CJUE, 8e ch., 10 mars 2021, n° C-708/19
COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Von Aschenbach & Voss GmbH
Défendeur :
Hauptzollamt Duisburg
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
N. Wahl (rapporteur)
Juges :
F. Biltgen, L. S. Rossi
Avocat général :
G. Pitruzzella
Avocats :
T. Lieber, G. Albenzio
LA COUR (huitième chambre)
1 La demande de décision préjudicielle porte sur la validité de l’article 1er, paragraphe 1, du règlement d’exécution (UE) 2017/271 de la Commission, du 16 février 2017, portant extension du droit antidumping définitif institué par le règlement (CE) no 925/2009 du Conseil sur les importations de certaines feuilles d’aluminium originaires de la République populaire de Chine aux importations de certaines feuilles d’aluminium légèrement modifiées (JO 2017, L 40, p. 51) (ci-après le « règlement litigieux »).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Von Aschenbach & Voss GmbH (ci-après « VA&V ») au Hauptzollamt Duisburg (bureau principal des douanes de Duisbourg, Allemagne) au sujet du paiement de droits antidumping acquittés au titre de l’importation de certaines feuilles d’aluminium en provenance de Chine.
Le cadre juridique
Le règlement de base
3 Les dispositions régissant l’adoption de mesures antidumping par l’Union européenne, en vigueur lors de l’adoption du règlement litigieux, figurent dans le règlement (UE) 2016/1036 du Parlement européen et du Conseil, du 8 juin 2016, relatif à la défense contre les importations qui font l’objet d’un dumping de la part de pays non membres de l’Union européenne (JO 2016, L 176, p. 21) (ci-après le « règlement de base »).
4 L’article 1er du règlement de base, intitulé « Principes », dispose, à son paragraphe 4 :
« Aux fins de l’application du présent règlement, on entend par “produit similaire” un produit identique, c’est-à-dire semblable à tous égards au produit considéré, ou, en l’absence d’un tel produit, un autre produit qui, bien qu’il ne lui soit pas semblable à tous égards, présente des caractéristiques ressemblant étroitement à celles du produit considéré. »
5 L’article 13 de ce règlement, intitulé « Contournement », est libellé comme suit :
« 1. Les droits antidumping institués en vertu du présent règlement peuvent être étendus aux importations en provenance de pays tiers de produits similaires, légèrement modifiés ou non, ainsi qu’aux importations de produits similaires légèrement modifiés en provenance du pays soumis aux mesures ou de parties de ces produits, lorsque les mesures en vigueur sont contournées.
En cas de contournement des mesures en vigueur, des droits antidumping n’excédant pas le droit résiduel institué conformément à l’article 9, paragraphe 5, peuvent être étendus aux importations en provenance de sociétés bénéficiant d’un droit individuel dans les pays soumis aux mesures.
Le contournement se définit comme une modification de la configuration du commerce entre les pays tiers et l’Union ou entre des sociétés du pays soumis aux mesures et l’Union, découlant de pratiques, d’opérations ou d’ouvraisons pour lesquelles il n’existe pas de motivation suffisante ou de justification économique autre que l’imposition du droit, en présence d’éléments attestant qu’il y a préjudice ou que les effets correctifs du droit sont compromis en termes de prix et/ou de quantités de produits similaires et d’éléments de preuve, si nécessaire fondés sur les dispositions de l’article 2, de l’existence d’un dumping en liaison avec les valeurs normales précédemment établies pour les produits similaires.
Les pratiques, opérations ou ouvraisons visées au troisième alinéa englobent, entre autres :
a) les légères modifications apportées au produit concerné afin qu’il relève de codes douaniers qui ne sont normalement pas soumis aux mesures, pour autant que ces modifications ne changent rien à ses caractéristiques essentielles ;
(...)
3. Une enquête est ouverte, en vertu du présent article, à l’initiative de la Commission ou à la demande d’un État membre ou de toute partie intéressée, sur la base d’éléments de preuve suffisants relatifs aux facteurs énumérés au paragraphe 1. L’enquête est ouverte par un règlement de la Commission qui peut également enjoindre aux autorités douanières de rendre l’enregistrement des importations obligatoire conformément à l’article 14, paragraphe 5, ou d’exiger des garanties. La Commission fournit des informations aux États membres lorsqu’une partie intéressée ou un État membre a présenté une demande justifiant l’ouverture d’une enquête et que la Commission a terminé l’examen de celle-ci, ou lorsque la Commission a elle-même déterminé qu’il était nécessaire d’ouvrir une enquête.
Les enquêtes sont effectuées par la Commission. La Commission peut être assistée par les autorités douanières et l’enquête est menée à terme dans les neuf mois.
Lorsque les faits définitivement établis justifient la prorogation des mesures, celle-ci est décidée par la Commission, statuant conformément à la procédure d’examen visée à l’article 15, paragraphe 3. L’extension prend effet à compter de la date à laquelle l’enregistrement a été rendu obligatoire conformément à l’article 14, paragraphe 5, ou à laquelle les garanties ont été exigées. Les dispositions de procédure correspondantes du présent règlement concernant l’ouverture et la conduite des enquêtes s’appliquent dans le cadre du présent article.
4. Les importations ne sont pas soumises à enregistrement conformément à l’article 14, paragraphe 5, ou ne font pas l’objet de mesures si elles sont effectuées par des sociétés bénéficiant d’exemptions.
Les demandes d’exemption, dûment étayées par des éléments de preuve, sont présentées dans les délais fixés par le règlement de la Commission portant ouverture de l’enquête.
Lorsque les pratiques, opérations ou ouvraisons constituant un contournement interviennent en dehors de l’Union, des exemptions peuvent être accordées aux producteurs du produit concerné à même de démontrer qu’ils ne sont pas liés à un producteur soumis aux mesures et dont il a été constaté qu’ils ne s’adonnent pas à des pratiques de contournement telles que définies aux paragraphes 1 et 2 du présent article.
Lorsque les pratiques, opérations ou ouvraisons constituant un contournement interviennent dans l’Union, des exemptions peuvent être accordées aux importateurs à même de démontrer qu’ils ne sont pas liés à des producteurs soumis aux mesures.
Ces exemptions sont accordées par une décision de la Commission et restent applicables pendant la période et dans les conditions qui y sont mentionnées. La Commission fournit des informations aux États membres lorsqu’elle a conclu son examen.
Pour autant que les conditions fixées à l’article 11, paragraphe 4, soient réunies, les exemptions peuvent aussi être accordées après la conclusion de l’enquête ayant abouti à la prorogation des mesures.
(...)
5. Aucune disposition du présent article ne fait obstacle à l’application normale des dispositions en vigueur en matière de droits de douane. »
Les règlements antidumping relatifs aux importations de certaines feuilles d’aluminium et le règlement litigieux
6 À la suite d’une enquête initiale, le Conseil de l’Union européenne a adopté, le 24 septembre 2009, le règlement (CE) no 925/2009, instituant un droit antidumping définitif et portant perception définitive du droit provisoire institué sur les importations de certaines feuilles d’aluminium originaires de l’Arménie, du Brésil et de la République populaire de Chine (JO 2009, L 262, p. 1) (ci-après le « règlement initial »). Les mesures ont pris la forme d’un droit ad valorem établi, notamment sur les importations en provenance de Chine, à 30 % pour toutes les sociétés, à l’exception de quatre sociétés mentionnées à l’article 1er, paragraphe 2, du règlement initial.
7 Étaient concernées par ces mesures les feuilles et les bandes minces en aluminium, d’une épaisseur non inférieure à 0,008 mm et non supérieure à 0,018 mm, sans support, simplement laminées, présentées en rouleaux d’une largeur ne dépassant pas 650 mm et d’un poids supérieur à 10 kilogrammes, relevant du code NC ex 7607 11 19 (code TARIC 7607 11 19 10), communément appelé le « papier d’aluminium à usage domestique ».
8 À la suite d’un réexamen, en raison de leur expiration, des mesures instituées par le règlement initial, la Commission a, par le règlement d’exécution (UE) 2015/2384, du 17 décembre 2015, instituant un droit antidumping définitif sur les importations de certaines feuilles d’aluminium originaires de la République populaire de Chine et clôturant la procédure concernant les importations de certaines feuilles d’aluminium originaires du Brésil à la suite d’un réexamen au titre de l’expiration des mesures en vertu de l’article 11, paragraphe 2, du règlement (CE) no 1225/2009 du Conseil (JO 2015, L 332, p. 63), décidé de prolonger les mesures antidumping applicables aux importations de papier d’aluminium à usage domestique originaires de Chine (ci-après les « mesures existantes »).
9 Saisie d’une demande, la Commission a adopté le règlement d’exécution (UE) 2016/865, du 31 mai 2016, portant ouverture d’une enquête sur un éventuel contournement des mesures antidumping instituées par le règlement d’exécution 2015/2384 sur les importations de certaines feuilles d’aluminium originaires de la République populaire de Chine par des importations de certaines feuilles d’aluminium légèrement modifiées originaires de ce même pays, et soumettant ces importations à enregistrement (JO 2016, L 144, p. 35). L’enquête en cause concernait, plus précisément, quatre types de feuilles d’aluminium, exposées au point 16 du présent arrêt, possédant les mêmes caractéristiques essentielles que le papier d’aluminium à usage domestique auquel les mesures existantes s’appliquaient. Les trois premiers types relevaient du même code NC que le produit concerné, contrairement au quatrième type, mais présentaient tous des codes TARIC différents.
10 Au terme de cette enquête, la Commission a adopté, le 16 février 2017, le règlement litigieux, par lequel elle a, en substance, étendu les mesures existantes aux importations de ces feuilles d’aluminium légèrement modifiées originaires de Chine, à l’exception des produits importés pour d’autres utilisations que celle de papier d’aluminium à usage domestique.
11 Sous l’intitulé « Enquête », les considérants 10, 15, 16, 18 et 20 du règlement litigieux énoncent :
« (10) La Commission a dûment informé de l’ouverture de l’enquête les autorités de la [République populaire de Chine], les producteurs-exportateurs et les négociants de ce pays, les importateurs de l’Union notoirement concernés ainsi que l’industrie de l’Union.
[...]
(15) Les producteurs-exportateurs ci-après ont soumis des réponses complètes aux questionnaires et des visites de vérification ont ensuite été effectuées dans leurs locaux :
– groupe Dingsheng Aluminium
– [...]
(16) Les cinq importateurs indépendants de l’Union ci-après ont soumis des réponses complètes aux questionnaires :
– [...]
– [VA&V],
– [...]
[...]
(18) Des visites de vérification ont été effectuées dans les locaux des importateurs indépendants suivants :
– [...]
– [VA&V].
[...]
(20) Des auditions se sont tenues entre la Commission et le demandeur, et entre la Commission et les sociétés suivantes : [...] et [VA&V]. »
12 Sous l’intitulé « Existence de pratiques de contournement », les considérants 44 à 47 du règlement litigieux sont libellés comme suit :
« (44) Les activités des producteurs-exportateurs ayant coopéré ont été analysées. Cette analyse a confirmé l’existence des quatre pratiques de contournement.
(45) Des courriels des producteurs-exportateurs chinois informant des clients de la manière dont les mesures actuelles pouvaient être contournées témoignaient des quatre pratiques de contournement. Les différents éléments de preuve contenaient également des informations selon lesquelles ces pratiques avaient été en réalité mises en place par certains importateurs/utilisateurs de l’Union.
(46) La Commission a également trouvé des éléments de preuve à l’appui lors de vérifications menées auprès d’un des producteurs chinois ayant coopéré, à savoir le groupe Dingsheng Aluminium. [...]
(47) En outre, pendant la même période, le groupe Dingsheng Aluminium a vendu à l’Union du papier d’aluminium à usage domestique en rouleaux de largeur supérieure à 650 mm. Ces rouleaux ont été ensuite découpés dans l’Union en plus petits rouleaux. Lors des vérifications menées auprès d’un des importateurs ayant coopéré, la Commission a constaté que ledit importateur, à savoir la société [VA&V], découpait dans l’Union des rouleaux plus larges en rouleaux destinés à la consommation. »
13 Sous l’intitulé « Conclusion », les considérants 57 à 59 du règlement litigieux disposent :
« (57) Sur la base des constatations ci-dessus, la Commission a conclu que les droits sur les importations du produit concerné, tel que défini dans l’enquête initiale [à savoir les feuilles d’aluminium d’une épaisseur non inférieure à 0,008 mm ni supérieure à 0,018 mm, sans support, simplement laminées, présentées en rouleaux d’une largeur ne dépassant pas 650 mm et d’un poids supérieur à 10 kilogrammes], ont été contournés par des importations du produit concerné légèrement modifié originaire de [Chine].
(58) L’enquête a également révélé qu’une modification était intervenue dans la configuration des échanges entre la [République populaire de Chine] et l’Union, et qu’il n’existait pas de motivation suffisante ou de justification économique pour cette modification autre que l’imposition du droit.
(59) La Commission a également constaté que ces importations étaient à l’origine d’un préjudice et que les effets correctifs du droit étaient compromis sur le plan du prix et/ou des quantités du produit similaire. Des preuves du dumping par rapport à la valeur normale précédemment établie pour le produit similaire ont été également établies. »
14 Sous l’intitulé « Demande d’exemption introduite par des importateurs indépendants », les considérants 81 à 86 du règlement litigieux prévoient :
« (81) Lorsque les pratiques de contournement ont lieu dans l’Union, l’article 13, paragraphe 4, du règlement de base permet aux importateurs d’être exemptés des droits étendus s’ils sont à même de démontrer qu’ils ne sont pas liés à des producteurs soumis aux mesures.
(82) Sur cette base, cinq demandes d’exemption émanant d’importateurs indépendants ont été reçues et examinées. Une des sociétés, [...], a par la suite cessé de coopérer.
(83) La Commission a constaté que si, dans certains cas, la phase de finition (le découpage des feuilles en plus petits rouleaux) se déroule dans l’Union, la légère modification du produit concerné proprement dite intervient en dehors de l’Union, à savoir en Chine. Compte tenu de ce qui précède, la Commission a considéré que les importateurs indépendants pourraient ne pas obtenir d’exemptions.
(84) Trois des quatre sociétés ayant coopéré se sont révélées être de véritables importateurs revendant le produit soumis à l’enquête sans transformation. Ces sociétés ne peuvent donc être exemptées des droits étendus au titre de l’article 13, paragraphe 4, du règlement de base. Seule une d’entre elles, à savoir la société [VA&V], importe de [Chine] le produit soumis à l’enquête sous la forme de papier d’aluminium à usage domestique en rouleaux dépassant 650 mm avant de procéder à sa transformation. La feuille est découpée avant d’être vendue aux clients de la société (les enrouleurs).
(85) Avant l’institution des mesures existantes, la société [VA&V] importait dans l’Union le produit concerné, si bien qu’une modification manifeste de la configuration a été constatée. Les conclusions de la Commission ne corroborent pas le point de vue de la société quant à l’existence d’une motivation suffisante ou d’une justification économique autre que l’institution des droits. Par conséquent, même si la Commission devait accepter que la pratique de contournement se produisait dans l’Union, une exemption ne pourrait être accordée à cette société.
(86) Il a dès lors été conclu qu’aucun des importateurs indépendants ne pouvait bénéficier d’une exemption au titre de l’article 13, paragraphe 4, du règlement de base. »
15 Dans ces conditions, la Commission a conclu, au considérant 89 du règlement litigieux, qu’il y avait « lieu d’étendre les mesures antidumping existantes applicables aux importations du produit concerné originaire de [Chine] aux importations du produit soumis à l’enquête originaire de la [République populaire de Chine] ».
16 Aux termes de l’article 1er, paragraphes 1 et 4, du règlement litigieux :
« 1. Le droit antidumping définitif applicable à “toutes les autres sociétés” institué par l’article 1er, paragraphe 2, du règlement (CE) no 925/2009 sur les importations de certaines feuilles d’aluminium originaires de [Chine] est étendu par le présent règlement aux importations dans l’Union des produits suivants :
– feuilles d’aluminium d’une épaisseur non inférieure à 0,007 mm et inférieure à 0,008 mm, quelle que soit la largeur des rouleaux, recuites ou non, relevant actuellement du code NC ex 7607 11 19 (code TARIC 7607 11 19 30), ou
– feuilles d’aluminium d’une épaisseur non inférieure à 0,008 mm, ni supérieure à 0,018 mm, présentées dans des rouleaux d’une largeur dépassant 650 mm, recuites ou non, relevant actuellement du code NC ex 7607 11 19 (code TARIC 7607 11 19 40), ou
– feuilles d’aluminium d’une épaisseur supérieure à 0,018 mm et inférieure à 0,021 mm, quelle que soit la largeur des rouleaux, recuites ou non, relevant actuellement du code NC ex 7607 11 19 (code TARIC 7607 11 19 50), ou
– feuilles d’aluminium d’une épaisseur non inférieure à 0,021 mm ni supérieure à 0,045 mm, constituées d’au moins deux couches, quelle que soit la largeur des rouleaux, recuites ou non, relevant actuellement du code NC ex 7607 11 90 (code TARIC 7607 11 90 45 et 7607 11 90 80).
[...]
4. Le produit décrit au paragraphe 1 est exempté du droit antidumping étendu s’il est importé pour d’autres utilisations que celle de papier d’aluminium à usage domestique. Une telle exemption devrait être soumise aux conditions établies dans les dispositions douanières correspondantes de l’Union concernant le régime de la destination particulière, notamment l’article 254 du code douanier de l’Union. »
Le litige au principal et les questions préjudicielles
17 VA&V est une société indépendante, établie en Allemagne, qui, à la date des faits au principal, importait des feuilles d’aluminium de Chine.
18 Au cours de la période allant du 21 juillet au 15 septembre 2016, VA&V a déclaré, auprès du Zollamt Ruhrort (bureau des douanes de Ruhrort, Allemagne), six lots de feuilles d’aluminium originaires de Chine aux fins de leur mise en libre pratique. Ces importations ont été enregistrées auprès de ce bureau des douanes en tant que « rouleaux d’aluminium, laminés, d’une épaisseur non inférieure à 0,008 mm, ni supérieure à 0,018 mm, présentés en rouleaux d’une largeur supérieure à 650 mm ».
19 Le bureau des douanes de Ruhrort a accepté ces déclarations douanières et, par des avis portant fixation des droits et des taxes à l’importation, n’a fixé que les droits de douane et la taxe sur le chiffre d’affaires à l’importation.
20 Il ressort toutefois du dossier soumis à la Cour que VA&V, après avoir importé ces lots dans l’Union, a fait couper les rouleaux dans les largeurs utilisées pour le papier d’aluminium à usage domestique, à savoir une largeur n’excédant pas 650 mm, avant de les vendre à ses clients, des « enrouleurs ».
21 Aussi, par avis du 5 mai 2017, portant fixation des droits et des taxes à l’importation (ci-après l’« avis du 5 mai 2017 »), le bureau principal des douanes de Duisbourg a mis à la charge de VA&V un droit antidumping de 413 471 euros pour ces six lots, en application du règlement litigieux.
22 VA&V a introduit une réclamation contre cet avis, qui a été rejetée par décision du 2 février 2018.
23 En conséquence, VA&V a introduit un recours devant le Finanzgericht Düsseldorf (tribunal des finances de Düsseldorf, Allemagne), tendant à l’annulation de l’avis du 5 mai 2017 et, à titre subsidiaire, à ce qu’elle soit autorisée à former un pourvoi en Revision.
24 À l’appui de son recours, VA&V excipe de l’invalidité du règlement litigieux sur la base duquel cet avis a été adopté, en faisant valoir que ce règlement est contraire au règlement de base.
25 Le bureau principal des douanes de Duisbourg conclut, pour sa part, au rejet du recours en se référant aux motifs figurant dans la décision du 2 février 2018.
26 La juridiction de renvoi s’interroge sur la portée de l’article 1er, paragraphe 1, du règlement litigieux et son éventuelle contrariété à l’article 13, paragraphe 1, du règlement de base, en ce qu’il étend aux feuilles d’aluminium destinées à la transformation le droit antidumping institué, pour le papier d’aluminium à usage domestique, par le règlement d’exécution 2015/2384 et prévoit que les feuilles d’aluminium destinées à la transformation ne sont exemptées de droit antidumping que dans les conditions énoncées à l’article 1er, paragraphe 4, du règlement litigieux. À ce titre, elle relève, notamment, que les modalités entourant la mise en œuvre concrète de l’article 1er, paragraphe 4, du règlement litigieux auraient vocation à défavoriser l’importateur de feuilles d’aluminium destinées à la transformation.
27 En outre, la juridiction de renvoi se demande de quelle manière la Commission est parvenue au constat, insuffisamment motivé selon elle, selon lequel 80 % des produits examinés étaient des produits légèrement modifiés. Elle expose que, si ce taux a été établi de manière erronée, la Commission est susceptible d’avoir commis une erreur manifeste d’appréciation lorsqu’elle a apprécié la neutralisation des effets coercitifs du droit antidumping. L’article 1er, paragraphe 1, du règlement litigieux serait, par conséquent, invalide. À cet égard, elle relève que la Commission a fondé ses conclusions sur l’article 18, paragraphe 1, du règlement de base, en déduisant du volume total des exportations de Chine vers l’Union le volume de feuilles d’aluminium destinées à la transformation provenant des entreprises ayant coopéré. Cette juridiction expose que la Commission, en ayant constaté que 20 % des exportations provenant de Chine étaient constitués, en tout état de cause, de feuilles d’aluminium destinées à la transformation, aurait estimé, en ce qui concerne la quantité restante, qu’il s’agissait d’un produit légèrement modifié.
28 Enfin, ladite juridiction se demande si l’article 1er, paragraphe 1, du règlement litigieux est invalide en ce que la Commission aurait commis une erreur manifeste d’appréciation lors de l’adoption de ce règlement, au motif qu’elle n’aurait pas vérifié la destination particulière dans l’Union des feuilles d’aluminium importées. Selon cette même juridiction, les circonstances de l’affaire au principal n’aurait pas permis à la Commission, faute de disposer du temps nécessaire, de procéder à un tel examen.
29 La juridiction de renvoi considère, par ailleurs, que VA&V est directement concernée par le règlement litigieux.
30 C’est dans ces conditions que le Finanzgericht Düsseldorf (tribunal des finances de Düsseldorf) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
« 1) L’article 1er, paragraphe 1, du [règlement litigieux] est-il invalide pour contrariété à l’article 13, paragraphe 1, du [règlement de base], en ce qu’il étend également aux feuilles d’aluminium destinées à la transformation le droit antidumping institué, pour le papier d’aluminium à usage domestique, par le [règlement d’exécution 2015/2384] et prévoit que les feuilles d’aluminium destinées à la transformation ne sont exemptées de droit antidumping que dans les conditions énoncées à l’article 1er, paragraphe 4, du règlement [litigieux] ?
2) L’article 1er, paragraphe 1, du [règlement litigieux] est-il invalide pour erreur manifeste d’appréciation commise par la Commission lors de l’adoption de ce règlement, dès lors que l’hypothèse de celle-ci selon laquelle 80 % des produits examinés étaient des produits légèrement modifiés est insuffisamment motivée ?
3) L’article 1er, paragraphe 1, du [règlement litigieux] est-il invalide pour erreur manifeste d’appréciation commise par la Commission lors de l’adoption de ce règlement, dès lors que celle-ci n’a pas vérifié la destination particulière dans l’Union des feuilles d’aluminium importées ? »
Sur la recevabilité de la demande de décision préjudicielle
31 La Commission fait valoir, sur le fondement de l’arrêt du 9 mars 1994, TWD Textilwerke Deggendorf (C 188/92, EU:C:1994:90), que la présente demande de décision préjudicielle est irrecevable, au motif que VA&V n’a pas formé, en application de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, de recours en annulation contre le règlement litigieux devant le juge de l’Union.
32 À titre liminaire, il y a lieu de rappeler qu’il est de jurisprudence constante que le principe général qui garantit à tout justiciable le droit d’exciper, dans le cadre d’un recours formé contre une mesure nationale qui lui fait grief, de l’invalidité de l’acte de l’Union servant de fondement à cette mesure ne s’oppose pas à ce qu’un tel droit soit subordonné à la condition que l’intéressé n’ait pas disposé du droit d’en demander directement l’annulation au juge de l’Union, en vertu de l’article 263 TFUE. Toutefois, ce n’est que dans l’hypothèse où il peut être considéré qu’une personne aurait été, sans aucun doute, recevable à demander, dans le délai de deux mois prévu au sixième alinéa de cet article, l’annulation de l’acte en cause que cette personne ne peut exciper de l’invalidité de cet acte devant la juridiction nationale compétente (voir, notamment, arrêts du 4 février 2016, C & J Clark International et Puma, C 659/13 et C 34/14, EU:C:2016:74, point 56 ainsi que jurisprudence citée, et du 19 septembre 2019, Trace Sport, C 251/18, EU:C:2019:766, point 29).
33 Ce n’est donc que dans l’hypothèse où il pourrait être considéré que VA&V aurait eu, sans aucun doute, qualité pour agir en annulation du règlement litigieux, en vertu de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, qu’elle serait privée du droit d’exciper de l’invalidité de ce règlement devant la juridiction de renvoi.
34 S’agissant de la question de savoir si VA&V aurait manifestement pu introduire un recours au titre de l’article 263, quatrième alinéa, dernier membre de phrase, TFUE contre le règlement litigieux en ce qu’il constituait un acte réglementaire qui la concernait directement et qui ne comportait pas de mesures d’exécution au sens de cette disposition, il suffit de constater que c’est en vertu de l’avis du 5 mai 2017 que le paiement des droits antidumping étendus par le règlement litigieux lui a été imposé. Il s’ensuit qu’il ne saurait être considéré que ce règlement ne comporte manifestement pas de mesures d’exécution, au sens de ladite disposition (voir, notamment, arrêts du 18 octobre 2018, Rotho Blaas, C 207/17, EU:C:2018:840, points 38 et 39, ainsi que du 19 septembre 2019, Trace Sport, C 251/18, EU:C:2019:766, point 31).
35 Dès lors, ce n’est que dans l’éventualité où il pourrait être considéré qu’un importateur, tel que VA&V est, sans aucun doute, directement et individuellement concernée par le règlement litigieux, au sens de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, qu’il serait privé du droit d’exciper de l’invalidité de ce règlement devant les juridictions nationales.
36 Selon la jurisprudence de la Cour, les règlements qui instituent un droit antidumping ont un caractère normatif, en ce qu’ils s’appliquent à la généralité des opérateurs économiques intéressés (arrêts du 4 février 2016, C & J Clark International et Puma, C 659/13 et C 34/14, EU:C:2016:74, point 58 ainsi que jurisprudence citée, et du 19 septembre 2019, Trace Sport, C 251/18, EU:C:2019:766, point 33). Il en va de même, pour les mêmes motifs, d’un règlement, tel que le règlement litigieux, portant extension d’un droit antidumping en raison de pratiques de contournement. En effet, un tel règlement a pour objet d’étendre le champ d’un droit antidumping instauré par un règlement initial tel que le règlement initial (arrêt du 19 septembre 2019, Trace Sport, C 251/18, EU:C:2019:766, point 34).
37 Toutefois, il ressort de la jurisprudence de la Cour qu’un opérateur peut être concerné de manière directe et individuelle par un règlement instituant un droit antidumping (arrêts du 4 février 2016, C & J Clark International et Puma, C 659/13 et C 34/14, EU:C:2016:74, point 59, ainsi que du 19 septembre 2019, Trace Sport, C 251/18, EU:C:2019:766, point 35).
38 À cet égard, s’agissant, en premier lieu, de la question de savoir si VA&V était directement concernée par le règlement litigieux, il suffit de relever que ce règlement a affecté directement sa situation juridique, en ce qu’il a constitué le fondement juridique du droit antidumping institué à son égard.
39 Il s’ensuit que VA&V était directement concernée par le règlement litigieux.
40 S’agissant, en second lieu, de la question de savoir si VA&V était individuellement concernée par le règlement litigieux, il convient de rappeler que la Cour a identifié certaines catégories d’opérateurs économiques pouvant être concernés individuellement par un règlement instituant un droit antidumping, sans préjudice de la possibilité pour d’autres opérateurs d’être individuellement concernés en raison de certaines qualités qui leur sont particulières et qui les caractérisent par rapport à toute autre personne (arrêts du 4 février 2016, C & J Clark International et Puma, C 659/13 et C 34/14, EU:C:2016:74, point 59, ainsi que du 19 septembre 2019, Trace Sport, C 251/18, EU:C:2019:766, point 35).
41 Peuvent être individuellement concernés par un règlement instituant un droit antidumping, premièrement, ceux d’entre les producteurs et les exportateurs du produit en cause auxquels les pratiques de dumping ont été imputées, en utilisant des données relatives à leur activité commerciale, deuxièmement, les importateurs dudit produit dont les prix de revente ont été pris en compte pour la construction des prix à l’exportation et qui sont, dès lors, concernés par les constatations relatives à l’existence d’une pratique de dumping, et, troisièmement, les importateurs associés avec des exportateurs du produit en cause, notamment dans l’hypothèse où le prix à l’exportation a été calculé à partir des prix de revente sur le marché de l’Union pratiqués par ces importateurs et dans celle où le droit antidumping lui-même a été calculé en fonction de ces prix de revente (arrêts du 4 février 2016, C & J Clark International et Puma, C 659/13 et C 34/14, EU:C:2016:74, points 60 à 62 ainsi que jurisprudence citée, et du 19 septembre 2019, Trace Sport, C 251/18, EU:C:2019:766, point 36).
42 Dès lors, il convient de relever que la qualité d’importateur ne saurait suffire, à elle seule, pour considérer qu’un importateur est individuellement concerné par un règlement instituant un droit antidumping. En effet, un importateur, même associé aux exportateurs du produit en cause, n’est individuellement concerné que lorsqu’il peut rapporter la preuve que des données relatives à son activité commerciale ont été prises en compte aux fins de la constatation des pratiques de dumping ou, à défaut, qu’il présente d’autres qualités qui lui sont particulières et qui le caractérisent par rapport à toute autre personne (voir, notamment, arrêt du 19 septembre 2019, Trace Sport, C 251/18, EU:C:2019:766, point 37).
43 Partant, il ne saurait être exclu qu’un importateur du produit en cause puisse, en démontrant l’existence de certaines qualités qui lui sont particulières et qui le caractérisent par rapport à toute autre personne, être considéré comme étant individuellement concerné par un règlement portant extension d’un droit antidumping en raison de pratiques de contournement, tel que le règlement litigieux (arrêt du 19 septembre 2019, Trace Sport, C 251/18, EU:C:2019:766, point 38).
44 À ce titre, il y a lieu de relever que, comme il résulte notamment des considérants 16, 18 et 20 du règlement litigieux, VA&V a participé à l’enquête et que, ainsi que cela ressort des considérants 81 à 86 de ce règlement, la Commission a constaté qu’aucun des importateurs indépendants, tels que VA&V, ne pouvait bénéficier d’une exemption au titre de l’article 13, paragraphe 4, du règlement de base.
45 Ainsi, la Commission a constaté, d’une part, que VA&V importait de Chine le produit soumis à l’enquête sous la forme de papier d’aluminium à usage domestique avant de procéder à sa transformation et, d’autre part, que la configuration des échanges avait été modifiée, sans que VA&V ait avancé une motivation suffisante ou une justification économique autre que l’institution des droits.
46 Dans ce contexte, et contrairement à ce que soutient VA&V, le fait qu’aucune « décision », prise sous la forme d’un acte autonome, ne lui ait été communiquée n’est pas pertinent aux fin de déterminer s’il existait un acte attaquable, dans la mesure où il découle d’une jurisprudence constante que la forme dans laquelle un acte ou une décision sont pris est, en principe, sans incidence pour apprécier la recevabilité d’un recours en annulation contre cet acte ou cette décision. Il convient en effet de s’attacher à la substance même des actes attaqués ainsi qu’à l’intention de leurs auteurs pour qualifier ces actes. À cet égard, constituent en principe des actes attaquables les mesures qui fixent définitivement la position de la Commission au terme d’une procédure administrative et qui visent à produire des effets de droit obligatoires de nature à affecter les intérêts du requérant, à l’exclusion des mesures intermédiaires dont l’objectif est de préparer la décision finale. Il est donc, en principe, sans incidence sur la qualification de l’acte concerné que celui-ci satisfasse ou non certaines exigences formelles, à savoir s’il est dûment intitulé par son auteur, s’il est suffisamment motivé ou s’il mentionne les dispositions qui constituent sa base légale. Il est ainsi sans pertinence que cet acte ne soit pas désigné comme une « décision » (arrêt du 17 juillet 2008, Athinaïki Techniki/Commission, C 521/06 P, EU:C:2008:422, points 42 à 44 et jurisprudence citée).
47 Au vu de ce qui précède, il y a lieu de considérer que VA&V était individuellement concernée par le règlement litigieux et, partant, sans aucun doute recevable à en demander l’annulation.
48 En l’espèce, VA&V n’a pas formé de recours, dans le délai de deux mois prévu à l’article 263, sixième alinéa, TFUE, contre ce règlement, publié au Journal officiel de l’Union européenne le 17 février 2017.
49 Dès lors, dans la mesure où VA&V disposait sans aucun doute du droit d’introduire un recours en annulation, au sens de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, contre le règlement litigieux, mais qu’elle n’a pas exercé ce droit, elle ne saurait invoquer l’invalidité de ce règlement à l’appui du recours en annulation formé contre l’avis du 5 mai 2017.
50 Il s’ensuit que la demande de décision préjudicielle est irrecevable.
Sur les dépens
51 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (huitième chambre) dit pour droit :
La demande de décision préjudicielle introduite par le Finanzgericht Düsseldorf (tribunal des finances de Düsseldorf, Allemagne), par décision du 21 août 2019, est irrecevable.