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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 3 mars 2021, n° 19/07547

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

ABNL Prod (SASU)

Défendeur :

Business FM (SAS), Nextinteractive (Sasu)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Dallery

Conseillers :

M. Gilles, Mme Depelley

Avocats :

Me Etevenard, Me Garcia, Me Le Floch

T. com. Paris, du 25 févr. 2019

25 février 2019

FAITS ET PROCEDURE

La société ABNL PROD (ci-après « la société ABNL ») a pour activité la production du secteur des médias, dont le seul dirigeant et actionnaire est M. X.

La société Business FM (ci-après « la société BFM ») exploite la station de radio d'informations économiques et financières en continu intitulée BFM BUSINESS.

La société NextInteractive exploite le site internet bfm.tv.com.

Les sociétés BFM et Nextinteractive ont diffusé, durant deux saisons radiophoniques entre janvier 2015 et juillet 2017, sur l'antenne de la radio BFM Business, et sur le site internet bfmbusiness.bfmtv.com, une émission hebdomadaire animée par M. X.

M. X a été en relation commerciale avec les sociétés BFM et Nextintercative de janvier 2015 à juillet 2016.

Les sociétés ABNL PROD, BFM Business et Nextinteractive ont été en relation commerciale de septembre 2016 à juillet 2017.

Ces prestations ont été formalisées par un premier contrat signé le 21 janvier 2016 entre les sociétés intimées et M. X, pour la saison 2015/ 2016. Un second contrat a été signé le 26 juin 2017 entre les sociétés intimées et ABNL PROD pour la saison 2016/2017.

Par courriel du 7 juillet 2017, les sociétés BFM et Nextinteractive confirmaient à M. X la non-reconduction de l'émission de radio, qui n'avait pas atteint les objectifs commerciaux escomptés.

La société ABNL PROD considérant que cette rupture de la relation commerciale comme brutale et que les clauses du contrat du 26 juin 2017 créaient un déséquilibre significatif entre les parties, a assigné par acte du 19 janvier 2018, les sociétés BFM et Nextinteractive devant le tribunal de commerce de Paris.

Par jugement du 25 février 2019, le tribunal de commerce de Paris a :

- débouté la société ABNL PROD de toutes ses demandes,

- condamné la société ABNL PROD à payer à la société BFM et à la société Nextinteractive la somme de 1 000 euros chacune au titre de l'article 700 du code de procédure civile

- débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,

- condamné la société ABNL PROD aux entiers dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 100,59 euros dont 16,55 euros de TVA

Le 8 avril 2019, la société ABNL PROD a interjeté appel de ce jugement devant la cour d'appel de Paris.

Aux termes de ses dernières conclusions, notifiées et déposées le 11 février 2020, la société ABNL PRDO demande à la Cour, au visa de l'article L.442-6 du code de commerce, de :

Infirmer le jugement rendu le 25 février 2019 par le tribunal de commerce de Paris en ce qu'il a :

- Débouté la société ABNL PROD de toutes ses demandes,

- Condamné la société ABNL PROD à payer à la société BFM et à la société NEXTINTERACTIVE la somme de 1 000 euros chacune au titre de l'article 700 du CPC,

- Condamné la société ABNL PROD aux entiers dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 100,59 dont 16,55 de TVA

Et statuant à nouveau,

Dire et juger que la société BUSINESS FM et la société NEXTINTERACTIVE ont brutalement rompu les relations commerciales établies avec la société ABNL PROD ;

En conséquence,

Condamner solidairement la société BUSINESS FM et la société NEXTINTERACTIVE à payer à la société ABNL PROD la somme de 45 000 à titre de dommages et intérêts, outre intérêts au taux légal ;

Dire et juger que la cession des droits de propriété intellectuelle et de personnalités de l'animateur, sans contrepartie financière, crée un déséquilibre significatif des droits et obligations entre d'une part la société ABNL PROD et d'autre part, les sociétés BUSINESS FM et NEXTINTERACTIVE ;

En conséquence,

Dire et juger que les clauses du contrat régularisé le 26 juin 2017 créant un déséquilibre significatif sont nulles ;

Condamner solidairement la société BUSINESS FM et la société NEXTINTERACTIVE à payer à la société ABNL PROD la somme de 50.000 à titre de dommages et intérêts, outre intérêts au taux légal ;

En tout état de cause,

Condamner solidairement la société BUSINESS FM et la société NEXTINTERACTIVE à payer à la société ABNL PROD la somme de 10.000 au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Condamner solidairement les mêmes aux entiers dépens ;

Aux termes de leurs dernières conclusions notifiées et déposées le 20 novembre 2020, les sociétés BFM et Nextinteractive demandent à la Cour, au visa des articles 442-6-I. 2° et 5° du code de commerce dans leur rédaction en vigueur avant l'ordonnance n°2019-359 du 24 avril 2019, de :

Débouter ABNL PROD de toutes ses demandes, fins et conclusions ;

En conséquence,

Confirmer en toutes ses dispositions le jugement du Tribunal de commerce de Paris du 25 février 2019 ;

Confirmer ABNL PROD à verser à BUSINESS FM et NEXTINTERACTIVE la somme de 5 000 (cinq mille euros) chacune sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Condamner ABNL PROD aux entiers dépens.

La Cour renvoie à la décision entreprise et aux conclusions susvisées pour un exposé détaillé du litige et des prétentions des parties, conformément à l'article 455 du code de procédure civile.

SUR CE, LA COUR

Sur la demande fondée sur la rupture brutale des relations commerciales

La société ABNL PROD fait valoir que les relations commerciales étaient établies avec les sociétés BFM Business et Nextinteractive, puisque ABNL Prod a réalisé plus de 80 émissions faisant l'objet de plus de 320 diffusions sur près de trois saisons radiophoniques/audiovisuelles. Ainsi, le nombre conséquent de diffusions sur près de trois saisons, la multiplicité des événements et leur diversité quant à leur nature, ainsi que les projets d'émissions en cours confirment l'existence nécessaire de relations établies entre les parties. Elle précise qu'elle n'a jamais accepté les objectifs de la clause d'apporteur d'affaires qui étaient tout bonnement irréalisables et que ledit le contrat a été régularisé fin juin 2017, de sorte que la société ABNL PROD n'a eu connaissance de l'existence d'une clause d'apporteur d'affaires qu'à ce moment.

Elle soutient ensuite que les deux contrats régularisés correspondaient à une poursuite d'une même relation commerciale pendant 30 mois qui a été brutalement rompue par l'envoi d'un simple mail du 7 juillet 2017, dans lequel les sociétés intimées se contentent de constater que la règle de la rentabilité maximale est effectivement difficile à atteindre, et concluant par la phrase « Bonne route à toi ». Elle ajoute que les attitudes des sociétés BFM et Nextinteractive démontrent que la société ABNL PROD pouvait légitimement croire en la continuité de leurs relations commerciales, quelques jours auparavant, lors de la signature du contrat de prestations de la saison passée, la société BFM avait laissé entendre à M. X la prorogation de leurs relations, afin de l'inciter à signer, mais également car les parties échangeaient sur des projet de nouvelles émissions.

La société ABNL PROD fait valoir qu'elle se trouvait dans une situation de dépendance économique la plus totale avec les sociétés intimées, et qu'elle avait été créée à l'origine uniquement pour les besoins de la réalisation et la production des émissions pour les sociétés intimées. Elle soutient que la rupture abusive des relations commerciales sans préavis raisonnable lui a causé une perte de chance de retrouver une chaîne pour diffuser son émission, qu'elle n'était pas en mesure de rebondir suite à la rupture mais qu'il aura fallu attendre qu'une année avant qu'elle ne puisse enfin produire de nouvelles émissions pour d'autres chaînes. La société appelante estime avoir subi un préjudice de 45 000 euros, l'équivalent du chiffre d'affaires moyen réalisé par elle sur une année.

Les sociétés BFM et Nextinteractive soutiennent que leur relation commerciale avec ABNL production n'a duré que 11 mois et non pas 30 mois comme retenu par le tribunal de commerce, et que le contrat du 26 juin 2017 n'est en aucun cas la poursuite du contrat de prestations de services signé le 21 janvier 2016 avec Monsieur X Elles contestent l'existence d'une relation commerciale établie. Elles font valoir que leur relation commerciale avec ABNL PROD ne présentait aucune continuité, aucune intensité dans l'importance et l'évolution de son chiffre d'affaires, s'agissant d'une relation commerciale nouée pour un seul programme, une seule saison radiophonique d'une durée déterminée de 11 mois dont au surplus la reconduction pour une 3ème saison était conditionnée à la réalisation par ABNL PROD d'un objectif financier qu'elle avait pleinement accepté. De même, aucune stabilité de la relation commerciale ne peut être déduite des deux projets de programmes avancés par ABNL PROD et ce d'autant plus que BFM n'y a pas donné suite. Elles ajoutent qu'il n'y avait pas de courant d'affaires continu avec la société ABNL PROD et que leur relation commerciale avec cette société était précaire puisqu'elle avait été pleinement informée, sans aucune ambiguïté, du caractère conditionnel de la reconduction de leur relation commerciale dès le début de la 2e saison, et qu'elles le lui ont rappelé par courriel du 16 février 2017, et que la société ABNL PROD l'a confirmé dans ses courriels des 16 avril 2017 et 6 juin 2017. Les sociétés intimées ajoutent que dans son courriel du 7 juillet 2017, ABNL PROD leur a confirmé qu'elle n'avait pas réussi à atteindre l'objectif financier, démontrant ainsi le caractère conditionnel de la reconduction de l'émission.

Sur ce,

L'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce dans sa version antérieure à l'ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019 applicable au litige, dispose qu'engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels.

Les parties s'opposent quant au caractère établi de leur relation.

La relation commerciale, pour être établie au sens des dispositions susvisées, doit présenter un caractère suivi, stable et habituel. Le critère de la stabilité s'entend de la stabilité prévisible, de sorte que la victime de la rupture devait pouvoir raisonnablement anticiper pour l'avenir une certaine continuité du flux d'affaires avec son partenaire commercial.

Comme l'a relevé le tribunal, les parties étaient en relations commerciales depuis septembre 2016 et qu'auparavant BFM avait entretenu des relations commerciales pendant 18 mois (du 1er janvier 2015 au 31 juillet 2016) avec M. X, auto-entrepreneur, selon un contrat de prestations de services du 21 janvier 2016. Ce dernier étant seul associé et dirigeant de la société ABNL PROD et l'objet des deux contrats étant identique, le tribunal en a justement déduit que la relation commerciale entre les parties avait duré 30 mois. Cette relation commerciale portait cependant essentiellement sur un programme hebdomadaire, l'émission "A but non lucratif" rémunéré 550HT par émission.

Pour les deux saisons radiophoniques, il a été conclu des contrats de prestation de service pour une durée déterminée. A l'article 9 de ces contrats intitulé « durée » il est précisé : « Il est expressément convenu que Business FM et Nextinteractive bénéficieront d'une option prioritaire et à titre exclusif pour proroger la durée du présent Contrat pour une durée supplémentaire à discuter entre les parties ».

Le contrat signé avec la société ABNL PROD le 26 juin 2017 prévoyait en plus à l'article 8 intitulé « apporteur d'affaires », les modalités de rémunération en cas d'apport d'affaires par le partenaire. Dès la fin de l'année 2016, la société ABNL PROD a facturé une prestation d'apport d'affaire pour un montant de 19 440 euros TTC (pièce n° 3).

Il ressort des échanges de courriels entre les parties produits aux débats par les sociétés intimées (pièces n° 2 à 5) que dès le début de l'année 2017, la reconduction du programme avait été subordonnée à un objectif chiffré d'apport d'affaires en achat d'espace, ce dont la société ABNL PROD avait été clairement avertie, mais qu'elle n'a finalement pas pu atteindre.

Il ressort de l'ensemble de ces éléments, que la relation commerciale nouée entre les parties sur deux saisons radiophoniques était précaire. Comme l'a justement retenu le tribunal, les circonstances ne permettaient pas à la société ABNL PROD de raisonnablement anticiper pour l'avenir une certaine continuité du flux d'affaires avec les sociétés intimées.

En l'absence de relation commerciale établie, il ne peut être fait application des dispositions de l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce dans sa version antérieure à l'ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019. En conséquence, la société ABNL PROD sera déboutée de sa demande de dommages-intérêts à ce titre et le jugement confirmé sur ce point.

Sur la demande fondée sur le déséquilibre significatif

La société ABNL PROD soutient que le contrat du 26 juin 2017 signé entre BFM, Nextinteractive et ABNL PROD fait apparaître un déséquilibre significatif dans les obligations entre les parties. Elle affirme que le contrat contient une clause prévoyant la cession de l'ensemble des droits de propriété intellectuelle s'agissant de l'émission créée et présentée par M. X, ainsi que les droits de personnalités de celui-ci. Elle précise que cette cession des droits de propriété intellectuelle était dépourvue de toute contrepartie financière, puisque la rémunération de 550 HT par émission ne correspond pas à la cession des droits de propriété intellectuelle mais bien à la création, production et présentation des émissions. Dès lors, l'absence de contrepartie financière prévue à la cession des droits de propriété intellectuelle et de la personnalité de l'animateur prévue dans ce contrat entre dans la définition du déséquilibre significatif sanctionné par l'article L. 442-6 I-2° du Code de commerce.

Elle réclame la somme de 50 000 au titre de la cession des droits de propriété intellectuelle et de personnalité de l'animateur, et demande la nullité des clauses du contrat régularisé le 26 juin 2017 objet de ce déséquilibre.

Les sociétés intimées soutiennent qu'aux termes de l'article 4 du contrat du 26 juin 2017, ABNL PROD ne cède en aucun cas à Business FM et Nextinteractive les droits de propriété intellectuelle qui seraient attachés au format de l'émission. Les sociétés intimées précisent que la cession des droits de la personnalité de l'animateur stipulée à l'article 5 du contrat ne soumet pas davantage ABNL PROD à un quelconque déséquilibre significatif, puisque seuls les droits de la personnalité nécessaire à la diffusion et la promotion de l'émission sont cédés (image, voix), et que cette cession est légitime. Elles ajoutent que l'article 7 du contrat précise « en contrepartie de la bonne exécution par le prestataire des prestations objet du présent contrat et de la cession des droits prévue à l'article 4, BUSINESS FM s'engage à verser au prestataire la somme de 550 HT par émission », qu'ainsi la rémunération est donc prévue pour la prestation et la cession des droits. Selon elles, la société ABNL PROD ne démontre en aucun cas avoir subi un quelconque préjudice personnel à hauteur de la somme de 50 000.

Sur ce,

La demande de la société ABNL PROD est fondée sur les dispositions de l'article L. 442-6, I, 2° du code de commerce.

Aux termes de l'article L. 442-6, I, 2° du code de commerce, dans sa version antérieure à l'ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019 applicable au litige : « Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers : [...] 2° De soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties ».

Les deux éléments constitutifs de cette pratique restrictive de concurrence sont, en premier lieu, la soumission ou la tentative de soumission et, en second lieu, l'existence d'obligations créant un déséquilibre significatif.

Concernant la soumission ou de la tentative de soumission, cette condition implique de démontrer l'absence de négociation effective des clauses incriminées ou l'usage de menaces ou de mesures de rétorsion visant à forcer l'acceptation.

Or force est de constater qu'à l'appui de sa demande, la société ABNL PROD n'apporte aucun élément de démonstration que la clause contestée a été imposée par les sociétés intimées dans le cadre des négociations des contrats de prestation de service.

Dans ces conditions la preuve de la soumission ou tentative de soumission n'étant pas rapportée ni même alléguée, de sorte qu'au regard de ce seul motif, il y a lieu de rejeter la demande de la société ABNL PROD. Le jugement sera confirmé sur ce point.

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile

Le jugement doit être confirmé en ce qu'il a condamné la société ABNL PROD aux dépens de première instance et au paiement de sommes au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

La société ABNL PROD, partie perdante, sera condamnée aux dépens d'appel.

En application de l'article 700 du code de procédure civile en appel, la société ABNL PROD sera déboutée de sa demande et condamnée à payer aux sociétés BUSSINESS FM et NextInteractive la somme de 2 500 euros chacune.

PAR CES MOTIFS

Confirme le jugement en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

Condamne la société ABNL PROD aux dépens d'appel,

Condamne la société ABNL PROD à payer aux sociétés BUSSINESS FM et NextInteractive la somme de 2 500 euros chacune au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Rejette toute autre demande.