ADLC, 24 février 2021, n° 21-D-04
AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE
Décision
relative à des pratiques mises en oeuvre edans le secteur de l’édition et de la vente de logiciels professionnels
L’Autorité de la concurrence (vice-président statuant seul),
Vu la lettre, enregistrée le 9 septembre 2020 sous le numéro 20/0086 F par laquelle la société Cartocad a saisi l’Autorité de la concurrence de pratiques mises en œuvre dans le secteur de l’édition et de la vente de logiciels professionnels ;
Vu le livre IV du code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence ;
Vu la décision n° 21-JU-01 du 5 janvier 2021 par laquelle la présidente a désigné M. Henri Piffaut, vice-président, pour adopter seul la décision qui résulte de l’examen de la saisine enregistrée sous le numéro 20/0086 F ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu les pièces communiquées par le conseil de la société Cartocad le 26 janvier 2021 ;
La rapporteure, la rapporteure générale adjointe, les représentants de la société Cartocad et le commissaire du Gouvernement entendus lors de la séance du 25 janvier 2021 ;
Adopte la décision suivante :
Résumé1
Aux termes de la présente décision, l’Autorité de la concurrence rejette la saisine de la société Cartocad pour défaut d’éléments probants. L’Autorité estime que les faits dénoncés à l’encontre de la société Autodesk ne sont pas appuyés par des éléments suffisamment probants pour caractériser un abus de dépendance économique de la part d’Autodesk à l’encontre de Cartocad.
En effet, les dispositions du deuxième alinéa de l’article L. 420-2 du code de commerce relatives à l’abus de dépendance économique supposent la réunion de trois conditions cumulatives : l’existence d’une situation de dépendance économique d’une entreprise à l’égard d’une autre, une exploitation abusive de cette situation et une affectation, réelle ou potentielle du fonctionnement ou de la structure de la concurrence. En l’absence de l’une de ces trois conditions, l’abus de dépendance économique allégué n’est pas établi.
La saisine concerne deux segments au sein des gammes de logiciels dits « de conception assistée par ordinateur » (CAO) : le segment « bâtiment » et le segment « mécanique ».
Il a été constaté que la saisissante n’a pas fourni d’éléments permettant d’apprécier les présences respectives et les différences de notoriété des marques des logiciels présents sur ces segments et de conclure au caractère incontournable de la marque Autodesk pour les distributeurs de logiciels de CAO.
De plus, la société Cartocad n’a pas démontré, dans sa saisine ou lors de la séance du 25 janvier 2021, en quoi la reconversion et réaffectation de personnel, notamment auprès des réseaux alternatifs de distribution de logiciels de « Product lifecycle management » (PLM), aurait été impossible en raison de la relation contractuelle entre les parties.
Dans ces conditions, les éléments fournis ne permettent pas de caractériser un état de dépendance économique. Cet état étant une condition de l’application du deuxième alinéa de l’article L. 420-2 du code de commerce, il n’a pas été nécessaire d’analyser le caractère abusif des comportements dénoncés.
1. Par lettre du 4 septembre 2020 enregistrée le 9 septembre 2020, la société Cartocad, distributeur de produits logiciels et de services associés pour le compte d’Autodesk, a saisi l’Autorité de la concurrence de pratiques mises en œuvre par le groupe Autodesk (ci-après « Autodesk ») dans le secteur de l’édition et de la vente de logiciels professionnels qu’elle estime contraires au deuxième alinéa de l’article L. 420-2 du code de commerce.
2. En particulier, la société Cartocad reproche à Autodesk i) d’abuser de la situation de dépendance économique de ses revendeurs agréés, dont elle fait partie, et ii) d’être à l’origine de la création d’un déséquilibre significatif dans les droits et obligations du contrat qui les lie.
I. Les constatations
A. LE SECTEUR
3. Le secteur de l’édition logicielle comporte trois principales branches d’activité: i) l’édition de logiciels de technique informatique, ii) l’édition de jeux électroniques et enfin iii) l’édition de logiciels applicatifs. D’après l’INSEE, en France, les 5 000 entreprises du secteur ont réalisé un chiffre d’affaires d’environ 14 milliards d’euros en 2017, dont 44,8 % dans l’édition de logiciels applicatifs2.
4. La plus grande part des logiciels applicatifs est destinée à un usage professionnel au sein des entreprises, les logiciels « EAS » (Enterprise Application Software). Parmi ceux-ci figurent les logiciels de gestion du cycle de vie des produits ou « PLM » (Product Lifecycle Management), dont font partie les logiciels de conception et de fabrication assistées par ordinateur (respectivement et ci-après « CAO » et « FAO », ensemble « CFAO »).
5. Apparue à la fin des années 70, la CAO comprend l’ensemble des outils informatiques, logiciels et matériels, qui permettent de réaliser la modélisation d'un objet en vue de sa fabrication ou d’un projet en vue de sa réalisation. Elle permet d’en visualiser l’aspect, la structure, le fonctionnement avant qu’il existe, en créant des dessins en deux dimensions (2D) et des modèles en trois dimensions (la 3D étant la norme depuis les années 90). En conséquence, elle trouve pléthore de domaines d’application : la mécanique, l’architecture, l’ingénierie et la construction, l’électronique et l’électrotechnique, l’urbanisme et la planification urbaine, l’ameublement, l’évènementiel et le divertissement, et d’autres plus spécifiques encore (par exemple, dans le domaine de l’orthopédie).
6. Selon un rapport publié début 20203 et relayé par la presse spécialisée, le marché mondial de la CAO représenterait un chiffre d’affaires d’environ 9 milliards de dollars (avant l’arrivée de la pandémie liée au virus de la Covid-19). Sa croissance aurait été alimentée ces dernières années par la généralisation de la numérisation et au développement de technologies toujours plus performantes. Les segments les plus dynamiques du marché seraient les processus de fabrication, la production industrielle, les secteurs de l’énergie et maritimes et, ensemble, l’architecture, l’ingénierie et la construction couramment désignés par le sigle « AEC » (Architecture, Engineering & Construction).
7. Dans ce dernier domaine en particulier, les solutions informatiques de modélisation des informations du bâtiment ou « BIM » (Building Information Modeling) sont en plein essor. Elles permettent, en sus des outils traditionnels de conception et de production d’un bâtiment, de collecter un ensemble d’informations relatives à son cycle de vie, de sa construction à sa destruction, lesquels peuvent dépasser les seuls aspects liés à la construction du bâtiment (efficacité énergétique, performances environnementales, recyclage des matériaux…). Bases de données évolutives, elles proposent des espaces de travail pluridisciplinaires et collaboratifs accessibles par l’ensemble des corps de métiers intervenant dans les projets de construction et par les autres acteurs impliqués (commanditaires, promoteurs, fournisseurs, sous-traitants, clients…).
8. Dans tous les secteurs de l’industrie, la CAO est vouée à se développer, avec l’adoption progressive des techniques de « jumelage numérique », qui consistent à répliquer numériquement les objets, les processus et les systèmes du monde réel en concentrant dans des solutions informatiques uniques, la conception, les données et les analyses.
9. Selon le rapport cité au paragraphe 6, les dix plus grands éditeurs de CAO se partageraient plus de 95 % du chiffre d’affaires mondial : Siemens (Allemagne, 31 %), Dassault Systèmes (France, 20 %), Autodesk (US, 18 %), Hexagon (Suède, 6 %), Bentley Systems (US, 5 %), Parametric Technology Corporation (US, 5 %), Nemetschek (Allemagne, 5 %), Aveva (UK, 4 %), Trimble (US, 2 %). Chacun d’entre eux opère dans un ou plusieurs domaines d’expertise, qui peuvent se chevaucher en raison de l’adaptabilité des solutions informatiques et des nombreuses fonctionnalités des logiciels4.
10. Les éditeurs commercialisent leurs produits de manière directe ou indirecte, via un réseau de distribution physique généralement composé d’entreprises de services informatiques, dont l’activité peut englober plusieurs métiers tels que le conseil, l’intégration de systèmes informatiques (mise en place d’une architecture informatique, vente de logiciels…), la conception et la réalisation de projets informatiques (comme un site web), la maintenance, l’assistance et la formation.
11. La commercialisation de logiciels s’effectue selon deux principaux modes : i) la vente d’une licence (perpétuelle ou à durée limitée), qui autorise l’utilisateur à installer le logiciel sur sa ou ses machines sans cession des droits d’auteur, et ii) la vente d’une solution dite « SaaS » (Software as a Service5) où l’accès au logiciel installé sur un serveur distant, dont l’hébergement est géré par l’éditeur, est facturé à l’utilisateur qui paie à l’utilisation ou via un abonnement. Dans les deux modes, des services connexes de support sont généralement proposés, comme par exemple les mises à jour, le paramétrage et la personnalisation des logiciels, la maintenance ou la formation professionnelle.
12. Selon l’étude Xerfi « L’édition de logiciels » d’avril 2019, la part des ventes de logiciels (applicatifs et d’infrastructure) en mode SaaS représentait en moyenne, en 2016, 32 % du chiffre d’affaires des éditeurs (jusqu’à 50 % pour les acteurs les plus importants), la part des ventes de licences 32 % et la part de fournitures de services 36 %6. Avec la généralisation de l’internet à haut débit, l’augmentation des capacités de traitement des serveurs et le développement de l’organisation informatique en nuage, le mode de distribution SaaS progresse fortement et est « devenu incontournable dans la stratégie des principaux éditeurs de logiciels »7.
B. LES ENTREPRISES CONCERNÉES
1. LE GROUPE AUTODESK ET AUTODESK FRANCE
13. Fondée en 1982 aux États-Unis, Autodesk Inc. est une société d’édition de logiciels de création et de contenu numériques, traditionnellement connue comme éditrice du logiciel de CAO AutoCAD, lancé la même année.
14. En 2019, le groupe Autodesk, qui emploie environ 11 300 personnes dans le monde, a réalisé un chiffre d’affaires global de plus de 2,5 milliards d’euros, (en progression de 27 % par rapport à 2018). Ce chiffre est réalisé à hauteur de 40 % dans la zone Europe, Moyen-Orient et Afrique8.
15. L’activité du groupe Autodesk repose sur l’édition et la commercialisation de quatre grandes familles de produits logiciels de CAO : i) les logiciels « historiques » et pluridisciplinaires (architecture, urbanisme, industrie, mécanique, électronique), AutoCAD et AutoCAD Light (version « allégée » du premier présentant moins de fonctionnalités) (29 % du chiffre d’affaires global en 2019) ; ii) les logiciels et solutions d’Architecture, Engineering & Construction (42 %) ; iii) les logiciels et solutions de Manufacturing (22 %) ; iv) les logiciels et solutions de Media & Entertainment (7 %)9.
16. Globalement, l’offre d’Autodesk s’articule autour de logiciels phares, qu’il est possible d’acquérir isolément, et de « collections », groupant les principaux logiciels phares et un certain nombre d’autres logiciels, dits de « workflow », qui peuvent ne pas être accessibles par un autre biais qu’une collection. Ces derniers ont vocation à optimiser l’utilisation des logiciels phares (par exemple, le logiciel Vault, de gestion et de sécurisation des données utilisées dans ces logiciels) ou à les aligner sur les besoins spécifiques d’un métier (par exemple, AutoCAD Architecture apporte à AutoCAD des fonctionnalités spécifiques aux métiers de l’architecture). Il peut s’agir de solutions transverses à toutes les familles, comme des logiciels de gestion et de sécurisation des données générées par l’utilisation des logiciels phares.
17. La clientèle d’Autodesk France est principalement une clientèle d’entreprises : 43 % du chiffre d’affaires global est réalisé auprès d’entreprises de plus de 5 000 employés ou de plus de 1 000 utilisateurs, 43 % auprès d’entreprises de 20 à 5 000 employés ou de moins de 1 000 utilisateurs et les 14 % restants sont réalisés auprès d’entreprises de moins de 20 employés ou de 15 utilisateurs et de particuliers10.
18. La société Autodesk vend ses produits et services à la fois directement et indirectement. Le canal direct comprend les ventes aux grands comptes (« named account customers »), les transactions effectuées au sein du groupe et les ventes réalisées par la boutique en ligne de la société. Le canal indirect, constitué d’un réseau de 1 500 distributeurs et revendeurs (2 000 en 2016), représentait 70% de son chiffre d’affaires global en 2019 (79 % en 2016)11.
19. Ce réseau comprend à la fois une structure à niveau unique, dans laquelle Autodesk vend directement à des « revendeurs à valeur ajoutée » (VAR) et une structure à deux niveaux, dans laquelle des « distributeurs à valeur ajoutée » (VAD) ont un rôle de grossistes entre Autodesk et les revendeurs. Tous associent à la vente des produits logiciels des services à valeur ajoutée (tels que du conseil et de la formation).
20. Les deux plus importants grossistes d’Autodesk sont Tech Data Corporation et ses filiales, qui sont à l’origine d’environ un tiers du chiffre d’affaires global en 2019 (un quart en 2016) et Ingram Micro Inc., à l’origine d’environ un dixième de ce chiffre d’affaires. Selon la saisissante, seule une division spécialisée de Tech Data, Datech Solutions, serait active à ce titre sur le territoire français12.
21. Le groupe Autodesk a amorcé une transition de son modèle économique vers le modèle SaaS au début des années 2010. Cette transition a été formellement annoncée aux actionnaires en octobre 201313. En 2019, le modèle SaaS contribuait, à hauteur de 85 %, au chiffre d’affaires global, la base de clientèle « abonnée » s’élevant à 4,9 millions d’utilisateurs (+12 % par rapport à 2018)14.
22. Le groupe s’est implanté en France en 1989. Autodesk France est une SAS à associé unique dont le siège est à Paris. Ses activités principales sont définies comme « Toutes activités concernant des systèmes informatiques et/ou des systèmes vidéo et notamment l'élaboration, l'adaptation, l'exploitation, la commercialisation et la fabrication de logiciels progiciels et tous produits analogues ainsi que tous services se rapportant à l'utilisation de ces produits »15. Elle a réalisé un chiffre d’affaires d’environ 60 millions d’euros en 2019 (en progression de 18 % par rapport à 2018) et emploie une centaine de personnes.
2. CARTOCAD SARL
23. La société à responsabilité limitée Cartocad, créée en 1993, est une entreprise indépendante de services en informatique exerçant son activité sur l’ensemble du territoire métropolitain. Comptant six salariés depuis 201716, elle a réalisé en 2019 et en 2020 un chiffre d’affaires d’un peu plus d’un million d’euros17.
24. Depuis sa création, Cartocad fait partie du réseau de distribution du groupe Autodesk. À cette date, le réseau était purement sélectif18, avant de devenir multicanal, dans les années 2010. Cartocad y a détenu le « niveau » Silver (voir paragraphe 32) jusqu’au 1er février 2018, puis le niveau Reseller (voir paragraphe 41) . Elle était certifiée par Autodesk dans deux spécialisations, l’une dite « mécanique » jusqu’au 1er août 2015, l’autre dite « bâtiment » jusqu’à échéance de son contrat de distribution, au 1er août 2020.
25. S’agissant de ses activités pour Hewlett Packard, Cartocad indique que son statut a été acquis il y a plus de dix ans et qu’il « est attribué aux revendeurs des logiciels de dessin Autodesk s’ils le demandent. Le matériel HP est donc vendu afin d’y installer (souvent) des logiciels Autodesk »19.
C. LES RELATIONS CONTRACTUELLES ENTRE AUTODESK ET CARTOCAD
26. Les revendeurs à valeur ajoutée, dont fait partie la saisissante, sont liés à la société Autodesk France par un « Contrat de revendeur à valeur ajoutée » (ci-après « contrat VAR ») auquel est annexé un ensemble de documents, parmi lesquels le « Guide du programme des avantages pour les partenaires Autodesk » (ci-après le « Guide du programme ») qui décrit l’organisation et le fonctionnement du réseau. Y figurent notamment, pour les entreprises « partenaires », les « conditions » de participation au réseau et les « avantages » procurés en contrepartie.
27. Pour la mise en œuvre de ces contrats, Autodesk transmet à ses revendeurs, en amont de chaque année de son « exercice fiscal » (1er février de l’année n au 31 janvier de l’année n+1), généralement en décembre (de l’année n-1), les orientations stratégiques et commerciales à suivre, via un document intitulé « Framework ». Ce document, à tout le moins pour ceux qui figurent au dossier, comprend une présentation générale des principales évolutions de l’organisation du réseau pour l’année fiscale à venir, et une partie individualisée qui présente, pour le revendeur concerné, en fonction de son « niveau » dans le réseau et de ses « spécialisations », ses objectifs commerciaux et sa grille de rémunération (voir paragraphe 32).
28. Le dernier contrat entre Cartocad et Autodesk a été signé le 25 février 2016 et devait expirer le 31 janvier 201920. Autodesk a notifié à Cartocad par courrier recommandé du 25 janvier 2019 « la fin des relations commerciales entre [les] deux sociétés après expiration d’un préavis de 18 mois, soit à compter du 1er août 2020 » 21.
29. Il ressort notamment de ce contrat22 que, en tant que VAR, i) Cartocad ne disposait pas d’un droit exclusif de fournir les produits Autodesk et services associés sur son territoire géographique d’activité et qu’au contraire, Autodesk se réservait la possibilité d’intervenir directement sur ce territoire, auprès des clients finaux, ou par le biais d’un autre distributeur ; ii) Cartocad devait se conformer aux obligations prévues dans le Guide du programme pour obtenir un niveau ou des spécialisations particulières et bénéficier en contrepartie des avantages correspondants (ce qui sera développé ci-après) ; iii) Autodesk se réservait la possibilité de modifier les règles d’octroi des concessions de licence, de commercialisation, et de distribution pour ses produits, ainsi que celles des services d’assistance. En particulier, par ce contrat, Autodesk se réservait la faculté de retirer unilatéralement tout produit ou service du marché ou d’en modifier la distribution, moyennant un préavis de trente jours.
30. En outre, le contrat prévoyait que Cartocad pouvait commercialiser et distribuer des produits concurrents, sous réserve de maintenir une équipe commerciale et technique dédiée exclusivement aux activités de distribution des produits Autodesk, pour des raisons de confidentialité. Ces clauses sont libellées de la façon suivante 23 :
« 9.3 Rien dans le présent Contrat n'interdira au VAR de s'impliquer dans le développement, la commercialisation, la vente ou la distribution de produits qui, de l'avis raisonnable d'Autodesk, sont en concurrence avec ou ont des fonctions substantiellement identiques à celles des Produits (les «Produits concurrents»).
9.4 Dans l'éventualité où le VAR commencerait à revendre ou distribuer un ou plusieurs Produits concurrents, le VAR prendra immédiatement les mesures suivantes pour veiller à ce que les Informations confidentielles ne soient pas utilisées abusivement ou détournées dans le but de promouvoir, commercialiser ou avantager les Produits concurrents : (i) le VAR établira et maintiendra en permanence une équipe commerciale et technique distincte dédiée exclusivement à la promotion et la commercialisation des Produits, ainsi qu'à l'assistance liée à ceux-ci. […] ; (ii) le VAR se conformera strictement aux Obligations relatives aux Informations confidentielles stipulées dans le présent Contrat […]. »
31. Eu égard aux faits et pratiques dénoncés, qui s’inscrivent globalement dans la durée du contrat VAR de 2016, c’est une présentation succincte et non exhaustive de l’organisation et du fonctionnement du réseau de distribution tels que prévus dans le Guide du programme en vigueur au 1er février 2016 24, qui sera effectuée.
32. Chaque partenaire est identifié par trois éléments25 : i) un niveau, qui représente son investissement « en termes de compétences techniques et de capacité de vente », ii) des spécialisations, qui déterminent les domaines dans lesquels le partenaire « connaît bien les produits et/ou le secteur et pour le[s]quel[s] il a démontré son expertise via les ventes, les certifications techniques et les références client », iii) des services à valeur ajoutée, qui « reflètent les compétences clés intersectorielles (…), notamment en développement et formation ». En 2016, le partenaire pouvait accéder à quatre niveaux (Bronze, Silver, Gold et Platinum) et, via le « programme de spécialisation Autodesk » conduisant à la certification, à onze spécialisations : « Building, Advanced Structure, Advanced MEP, Civil Infrastructure, Process & Power, Product Design & Manufacturing, Industrial Design & Visualization, Simulation, Media & Entertainment, Media & Entertainment Production Management, Creative Finishing »26.
33. L’accès d’un partenaire à chaque niveau et spécialisation impose le respect de trois catégories principales de conditions.
34. La première catégorie, relative au personnel du partenaire27, encadre, par niveau, le nombre de personnel commercial, technique et marketing requis, ainsi que sa certification par Autodesk, dans le cadre d’un parcours de formations spécifiques et de la participation à des réunions stratégiques. Pour les trois niveaux supérieurs (Silver, Gold et Platinum), un membre du personnel ne peut cumuler deux fonctions (technique ou commercial). De plus, chaque membre du personnel doit consacrer au moins 60 % de son activité à sa fonction dans le réseau Autodesk. Enfin, à ces niveaux, l’acquisition d’une spécialisation requière un nombre de personnes commerciales et techniques certifiées dans cette spécialisation, une personne ne pouvant cumuler plusieurs spécialisations.
35. La deuxième catégorie, relative à l’activité du partenaire, impose, notamment, une double condition de montant d’achats minimum d’une liste de produits auprès du réseau, par niveau et par spécialisation, sur une période de douze mois consécutifs28.
36. La troisième catégorie, relative aux performances, impose, notamment, aux partenaires des trois niveaux supérieurs, l’établissement d’un plan d’affaires prévisionnel à douze mois, par spécialisation, qu’ils sont tenus de respecter au cours de l’exercice fiscal et de mettre à jour sur une base trimestrielle29. Ils doivent également garantir un taux de renouvellement prédéterminé des contrats de maintenance. Enfin, Autodesk s’octroie la possibilité de réaliser des enquêtes de satisfaction auprès des clients du partenaire et de tenir compte de leurs résultats pour évaluer ses performances30.
37. En contrepartie de ces obligations, le partenaire peut prétendre à un certain nombre d’avantages, également déclinés en fonction de son niveau et de ses spécialisations. La vente de produits et services donne ainsi lieu à rémunération31, selon différentes modalités, en particulier sous la forme de « remises » fondées sur les ventes ou de rétrocessions mensuelles d’une partie des transactions (par exemple quand le chiffre d’affaires est réalisé en ligne).
38. Au titre de ses autres activités (commercialisation, aide et assistance), le partenaire peut bénéficier d’autres types d’avantages, tels que la mise à disposition d’outils de marketing, la participation à des « programmes de marketing » (qui peuvent générer des rémunérations), la mise à disposition de prospects, l’accès à des produits de valorisation de la marque (comme le logo), aux ressources communes du groupe (comme l’utilisation des sites web et de la plateforme « Autodesk Partner Center »), aux formations et au processus de certification, à des conférences, ou encore à une assistance personnalisée, etc.
39. Le Guide du programme est modifié régulièrement en fonction des objectifs stratégiques et commerciaux du groupe. Aussi, depuis le choix d’une transition du modèle économique traditionnel de ventes de licences vers un modèle SaaS (voir paragraphe 11), Autodesk oriente l’organisation et le fonctionnement de son réseau de distribution de manière à développer le second au détriment du premier. En particulier, les grilles de rémunérations des partenaires ont progressivement évolué dans le sens d’une majoration des remises consenties sur la vente d’abonnements en ligne et d’une diminution des remises consenties sur la vente de licences (et notamment perpétuelles dès le mois de mars 201532) ainsi que les produits associés à ces licences.
40. En effet, au 1er février 2016, Autodesk a définitivement cessé de commercialiser les licences perpétuelles « autonomes », c’est-à-dire associées à un seul logiciel33, l’accès à un logiciel seul n’étant plus possible que par un abonnement en ligne. Les licences perpétuelles pour les « suites » de logiciels (une « suite » désignant une offre groupée comprenant plusieurs licences de logiciels) devaient être retirées de la vente au 1er août 201634. À la place, les « collections », accessibles par abonnement et comprenant une gamme plus large de produits que les suites de logiciels en incluant notamment des services en nuage, ont été lancées. Pour les clients détenant des licences perpétuelles à ces dates, des services de maintenance étaient toujours mis à disposition dans le cadre du renouvellement de leur contrat de maintenance (mais à des tarifs croissants pour inciter à la migration vers une offre de maintenance en ligne, dans la perspective de leur suppression définitive annoncée en août 2021).
41. Peuvent être mentionnées, parmi les évolutions du Guide du programme, i) en année fiscale 2018, un remaniement des spécialisations auxquelles peuvent prétendre les partenaires (avec notamment l’apparition de la spécialisation « Construction »), et, par suite, une modification des conditions relatives aux montants d’achats minimum applicables par spécialisation et des conditions relatives au personnel certifié, et ii) en année fiscale 2019, la suppression des deux niveaux de revendeur inférieurs Silver et Bronze au bénéfice d’un unique statut de Reseller35, emportant une nouvelle révision des conditions relatives aux montants d’achats minimum par niveau, au nombre de spécialisations, au nombre de personnels et de leur certification36. Spécialisations et niveaux étant les éléments déterminants des avantages perçus par les partenaires, ces évolutions devaient affecter leurs rémunérations.
D. LES FAITS ET PRATIQUES DÉNONCÉS DANS LA SAISINE
42. La saisissante reproche à Autodesk d’avoir abusé de sa situation de dépendance économique « lors de la mise en place de sa politique de restructuration de son modèle d’affaires ayant pour objectif de basculer vers la vente multicanale de licences de logiciels en ligne sous forme d’abonnements »37, en maintenant, dans le but de « s’en défaire », ses revendeurs de niveau Reseller, anciennement Silver, dans une situation d’insécurité juridique et économique38.
43. En premier lieu, Cartocad estime être en situation de dépendance économique au sein du réseau de distribution d’Autodesk et ne pas disposer de solution de remplacement. À l’appui de cette assertion, elle indique que, depuis son intégration à ce réseau en 1993, les ventes des produits Autodesk et des services associés représentent plus de 90 % de son chiffre d’affaires annuel, 60 à 70 % correspondant à la seule vente des logiciels Autodesk39.
44. Elle indique également qu’en raison de la notoriété de ses produits, Autodesk se trouverait « dans une position dominante sur le marché des logiciels CFAO »40. En effet, ces logiciels seraient commercialisés dans plus d’une centaine de pays et auraient plus de dix millions d’utilisateurs ; le logiciel AutoCAD, notamment, serait le logiciel de dessin assisté le plus répandu au monde. De plus, selon la saisissante, les concurrents d’Autodesk « ne fournissent pas exactement le même genre de services » et, du fait du large spectre d’usagers qu’elle vise (professionnels – grands comptes et PME - particuliers), leur clientèle est « substantiellement différente »41.
45. Par ailleurs, Cartocad fait valoir que l’article 9.4 de son contrat VAR de 2016, en lui imposant d’embaucher « parallèlement aux collaborateurs de la société, une équipe commerciale et technique dédiée uniquement à la promotion et la vente des produits Autodesk »42, constitue un « obstacle juridique (…) à la faculté de diversifier son approvisionnement auprès des éventuels concurrents de la société Autodesk ». En effet, ses « exigences très strictes (…) sont devenues extrêmement onéreuses pour la société Cartocad et certainement impossibles à réaliser »43.
46. En deuxième lieu, selon Cartocad, Autodesk aurait abusé de cette situation de dépendance économique à plusieurs titres :
- en introduisant progressivement la vente en ligne de ses produits et en s’octroyant le droit de vendre ses logiciels et ses services associés directement aux utilisateurs finaux, sur la base des données qui lui sont obligatoirement communiquées (depuis 2006-2007) par les distributeurs et revendeurs via leurs commandes44. Elle aurait ainsi démarché et repris en direct des clients de Cartocad, entre 2015 et 2017, notamment des grands comptes, qui représentaient 40 % de ses revenus45. En outre, à partir de 2016, elle aurait lancé sur sa boutique en ligne des promotions (jusqu’à 70 %) directement accessibles à tous les utilisateurs finaux, y compris aux clients de ses revendeurs, sans que ces derniers puissent y accéder46. Autodesk proposerait également directement aux clients de Cartocad des abonnements en ligne à des tarifs plus avantageux que ceux que Cartocad pourrait offrir47 ;
- en modifiant, unilatéralement et de manière substantielle, les remises accordées aux revendeurs et les objectifs d’achats à atteindre. Selon Cartocad, de tels changements sont possibles car ces éléments ne sont pas précisés dans le contrat VAR, ce qui « oblige[nt] les revendeurs agréés à se conformer aux conditions fixées librement par la société Autodesk, sous peine de se voir retirer un agrément et voir leur domaine d’intervention réduit »48. Ainsi, en 2015, Cartocad aurait subi, sans négociation préalable, une augmentation brutale et forte de ses objectifs d’achats minimum49. Selon Cartocad, Autodesk aurait tenu compte de ces nouveaux objectifs en amont de leur mise en œuvre contractuelle, dès août 2014, ce qui aurait provoqué la perte de son « agrément mécanique »50 (le 1er août 2015). Selon Cartocad, des baisses de remises constatées depuis 2016 lui auraient été préjudiciables car elles ont impliqué qu’elle n’était plus en mesure de proposer des tarifs plus avantageux que ceux proposés par Autodesk dans sa boutique en ligne ou par d’autres revendeurs bénéficiant de remises plus élevées51 ;
- en refusant à Cartocad, dans l’attente de la signature en février 2016 de son contrat VAR, l’accès au site des partenaires du réseau, l’Autodesk Partner Center, durant trois semaines et en supprimant temporairement son référencement sur le site internet d’Autodesk, provoquant une perte financière « extrêmement importante » pour Cartocad et l’obligeant à accepter en l’état les clauses du contrat52 ;
- en la soumettant à un déséquilibre significatif, constitué par l’accès progressif à sa clientèle sans contrepartie proportionnée53 et par l’imposition de contrats de distribution non négociables. En particulier, Autodesk aurait « utilisé toutes sortes de moyens aux fins d’obtenir la signature du contrat cadre » de 2016 et aurait décidé unilatéralement « la minoration substantielle des remises » des revendeurs et la « hausse progressive des objectifs financiers chaque année ». Elle aurait ainsi désavantagé ses revendeurs, lors de la mise en place de son nouveau modèle d’affaires fondé sur le développement des abonnements en ligne, par rapport à son propre réseau de distribution interne.
II. Discussion
47. Le deuxième alinéa de l’article L. 462-8 du code de commerce énonce que « l’Autorité de la concurrence peut […] rejeter la saisine par décision motivée lorsqu’elle estime que les faits invoqués ne sont pas appuyés d’éléments suffisamment probants ».
A. SUR LE CHAMP DE COMPÉTENCE
48. Dans sa saisine, Cartocad dénonce des pratiques mises en œuvre par Autodesk, les estimant contraires au deuxième alinéa de l’article L. 420-2, alinéa 2 et au 2° du I de l’article L. 442-1 du code de commerce.
49. Le deuxième alinéa de l'article L. 420-2 du code de commerce prévoit qu’: « Est en outre prohibée, dès lors qu'elle est susceptible d'affecter le fonctionnement ou la structure de la concurrence, l'exploitation abusive par une entreprise ou un groupe d'entreprises de l'état de dépendance économique dans lequel se trouve à son égard une entreprise cliente ou fournisseur. Ces abus peuvent notamment consister en refus de vente, en ventes liées, en pratiques discriminatoires visées aux articles L. 442-1 à L. 442-3 ou en accords de gamme ».
50. Les pratiques dénoncées par Cartocad sur le fondement du 2° du I de l’article L. 442-1 peuvent donc être qualifiées d’abus de dépendance économique, dès lors qu'elles sont susceptibles de compromettre le bon fonctionnement ou la structure de la concurrence.
B. SUR L’ABUS DE DÉPENDANCE ALLÉGUÉ
1. LES PRINCIPES APPLICABLES
51. Aux termes du deuxième alinéa de l’article L. 420-2 du code de commerce, ci-dessus rappelés, l’abus de dépendance économique suppose la réunion de trois conditions cumulatives : l’existence d’une situation de dépendance économique d’une entreprise à l’égard d’une autre, une exploitation abusive de cette situation et une affectation, réelle ou potentielle du fonctionnement ou de la structure de la concurrence. En l’absence de l’une de ces trois conditions, l’abus de dépendance économique allégué n’est pas établi.
52. Dans un arrêt du 12 octobre 199354, la Cour de cassation a précisé quatre critères cumulatifs permettant de caractériser une situation de dépendance économique : « si l’existence d’un état de dépendance économique s’apprécie en tenant compte de la notoriété de la marque du fournisseur, il convient également de tenir compte de l’importance de sa part dans le marché considéré et dans le chiffre d’affaires du revendeur ainsi que de l’impossibilité pour ce dernier d’obtenir d’autres fournisseurs des produits équivalents ».
53. La Cour a par ailleurs considéré, dans un arrêt du 3 mars 200455, s’agissant de l’impossibilité d’obtenir des produits équivalents, que « l’état de dépendance économique, pour un distributeur, se définit comme la situation d’une entreprise qui ne dispose pas de la possibilité de substituer à son ou ses fournisseurs un ou plusieurs autres fournisseurs répondant à sa demande d’approvisionnement dans des conditions techniques et économiques comparables ; qu’il s’en déduit que la seule circonstance qu’un distributeur réalise une part très importante voire exclusive de son approvisionnement auprès d’un seul fournisseur ne suffit pas à caractériser son état de dépendance économique au sens de l’article L. 420-2 du code de commerce ».
54. Il y a lieu de rappeler que, malgré la suppression en 2001 par la loi Nouvelles Régulations Economiques de la mention du critère d’absence de solution alternative dans le code de commerce, la Cour de cassation a maintenu l’exigence, pour la partie dépendante, d’apporter la preuve de l’absence d’une telle solution56.
2. APPLICATION AU CAS D’ESPÈCE
55. S’agissant de la démonstration de l’état de dépendance économique dans laquelle elle se trouverait, Cartocad soutient que les produits et services du groupe Autodesk bénéficient d’une notoriété particulière dans la mesure où celui-ci serait en position dominante sur le marché des logiciels de CFAO57.
56. En particulier, la saisissante fait valoir que le magazine Forbes aurait classé le logiciel AutoCAD comme le logiciel de dessin assisté par ordinateur le plus répandu au monde58. Elle souligne également « la place de leader mondial des solutions AEC » tenue par le logiciel Revit d’Autodesk, grâce à « l’interopérabilité et au caractère pluridisciplinaire de ses solutions »59, et à sa position couvrant « de 50 % à 70 % du marché du bâtiment »60. Elle mentionne aussi l’extrait d’une étude Xerfi de mai 2019 qui met en avant « le pouvoir de marché des éditeurs de logiciels BIM et d’Autodesk en particulier »61.
57. Cependant, et en premier lieu, la saisine ne fournit pas d’éléments démontrant que, dans les gammes de logiciels de CAO disponibles dans le segment « bâtiment » et dans le segment « mécanique », ne se trouvent pas des produits de marque ou présentant des caractéristiques techniques telles qu’ils pourraient être considérés comme interchangeables avec les produits d’Autodesk. Il apparaît en effet qu’il existe un certain nombre de logiciels développés par d’autres éditeurs sur les marchés des PLM, en particulier à destination de l’industrie mécanique et dans le domaine de l’AEC, et distribués sur le territoire national.
58. Ainsi, notamment, s’agissant des logiciels de BIM, aux côtés du logiciel Revit, sont régulièrement mentionnées parmi les solutions existantes (au sein des solutions payantes et éditées par des entreprises d’envergure internationale) : i) Archicad, édité par Graphisoft, société hongroise (du groupe Nemetschek), distribué en France de manière exclusive par le groupe Abvent, qui dispose d’un réseau de revendeurs de proximité62 ; ii) Allplan, édité par la société allemande éponyme (groupe Nemetschek), distribué en France par Allplan France qui dispose de quatre agences sur le territoire63 ; iii) Tekla Structures, édité par Tekla, société finlandaise (groupe Trimble depuis 2011), distribué en France par Trimble Solutions France64 ; iv) Vectorworks, édité par la société américaine éponyme (groupe Nemetschek depuis 2000), distribué en France par Design Express65 et accessible en ligne66 ; v) Trimble Connect, Trimble Nova, Plancal Nova, édités par Trimble, société anglaise, distribués en France par Trimble MEP France67 ; vi) Microstation et OpenBuildings Designer, édités par l’américain Bentley Systems, distribués en France par Bentley Systems France et accessibles en ligne68.
59. De même, s’agissant des solutions davantage axées sur le segment « mécanique », sont régulièrement mentionnées, aux côtés des logiciels AutoCAD et Inventor : i) Solid Works, éditée par l’américain éponyme (groupe Dassault Systèmes depuis 1997), distribuée par un certain nombre de revendeurs agréés en France69 ; ii) Catia, éditée par Dassault Systèmes et distribué par un certain nombre de revendeurs agréés en France70 ; iii) Solid Edge et NX, éditées par Siemens PLM Software, société américaine (groupe Siemens), distribuées en France par un réseau de revendeurs agréés71 et accessible en ligne72 ; iv) Creo, éditée par l’américain PTC, distribuée en France par un réseau de partenaires agréés73 et accessible en ligne74 ; v) Onshape, édité par l’américain éponyme (groupe PTC depuis 2019) ; vi) Topsolid, éditée par la société française Topsolid (anciennement Missler Software), distribuée en France par l’une des six filiales implantées sur le territoire75 ; vii) Alibre Design, éditée par l’américain Alibre et distribué en France par Usiprog76.
60. En outre, la saisine ne fournit pas d’éléments pour apprécier les différences de notoriété des marques des logiciels présents sur ces segments et conclure au caractère incontournable de la marque Autodesk pour les distributeurs de logiciels de PLM. La saisine évoque brièvement une absence d’interopérabilité du format des fichiers de données issus de ses logiciels alors qu’il semble exister un certain nombre de solutions informatiques permettant les conversions de fichiers77.
61. En deuxième lieu, la saisissante ne verse aux débats aucune pièce permettant d’apprécier le positionnement d’Autodesk78 sur les différents segments de marché de la PLM identifiés par la pratique décisionnelle et la jurisprudence des autorités de concurrence. Si, comme le fait valoir Cartocad, le fait qu’Autodesk soit présente à la fois sur les segments « bâtiment » et « mécanique » participe à la notoriété de sa marque, il ne suffit pas à évaluer son positionnement sur chacun des segments ou sur un ensemble de segments de marché, positionnement qui dépend notamment de la présence, de la taille, des caractéristiques et des produits de ses concurrents.
62. En troisième lieu, Cartocad soutient ne pas pouvoir trouver de solution de remplacement pour l’activité de distribution qu’elle exerce et l’approvisionnement des produits et services d’Autodesk, d’une part du fait de la place importante de cette dernière sur le marché et, d’autre part, du fait que les formats des fichiers sont spécifiques et propres à chaque logiciel, rendant impossible l’exploitation de ces fichiers à l’aide d’un logiciel concurrent79. Enfin, Cartocad ne pourrait trouver de solution de remplacement en raison des « exigences très strictes » prévues dans les articles 9.3 et 9.4 de son contrat VAR de 2016, qui « imposent au revendeur d’embaucher, en parallèle de l’équipe existante, une équipe dédiée à la distribution des produits concurrents au logiciel d’Autodesk ainsi que l’obtention de l’accord de la société Autodesk »80. Selon la saisissante, de telles contraintes « sont devenues extrêmement onéreuses » et « certainement impossibles à réaliser »81.
63. S’agissant des deux premiers arguments, il est renvoyé aux considérations des paragraphes 57 à 61. S’agissant des contraintes contractuelles mises en avant par Cartocad concernant le personnel technique et commercial dédié aux produits et services d’Autodesk, celle-ci a précisé en réponse aux questionnaires des services d’instruction que « pour le statut Silver, par spécialisation, il faut 2 personnes différentes : un commercial et un ingénieur technique »82. Ainsi, à la perte de sa spécialisation « mécanique » au 1er août 2015, Cartocad disposait de personnels certifiés par Autodesk, à tout le moins un ingénieur technique et un commercial, désormais libérés de leurs obligations et qui auraient pu être affectés à d’autres activités, y compris auprès d’un réseau de distribution concurrent.
64. La société Cartocad n’a pas démontré, dans sa saisine ou au cours de la séance du 25 janvier 2021, en quoi cette reconversion et réaffectation de personnels, notamment auprès des réseaux alternatifs de distribution de logiciels de PLM, aurait été impossible en raison de la relation contractuelle entre les parties. Par ailleurs, Cartocad a indiqué avoir « commencé, en 2018, à développer de nouvelles valeurs ajoutées : ventes d’autres solutions (petites configurations à quelques centaines d’euros le prix du logiciel), des contrats de maintenance de parcs informatiques »83.
65. Il en ressort qu’il n’est pas établi que la vente de produits concurrents ne pouvait constituer une alternative économiquement viable aux activités de distribution de Cartocad pour le compte d’Autodesk.
66. En tout état de cause, aucun élément factuel ne permet de démontrer une altération, même potentielle, de la concurrence. En effet, Cartocad a indiqué, malgré la fin de sa relation contractuelle avec Autodesk au 1er août 2020, poursuivre son activité auprès de ses clients par le biais du système de sous-distribution des produits Autodesk, pour lesquels elle s’approvisionne auprès d’un revendeur de statut Gold. Par ce système, qui a toujours existé, notamment au bénéfice des nouvelles entreprises de services informatiques qui souhaitaient commercialiser des produits Autodesk (et qui constitue par ailleurs un passage obligé pour celles-ci pour intégrer le réseau de revendeurs agréés), Cartocad maintient un degré de concurrence intra-marque au sein du réseau de distribution.
C. CONCLUSION
67. Il résulte de ce qui précède que les faits dénoncés par la société Cartocad ne sont pas appuyés par des éléments suffisamment probants pour caractériser un état de dépendance économique de Cartocad à l’égard d’Autodesk. Dans ces conditions, l’état de dépendance économique mentionné au deuxième alinéa de l’article L. 420-2 du code de commerce étant une condition de l’application de cet article, il n’est pas nécessaire d’analyser le caractère abusif des comportements dénoncés.
68. Il y a donc lieu de rejeter, en application du deuxième alinéa de l’article L. 462-8 du code de commerce et faute d’être étayée par des éléments suffisamment probants, la saisine de la société Cartocad.
NOTES
1 Ce résumé a un caractère strictement informatif. Seuls font foi les motifs de la décision numérotés ci-après.
2 https://www.insee.fr/fr/statistiques/3600848?sommaire=3554439&q=logiciel#consulter-sommaire
3 https://www.jonpeddie.com/store/2020-cad-report/
4 « Pandemic transforms the CAD Industry in 2020 and beyond », cadalyst, 30 juin 2020.
5 Ou logiciel vendu comme un service.
6 Cote 957
7 Cote 957.
8 Présentation d’Autodesk, “Investor Overview, Driving Sustainable Growth at Scale”, juin 2020.
9 Ibid.
10 Ibid.
11 Annual Report, Autodesk, Fiscal year 2019 et Fiscal year 2020.
12 https://fr.techdata.com/datech-solutions
13 Site internet d’Autodesk, Investor Day Presentations, « Transforming Autodesk to drive Growth », Oct. 2013.
14 https://www.autodesk.com/company/newsroom/corporate-info
15 Extrait Kbis
16 Cote 682.
17 Cote 681.
18 Décision du Conseil de la concurrence n° 96-D-76 du 26 novembre 1996 relative à des pratiques mises en œuvre par la société Autodesk S.A.
19 Cote 1203.
20 paragraphes 10.1 et 10.2 du contrat, cote 53.
21 Cotes 94 et 95.
22 Cotes 41 à 59.
23 paragraphes 9.3 et 9.4 du contrat, cote 53.
24 Cotes 97 à 164.
25 Cote 103.
26 Cote 138.
27 Cotes 125 et 126.
28 Cote 128.
29 Cote 131.
30 Cote 131.
31 Cote 109.
32 Cotes 553 et 554.
33 Cotes 545 et 546.
34 Ces évènements avaient été annoncés dans sa communication à destination des actionnaires en octobre 2014 (https://investors.autodesk.com/news-events/investor-day-presentations). Ils avaient ensuite été annoncés aux partenaires du réseau de distribution début février 2015, pour une mise en œuvre début 2016 (cotes 537 à 571, 20/0086 F).
35 Cote 74.
36 Cote 75.
37 Cote 35.
38 Cote 12.
39 Cote 16.
40 Cote 17.
41 Cote 20.
42 Cote 17.
43 Cote 16.
44 Cote 22.
45 Cotes 27 et 28.
46 Cote 23.
47 Cote 23.
48 Cote 24.
49 Cotes 7 et 25.
50 Cote 26, retrait de l’agrément pour la vente des logiciels « mécanique ».
51 Cote 26.
52 Cote 24.
53 Cotes 29 et suivantes.
54 Arrêt de la Cour de cassation du 12 octobre 1993, Concurrence, n° 91-16988 et 91-17090.
55 Arrêt de la Cour de cassation du 3 mars 2004, Concurrence, pourvoi n° 02-14529. 56 Arrêt de la Cour de cassation du 3 mars 2004, Société Concurrence, n° 02-14.529. 57 Cote 17.
58 Cote 18.
59 Cote 18.
60 Cote 667.
61 Cotes 348 et 349.
62 https://abvent.com/about/histo.php ; https://archicad.fr/acheter/
63 https://www.allplan.com/fr
64 https://www.tekla.com/fr/contact/offices-and-resellers
65 https://www.designexpress.eu/fr
66 https://customers.vectorworks.net/subscriptions#
67 https://mep.trimble.fr/ ; https://mep.trimble.com/fr/products
68 https://store.bentley.com/en/products/applications/11442--MicroStation
69 https://www.solidworks.com/sw/purchase/varlocator.htm
70 https://www.3ds.com/fr/partenaires/
71 https://partnerfinder.plm.automation.siemens.com/
72 https://www.dex.siemens.com/?selected=plm
73 https://www.ptc.com/en/partners/partner-search
74 https://store.ptc.com/store?Action=DisplayHomePage&Env=BASE&Locale=en_US&SiteID=ptc
75 https://www.topsolid.fr/comment-acheter/trouver-un-revendeur-a-l-international.htm
76 https://www.usiprog.com/
77 Voir à ce titre l’arrêt du Tribunal de l’UE du 14 septembre 2017, affaire T-751/15, Contact Software GmbH/Commission Européenne et les cotes 497 à 501.
78 Les « 76 % de part de marché sur le marché du bâtiment » relayé par Cartocad correspond à la part des 113 bureaux d’études spécialisés en génie thermique et climatique contactés pour l’enquête citée qui utilisent le logiciel Revit ; cote 1215.
79 Cotes 21, 217, 666.
80 Cote 21.
81 Cote 16.
82 Cote 674.
83 Cote 663.