CA Bordeaux, 1re ch. civ., 9 février 2021, n° 18/01933
BORDEAUX
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Méditerranéenne de Tourisme (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Potée
Conseillers :
M. Braud, Mme Vallée
Avocat :
Me Paumier
EXPOSE DU LITIGE
M. X exerce la profession d'agent commercial et est immatriculé à ce titre au registre spécial des agents commerciaux. Il est spécialisé dans le secteur du tourisme.
La SAS Méditerranéenne de Tourisme (ci-après SMT) est une agence de voyages qui intervient sur le marché du tourisme en qualité de grossiste pour la revente aux détaillants de produits touristiques.
Suivant acte sous seing privé du 6 juillet 2011, à Marseille, la SMT et M. X ont conclu un contrat d'agent commercial pour la vente et la diffusion des produits de la marque Climats du Monde, exploitée par la société.
Ce contrat a été conclu pour une durée indéterminée et comporte le bénéfice d'une exclusivité auprès des agences de voyage et organismes assimilés sur les départements 09, 11, 12, 16, 17, 19, 23, 24, 29, 31, 32, 33, 40, 46, 47, 64, 65, 66, 81, 82, 87 et 15.
En contrepartie des services rendus au titre de l'exécution de ce mandat d'intérêt commun, le contrat conclu prévoyait une commission forfaitaire mensuelle de 1 600 HT, outre le cas échéant, un complément de commission variable calculé sur la base du chiffre d'affaires annuel.
La part variable de commission n'a jamais été mise en œuvre entre les parties.
Par lettre recommandée avec accusé de réception datée du 30 septembre 2013, la SMT a notifié à M. X la résiliation du contrat en faisant état de plusieurs griefs.
Par acte d'huissier du 29 janvier 2014, M. X a assigné devant le tribunal de grande instance de Bordeaux, la SMT afin de la voir condamner au paiement d'une somme de 48 000 au titre de l'indemnité de rupture prévue par l'article L.
134-12 du code de commerce et la somme de 5 740,80 TTC correspondant aux commissions qui auraient dû être versées au titre du délai de préavis.
Par ordonnance du 2 septembre 2014, le juge de la mise en état a rejeté l'exception d'incompétence soulevée par la SMT et la demande de provision de M. X sur l'indemnité de préavis.
Par arrêt du 24 février 2016, la cour d'appel de Bordeaux a confirmé cette ordonnance dans toutes ses dispositions.
Par jugement du 29 mars 2018, le tribunal de grande instance de Bordeaux a :
- condamné la SAS Méditerranéenne de Tourisme à payer à M. X la somme de 38 400 au titre de l'indemnité compensatrice et 4 800 au titre de l'indemnité de préavis,
- débouté M. X du surplus de sa demande,
- condamné la SAS Méditerranéenne de Tourisme à payer à M. X la somme de 2 000 sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- ordonné l'exécution provisoire à charge pour M. X de produire une caution d'un établissement bancaire notoirement solvable,
- condamné la SAS Méditerranéenne de Tourisme aux dépens.
Pour statuer ainsi qu'il l'a fait, le tribunal a considéré que les courriels produits par la SMT n'étaient pas suffisants pour prouver le défaut de visite de M. X aux agences de voyage revendeuses des produits de la société en 2013, alors que celui-ci démontre qu'il s'était rendu dans plusieurs des agences du Sud-Ouest en 2012 et 2013.
Par ailleurs, le tribunal a considéré que, bien que M. X n'ait pas transmis ses comptes-rendus sous forme de tableau sur le modèle qui lui avait été envoyé, la société ne l'a pas pour autant relancé à ce sujet et qu'il n'est pas démontré que la SMT n'a pas été informée par un autre moyen de l'activité de M. X.
Enfin, le tribunal a considéré que le mail de mai 2013, adressé par la directrice commerciale de la marque à M. X et faisant état d'une baisse de chiffre d'affaires sur sa région, concerne seulement le mois de mai 2013 et ne peut être considéré comme une mise en demeure de progresser sous peine de caractériser une défaillance fautive, les chiffres de M. X n'étant pas en baisse avant cette date.
Ainsi, le tribunal a considéré que la SMT ne rapportait pas la preuve d'une carence fautive dans les visites ou la réalisation du chiffre d'affaires de M. X.
La SMT a relevé appel de ce jugement par déclaration du 5 avril 2018.
Par courrier du 18 mai 2018, le greffe de la cour d'appel de Bordeaux proposait aux parties une mesure de médiation.
Les parties, invitées à participer à une réunion sur la médiation le 19 juin 2018, ont indiqué ne pas souhaiter y avoir recours.
Par conclusions du 4 octobre 2018, la SMT demande à la cour de :
- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il l'a condamnée à payer à M. X la somme de 38 400 au titre de l'indemnité compensatrice, 4 800 au titre de l'indemnité de préavis et 2 000 sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté M. X du surplus de sa demande.
Et statuant à nouveau :
A TITRE PRINCIPAL
- juger que M. X n'a pas respecté les obligations essentielles de son contrat,
- juger que les faits qui lui sont reprochés sont constitutifs d'une faute grave et légitime entièrement la rupture qui est intervenue,
- juger que la faute grave est privative de toute indemnité,
- débouter M. X de l'ensemble de ses demandes,
- condamner M. X à payer à l'appelante 2 000 au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi que les entiers dépens de l'instance,
A TITRE SUBSIDIAIRE
- condamner la SMT à verser à M. X la somme de 500 à titre d'indemnité de fin de contrat en application de l'article L.134-12 du code de commerce.
Par conclusions du 26 septembre 2018, M. X demande à la cour de :
- confirmer le jugement en ce qu'il a condamné la SMT à lui payer les sommes de 38 400 au titre de l'indemnité compensatrice, outre 4 800 au titre de l'indemnité de préavis, 2 000 sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et les dépens de première instance.
Y ajoutant :
- condamner la SMT au paiement d'une indemnité de 5 000 sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens d'appel.
L'affaire fixée au 21 janvier 2020 a été renvoyée à la demande des conseils des parties à l'audience collégiale du 12 janvier 2021.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Selon les dispositions des articles L. 134-11 à L. 134-13 du code de commerce, les indemnités de rupture et de préavis auxquelles peut prétendre l'agent commercial ne lui sont pas dues si la rupture est provoquée par sa faute grave qui doit être prouvée par son mandant.
La SMT a invoqué trois griefs à l'appui de la lettre de résiliation adressée à M. X le 30 septembre 2013 :
- des résultats de moins en moins performants malgré une présence depuis deux ans avec une baisse de chiffre d'affaires sur sa région alors que la société est en croissance au niveau national,
- l'absence de mise en place pour 2013 de rencontres et autres actions commerciales avec les agences revendeuses pour leur présenter les produits de la société, contrairement aux représentants des autres régions,
- l'absence de compte-rendu de son action commerciale depuis des mois, laissant la société dans une obscurité totale sur l'emploi du temps de son agent.
S'agissant du premier grief, les pièces soumises à la cour et les débats d'appel ne permettent pas de remettre en cause la pertinente analyse du premier juge quant aux résultats comparés de M. X par rapport aux agents des autres régions de France dont il ne résulte pas une baisse significative du chiffre d'affaires réalisé pour la région Sud-Ouest, en dehors de quelques périodes de l'année 2013, les tableaux de vente d'août 2012 à août 2013 (pièce 10 de la SMT) révélant au total une notable progression des résultats annuels de la région passés de 628 472 à 875 489.
Au surplus le seul constat d'un non-respect des objectifs commerciaux n'est pas constitutif d'une faute grave, en dehors de manquements délibérés de l'agent commercial à l'origine de cette situation et il est constant qu'aucun objectif chiffré n'est produit pour la région confiée à l'intimé qui fait remarquer, sans être démenti par la SMT, que les produits Climats du Monde n'étaient pas implantés dans la région Sud-Ouest avant son intervention.
Pour ce qui concerne le second grief relatif au défaut de visite et d'actions commerciales à destination des agences revendeuses des produits de la SMT, il n'est pas versé en appel d'éléments nouveaux par rapport aux attestations soumises par les parties au premier juge qui en a exactement déduit que la preuve des carences imputées à M. X de ce chef n'était pas rapportée.
En revanche, s'agissant du troisième grief relatif à l'absence de compte-rendus d'activité, c'est à tort que le tribunal l'a rejeté en estimant qu'aucune relance n'avait été faite sur ce point pendant l'exécution du contrat et que la SMT ne démontrait pas qu'elle n'avait pas été informée sur l'activité de son agent par d'autres moyens.
En effet, dès lors qu'il n'est pas justifié de l'envoi des compte-rendus hebdomadaires par M. X qui ne conteste pas avoir reçu le 2 août 2011 un modèle à adresser chaque semaine à la direction commerciale de la société, c'est à M. X qu'il appartient de justifier de l'information éventuelle de la société par un autre moyen et non à la SMT à laquelle il ne peut être demandé la preuve négative du contraire, impossible à rapporter.
Par ailleurs, aux termes de l'article 6.2 du contrat d'agent commercial relatif aux conditions d'exercice du mandat, M. X, jouissant en sa qualité d'agent commercial, de la plus grande indépendance dans l'organisation de son activité et la détermination de ses méthodes de travail, s'obligeait à informer régulièrement son mandant de l'état du marché, des souhaits de la clientèle, des difficultés rencontrées et des actions de la concurrence.
Il est clair que cette information hebdomadaire, rappelée par le courriel du 2 août 2011 accompagné du modèle à utiliser, constitue pour la société mandante une obligation essentielle qui est la contrepartie de l'indépendance reconnue à l'agent commercial et qui conditionne le bon exercice du mandat.
En ce sens, le courriel adressé le 27 mai 2013 à M. X par la directrice commerciale de la SMT pour lui signifier que ses chiffres n'étaient pas bons et pour lui demander notamment de lister les mini-réseaux intégrables dans la région et au moins sa stratégie pour les prochains mois, doit être considéré comme un rappel de son obligation d'information sur l'état du marché.
Le non-respect de cette obligation par M. X depuis le 23 avril 2012, date du seul rapport de visite adressé à la SMT par l'intimé en plus de deux ans d'activité, constitue ainsi une faute grave privant l'agent commercial de son indemnité compensatrice et de préavis à la suite de la résiliation du contrat.
Le jugement sera en conséquence infirmé et l'ensemble des demandes de M. X rejetées.
Il sera alloué à l'appelante une indemnité de 1 500 au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
LA COUR
Infirme le jugement entrepris et, statuant à nouveau ;
Déboute M. X de l'ensemble de ses demandes;
Condamne M. X à payer à la SAS Méditerranéenne de Tourisme une indemnité de 1 500 au titre de l'article 700 du code de procédure civile;
Condamne M. X aux entiers dépens.