Cass. com., 3 mars 2021, n° 18-24.373
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
PARTIES
Demandeur :
La Chambre Syndicale des Cafetiers-Hôteliers-Restaurateurs-Discothèques de Douai (Sté)
Défendeur :
Club Sports et Loisirs des Mineurs de Sessevalle (Sté), L’Amicale du stade Beaulieu (Sté), Avenir Bouliste de Montigny en Ostrevent (Sté), Billon Club de Gayant (Sté), La Boule Douaisienne (Sté), Mineurs Catholiques Italiens (Sté), Union Football Anhiers (Sté), La Boule Joyeuse Des Mineurs (Sté), La Pétanque Somainoise (Sté), USM Waziers (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Darbois
Rapporteur :
Mme Bessaud
Avocat général :
Mme Beaudonnet
Avocats :
SCP Ricard, Bendel-Vasseur, Ghnassia, SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, Me Brouchot
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Douai, 5 juillet 2018), la chambre syndicale des cafetiers-hôteliers-restaurateurs-discothèques de Douai (l'UMIH de Douai) a pour objet social de représenter et défendre les intérêts économiques, sociaux et moraux de ses membres et, notamment, des propriétaires, administrateurs délégués, directeurs ou gérants, exploitants d'un café, débit de boissons toutes catégories, cabarets, hôtels, restaurants et généralement tout commerce de vente de denrées solides ou liquides à consommer sur place nécessitant des prestations de service.
2. Soutenant que douze associations, dont Billon club de Gayant, La Boule douaisienne, Mineurs catholiques italiens, Union football Anhiers, La Boule joyeuse des mineurs, La Pétanque somainoise, L'USM Waziers, Club sports et loisirs des mineurs de Sessevalle, L'Amicale du stade Beaulieu, Avenir bouliste de Montigny en Ostrevent et La Boule guesninoise (les associations), avaient vendu des boissons, alcoolisées ou non, en contravention avec les normes en vigueur, et leur reprochant ainsi des actes de concurrence déloyale, l'UMIH de Douai les a assignées, aux fins de cessation de ces pratiques illégales et en paiement solidaire d'un euro à titre de dommages-intérêts.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
3. L'UMIH de Douai fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes, alors « que le juge doit trancher le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables ; qu'en matière de concurrence déloyale et de parasitisme, la jurisprudence déduit l'existence du préjudice du comportement déloyal ; que la cour d'appel ne pouvait rejeter au fond les demandes de la chambre syndicale des cafetiers-hôteliers-restaurateurs-discothèques de Douai tendant à la réparation de son préjudice et à la cessation des troubles illicites résultant des pratiques des associations défenderesses qui vendent des boissons alcoolisées (ou non) en dehors de toute autorisation administrative ou manifestation sportive telles que limitativement énumérées par les dispositions des articles L. 3334-2 et L. 3335-4 du code de la santé publique et donc en totale violation de ces textes, disposent de tout le matériel pour opérer commerce de cette vente, tels que tireuses à bière, frigidaires, caisse, tarifs des boissons,... et ce en totale violation des dispositions de l'article L. 442-7 du code de commerce, ne limitent bien évidemment pas l'accès à leur buvette à leurs seuls adhérents mais opèrent bien commerce, sans répondre aux obligations fiscales en la matière et taxations y afférentes "sans même qu'il y ait besoin d'analyser les fautes reprochées à chaque association par l'UMIH de Douai" ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé l'article 12 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Recevabilité du moyen
4. Les associations Club sports et loisirs des mineurs de Sessevalle, Billon club de Gayant, La Boule douaisienne et La Pétanque somainoise contestent la recevabilité du moyen. Elles soutiennent que l'UMIH de Douai n'a pas développé, dans ses écritures d'appel, un moyen lié à l'existence d'un préjudice inféré nécessairement par les actes de concurrence déloyale allégués et qu'il s'agit donc d'une argumentation nouvelle et mélangée de fait et de droit.
5. Cependant, l'UMIH de Douai, qui soutenait dans ses écritures d'appel que les constats d'huissiers de justice produits démontraient que les associations vendaient des boissons alcoolisées de manière habituelle, en contravention aux dispositions des articles L. 3334-2 et L. 3335-4 du code de la santé publique, et à un prix modique, puisque non assujetti à la moindre charge, qu'il en résultait nécessairement une concurrence déloyale et des actes de para-commercialisme néfastes aux débits de boissons avoisinants qui sont soumis aux charges sociales et fiscales applicables à leur activité, et, dès lors, une perte de chiffre d'affaires et que le lien de causalité était évident puisque de nombreux débits de boissons avaient vu leur chiffre d'affaires diminuer et leur clientèle se diriger vers ces associations, en raison du coût nettement inférieur des boissons, a fondé ses demandes sur la démonstration d'une faute, d'un préjudice et d'un lien de causalité entre les deux, et ne développe pas une argumentation nouvelle en faisant grief à l'arrêt de ne pas avoir procédé à l'analyse des fautes reprochées à chaque association, dont il résulterait nécessairement une concurrence déloyale et, partant, un préjudice.
6. Le moyen est donc recevable.
Bien-fondé du moyen
Vu les articles 1382, devenu 1240, du code civil et 12 du code de procédure civile :
7. Aux termes du premier de ces textes, tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer. Selon le second, les juges doivent trancher le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables.
8. Pour rejeter les demandes de l'UMIH de Douai, l'arrêt retient que celle-ci ne verse aucune pièce pour attester de la perte de clientèle ou de la baisse du chiffre d'affaires subie par ses membres, en lien direct avec l'activité incriminée des associations, et relève, en particulier, que le rapport d'enquête de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes du 16 décembre 2011 relatif à l'activité de nombreuses associations, s'agissant notamment de la gestion interne de « buvettes », ne fait pas mention des conséquences que pourraient avoir ces activités sur celles des exploitants de débits de boisson. Il en déduit que, sans même qu'il soit besoin d'analyser les fautes reprochées à chaque association par l'UMIH de Douai, cette dernière ne rapporte pas la preuve de l'existence d'un préjudice dont elle pourrait demander réparation.
9. En statuant ainsi, alors qu'en matière de responsabilité pour concurrence déloyale, il s'infère nécessairement un préjudice, fût-il seulement moral, de toute pratique consistant, pour son auteur, à s'affranchir d'une réglementation impérative dont le respect a nécessairement un coût, ce qui, dès lors, lui donne, un avantage concurrentiel indu, la cour d'appel, qui ne pouvait, en conséquence, se dispenser d'analyser les pratiques reprochées aux associations en cause, a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS,
et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs,
La Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déboute l'UMIH de Douai de l'ensemble de ses demandes et en ce qu'il statue sur les dépens de première instance et d'appel et l'application de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 5 juillet 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Douai ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Douai, autrement composée ;
Condamne les associations Billon club de Gayant, La Boule douaisienne, Mineurs catholiques italiens, Union football Anhiers, La Boule joyeuse des mineurs, La Pétanque somainoise, L'USM Waziers, Club sports et loisirs des mineurs de Sessevalle, L'Amicale du stade Beaulieu, Avenir bouliste de Montigny en Ostrevent et La Boule guesninoise aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile,
Rejette les demandes.