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Décisions

CA Grenoble, ch. com., 25 février 2021, n° 17/03604

GRENOBLE

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Ortho Ouest (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Conseiller :

M. Bruno

Avocats :

Me Kestenes-Psila, Me Tournade, Me Grimaud, Me Vargues

T. com. Romans-sur-Isère, du 17 mai 2017

17 mai 2017

EXPOSE DU LITIGE :

La société Ortho Ouest exploite une activité de distribution d'implants chirurgicaux et de matériel médical et chirurgical orthopédique, dont ceux de la société X depuis l'année 2000.

A l'issue de longues négociations, les sociétés Ortho Ouest et X ont formalisé, le 1er avril 2012, un contrat de distribution pour une durée de trois années renouvelable tacitement par périodes de deux ans et dont le terme était prévu pour le 1er avril 2017. Ce contrat portait sur les établissements hospitaliers privés dans les départements 22, 29, 35, 44, 53, 56, 85, 86 et 49.

Le 15 mai 2012 avec effet au 1er juin, les parties ont également signé un contrat de courtage d'une durée de trois ans renouvelables par accord écrit et par période de deux ans, portant d'une part sur les hôpitaux publics et privés des départements 37, 41, 72 et 79, d'autre part sur les établissements hospitaliers publics des départements concernés par le contrat de distribution.

En 2015, la société X a informé la société Ortho Ouest de son intention de mettre un terme à leur relation contractuelle, lui offrant une indemnité de 170 000 euros pour la résiliation du contrat de courtage.

Par courrier recommandé du 21 septembre 2015, la société X a formalisé la résiliation du contrat de courtage avec un préavis expirant le 18 mars 2016.

La société X est devenue la société Y après sa fusion par voie d'absorption par W le 30 novembre 2016.

Se prévalant de l'existence d'un contrat d'agent commercial et non de courtage, la société Ortho Ouest a fait assigner la société Y devant la juridiction commerciale pour obtenir indemnisation de la résiliation.

Par jugement du 17 mai 2017, le tribunal de commerce de Romans-sur-Isère a :

- débouté la société Ortho Ouest de sa demande de requalification du contrat de courtage en contrat d'agent commercial,

- débouté la société Ortho Ouest de l'intégralité de ses demandes en paiement,

- mis les dépens à la charge de la société Ortho Ouest.

Suivant déclaration au greffe du 17 juillet 2017, la société Ortho Ouest a relevé appel de cette décision.

Au terme de ses écritures récapitulatives notifiées le 24 juillet 2018, la société Ortho Ouest demande à la cour de :

- infirmer le jugement en l'ensemble de ces dispositions,

- à titre principal :

- dire et juger que le contrat conclu entre les sociétés X et Ortho Ouest est improprement qualifié par les parties,

- prononcer la requalification du contrat conclu entre les sociétés X et Ortho Ouest en contrat d'agent commercial,

- condamner la société Y venant aux droits de la Sas X à payer la somme de 235 118,46 euros au titre des commissions dues sur les contrats conclus grâce à son intervention avant la résiliation du contrat,

- condamner la société Y venant aux droits de la Sas X à payer à la société Ortho Ouest la somme de 342 168, 40 euros au titre de l'indemnité compensatrice prévue par l'article L134-12 du code de commerce,

- à titre subsidiaire :

- condamner la société Y venant aux droits de la Sas X à payer la somme de 235 118,46 euros au titre des commissions dues sur les contrats conclus grâce à son intervention avant la résiliation du contrat,

- en tout état de cause :

- condamner la société Y venant aux droits de la Sas X à payer la somme de 100 000 euros à titre de dommages intérêts complémentaires,

- condamner la société Y venant aux droits de la Sas X à payer la somme de 25 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la société Y venant aux droits de la Sas X aux entiers dépens de première instance et d'appel avec distraction au profit de la Scp MBC Avocats sur son affirmation de droit.

La société Ortho Ouest reproche au tribunal de s'en être tenu à la dénomination du contrat du 15 mai 2012 et soutient que ce dernier doit être requalifié en contrat d'agence commerciale, l'application du statut d'agent commercial ne dépendant pas de la volonté exprimée par les parties dans la convention, mais de ses conditions et modalités d'exécution.

Elle se fonde sur le contenu des négociations pré contractuelles, et notamment sur la proposition de contrat d'agence commerciale initialement proposée par X, pour faire valoir que telle était la commune intention des parties.

Elle considère en outre qu'à la demande de X, elle a été amenée dans l'exécution du contrat à agir en qualité de mandataire de X en :

- répondant à des appels d'offres des établissements hospitaliers de son secteur géographique en son nom et pour son compte,

- engageant des négociations avec les clients,

- effectuant les inventaires, la mise en place, la logistique des produits X chez les clients,

- assurant une assistance technique aux chirurgiens dans la mise en oeuvre des produits, ayant été formée à leur utilisation.

Elle ajoute que le fait pour la société X de considérer qu'à son terme, le contrat s'est poursuivi tacitement pour une durée indéterminée trahit, compte tenu des dispositions de l'article L. 134-11 du code de commerce, la véritable nature de la convention.

Elle revendique l'application des dispositions du statut de l'agent commercial pour obtenir paiement des commissions sur les ventes conclues grâce à son entremise avant la cessation de la convention ainsi qu'une indemnisation du préjudice que lui cause la résiliation.

Elle estime enfin ne pas avoir été remplie de ses droits à commission sur les ventes réalisées avant la cessation du contrat et reproche à la société X de l'avoir empêchée de formuler ses demandes en exécutant avec mauvaise foi les décisions lui enjoignant de produire des pièces comptables.

Par conclusions notifiées le 1er mars 2019, la société Y (X) entend voir :

- débouter la société Ortho Ouest de l'intégralité de ses demandes,

- confirmer le jugement en toutes ses dispositions,

- ordonner la jonction des deux procédures d'appel enregistrées sous les numéros de RG 17/03604 et 17/03753,

- condamner la société Ortho Ouest à payer à la société X la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la société Ortho Ouest aux entiers dépens, dont distraction au profit de Me Alexis Grimaud, avocat, conformément à l'article 699 du code de procédure civile.

La société X conteste avoir proposé à la société Ortho Ouest un contrat d'agent commercial, affirmant avoir dès l'origine, proposé que leurs relations contractuelles s'établissent dans le cadre d'un courtage ce qui était parfaitement clair entre les parties plusieurs mois avant la signature du contrat, et ce qu'elle a régulièrement rappelé à sa cocontractante par la suite.

Elle rappelle que la société Ortho Ouest était à la fois distributeur et courtier, que les éléments de correspondance mis en avant pour asseoir la requalification demandée, se rapportaient à la convention de distribution, que selon les termes de l'article 2 du contrat de courtage, elle s'était vue confier une mission exclusive de rechercher des clients et d'en assurer le suivi, sans aucune représentation de X, ni faculté de négocier ou conclure un contrat en son nom et que cette mission se limitait donc à une activité d'entremise.

Elle conteste tout rôle de représentation remplie par Ortho Ouest, précisant que l'utilisation du terme « agent » pour désigner cette dernière dans des écrits n'est qu'un raccourci de langage et ne suffit pas à requalifier son statut.

Elle indique que les inventaires sont effectués en présence des clients et qu'il rentrait dans le rôle du courtier de prendre connaissance des besoins de ces derniers, comme il relevait de sa mission de leur apporter toutes informations et conseils utiles sur les produits, ce qui supposait l'acquisition de connaissances précises et détaillées dans le cadre de formations.

Elle considère que l'intervention ponctuelle au bloc opératoire ne caractérise pas un élément spécifique du mandat d'agent commercial.

Elle fait valoir que les demandes de commissions sont infondées, qu'elle a communiqué l'ensemble des appels d'offres obtenus par l'intermédiaire d'Ortho Ouest ainsi que l'intégralité des factures résultant des commandes effectuées en exécution de ces appels d'offres, que la demande portant sur des commissions sur ventes futures déroge aux stipulations contractuelles et qu'aucune commission n'est donc due pour des ventes non réalisées.

La procédure a été clôturée le 12 décembre 2020.

MOTIFS DE LA DECISION :

Les deux instances d'appel enregistrées sous les numéros de 17/03604 et 17/03753, ayant déjà fait l'objet d'une ordonnance de jonction le 11 janvier 2018, la demande réitérée de la société X est sans objet.

1°) sur la qualification du contrat :

Selon les termes de l'article L. 134-1 du code de commerce, l'agent commercial est un mandataire, qui à titre de profession indépendante, est chargé, de façon permanente, de négocier et, éventuellement, de conclure des contrats de vente, d'achat, de location ou de prestations de services, au nom et pour le compte de producteurs, d'industriels, de commerçants ou d'autres agents commerciaux.

Les sociétés X et Ortho Ouest ont signé le 15 mai 2012 un contrat dit de courtage, par lequel la première a confié à la seconde la mission de « rechercher pour elle des clients et d'en assurer le suivi ».

L'article 2 de cette convention indique expressément que la société Ortho Ouest « ne se voit confier aucune mission de représentation de X et ne peut ni négocier, ni conclure au nom de X un quelconque contrat avec les clients ».

Au titre des obligations contractées par la société Ortho Ouest et détaillées dans l'article 5 du contrat, il est notamment stipulé qu'elle doit mettre en contact la société X avec l'ensemble des clients susceptibles d'acquérir ses produits; qu'elle doit apporter aux clients toutes informations et conseils utiles sur les produits, leurs caractéristiques et leur prix ; qu'elle doit s'abstenir de se présenter comme mandataire ou représentant de la société X ; qu'elle ne peut accepter ni commandes, ni paiements des produits de la part des clients ; qu'elle est informée que les commandes de produits sont réalisées par les clients directement auprès de la société X qui en assure la livraison au client.

Nonobstant ces stipulations contractuelles, la société Ortho Ouest revendique l'existence d'un contrat d'agence commerciale et non de courtage.

S'il ressort des courriels versés aux débats que les parties ont évoqué lors de leurs négociations la signature d'un « contrat d'agent », c'est bien un contrat de courtage que la société X a finalement eu la volonté expresse de soumettre à la société Ortho Ouest et que cette dernière a accepté de régulariser après avoir recueilli l'avis d'un conseil.

La qualification du contrat ne pouvant résulter de sa seule dénomination, il appartient à la société Ortho Ouest de rapporter la preuve que les conditions réelles d'exercice de son activité correspondait aux critères légaux caractérisant le statut d'agent commercial qu'elle revendique.

Elle n'apporte cependant aucune preuve d'avoir agi par représentation de la société X soit dans la conduite de négociations commerciales directes avec des clients, soit dans la régularisation de contrats au nom et pour le compte de celle-ci.

Ainsi, elle ne produit aucun échange pré-contractuel avec des clients, aucune commande qui lui aurait été adressée.

S'il est établi par les pièces, qu'elle a été rendue destinataire des appels d'offre des centres hospitaliers publics clients de la société X, il apparaît que c'est à la seule initiative de cette dernière et pour recueillir son avis sur les propositions de prix, non, comme elle le prétend, pour soumissionner elle-même par représentation de la société X, ce dont elle ne rapporte pas la preuve.

L'activité ponctuelle d'inventaire à la demande de la société X ne peut à elle seule caractériser l'existence d'un mandat permanent de négociation et de vente caractérisant l'activité d'agent commercial au sens de l'article L. 134-1 du code de commerce, s'agissant comme la mise en place des produits et l'assistance technique, d'une mission de suivi de la clientèle telle qu'envisagée par l'article 2 du contrat de courtage.

De plus, la simple signature de l'inventaire d'un dépôt de matériel n'emporte aucun engagement contractuel à la charge de la société X.

Les échanges entre les parties démontrent que la société X assurait elle-même la livraison directe de ses produits aux clients, la société Ortho Ouest n'étant appelée à intervenir qu'au titre de la mise en place de ces produits chez le client.

Par ailleurs, si la société X a fait régulièrement usage, dans ses correspondances et documents de comptabilité, de la dénomination d' « agent », sans autre précision, pour désigner la société Ortho Ouest, laquelle intervenait également en qualité de distributeur, il ne peut en être tirée la caractérisation d'une activité effective d'agent commercial.

Enfin, l'article L. 134-1 du code de commerce ne fait pas de la durée un critère de distinction du contrat d'agent commercial et il est dès lors indifférent que la société X ait pu considérer qu'au-delà de son terme initial, le 1er juin 2015, la convention s'est poursuivie par tacite reconduction pour une durée indéterminée dès lors qu'il s'agit de l'effet habituel de la tacite reconduction dont l'article L. 134-11 du même code ne constitue qu'une consécration.

Le jugement sera en conséquence confirmé en ce qu'il a rejeté la demande de requalification du contrat de courtage du 15 mai 2012.

2°) sur le paiement de commissions :

La société Ortho Ouest réclame paiement de commissions d'une part sur les ventes réalisées antérieurement à la résiliation du contrat le 18 mars 2016, d'autre part, sur les ventes résultant de son entremise conclues postérieurement à cette résiliation.

En l'absence de requalification du contrat de courtage, les termes de son article 10 doivent recevoir application.

Il prévoit que les commissions seront dues pour les ventes résultant de l'entremise de la société Ortho Ouest conclues antérieurement à la résiliation, mais excluent celles portant sur les ventes réalisées après l'expiration du contrat.

La société Ortho Ouest ne peut donc prétendre percevoir de commissions sur les ventes réalisées après le 18 mars 2016.

Concernant les commissions dues antérieurement à la résiliation, la société Ortho Ouest ne formule aucune demande chiffrée, le calcul qu'elle soumet à la cour ne portant que sur la période postérieure à la résiliation.

Le jugement qui a rejeté ses prétentions sera en conséquence confirmé.

3°) sur l'indemnité de résiliation :

En l'absence de requalification du contrat de courtage, la société Ortho Ouest ne peut prétendre au bénéfice des dispositions de l'article L. 134-12 du code de commerce qui prévoient l'indemnisation de l'agent commercial en cas de rupture du contrat.

Le jugement qui a rejeté sa demande indemnitaire sera confirmé.

4°) sur les dommages et intérêts complémentaires :

La société Ortho Ouest reconnaît avoir été destinataire de quelques 5 000 factures émises par la société X au titre des ventes conclues auprès des établissements de santé devenus ses clients grâce à son entremise, ainsi qu'un listing informatique les détaillant.

Si elle soutient que ces éléments étaient en réalité incomplets, ce que conteste la société X, elle n'en rapporte pas la preuve.

Au demeurant, il apparaît que durant l'exécution du contrat, la société X lui transmettait chaque mois, en exécution de l'obligation qui lui en était faite par l'article 7 du contrat, les chiffres d'affaires réalisés pour chaque client afin de lui permettre d'établir sa facture de commissions et qu'elle n'a alors jamais manifesté la moindre réserve sur les données transmises, ni émis la moindre réclamation.

La mauvaise foi prêtée à la société X n'étant pas établie, c'est à juste titre que le tribunal de commerce a rejeté la demande indemnitaire de la société Ortho Ouest.

PAR CES MOTIFS :

La Cour statuant publiquement, par arrêt contradictoire, par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile et après en avoir délibéré conformément à la loi,

CONFIRME le jugement du tribunal de commerce de Romans sur Isère du 17 mai 2017 en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

REJETTE la demande d'indemnité de procédure de la Sas Y,

CONDAMNE la Sas Ortho Ouest aux entiers dépens, et autorise Me Alexis Grimaud, avocat, à recouvrer directement ceux dont il a fait l'avance sans avoir reçu provision.