CE, 3e ch. sect. du contentieux, 5 mars 2021, n° 433214
CONSEIL D'ÉTAT
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
Mondadori France
Défendeur :
Reworld Media
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Chantepy
Rapporteur :
M. Guesdon
Rapporteur public :
M. Cytermann
Avocats :
SCP Lyon-Caen, Thiriez, SCP Delvové et Trichet
Vu la procédure suivante :
Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 2 août et 31 octobre 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'État, le comité social et économique de l’unité économique et sociale (UES) Mondadori Magazines France élargie demande au Conseil d’État :
1°) d’annuler la décision de l’Autorité de la concurrence n° 19-DCC-141 du 24 juillet 2019 relative à la prise de contrôle exclusif de la société Mondadori France par la société Reworld Media ;
2°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 5 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Le comité social et économique requérant soutient :
- qu’il a intérêt à agir ;
- qu’en n’ayant pas mis les concurrents du groupe Mondadori et du groupe Reworld Media en mesure de présenter leurs observations sur l’opération de concentration faisant l’objet de la décision qu’il attaque, l’Autorité de la concurrence a méconnu le principe général des droits de la défense ;
- qu’en autorisant l’opération de concentration entre le groupe Mondadori et le groupe Reworld Media, alors que le jugement du tribunal de grande instance de Nanterre du 11 juillet 2019 imposait au groupe Mondadori de l’informer et de le consulter sur les orientations stratégiques de l’entreprise pour l’année 2019 avant toute saisine des autorités de la concurrence, la décision attaquée est entachée d’erreur de droit et a été prise au terme d’une procédure irrégulière ;
- qu’en autorisant l’opération de concentration entre le groupe Mondadori et le groupe Reworld Media, alors qu’il n’avait pas été consulté sur les orientations stratégiques du groupe Mondadori pour l’année 2019, la décision attaquée méconnait les articles L. 2312-15, L. 2312-17, L. 2312-20, L. 2312-22, L. 2312-24 et L. 2317-1 du code du travail.
Par un mémoire en défense et un nouveau mémoire, enregistrés les 18 septembre et 21 novembre 2019, l’Autorité de la concurrence conclut au rejet de la requête. Elle soutient que le comité social et économique de l’UES Mondadori Magazines France élargie n’a pas intérêt à demander l’annulation de la décision qu’il attaque et que les moyens qu’il soulève ne sont pas fondés.
Par deux mémoires en défense, enregistrés les 20 septembre 2019 et 26 février 2021, la société Reworld Media conclut au rejet de la requête et à ce qu’une somme de 5 000 euros soit mise à la charge du comité social et économique de l’UES Mondadori Magazines France élargie au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative. Elle soutient que les moyens soulevés par le comité social et économique de l’UES Mondadori Magazines France élargie ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu : - le code de commerce ; - le code du travail ; - le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Martin Guesdon, auditeur,
- les conclusions de M. Cytermann, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Lyon-Caen, Thiriez, avocat du comité social et économique de l'UES Mondadori Magazines France Elargie, et à la SCP Delvové et Trichet, avocat de la société Rewold Media ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier que le 18 février 2019, le groupe Reworld Media, qui exerce son activité dans les secteurs de l’édition de magazines papier, de l’exploitation de sites éditoriaux en ligne, de la vente d’espaces publicitaires sur ces supports et de l’intermédiation en matière de publicité en ligne, a présenté une offre de prise de contrôle exclusif de la société Mondadori France, qui exerce son activité essentiellement dans les secteurs de l’édition de magazines papier et de l’exploitation de sites éditoriaux en ligne. Par une décision n° 19-DCC-141 du 24 juillet 2019, l’Autorité de la concurrence a autorisé la prise de contrôle exclusif de la société Mondadori France par la société Reworld Media, sous réserve de la réalisation de l’engagement proposé par les parties notifiantes, consistant en la cession à l’un des concurrents du groupe Reworld Media de l’un de leurs magazines consacrés à l’automobile. Le comité social et économique de l’unité économique et sociale (UES) Mondadori Magazines France élargie demande l’annulation pour excès de pouvoir de cette décision.
Sur la recevabilité de la requête :
2. Aux termes de l’article L. 2312-8 du code du travail : « Le comité social et économique a pour mission d'assurer une expression collective des salariés permettant la prise en compte permanente de leurs intérêts dans les décisions relatives à la gestion et à l'évolution économique et financière de l'entreprise, à l'organisation du travail, à la formation professionnelle et aux techniques de production (…) ». Aux termes de l’article L. 430-1 du code de commerce : « I. - Une opération de concentration est réalisée : / (…) 2° Lorsqu'une ou plusieurs personnes, détenant déjà le contrôle d'une entreprise au moins ou lorsqu'une ou plusieurs entreprises acquièrent, directement ou indirectement, que ce soit par prise de participation au capital ou achat d'éléments d'actifs, contrat ou tout autre moyen, le contrôle de l'ensemble ou de parties d'une ou plusieurs autres entreprises (…) ».
3. Eu égard, d’une part, aux missions que les dispositions, citées au point 2 ci-dessus, de l’article L. 2312-8 du code du travail confient aux comités sociaux et économiques et, d’autre part, aux effets de la décision qui autorise la prise de contrôle exclusif de la société Mondadori France par la société Reworld Media, le comité social et économique requérant justifie, contrairement à ce que soutient l’Autorité de la concurrence, d’un intérêt lui donnant qualité pour demander l’annulation de la décision litigieuse.
Sur la légalité de la décision attaquée :
4. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier, d’une part, que la notification de l’opération de concentration a fait l’objet d’une publication sur le site internet de l’Autorité de la concurrence dans le délai prévu à l’article R. 430-4 du code de commerce et, d’autre part, que l’opération a fait l’objet de plusieurs tests de marché réalisés les 15 avril et 27 juin 2019 auprès des concurrents des parties à l’opération afin de recueillir leurs observations sur les effets de l’opération et de l’engagement proposé par la société Reworld Media. Ainsi, d’une part, le moyen tiré de ce que l’Autorité de la concurrence n’aurait pas permis aux tiers à l’opération de présenter leurs observations manque en fait. D’autre part, et en tout état de cause, il ne saurait être reproché à l’Autorité de la concurrence d’avoir méconnu les droits de la défense.
5. En deuxième lieu, aux termes, d’une part, de l’article L. 2312-8 du code du travail relatif aux attributions générales du comité social et économique dans les entreprises d’au moins cinquante salariés : « (…) Le comité social et économique (…) est informé et consulté sur les questions intéressant l'organisation, la gestion et la marche générale de l'entreprise, notamment sur : / 1° Les mesures de nature à affecter le volume ou la structure des effectifs ; / 2° La modification de son organisation économique ou juridique (…) ». Aux termes de l’article L. 2312-15 du même code : « Le comité social et économique émet des avis et des voeux xdans l'exercice de ses attributions consultatives (…) ». S’agissant des consultations et informations récurrentes du comité social et économique, l’article L. 2312-17 du même code dispose : « Le comité social et économique est consulté dans les conditions définies à la présente section sur : / 1° Les orientations stratégiques de l'entreprise (…) ». A ce titre, l’article L. 2312-24 du même code, applicable en l’absence d’accord prévu à l’article L. 2312-19, dispose que « Le comité social et économique est consulté sur les orientations stratégiques de l'entreprise, définies par l'organe chargé de l'administration ou de la surveillance de l'entreprise, et sur leurs conséquences sur l'activité, l'emploi, l'évolution des métiers et des compétences, l'organisation du travail (…). / Le comité émet un avis sur les orientations stratégiques de l'entreprise et peut proposer des orientations alternatives. Cet avis est transmis à l'organe chargé de l'administration ou de la surveillance de l'entreprise, qui formule une réponse argumentée (…) ». S’agissant des consultations et informations ponctuelles du comité social et économique, l’article L. 2312-41 du même code dispose : « Lorsqu'une entreprise est partie à une opération de concentration, telle que définie à l'article L. 430-1 du code de commerce, l'employeur réunit le comité social et économique au plus tard dans un délai de trois jours à compter de la publication du communiqué relatif à la notification du projet de concentration (…) ». Enfin, en vertu de l’article L. 2317-1 du code du travail, le fait d’apporter une entrave au fonctionnement régulier du comité social et économique est passible d’une amende de 7 500 euros.
6. Aux termes, d’autre part, de l’article L. 430-3 du code de commerce : « L'opération de concentration doit être notifiée à l'Autorité de la concurrence avant sa réalisation (…). / L'obligation de notification incombe aux personnes physiques ou morales qui acquièrent le contrôle de tout ou partie d'une entreprise ou, dans le cas d'une fusion ou de la création d'une entreprise commune, à toutes les parties concernées qui doivent alors notifier conjointement (…). / La réception de la notification d'une opération, ou le renvoi total ou partiel d'une opération relevant de la compétence de l'Union européenne, fait l'objet d'un communiqué publié par l'Autorité de la concurrence selon des modalités fixées par décret. ». Aux termes de l’article R. 430-2 du même code : « Le dossier de notification mentionné à l'article L. 430-3 comprend les éléments énumérés aux annexes 4-3 à 4-5 du présent livre (…). Lorsque l'Autorité de la concurrence constate que le dossier est incomplet ou que certains de ses éléments ne sont pas conformes aux définitions retenues dans les annexes susmentionnées, notamment en ce qui concerne la délimitation des marchés concernés, elle demande que le dossier soit complété ou rectifié. La notification complète fait l'objet d'un accusé de réception ».
7. Il ressort des pièces du dossier que par un jugement du 11 juillet 2019, le tribunal de grande instance de Nanterre a enjoint à la société Mondadori Magazines France et à la société Editions Mondadori Axel Springer d’ouvrir, sur le fondement des dispositions de l’article L. 2312-24 du code du travail, la consultation annuelle sur les orientations stratégiques pour 2019 de l’entreprise « avant toute remise valable d’un avis du comité social et économique sur le projet de cession et toute saisine régulière des autorités chargées de veiller à la concurrence, dans les huit jours du prononcé » du jugement. Le tribunal a, à défaut, assorti cette injonction d’une astreinte de 50 000 euros par jour de retard pendant un délai de trois mois. Toutefois, ce jugement n’ayant adressé d’injonction qu’aux sociétés composant l’UES Mondadori Magazines France élargie, qui n’étaient pas débitrices de l’obligation de notification mentionnée à l’article L. 430-3 du code de commerce, le moyen tiré de ce que l’Autorité de la concurrence aurait commis une erreur de droit et pris la décision attaquée à l’issue d’une procédure irrégulière en autorisant l’opération de concentration sans tenir compte de l’injonction prononcée par le tribunal de grande instance de Nanterre doit, en tout état de cause, être écarté.
8. En dernier lieu, d’une part, aucune disposition du code du travail ou du code de commerce n’impose à l’Autorité de la concurrence de s’assurer, préalablement à l’édiction de sa décision, que les dispositions relatives à l’information et à la consultation du comité social et économique ont été respectées par l’entreprise concernée. D’autre part, l’autorisation délivrée par l’Autorité de la concurrence ne saurait être regardée, contrairement à ce que soutient le comité social et économique, comme ayant nécessairement et par elle-même pour effet de conduire à une méconnaissance de ces dispositions, sanctionnée d’une amende en vertu de l’article L. 2317-1 du code du travail.
9. Il résulte de ce qui précède que le comité social et économique de l’UES Mondadori Magazines France élargie n’est pas fondé à demander l’annulation de la décision du 24 juillet 2019 de l’Autorité de la concurrence.
10. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu’une somme soit mise à ce titre à la charge de l’Autorité de la concurrence, qui n’est pas, dans la présente instance, la partie perdante. Il n’y a pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire droit à la demande que la société Reworld Media a présentée au même titre.
D E C I D E :
Article 1er : La requête du comité social et économique de l’UES Mondadori Magazines France élargie est rejetée.
Article 2 : Les conclusions présentées par la société Reworld Media au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : La présente décision sera notifiée au comité social et économique de l’unité économique et sociale Mondadori Magazines France élargie, à l’Autorité de la concurrence et à la société Reworld Media.