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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 3 mars 2021, n° 20/17467

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Cometik (SARL)

Défendeur :

DGCCRF, Parfip France (Sasu), Addict Concierge (Sté), Atelier de Zazi Fleurs (Sté), Locam (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Dallery

Conseillers :

M. Gilles, Mme Depelley

Avocats :

Me Flauraud, Me Delfly, Me Passelac, Me Mery

T. com. Lille, du 10 nov. 2015

10 novembre 2015

FAITS ET PROCÉDURE

La société Cometik proposait à des clients professionnels de créer, pour leur entreprise, un site Internet et de le mettre à leur disposition pour une durée de quarante-huit mois, tacitement renouvelable pour un an, en leur faisant signer un contrat dit d'abonnement de sites Internet et un contrat de licence d'exploitation, lequel était ensuite cédé à un loueur financier, la société Parfip France (la société Parfip) ou la société Locam-location automobiles matériels (la société Locam), qui devenait alors créancier des sommes dues périodiquement par le client.

Plusieurs clients ayant dénoncé les pratiques commerciales de la société Cometik, le ministre de l'Economie l'a, le 18 novembre 2011, assignée pour violation de l'article L. 442-6, I, 2°, du code de commerce, à l'effet d'obtenir la cessation des pratiques incriminées, l'annulation des clauses contractuelles qui, par leur articulation, étaient de nature à créer un déséquilibre significatif au détriment des clients et le paiement d'une amende civile.

Parallèlement, deux actions privées ont été engagées.

Par jugement en date du 25 juin 2013, le tribunal de commerce de Lille Métropole a rejeté l'exception d'incompétence soulevée par la société Locam.

Par arrêt du 7 octobre 2014, la cour d'appel de Paris, rejetant le contredit, a confirmé la compétence du tribunal de commerce de Lille Métropole.

Par jugement du 10 novembre 2015, le tribunal de commerce de Lille a notamment :

In limine litis,

Dit que le ministre de l'Economie dispose d'un intérêt à agir, qu'il était valablement représenté,

Débouté les sociétés Cometik, Parfip et Locam de leurs exceptions d'incompétence et d'irrecevabilité,

Sur le fond,

Dit que les relations entre les sociétés Cometik, Parfip et Locam avec leurs clients ne sont pas des relations de partenariat,

Dit que l'article L. 442-6 du code de commerce ne s'applique pas à la présente instance,

Dit que l'action du ministre est mal fondée,

Débouté le ministre de l'Economie de toutes ses demandes à l'encontre des sociétés Cometik, Locam et Parfip,

Par arrêt du 27 septembre 2017, la cour d'appel de Paris a confirmé le jugement entrepris, s'agissant de l'action du ministre de l'Economie.

Par arrêt du 15 janvier 2020, la Cour de cassation a cassé et annulé, mais seulement en ce qu'il rejette les demandes du ministre de l'Economie dirigées contre les sociétés Cometik et Parfip, sur le fondement de l'article L. 442-6, I, 2°, du code de commerce, dans sa rédaction applicable à la cause, et en ce qu'il confirme le jugement rendu le 10 novembre 2015, qui a condamné le ministre de l'Economie aux dépens et au paiement d'une certaine somme aux sociétés Cometik et Parfip en application de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 27 septembre 2017, entre les parties, par la cour d'appel de Paris.

Le 28 mai 2020, le minsitre de l'Economie des finances et de la relance a saisi la cour d'appel désignée cour de renvoi.

Par des conclusions, déposées et notifiées le 30 novembre 2020 sous le RG 20/06627 et le 17 décembre 2020 sous le RG 20/17567, signifiées le 18 décembre 2020 à la société Atelier de Zazi Fleurs et à Mme A, le 21 décembre 2020 à la société Addict Concierge représentée par son liquidateur, le 23 décembre 2020 à M. B, le 24 décembre 2020 ) M. C et M. D, le 31 décembre 2020 à Mme A, la société Cometik a saisi la cour, au visa de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, de l'article 34 de la constitution du 4 octobre 1958, de l'article 23-2 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, dans sa rédaction résultant de la loi organique du 10 décembre 2009, et vu les dispositions de l'article 126-1 à 126-12 du code de procédure civile , d'une demande de transmission à la Cour de cassation aux fins de renvoi ultérieur au Conseil constitutionnel, de la question prioritaire de constitutionnalité suivante:

« L'article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019 suivant lequel engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers : « De soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties », responsabilité pouvant être assortie, conformément à l'article L. 442-6, III du même code et à la demande du ministre de l'Economie, du prononcé d'une amende civile « dont le montant ne peut être supérieur à 5 millions d'euros », est-il contraire au principe de légalité des délits et des peines découlant de l'article 8 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du citoyen de 1789 ainsi qu'au principe de clarté de la loi découlant de l'article 34 de la Constitution, dès lors qu'il ne définit pas en des termes suffisamment clairs et précis la notion de « partenaire commercial »

Par des conclusions déposées et notifiées le 5 janvier 2021, signifiées au ministre les 7 et 8 janvier 2021, à M. D le 11 janvier 2021, à Mme E le 8 janvier 2021, à M. C le 7 janvier 2021, à M. B le 8 janvier 2021, à Mme A le 8 janvier 2021, à la société Atelier de Zazi Fleurs le 14 janvier 2021 et à la société Addict Concierge prise en la personne de son liquidateur le 6 janvier 2021, la société Parfip France a demandé la transmission à la Cour de cassation de la question prioritaire de constitutionnalité telle que formulée par la société Cometik aux termes de ses conclusions signifiées et déposées le 30 novembre 2020 et encore le 17 décembre 2020.

Par des écritures déposées à l'audience le 20 janvier 2021, dont la société Cometik a accusé réception le 18 janvier 2021, le ministre de l'Economie des Finances et de la relance a demandé à la cour d'appel de Paris de rejeter la question prioritaire de constitutionnalité, tardive et dilatoire, visant l'article L. 442-6, I 2° du code de commerce et de dire n'y avoir lieu à renvoi de cette question prioritaire de constitutionnalité.

Par des écritures déposées et notifiées le 13 janvier 2021, le ministère public a indiqué être d'avis que les moyens tirés de l'atteinte aux principes et libertés garantis par l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ainsi que l'article 34 de la Constitution, par l'article L. 442-6, I 2) du code de commerce, soient jugés comme étant dépourvus de sérieux et a invité la Cour de dire n'y avoir lieu à transmission de cette question prioritaire de constitutionnalité à la Cour de cassation déposée par la société Cometik.

SUR CE LA COUR

Selon l'article 61-1 de la Constitution du 4 octobre 1958, introduit par la loi constitutionnelle n° 2008-724 du 23 juillet 2008, « lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'État où de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé. Une loi organique détermine les conditions d'application du présent article. »

En application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, « devant les juridictions relevant du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation, le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est, à peine d'irrecevabilité, présenté dans un écrit distinct et motivé. Devant une juridiction relevant de la Cour de cassation, lorsque le ministère public n'est pas partie à l'instance, l'affaire lui est communiquée dès que le moyen est soulevé afin qu'il puisse faire connaître son avis. »

En application de l'article 23-2, « la juridiction statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'Etat ou à la Cour de cassation. Il est procédé à cette transmission si les conditions suivantes sont remplies :

1° La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ;

2° Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances ;

3° La question n'est pas dépourvue de caractère sérieux. »

Sur la présentation de la question prioritaire de constitutionnalité dans un écrit distinct et motivé

Cette condition ne fait pas l'objet de discussion et la Cour constate que la question prioritaire de constitutionnalité (QPC) a bien fait l'objet d'un écrit dictinct et motivé de la société Cometik.

Le ministre oppose le caractère manifestement dilatoire et tardif de cette QPC déposée 48 heures avant la date des plaidoiries alors qu'aucune condition de délai n'est posée à cet égard, étant observé, que la QPC doit notamment présenter un caractère sérieux, ce qui sera examinée ultérieurement.

Sur l'applicabilité de la disposition contestée au litige ou à la procédure ou constituant le fondement des poursuites

Le ministre soutient que ce critère d'applicabilité de la disposition contestée au litige n'est pas rempli dès lors que la QPC ne porte pas sur le point objet du litige et en l'espèce sur la notion de « partenariat commercial » au sens de l'article L. 442-6, I 2° du code de commerce dans sa version applicable à la cause. Elle en veut pour preuve l'arrêt du 15 janvier 2020 de la Cour de cassation relativement à la notion de « partenariat commercial » alors que le litige porte sur l'illicéité des pratiques mises en oeuvre par les sociétés Cometik et Parfip et sur la possibilité qui lui est conférée d'agir en justice pour faire cesser ces pratiques.

Cependant, la cour observe que l'article L. 442-6, I 2° du code de commerce dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019 constitue le fondement des poursuites engagées par le ministre à l'encontre notamment de la société Cometik de sorte qu'il ne fait aucun doute que la condition posée par l'article 23-2 alinéa 1er de l'ordonnance précitée du 7 novembre 1958 est remplie.

Sur le caractère nouveau de la question prioritaire de constitutionnalité

Le ministre soutient que le Conseil constitutionnel s'est déjà prononcé à deux reprises sur la conformité à la constitution de l'article L. 442-6, I 2° dans sa rédaction applicable à l'espèce : décision n° 2010-85 QPC du 13 janvier 2011 et décision n° 2018-749 QPC du 30 novembre 2018 et que les circonstances nouvelles de droit, condition nécessaire pour justifier un nouvel examen de ce texte par la Conseil constitutionnel, font défaut.

Cependant, ainsi que le fait notamment valoir la société Cometik, par arrêt du 15 janvier 2020, la Cour de cassation s'est prononcée sur la notion de « partenaire commercial » au sens de l'article L. 442-6, I 2° du code de commerce dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019 de sorte qu'un changement des circonstances est intervenu depuis la dernière décision du Conseil constitutionnel.

Il convient en conséquence de constater que la condition posée par l'article 23-2 alinéa 2 de l'ordonnance précitée du 7 novembre 1958 est remplie.

Sur le caractère sérieux de la question

Au soutien du caractère sérieux de la question prioritaire de constitutionnalité qu'elle soulève, la société Cometik fait valoir que le principe de légalité des délits et des peines, en ce qu'il s'applique aux amendes civiles, concerne le texte en cause.

Elle poursuit en soutenant que le respect de ce principe commande que :

- le texte instaurant la peine détaille avec précision le champ d'application ratione personae de la pratique prohibée,

- le degré de précision de la pratique prohibée et des auteurs susceptibles de la commettre soit proportionné à la gravité de la peine encourue,

- la marge d'appréciation laissée à l'autorité en charge de mettre en oeuvre la sanction prévue par le texte ne soit pas trop importante.

Elle ajoute que la clarté de la loi est un principe constitutionnel qui découle de l'article 34 de la Constitution.et impose au législateur une obligation de résultat.

Elle reproche ainsi au législateur de n'avoir pas défini de manière claire et précise le champ d'application du texte en cause en se référant au « partenaire commercial » pour déterminer les relations concernées par les sanctions en matière de pratiques anticoncurrentielles. Elle en déduit que la notion fuyante de partenariat commercial peut, selon l'appréciation qui en est faite par les autorités chargées de l'apprécier, conduire à gonfler ou à réduire le champ d'application des pratiques anticoncurrentielles soumises à de lourdes peines punitives.

Cependant, si le législateur a recouru à la notion de partenaire commercial pour déterminer la victime d'un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties, au sens de l'article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019, cette notion est déjà utilisée notamment en matière de pratiques anticoncurrentielles par les articles 101 et 102 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) ainsi que par l'article L. 420-2 du code de commerce. Et, il ne peut se déduire de la définition donnée par la Cour de cassation dans son arrêt du 15 décembre 2020 selon laquelle le partenaire commercial est la partie avec laquelle l'autre partie s'engage, ou s'apprête à s'engager dans une relation commerciale, que le texte méconnaîtrait le principe de légalité des délits et des peines découlant de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 alors qu'eu égard à la nature pécuniaire de la sanction et à la complexité des pratiques que le législateur a souhaité prévenir et réprimer, l'incrimination est définie en des termes suffisamment clairs et précis pour ne pas méconnaître le principe de légalité des délits. De la même manière, il ne peut être retenu que le principe de clarté de la loi découlant de l'article 34 de la Constitution du 4 octobre 1958 serait méconnu, alors que la notion de partenaire commercial est suffisamment claire et précise pour permettre au juge de se prononcer sans encourir la critique d'arbitraire.

Dès lors la condition du caractère sérieux de la question prioritaire de constitutionnalité invoquée par la société Cometik fait défaut.

Il y a donc lieu de rejeter les demandes de transmission de cette question prioritaire de constitutionnalité à la Cour de cassation.

PAR CES MOTIFS :

Déclare recevable la question prioritaire de constitutionnalité déposée par la société Cometik ;

Dit n'y avoir lieu à transmission de la question prioritaire de constitutionnalité déposée par la société Cometik à la Cour de cassation ;

Dit que les dépens de cette instance seront supportés par la société Cometik.