effectivement utiliser pour soutenir des entreprises, sans qu’il soit pertinent que ces moyens appartiennent ou non de manière permanente au patrimoine de l’État. Même si des sommes correspondant à la mesure d’aide ne sont pas de façon permanente en la possession du Trésor public, le fait qu’elles restent constamment sous contrôle public, et donc à la disposition des autorités nationales compétentes, suffit pour qu’elles soient qualifiées de ressources d’État (arrêts du 21 octobre 2020, Eco TLC, C‑556/19, EU:C:2020:844, point 36 et jurisprudence citée, ainsi que du 10 décembre 2020, Comune di Milano/Commission, C‑160/19 P, EU:C:2020:1012, point 30 et jurisprudence citée).

43 Compte tenu des éléments fournis par la juridiction de renvoi et du dossier dont dispose la Cour, il importe de préciser, à cet égard, qu’une mesure par laquelle des entreprises, publiques ou privées, sont tenues à une obligation d’achat ou d’acquisition de services au moyen de leurs ressources financières propres ne constitue pas une aide d’État. En effet, cette obligation n’implique pas, en principe, l’engagement de ressources d’État, au sens de l’article 107 TFUE. Il en irait cependant autrement si ces entreprises devaient être considérées comme étant mandatées par l’État pour gérer une ressource d’État, ce qui serait le cas s’il était prévu une répercussion intégrale du surcoût engendré par cette obligation d’achat ou d’acquisition de services sur l’utilisateur final, le financement de ce surcoût par une contribution obligatoire imposée par l’État membre ou encore un mécanisme de compensation intégrale dudit surcoût (voir, en ce sens, arrêts du 13 septembre 2017, ENEA, C‑329/15, EU:C:2017:671, points 26 et 30 ainsi que jurisprudence citée, et du 15 mai 2019, Achema e.a., C‑706/17, EU:C:2019:407, point 68).

44 Par ailleurs, des ressources d’entreprises publiques peuvent également être considérées comme des ressources d’État quand celui-ci est en mesure, par l’exercice de son influence dominante sur ces entreprises, d’orienter l’utilisation de ces ressources pour financer, le cas échéant, des avantages en faveur d’autres entreprises (voir, en ce sens, arrêt du 13 septembre 2017, ENEA, C‑329/15, EU:C:2017:671, point 31 et jurisprudence citée).

45 En l’occurrence, il ressort de la réglementation nationale, telle que mentionnée dans les décisions de renvoi, que la mesure en cause au principal peut être considérée comme comportant une obligation d’acquisition de services, dès lors que, selon l’article 10, paragraphe 3, du décret législatif no 504/1992, les concessionnaires ont l’obligation de disposer d’un compte courant ouvert auprès de Poste Italiane, pour la perception de l’ICI auprès des contribuables, et que, en application de l’article 2, paragraphe 18, de la loi no 662/1996, Poste Italiane peut percevoir des commissions pour la gestion de ce compte auprès desdits concessionnaires.

46 À cet égard, il importe de relever, tout d’abord, que le seul fait que les concessionnaires soient devenus, au cours de l’année 2006, des entreprises publiques ne permet pas de conclure que l’obligation d’acquisition de services incombant à ces concessionnaires soit financée au moyen de ressources d’État.

47 En effet, il ne ressort pas des éléments dont fait état la juridiction de renvoi que la mesure en cause au principal soit le résultat de l’usage par l’État de son influence dominante sur ces entreprises afin d’orienter l’utilisation de leurs ressources, au sens de la jurisprudence mentionnée au point 44 du présent arrêt, dès lors que l’obligation de disposer d’un compte courant ouvert auprès de Poste Italiane, pour le recouvrement de l’ICI auprès des contribuables, découle de dispositions réglementaires et non de l’intervention de l’État dans la politique commerciale de ces concessionnaires, et qu’elle a été appliquée de manière similaire aux concessionnaires avant et après l’année 2006, au cours de laquelle ceux-ci sont passés sous contrôle public.

48 Il convient toutefois de vérifier, conformément à ce qui a été exposé au point 43 du présent arrêt, si les concessionnaires en charge de la perception de l’ICI constituent des entreprises mandatées par l’État pour gérer une ressource d’État, ce qui serait, notamment, le cas s’il existait un mécanisme de compensation intégrale des surcoûts résultant de cette obligation.

49 Les éléments dont dispose la Cour ne font pas apparaître avec certitude l’existence d’un tel mécanisme.

50 Certes, il ressort des décisions de renvoi que, en vertu de l’article 10, paragraphe 3, du décret législatif no 504/1992, les communes taxatrices ont l’obligation de payer une commission aux concessionnaires pour l’activité de perception de l’ICI assurée par ces derniers. Cependant, si ces sommes sont clairement d’origine publique, rien n’indique qu’elles sont destinées à compenser les surcoûts susceptibles de résulter, pour les concessionnaires, de leur obligation de disposer d’un compte courant ouvert auprès de Poste Italiane et que l’État garantit ainsi la couverture intégrale de ces surcoûts. Il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier si tel est le cas.

51 Il convient de relever, par ailleurs, qu’il ne ressort ni des décisions de renvoi ni du dossier dont dispose la Cour que le surcoût éventuel occasionné par l’obligation d’acquisition de services auprès de Poste Italiane, en cause au principal, devrait être supporté intégralement par les contribuables ou qu’il serait financé par un autre type de contribution obligatoire imposée par l’État.

52 Cela étant, même s’il ne semble pas, à première vue, que les commissions versées par les concessionnaires à Poste Italiane, en relation avec l’ouverture et la gestion des comptes qu’ils sont tenus d’y posséder, puissent être considérées comme étant accordées directement ou indirectement au moyen de ressources d’État, il incombe à la juridiction de renvoi de le vérifier, la Cour ne pouvant effectuer un examen direct des faits relatifs à l’affaire au principal.

53 S’agissant, en deuxième lieu, de la condition selon laquelle l’intervention doit accorder un avantage sélectif à son bénéficiaire, il convient de rappeler que sont considérées comme des aides d’État les interventions qui, sous quelque forme que ce soit, sont susceptibles de favoriser directement ou indirectement des entreprises ou qui doivent être considérées comme un avantage économique que l’entreprise bénéficiaire n’aurait pas obtenu dans des conditions normales de marché (arrêt du 15 mai 2019, Achema e.a., C‑706/17, EU:C:2019:407, point 83 ainsi que jurisprudence citée).

54 À cet égard, la faculté reconnue, par une réglementation nationale, à une entreprise de percevoir des commissions pour la gestion d’un service dont elle détient le monopole légal est, a priori, susceptible d’être considérée comme un avantage sélectif au profit exclusif de cette entreprise.

55 Or, il ressort des décisions de renvoi ainsi que des autres éléments du dossier dont dispose la Cour que c’est par le décret législatif no 504/1992, qui a instauré un monopole légal au profit de Poste Italiane, qu’a été prévue l’obligation faite aux concessionnaires d’ouvrir un compte courant à leur nom auprès de cette entreprise pour recevoir des contribuables le versement de l’ICI. Jusqu’au décret-loi no 70/2011, Poste Italiane a été la seule à bénéficier de cet avantage, lequel avait été justifié par la très large répartition territoriale des bureaux de poste, permettant d’atteindre le contribuable plus facilement.

56 Cela étant, il convient de relever que, au vu des circonstances en cause au principal, la juridiction de renvoi interroge, plus particulièrement, la Cour sur les critères figurant dans l’arrêt du 24 juillet 2003, Altmark Trans et Regierungspräsidium Magdeburg (C‑280/00, EU:C:2003:415), concernant les cas de compensation fournie pour la prise en charge, par une entreprise, d’obligations de service public.

57 À cet égard, la Cour a jugé que, dans la mesure où une intervention étatique doit être considérée comme une compensation représentant la contrepartie des prestations effectuées par les entreprises bénéficiaires pour exécuter des obligations de service public, de telle sorte que ces entreprises ne profitent pas, en réalité, d’un avantage financier et que ladite intervention n’a donc pas pour effet de mettre ces entreprises dans une position concurrentielle plus favorable par rapport aux entreprises qui leur font concurrence, une telle intervention ne tombe pas sous le coup de l’article 107, paragraphe 1, TFUE (arrêts du 24 juillet 2003, Altmark Trans et Regierungspräsidium Magdeburg, C‑280/00, EU:C:2003:415, point 87 ; du 8 mars 2017, Viasat Broadcasting UK/Commission, C‑660/15 P, EU:C:2017:178, point 25, ainsi que du 15 mai 2019, Achema e.a., C‑706/17, EU:C:2019:407, point 100).

58 Conformément aux points 88 à 93 de l’arrêt du 24 juillet 2003, Altmark Trans et Regierungspräsidium Magdeburg (C‑280/00, EU:C:2003:415), pour qu’une telle intervention puisse échapper à la qualification d’« aide d’État », un certain nombre de conditions doivent être réunies. Premièrement, l’entreprise bénéficiaire doit effectivement être chargée de l’exécution d’obligations de service public et ces obligations doivent être clairement définies. Deuxièmement, les paramètres sur la base desquels est calculée la compensation doivent être préalablement établis de façon objective et transparente. Troisièmement, la compensation ne saurait dépasser ce qui est nécessaire pour couvrir tout ou partie des coûts occasionnés par l’exécution des obligations de service public. Quatrièmement, lorsque le choix de l’entreprise chargée de l’exécution d’obligations de service public, dans un cas concret, n’est pas effectué dans le cadre d’une procédure de marché public visant à sélectionner le candidat capable de fournir ce service au moindre coût pour la collectivité, le niveau de la compensation nécessaire doit être déterminé sur la base d’une analyse des coûts qu’une entreprise moyenne, bien gérée et adéquatement équipée afin de pouvoir satisfaire aux exigences de service public requises, aurait encourus pour exécuter ces obligations.

59 En ce qui concerne la première condition dégagée dans l’arrêt du 24 juillet 2003, Altmark Trans et Regierungspräsidium Magdeburg (C‑280/00, EU:C:2003:415), la Cour a considéré qu’elle poursuit un objectif de transparence et de sécurité juridique, qui exige la réunion de critères minimaux tenant à l’existence d’un ou de plusieurs actes de puissance publique définissant de manière suffisamment précise à tout le moins la nature, la durée et la portée des obligations de service public incombant aux entreprises chargées de l’exécution de ces obligations. En l’absence de définition claire de ces critères objectifs, il ne serait pas possible de contrôler si une activité particulière est susceptible de relever de la notion de service d’intérêt économique général (arrêt du 20 septembre 2018, Espagne/Commission, C‑114/17 P, EU:C:2018:753, point 86 et jurisprudence citée).

60 En l’occurrence, il convient de souligner que les affaires au principal ne visent pas les services postaux offerts par Poste Italiane et que, en ce qui concerne la perception de l’ICI, la juridiction de renvoi distingue, d’une part, la relation qui, par la voie d’une concession administrative, en recourant à une procédure de passation de marché, lie la commune, organisme taxateur, et le concessionnaire chargé de cette perception et, d’autre part, la relation de nature privée qui lie ce concessionnaire et Poste Italiane avec l’obligation de détenir un compte courant postal pour ladite perception et de s’acquitter d’une commission pour la gestion de ce compte. Les affaires au principal concernent uniquement la seconde de ces deux relations.

61 Or, comme l’a relevé M. l’avocat général au point 45 de ses conclusions, rien ne démontre que, dans sa relation avec ces concessionnaires, Poste Italiane soit formellement tenue de fournir certaines prestations à titre d’obligations de service public, dans des conditions qui en définissent de manière suffisamment précise la nature et la portée.

62 Au contraire, même si l’ouverture et la gestion des comptes courants postaux au nom des concessionnaires figurent parmi les activités de mise en place des modalités d’organisation et d’exécution du service public de perception de l’ICI, confié au concessionnaire, il ressort des décisions de renvoi, ainsi que des autres informations figurant dans le dossier dont dispose la Cour, que, en dehors de l’obligation de contracter avec tous les concessionnaires, Poste Italiane n’est pas soumise à plus d’obligations que celles qui s’appliquent au secteur des services bancaires.

63 En particulier, Poste Italiane reste libre de fixer ses tarifs et, mis à part ladite obligation de contracter avec les concessionnaires, aucun élément spécifique ne différencie sa relation avec ceux-ci de celle qu’elle entretient avec ses autres clients titulaires de comptes courants postaux. Poste Italiane a indiqué que, à l’égard des concessionnaires, elle se trouve dans un rapport de compte courant ordinaire et qu’elle fournit depuis toujours un seul compte courant postal, dont l’offre de base est la même pour tous ses clients. L’Agence de perception a confirmé aussi que Poste Italiane appliquait aux comptes courants des concessionnaires les mêmes conditions économiques qu’à toutes les autres personnes morales de manière générale.

64 Dans ces circonstances, la première condition dégagée dans l’arrêt du 24 juillet 2003, Altmark Trans et Regierungspräsidium Magdeburg (C‑280/00, EU:C:2003:415), n’est pas remplie en l’occurrence et il n’y a pas lieu d’examiner les autres conditions dégagées dans cet arrêt, celles-ci étant cumulatives.

65 Il s’ensuit que le droit, reconnu par la réglementation nationale pertinente à Poste Italiane, de percevoir des commissions pour la gestion des comptes courants postaux que les concessionnaires étaient légalement tenus d’ouvrir à leur nom pour recevoir le versement de l’ICI par les contribuables est susceptible d’être considéré comme un avantage sélectif, ce qu’il appartient toutefois à la juridiction de renvoi de vérifier.

66 S’agissant, en troisième lieu, des conditions selon lesquelles l’intervention doit être susceptible d’affecter les échanges entre les États membres et doit fausser ou menacer de fausser la concurrence, bien que les décisions de renvoi ne comportent pas d’éléments à cet égard, il est possible de considérer, sous réserve de vérification par la juridiction de renvoi, qu’elles soient remplies en l’occurrence.

67 En effet, premièrement, il est utile de rappeler que, aux fins de la qualification d’une mesure nationale d’« aide d’État », il y a lieu non pas d’établir une incidence réelle de l’aide en cause sur les échanges entre les États membres et une distorsion effective de la concurrence, mais seulement d’examiner si cette aide est susceptible d’affecter ces échanges et de fausser la concurrence (arrêt du 29 juillet 2019, Azienda Napoletana Mobilità, C‑659/17, EU:C:2019:633, point 29 et jurisprudence citée)

68 Par ailleurs, lorsqu’une aide accordée par un État membre renforce la position de certaines entreprises par rapport à celle d’autres entreprises concurrentes dans les échanges entre les États membres, ces derniers doivent être considérés comme influencés par l’aide. À cet égard, il n’est pas nécessaire que les entreprises bénéficiaires participent elles-mêmes aux échanges entre les États membres. En effet, lorsqu’un État membre octroie une aide à des entreprises, l’activité intérieure peut s’en trouver maintenue ou augmentée, avec cette conséquence que les chances des entreprises établies dans d’autres États membres de pénétrer le marché de cet État membre en sont diminuées (arrêt du 29 juillet 2019, Azienda Napoletana Mobilità, C‑659/17, EU:C:2019:633, point 30 et jurisprudence citée).

69 Or, il ne peut être exclu, en l’occurrence, que, en obligeant les concessionnaires à disposer d’un compte courant postal pour la perception de l’ICI auprès des contribuables et à s’acquitter d’une commission pour la gestion de ces comptes auprès de Poste Italiane, la réglementation italienne en cause au principal soit de nature à renforcer la position de cette entreprise publique par rapport aux autres entreprises concurrentes dans le secteur des services bancaires et financiers et qu’elle soit également de nature à affecter les échanges entre les États membres.

70 Il revient toutefois à la juridiction de renvoi d’apprécier l’incidence sur l’activité de Poste Italiane et des autres établissements bancaires de la mesure en cause au principal, qui, à tout le moins jusqu’au décret-loi no 70/2011, a réservé à Poste Italiane l’avantage découlant de l’obligation pour les concessionnaires de disposer d’un compte courant ouvert à leur nom auprès de cette entreprise pour recevoir des contribuables le paiement de l’ICI, en plus de la possibilité laissée à ceux-ci d’effectuer directement le paiement de celle-ci auprès de ces concessionnaires.

71 En quatrième lieu, il convient de relever qu’il ressort des décisions de renvoi que la mesure instaurée par le décret législatif no 504/1992, tendant à conférer à Poste Italiane le monopole de la gestion des comptes courants ouverts au nom des concessionnaires chargés de la perception de l’ICI, n’a pas fait l’objet d’une notification à la Commission au titre de l’article 108 TFUE.

72 Il s’ensuit que, si la juridiction de renvoi parvenait à la conclusion, à la lumière des indications fournies aux points 37 à 70 du présent arrêt, que la mesure en cause au principal constitue une aide d’État, il appartiendrait à cette juridiction, conformément à la jurisprudence citée au point 34 du présent arrêt, de tirer toutes les conséquences de la violation, en l’occurrence, de l’article 108, paragraphe 3, TFUE.

73 Pour le surplus, il convient de relever que, dans la mesure où la première condition posée par la jurisprudence issue de l’arrêt du 24 juillet 2003, Altmark Trans et Regierungspräsidium Magdeburg (C‑280/00, EU:C:2003:415), selon laquelle l’entreprise bénéficiaire doit être chargée de l’exécution d’obligations de service public qui doivent être clairement définies, s’applique également dans le cas où la dérogation prévue à l’article 106, paragraphe 2, TFUE a été invoquée (arrêt du 20 décembre 2017, Comunidad Autónoma del País Vasco e.a./Commission, C‑66/16 P à C‑69/16 P, EU:C:2017:999, point 56 ainsi que jurisprudence citée), l’article 106, paragraphe 2, TFUE ne peut s’appliquer dans les affaires au principal, dès lors qu’il a été constaté, au point 64 du présent arrêt, que cette condition n’est pas remplie en l’occurrence. En tout état de cause, dès lors que, ainsi qu’il résulte de la jurisprudence rappelée au point 33 du présent arrêt, la Commission est exclusivement compétente pour apprécier la compatibilité d’une aide avec le marché intérieur, la juridiction de renvoi n’est pas compétente pour examiner si les conditions d’application de l’article 106, paragraphe 2, TFUE sont réunies.

74 Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de répondre aux première et deuxième questions que l’article 107 TFUE doit être interprété en ce sens que constitue une « aide d’État », au sens de cette disposition, la mesure nationale par laquelle les concessionnaires en charge de la perception de l’ICI sont tenus de disposer d’un compte courant ouvert à leur nom auprès de Poste Italiane, pour permettre le versement de cette taxe par les contribuables, et de s’acquitter d’une commission pour la gestion de ce compte courant, pour autant que cette mesure est imputable à l’État, qu’elle procure un avantage sélectif à Poste Italiane au moyen de ressources d’État et qu’elle est susceptible de fausser la concurrence et les échanges entre les États membres, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier.

Sur la troisième question

75 Par sa troisième question, la juridiction de renvoi demande si l’article 102 TFUE s’oppose à une réglementation nationale soumettant les concessionnaires chargés de la perception de l’ICI au paiement de la commission fixée unilatéralement par Poste Italiane, pour la gestion du compte courant postal qu’ils sont obligés d’ouvrir auprès de celle-ci.

76 Poste Italiane soutient que cette question est irrecevable, dans la mesure où la juridiction de renvoi n’a produit aucune analyse ou clarification quant aux raisons pour lesquelles la réglementation nationale en cause au principal ne serait pas conforme à l’article 102 TFUE. À supposer que la question posée vise l’interprétation de l’article 106, paragraphe 1, TFUE, lu en combinaison avec l’article 102 TFUE, cette question serait aussi irrecevable. La juridiction de renvoi n’aurait pas donné d’indication claire du marché des services concernés, de l’étendue géographique pertinente, du nombre d’opérateurs fournissant les services en cause ainsi que de leurs parts de marché respectives.

77 À cet égard, il convient de rappeler que la nécessité de parvenir à une interprétation du droit de l’Union qui soit utile au juge national implique que celui-ci définisse le cadre factuel et réglementaire dans lequel s’insèrent les questions qu’il pose ou que, à tout le moins, il explique les hypothèses factuelles sur lesquelles ces questions sont fondées. Ces exigences valent tout particulièrement dans le domaine de la concurrence, qui est caractérisé par des situations de fait et de droit complexes (arrêts du 12 décembre 2013, Ragn-Sells, C‑292/12, EU:C:2013:820, point 39, et du 5 mars 2019, Eesti Pagar, C‑349/17, EU:C:2019:172, point 49 ainsi que jurisprudence citée).

78 Dans les affaires au principal, la troisième question tend, en substance, à savoir non seulement si la réglementation nationale en cause au principal a eu pour effet d’octroyer à Poste Italiane des droits spéciaux ou exclusifs, au sens de l’article 106, paragraphe 1, TFUE, mais également si une telle réglementation a pu conduire à un abus de position dominante.

79 Or, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 92 de ses conclusions, la juridiction de renvoi aurait dû fournir des informations précises sur les caractéristiques du marché pertinent, son étendue géographique ou l’existence éventuelle de services équivalents.

80 En particulier, les décisions de renvoi ne comportent pas de données permettant d’identifier les éléments constitutifs d’une position dominante, au sens de l’article 102 TFUE, dans le contexte des affaires au principal. Il convient, à cet égard, de relever que, malgré les informations apportées par les participants à la procédure devant la Cour en réponse aux questions posées par cette dernière, il n’est pas possible de définir avec une précision suffisante le marché pertinent du point de vue des services en cause au principal et de son étendue géographique, ainsi que les parts de marché détenues par les différentes entreprises opérant sur ledit marché, ni de considérer de manière certaine que le fait d’obliger les concessionnaires de disposer d’un compte courant, pour la perception de l’ICI, ouvert auprès de Poste Italiane conférerait à cette dernière une position dominante sur une partie substantielle du marché intérieur.

81 Les décisions de renvoi n’expliquent pas davantage les raisons pour lesquelles la réglementation italienne en cause au principal serait susceptible de conduire Poste Italiane à abuser de sa position.

82 Étant donné que la Cour ne dispose pas des éléments nécessaires pour répondre de manière utile, il y a lieu de constater que la troisième question est irrecevable.

Sur les dépens

83 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (cinquième chambre) dit pour droit :

L’article 107 TFUE doit être interprété en ce sens que constitue une « aide d’État », au sens de cette disposition, la mesure nationale par laquelle les concessionnaires en charge de la perception de l’imposta comunale sugli immobili (taxe foncière communale) sont tenus de disposer d’un compte courant ouvert à leur nom auprès de Poste Italiane SpA, pour permettre le versement de cette taxe par les contribuables, et de s’acquitter d’une commission pour la gestion de ce compte courant, pour autant que cette mesure est imputable à l’État, qu’elle procure un avantage sélectif à Poste Italiane au moyen de ressources d’État et qu’elle est susceptible de fausser la concurrence et les échanges entre les États membres, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier.