Cass. com., 3 mars 2021, n° 18-13.419
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
Chevrolet Deutschland GmbH (Sté)
Défendeur :
CNPA
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Darbois
Rapporteur :
Mme Le Bras
Avocat général :
Mme Beaudonnet
Avocats :
SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh, SCP Spinosi et Sureau
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 15 novembre 2017), la société Chevrolet France (la société Chevrolet), aux droits de laquelle est venue la société Chevrolet Deutschland GmbH, filiale de la société General Motors Korea (GMK), membre du groupe General Motors, était l'importateur en France des véhicules neufs de la marque Chevrolet. Ceux-ci étaient vendus par un réseau de distributeurs indépendants qui assuraient également la vente de pièces de rechange ainsi que le service après-vente, en vertu de contrats de réparateurs agréés.
2. Le 5 décembre 2013, la société Chevrolet a informé l'ensemble des distributeurs de son réseau de la décision de la société GMK de cesser les ventes en Europe de l'ouest de véhicules neufs de la marque Chevrolet à partir du 1er janvier 2016.
3. La société Chevrolet a notifié, le 11 décembre 2013, à chacun de ses concessionnaires la résiliation de leurs contrats de distributeur au 31 décembre 2015, moyennant un préavis contractuel de vingt-quatre mois, en même temps qu'elle les informait d'un programme d'incitation à une résiliation volontaire anticipée.
4. Dans les jours qui ont suivi cette notification, la société Chevrolet a annoncé aux distributeurs un plan commercial et marketing pour l'année 2014 consistant en la vente rapide des stocks du réseau et de la société à l'échéance du mois de juin 2014 et en des opérations de marketing local. Informant dans le même temps ses distributeurs de sa décision de reporter au début de l'année 2014 la production des véhicules commandés mais non encore produits, elle les a incités à se rapprocher de leurs clients pour qu'ils annulent leurs commandes et fassent l'acquisition, à un prix plus attractif, de véhicules en stock, les avertissant que toute nouvelle commande de véhicules non encore produits ne pourrait être livrée que sous un délai de trois à quatre mois et ne pourrait bénéficier des mesures incitatives renforcées. Le mois suivant, la société Chevrolet leur a proposé un accord pour une cessation anticipée d'activité, comprenant, à titre de compensation financière, une indemnité de perte d'exploitation forfaitaire et dégressive dans le temps. Avant avril 2014, la société Chevrolet a obtenu la signature de quatre-vingt treize protocoles transactionnels ayant pour objet une cessation d'activité échelonnée entre mars et juin 2014.
5. La campagne de déstockage a pris fin dès le mois de mars 2014 et le volume des ventes s'est alors effondré. Sur les 2 037 commandes passées par le réseau de concessionnaires le 5 décembre 2013, 1 660 ont fait l'objet d'une annulation par le réseau.
6. Les relations entre les parties se sont dégradées, les distributeurs faisant grief à la société Chevrolet d'avoir lancé une campagne de liquidation des stocks qui a eu pour effet de compromettre la poursuite normale du préavis de résiliation jusqu'à son terme, d'avoir exercé des pressions pour les contraindre à quitter le réseau au plus vite et à renoncer à leur préavis, moyennant une compensation financière dégressive jugée dérisoire, et d'avoir ainsi commis des manquements dans l'exécution de ses obligations, ce qu'elle contestait. Invoquant l'attitude d'obstruction des distributeurs qui n'avaient pas encore opté pour une cessation anticipée d'activité, la société Chevrolet a notifié à chacun d'entre eux, le 16 octobre 2014, la résiliation du contrat de distribution pour l'activité de vente, en application de son article 21-6, avec effet au 31 octobre 2014, et fixé le terme de l'activité de services au 31 décembre 2015.
7. Ayant interpellé la société Chevrolet sur le caractère insuffisant des indemnisations proposées aux concessionnaires et lui reprochant d'avoir manqué de loyauté envers les membres de son réseau lors du retrait de la marque Chevrolet du marché automobile français, d'avoir cessé de manière unilatérale et brutale d'exécuter ses obligations contractuelles, et d'avoir ainsi porté atteinte à l'image et à la considération de la profession de concessionnaire automobile tout entière, et constaté la persistance de cette société dans les comportements dénoncés, le Conseil national des professions de l'automobile (CNPA) l'a assignée, le 9 avril 2014, en paiement de dommages-intérêts, demandant en outre la publication de la décision à intervenir.
Examen des moyens
Sur les premier et troisième moyens du pourvoi principal, ci-après annexés
8. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le deuxième moyen de ce pourvoi
Enoncé du moyen
9. La société Chevrolet Deutschland fait grief à l'arrêt de rejeter l'exception prise de l'irrecevabilité de l'action du CNPA pour défaut de qualité à agir, alors « que si les syndicats professionnels ont le droit d'agir en justice, c'est à la condition de se prévaloir d'une atteinte aux intérêts collectifs de la profession qu'ils représentent, si bien qu'en admettant la recevabilité du CNPA au vu de sa qualité de syndicat, sans rechercher, comme le relevait à juste titre la société Chevrolet Deutschland dans ses écritures d'appel, si la circonstance que la très grande majorité des distributeurs Chevrolet aient accepté de signer un protocole transactionnel avec l'importateur n'excluait pas de considérer que le CNPA avait agi dans l'intérêt collectif de la profession, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 2132-3 du code du travail, ensemble les articles 31 et 122 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
10. Après avoir relevé que l'action introduite par le CNPA visait la défense de l'intérêt de la profession de concessionnaires automobiles, donc la défense de l'intérêt collectif de la profession qu'il représente, c'est dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation que, par motifs propres et adoptés, la cour d'appel a retenu que la question de savoir si l'action de ce syndicat professionnel était justifiée début avril 2014, ou si elle le restait malgré le grand nombre de protocoles de sortie anticipée signés ensuite, n'était pas pertinente au regard de l'appréciation de la recevabilité de l'action.
11. Le moyen n'est donc pas fondé.
Et sur le moyen du pourvoi incident
12. Le CNPA fait grief à l'arrêt de confirmer le jugement en toutes ses dispositions et, partant, de rejeter ses demandes de dommages-intérêts et de publication du jugement, alors :
« 1°) que le non-respect systématique de délais de préavis destinés à protéger les investissements réalisés et à permettre aux concessionnaires d'un même réseau de disposer d'un délai de reconversion cause nécessairement un préjudice à l'intérêt collectif de la profession ; qu'en jugeant le contraire, la cour d'appel a violé l'article L. 2132-3 du code du travail ;
2°) qu'en se bornant à retenir, pour débouter le CNPA de sa demande de condamnation de la société Chevrolet France, que les agissements de cette dernière n'ont pas porté atteinte à l'ensemble de la profession en ce qu'ils ne constituent que des « affaires individuelles », sans rechercher, comme elle y était invitée, si ces agissements n'ont pas, compte tenu de leur caractère systématique, jeté le discrédit sur l'ensemble du réseau de concessionnaires, la cour d'appel a entaché sa décision d'un défaut de base légale au regard de l'article L. 2132-3 du code du travail ;
3°) qu'en se bornant à affirmer, pour débouter le CNPA de sa demande de condamnation de la société Chevrolet France, que les agissements de cette dernière n'ont pas porté atteinte à l'ensemble de la profession en ce qu'ils ne constituent que des « affaires individuelles », sans rechercher, comme elle y était invitée, si, en tant que principal syndicat des métiers de l'automobile, le CNPA n'avait pas agi afin de prévenir la réitération de pratiques similaires susceptibles de nuire aux intérêts collectifs de la profession, la cour d'appel a entaché sa décision d'un défaut de base légale au regard de l'article L. 2132-3 du code du travail ;
4°) qu'en se bornant à affirmer, pour débouter le CNPA de sa demande de condamnation de la société Chevrolet France, que les agissements de cette dernière n'ont pas porté atteinte à l'ensemble de la profession en ce qu'ils ne constituent que des « affaires individuelles », sans rechercher, comme elle y était invitée, si, avec 106 concessionnaires adhérents, soit plus de 80 % de la profession, le CNPA n'avait pas agi afin dans l'intérêt des intérêts collectifs du réseau de concessionnaires Chevrolet, en tant que syndicat de ce dernier, la cour d'appel a entaché sa décision d'un défaut de base légale au regard de l'article L. 2132-3 du code du travail. »
Réponse de la Cour
13. Sous le couvert des griefs non fondés de violation de la loi et de manque de base légale, le moyen ne tend qu'à remettre en cause l'appréciation souveraine par laquelle les juges du fond ont retenu que le CNPA ne rapportait pas la preuve que les fautes alléguées contre la société Chevrolet dans l'exécution du préavis de vingt-quatre mois avaient causé un préjudice moral ou d'image à la profession des concessionnaires dans son ensemble.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE les pourvois principal et incident.