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Décisions

CE, juge des référés, 6 septembre 2019, n° 433217

CONSEIL D'ÉTAT

Ordonnance de référé

PARTIES

Demandeur :

Mondadori France

Défendeur :

Reworld Media

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Avocats :

SCP Lyon-Caen, Thiriez, SCP Delvolve Et Trichet

AdlC du 24 juill. 2019

24 juillet 2019

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 2 août et 30 août 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le comité social et économique de l'unité économique et sociale Mondadori Magazines France élargie demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :

1°) de suspendre l'exécution de la décision n° 19-DCC-141 du 24 juillet 2019 autorisant la prise de contrôle de la société Mondadori France par la société Reworld Media, sous réserve de la mise en oeuvre d'un engagement ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Le comité social et économique de l'unité économique et sociale Mondadori Magazines France élargie soutient que :

- la condition d'urgence est remplie dès lors que, d'une part, la décision contestée porte une atteinte grave et immédiate aux intérêts qu'il défend et que, d'autre part, la cession entraine la destruction d'emplois et l'application par les journalistes de leur « clause de cession » ;

- le litige conserve son objet, en raison d'une part de l'indivisibilité de l'autorisation de cession et de l'engagement pris par la société acheteuse et, en tout état de cause, en ce qu'il est dirigé contre l'engagement, notamment en tant que celui-ci n'a pas comporté, pour Reworld Media, l'obligation de garantir la consultation du comité social et économique de l'unité économique et sociale Mondadori Magazines France élargie ;

- la décision a été prise sans que les entreprises concurrentes aient été mises en mesure de présenter leurs observations ;

- elle a été prise sur une saisine qui est entachée d'irrégularité en raison de ce que, faute de consultation préalable du comité social et économique, d'une part, elle viole les dispositions du code du travail qui prescrivent la consultation du comité sur les orientations stratégiques de l'entreprise et sur les opérations d'acquisition et, d'autre part, elle méconnaît la chose jugée par le tribunal de grande instance de Nanterre le 11 juillet 2019.

Par trois mémoires en défense, enregistrés les 20 août (16h52 et 18h00) et 2 septembre 2019, la société Reworld Media conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 5 000 euros soit mise à la charge du requérant au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Elle soutient qu'elle est irrecevable, en raison de ce que le transfert de propriété des titres a été opéré dès le 31 juillet et qu'aucun des moyens soulevés n'est propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision attaquée.

Par un mémoire en défense, enregistré le 20 août 2019, l'Autorité de la concurrence conclut au rejet de la requête. Elle soutient qu'elle est irrecevable à raison de ce que le transfert de propriété a été opéré avant son introduction et que le requérant n'a, par ailleurs, pas d'intérêt pour agir. Elle soutient également qu'aucun des moyens soulevés n'est propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision attaquée.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code du travail ;

- le code de commerce ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, le comité social et économique de l'UES Mondadori Magazines et, d'autre part, la société Reworld Media et l'Autorité de la concurrence ;

Vu le procès-verbal de l'audience publique du 3 septembre 2019 à 9 heures au cours de laquelle ont été entendus :

- Me Lyon-Caen, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat du comité social et économique de l'UES Mondadori Magazines ;

- les représentants du comité social et économique de l'UES Mondadori Magazines ;

- Me Trichet, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de la Société Reworld Media ;

- les représentants de la société Reworld Media ;

- les représentants de l'Autorité de la concurrence ;

et à l'issue de laquelle le juge des référés a clos l'instruction.

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ". Le comité social et économique (CSE) de l'unité économique et sociale (UES) Mondadori Magazines France élargie demande au juge des référés du Conseil d'Etat de suspendre, sur le fondement de ces dispositions, l'exécution de la décision du 24 juillet 2019 par laquelle l'Autorité de la concurrence a autorisé la société Reworld Media à prendre le contrôle de la société Mondadori France, membre de cette UES, sous réserve d'un engagement de la société acquéreuse de céder, à l'un de ses concurrents, un titre de presse magazine automobile.

2. Il résulte de l'instruction, et n'est d'ailleurs pas contesté, que la prise de contrôle exclusif de la société Mondadori France a été réalisée le 31 juillet 2019, par le transfert de propriété des titres de cette société à la société Reworld Media. Dans ces conditions, la décision contestée étant, à la date d'enregistrement de la requête, le 2 août 2019, entièrement exécutée en tant qu'elle autorise l'opération de concentration, les conclusions de la requête sont irrecevables en tant qu'elle demande, dans cette mesure, la suspension de l'exécution de la décision contestée. Il y a lieu, en revanche, de statuer sur les conclusions de la requête tendant à la suspension de l'exécution de la même décision, en tant qu'elle impose à la société Reworld Media un engagement que le requérant estime insuffisant.

3. En premier lieu, il résulte de l'instruction et n'a d'ailleurs pas été contesté lors de l'audience publique que le moyen tiré de ce que l'Autorité de la concurrence aurait omis d'effectuer les mesures préalables de publicité, prévues par les dispositions de l'article L.430-3 du code de commerce, permettant aux tiers à l'opération de présenter leurs observations, manque en fait.

4. En deuxième lieu, ni les dispositions de l'article R. 430-2 du code de commerce ni aucun autre texte ou aucun principe n'impose à l'Autorité de la concurrence de statuer au vu des avis des instances représentatives du personnel qui seraient, le cas échéant, requis au sein des sociétés concernées par l'opération en application des dispositions des articles L. 2312-17, L. 2312-24 ou L. 2312-41 du code du travail. Par suite, le moyen tiré de ce que la décision litigieuse serait irrégulière, faute pour l'Autorité de la concurrence d'avoir statué après une consultation régulière des instances représentatives du personnel au sein de la société Mondadori France, n'est pas, en l'état de l'instruction, de nature à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée.

5. Enfin, le moyen tiré de ce que la décision contestée serait illégale au motif que la notification de l'opération par la société Reworld Media, seule débitrice de cette obligation en application des dispositions de l'article L.430-3 du code de commerce, aurait méconnu la chose jugée par le jugement du 11 juillet 2019 du tribunal de grande instance de Nanterre, lequel n'adresse, en tout état de cause, aucune injonction à cette société, n'est pas non plus, en l'état de l'instruction, de nature à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée.

6. Il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin, ni de statuer sur la fin de non-recevoir tirée du défaut d'intérêt pour agir du requérant, ni d'examiner l'urgence à suspendre la décision contestée, la requête du CSE de l'UES Mondadori Magazines France élargie doit être rejetée, y compris, par voie de conséquence, ses conclusions présentées au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative. Il n'a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du CSE de l'UES Mondadori Magazines France élargie la somme que demande, au même titre, la société Reworld Media.

O R D O N N E :

Article 1er : La requête du comité social et économique de l'unité économique et sociale Mondadori Magazines France élargie est rejetée.

Article 2 : Le surplus des conclusions de la société Reworld Media, présenté au titre des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative, est rejeté.

Article 3 : La présente décision sera notifiée au comité social et économique de l'unité économique et sociale Mondadori Magazines France élargie, à la société Reworld Media et à l'Autorité de la concurrence.

Copie en sera adressée au ministre de l'action et des comptes publics et à la société Mondadori France.