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Décisions

CA Paris, Pôle 1 ch. 3, 10 mars 2021, n° 20/09791

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Side Temp (SAS), Weslash (SAS)

Défendeur :

Qapa.Com (SAS), Qapa (SA), Qapa Interim (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Birolleau

Conseillers :

Mme Chegaray, Mme Bongrand

T. com. Paris, du 3 juill. 2020

3 juillet 2020

Les sociétés Side Temp et Weslash et les sociétés Qapa.Com, Qapa et Qapa Interim (Qapa) ont pour domaine d'activité principal les services de travail temporaire.

Se prévalant de ce que les sociétés Side Temp et Weslash avaient procédé, au premier semestre de 2019, au débauchage de plusieurs de leurs salariés, dont Mme Marie Laure D. G., M. Dimitri N. et M. Pierre-Yves R., les sociétés Qapa.Com, Qapa et Qapa Interim ont, par requête en date du 6 août 2019, sollicité du président du tribunal de commerce de Paris une mesure d'instruction in futurum aux fins de conserver les preuves de commission de supposés actes de concurrence déloyale, demande à laquelle il a été fait droit par une ordonnance en date du 6 août 2019 qui a :

- commis la SELARL Stéphane Van K., en la personne de l'un de ses associés, en qualité de mandataire de justice, avec mission de :

- se rendre dans les locaux de la société Weslash ([...]) ;

- se rendre dans les locaux de la société Side Temp ([...]) ;

- et dans tout autre lieu appartenant à la société Weslash ou qui serait désigné par elle comme détenant les données concernées par la mesure d'instruction, et en rapport avec les faits litigieux précédemment exposés ;

afin de se faire remettre ou rechercher, sur tout support, depuis le 1er avril 2019 jusqu'à la date des constatations : tous documents, courriels, correspondances, informations, données, quel qu'en soit le support, notamment papier et/ou numérique, se trouvant dans les locaux de la société Weslash et de la société Side Temp (ou accessibles depuis lesdits locaux) et dans tout autre lieu appartenant à cette dernière ou qui serait désigné par elle comme détenant les données concernées par la mesure d'instruction et en rapport avec les faits litigieux précédemment exposés ;

- consulter et se faire remettre une copie du livré d'entrées et de sorties du personnel de la société Weslash et de la société Side Temp et, le cas échéant, de toutes sociétés dont le capital est détenu en tout ou partie par la société Welash et de la société Side Temp ; si celui-ci est stocké sur support numérique, en prendre copie ;

- mener les recherches sur :

- les messageries des personnes concernées notamment, Mme D., M. Dimitri N. et M. Pierre-Yves R. et, plus généralement, tous salariés de la société Weslash et de la société Side Temp ;

- les ordinateurs fixe ou portable utilisés par Mme D., M. Dimitri N. et M. Pierre-Yves R. ;

- les bases de données, logiciels, disques durs, clés de type « USB » et serveurs appartenant à la société Weslash et de la société Side Temp et/ou se trouvant dans les locaux de cette dernière ou qui seraient désignés par elle comme détenant les données concernées par la mesure d'instruction ;

pour ce faire :

- prendre copie des documents, s'agissant des documents se trouvant sur support papier

autorisons le mandataire de justice à prendre copie de ceux-ci ;

- mener les recherches sur tous les supports informatiques, ordinateurs, serveurs, clou, tablettes, téléphones portables en utilisant si besoin est les mots clés suivants (et de toutes leurs déclinaisons, notamment singulier, pluriel, avec ou sans majuscule) en tenant compte du possible caractère sécable de certains :

. Qapa

. Société Qapa.com

. Société Qapa interim

. Société Qapa SA

. Madame Marie Laure D. G.

. Monsieur Pierre-Yves R.

. Monsieur Dimitri N.

. Société BESTT

les locutions ou mots clés ci-dessus pouvant être utilisés séparément ou de façon combinée afin de répondre à l'objet de ladite mission ;

- se faire communiquer par la partie défenderesse les codes d'accès, notamment informatiques, nécessaires à l'exécution de sa mission […].

Cette mesure d'instruction a été diligentée au sein des locaux des sociétés Side Temp et Weslash et a donné lieu à la saisie de documents séquestrés entre les mains de l'huissier instrumentaire.

Par acte du 31 octobre 2019, les sociétés Side Temp et Weslash ont assigné les sociétés Qapa.Com, Qapa et Qapa Interim devant le juge des référés du tribunal de commerce de Paris aux fins d'obtenir la rétractation de son ordonnance du 6 août 2019.

Par ordonnance contradictoire rendue le 3 juillet 2020, le juge des référés du tribunal de commerce de Paris a :

- dit que l'ordonnance du 6 août 2019 est conforme aux dispositions de l'article 145 et 493 du code de procédure civile ;

- débouté les sociétés Side Temp et Weslash de leurs demandes de rétractation de l'ordonnance du 6 août 2019 ;

- dit n'y avoir lieu à référé sur les demandes de préjudices allégués par les sociétés Side Temp et Weslash ;

- dit qu'il n'y a pas lieu de nommer un expert pour effectuer le tri des pièces, que seul le juge du référé rétractation est compétent pour statuer sur la communication des pièces séquestrées ;

- dit que la procédure de levée de séquestre doit être engagée selon la procédure ci-après même si il est fait appel de cette décision tout en préservant les intérêts des sociétés Side Temp et Weslash jusqu'à la décision d'appel ;

- dit que la levée de séquestre des pièces obtenues lors des opérations de constat par l'huissier instrumentaire doit se faire conformément aux articles R. 153-3 à R. 153-8 du code de commerce :

- dit que la procédure de levée de séquestres sera la suivante ;

- demandé aux sociétés Side Temp et Weslash de faire un tri sur les fichiers des pièces séquestrées en trois catégories :

- catégorie « A » les pièces qui pourront être communiquées sans examen ;

- catégorie « B » les pièces qui sont concernées par le secret des affaires et que les défenderesses refusent de communiquer ;

- catégorie « C » les pièces que les défenderesses refusent de communiquer mais qui ne sont pas concernées par le secret des affaires ;

- dit que ce tri où chaque pièce sera numérotée sera communiqué à la SELARL Stéphane Van K. en la personne de Me Van K., pour un contrôle de cohérence avec le fichier initial séquestré ;

- dit que pour les pièces concernées par le secret des affaires, les requis conformément aux articles R. 153-3 à R. 153-8 du code de commerce communiqueront au Président « un mémoire précisant, pour chaque information ou partie de la pièce en cause, les motifs qui lui confèrent le caractère d'un secret des affaires ».

- fixé le calendrier suivant : communication à la SELARL Stéphane Van K. en la personne de Me Van K., et au président, des tris des fichiers demandés avant le 30 septembre 2020 ;

- renvoyé l'affaire, après contrôle de cohérence par l'huissier, à l'audience du mardi 13 octobre 2020 à 14h pour la réalisation de la levée de séquestre ;

- dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile ;

- réservé les dépens.

Par déclaration d'appel du 17 juillet 2020, les sociétés Side Temp et Weslash ont interjeté appel de cette ordonnance.

Par leurs dernières conclusions remises le 12 janvier 2021, les sociétés Side Temp et Weslash demandent à la cour, au visa des articles 145, 493 et suivants et 873 et suivants du code de procédure civile, L. 151-1 et suivants et R. 153-1 et suivants du code de commerce, et 1240 du code civil, de :

- déclarer les sociétés Side Temp et Weslash recevables en leurs demandes ;

y faisant droit,

- infirmer l'ordonnance de référé rendue le 3 juillet 2020 en ce qu'elle a :

- dit que l'ordonnance du 6 août 2019 est conforme aux dispositions des articles 145 et 493 du code de procédure civile et débouté en conséquence les sociétés Side Temp et Weslash de leur demande de rétractation de l'ordonnance du 6 août 2019 ;

- dit n'y avoir lieu de nommer un expert pour effectuer le tri des pièces saisies et que seul le juge du référé rétractation est compétent pour statuer sur la communication des pièces séquestrées ;

- dit que la procédure de levée de séquestre doit être engagée selon la procédure ci-après même s'il est fait appel de ladite ordonnance tout en préservant les intérêts des sociétés Side Temp et Weslash jusqu'à la décision d'appel ;

- dit que la levée de séquestre des pièces obtenues lors des opérations de constat par l'huissier instrumentaire doit se faire conformément aux articles R. 153-3 à R. 153-8 du code de commerce ;

- dit que la procédure de levée de séquestre sera la suivante :

- demandé aux sociétés Side Temp et Weslash de faire un tri sur les fichiers des pièces séquestrées en trois catégories :

. catégorie « A » les pièces qui pourront être communiquées sans examen ;

. catégorie « B » les pièces qui sont concernées par le secret des affaires et qu'elles refusent de communiquer ;

. catégorie « C » les pièces qu'elles refusent de communiquer mais qui ne sont pas concernées par le secret des affaires ;

- dit que ce tri où chaque pièce sera numérotée sera communiqué à la SELARL Stéphane Van K. pour un contrôle de cohérence avec le fichier initial séquestré ;

- dit que pour les pièces concernées par le secret des affaires, les sociétés Side Temp et Weslash, conformément aux articles R. 153-3 à R. 153-8 du code de commerce, communiqueront au président « un mémoire précisant, pour chaque information ou partie de la pièce en cause, les motifs qui lui confèrent le caractère d'un secret des affaires » ;

- fixé le calendrier suivant :

. communication à la SELARL Van K. en la personne de Maître Van K. et au Président des tris des fichiers demandés avant le 30 septembre 2020 ;

. renvoi de l'affaire, après contrôle de cohérence par l'huissier, à l'audience du mardi 13 octobre 2020 à 14 heures pour la réalisation de la levée de séquestre ;

- dit n'y avoir lieu a référé sur les demandes de préjudices allégués par les sociétés Side Temp et Weslash ;

- dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile ;

statuant à nouveau,

à titre principal :

- juger que l'ordonnance du 6 août 2019 n'est pas conforme aux prescriptions des articles 145 et 493 du code de procédure civile ;

- rétracter l'ordonnance rendue le 6 août 2019 ;

- prononcer en conséquence la nullité de tout procès-verbal de constat établi en exécution de l'ordonnance rendue le 6 août 2019 ;

- ordonner à la SCP Stéphane VAN K. de procéder à la destruction de toute copie de tout élément sur quelque support que ce soit réalisée en exécution de l'ordonnance sur requête du 6 août 2019 et d'en dresser procès-verbal ;

à titre subsidiaire,

à titre principal :

- désigner un expert avec pour mission :

- de prendre connaissance de tout document utile à l'exercice de sa mission ;

- se rendre à l'étude de Maître Stéphane VAN K. afin de prendre possession de l'ensemble des éléments saisis en exécution de l'ordonnance du 6 août 2019 ;

- procéder au tri de ces éléments en les classant selon qu'ils sont relatifs aux faits litigieux invoqués, qu'ils sont couverts par le secret des affaires ou qu'ils sont de nature hybride à savoir qu'ils sont relatifs aux faits litigieux et qu'ils relèvent du secret des affaires ;

- établir un rapport qu'il déposera au greffe du Tribunal de Commerce de Paris dans le mois suivant le rendu de l'ordonnance à intervenir ;

- prendre connaissance du rapport rendu par l'expert désigné ;

- procéder à la confidentialisation des éléments saisis de nature hybride ;

- ordonner la levée du séquestre de tout élément saisi (le cas échéant après avoir procédé à la confidentialisation des éléments pour lesquels cela aura été jugé utile) relatif au faits litigieux et susceptibles de permettre de démontrer :

- la violation par Mme D. de ses obligations de non-débauchage, de non-concurrence et de confidentialité ;

- la commission par la société Side Temp et/ou la société Weslash d'actes de concurrence déloyale à l'encontre des sociétés Qapa, Qapa.Com et Qapa Interim consistant en le débauchage de salariés et/ou en le détournement de clientèle et/ou l'appropriation de documents couverts par le secret des affaires ;

- mettre expressément les frais de l'expert désigné à la charge des sociétés Qapa, Qapa. Com et Qapa Interim ;

à titre subsidiaire :

- prendre possession de l'ensemble des éléments saisis en exécution de l'ordonnance du 6 août 2019 séquestrés en l'étude de Maître Stéphane Van K. ;

- ordonner aux société Side Temp et Weslash de lui transmettre, non contradictoirement, le tableau de tri des fichiers saisis classés selon trois catégories, dressé par leurs soins ;

- procéder au tri de ces éléments en les classant selon qu'ils sont relatifs aux faits litigieux invoqués, qu'ils sont couverts par le secret des affaires ou qu'ils sont de nature hybride à savoir qu'ils sont relatifs aux faits litigieux et qu'ils relèvent du secret des affaires ;

- procéder à la confidentialisation des éléments saisis de nature hybride ;

- ordonner la levée du séquestre de tout élément saisi (le cas échéant, après avoir procédé à la confidentialisation des éléments pour lesquels cela aura été jugé utile) relatif au faits litigieux et susceptibles de permettre de démontrer :

- la violation par Mme D. de ses obligations de non-débauchage, de non- concurrence et de confidentialité ;

- la commission par la société Side Temp et/ou la société Weslash d'actes de concurrence déloyale à l'encontre des sociétés Qapa, Qapa.Com et Qapa Interim consistant en le débauchage de salariés et/ou en le détournement de clientèle et/ou l'appropriation de documents couverts par le secret des affaires ;

en tout état de cause,

- débouter les sociétés Qapa, Qapa.Com et Qapa Interim de l'ensemble de leurs demandes ;

- condamner les sociétés Qapa, Qapa.Com et Qapa Interim à payer solidairement par provision aux sociétés Side Temp et Weslash la somme de 50 000 euros en réparation des préjudices moral et financier subis ;

- condamner les sociétés Qapa, Qapa.Com et Qapa Interim à payer solidairement aux sociétés Side Temp et Weslash la somme de 12 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi que les dépens.

Elles font d'abord valoir que l'ordonnance rendue sur requête aurait dû être rétractée en vertu de l'article 145 du code de procédure civile, aux motifs de :

- une absence de motif légitime : le débauchage de Mme D. ne peut être constitué car les appelantes ignoraient qu'elle était encore salariée de Qapa lorsqu'elles l'ont embauchée au 3 juin 2019, et qu'au surplus, aucun démarchage n'est caractérisé car c'est par une candidature spontanée qu'elle a postulé ; n'est pas plus caractérisé le débauchage d'autres salariés tel qu'allégué par les intimées puisque ces salariés ne travaillaient plus chez elles lorsqu'ils furent recrutés, ce que les intimées ont caché au juge des requêtes ; étant précisé que les appelantes n'étaient, en tout état de cause, pas tenues par une obligation de non-débauchage en dehors de tout acte de concurrence déloyale et alors même qu'il n'est pas crédible d'avancer une désorganisation de l'entreprise pourtant nécessaire à la caractérisation du débauchage; s'agissant du détournement de clientèle et de l'appropriation illégale de fichiers couverts par le secret des affaires, les appelantes soulignent qu'ils ne sont établis par aucun indice, les sociétés Qapa ne faisant état que de suppositions trompeuses ; aucun fait tel que le nom de clients perdus ou une perte de chiffre d'affaires « critères nécessaires à la preuve d'un détournement de clientèle » n'est invoqué, et aucune démonstration d'utilisation frauduleuse de données n'étant effectuée ; en conséquence, les intimées ont cherché à tromper le juge des requêtes et ne justifient pas d'un intérêt à faire établir la preuve de faits de nature à influencer la solution d'une potentielle action en concurrence déloyale ;

- une absence de circonstances justifiant le recours à une procédure non-contradictoire : les appelantes affirment que les allégations des sociétés Qapa sont trop générales pour satisfaire aux conditions de l'article 493 du code de procédure civile, tel qu'interprété par la jurisprudence, en relevant que l'effet de surprise et le risque de disparition des preuves recherchées, sans démonstration d'éléments propres au cas d'espèce susceptibles de caractériser des circonstances justifiant la dérogation au principe du contradictoire ne suffisent pas à justifier la dérogation au principe du contradictoire ; de surcroit, elles avancent que le président du tribunal statuant sur requête, pour ordonner une mesure à l'encontre des appelantes, s'est fondé sur des faits qui concernent les agissements de Mme D., et non les sociétés appelantes, auxquelles il n'est imputé aucun fait ;

- une disproportion manifeste des mesures d'expertise ordonnées : les appelantes s'appuient sur l'étendue des fichiers pouvant être saisis (longue liste non limitative de mots clés, étendue dans le temps des documents pouvant être saisis, non limitation dans l'espace du champ de la saisie), conduisant à la saisie de plus de 3 000 fichiers dont la plupart n'ont aucun rapport avec la cause, pour conclure que la mesure est générale et que la mission de l'huissier n'est pas circonscrite aux faits litigieux, violant ainsi l'article 145, et dénoncer un espionnage industriel via une perquisition civile.

A titre subsidiaire, les appelantes soulignent premièrement que le juge des référés, lorsqu'il est saisi d'une demande de rétractation, est bel et bien compétent pour statuer sur la levée de la mesure de séquestre ordonnée et sollicitent en conséquence la désignation d'un expert chargé d'aider la cour à déterminer pour quels éléments saisis la mainlevée du séquestre peut être ordonnée, en vertu de l'art. L. 153-1 du code de commerce. Elles soulignent qu'il ressort du tableau tel que visé par l'ordonnance rendue en première instance que près de 2 500 documents sur 3 000 sont à la fois protégés au titre du secret des affaires et inutiles dans le cadre du litige, et près de 400 sont simplement sans lien avec de prétendus actes de concurrence déloyale. Aussi, sur plus de 3 000 fichiers saisis, les sociétés Qapa ne pourraient obtenir la mainlevée que d'un nombre résiduel de documents, qui concernent l'embauche de ses anciens salariés. À défaut, les appelantes réclament à la cour de procéder elle-même au tri des pièces saisies afin d'ordonner la levée du séquestre.

En tout état de cause, les appelantes estiment que les intimées ont instrumentalisé la procédure et agi de manière déloyale, faisant notamment naître une inquiétude chez les salariés et une désorganisation, engendrant un préjudice moral et d'image, tout comme le traitement de la procédure a engendré un préjudice financier ; ce pourquoi elles sont fondées à réclamer la condamnation des intimées à 50 000 euros à titre de provision en réparation de ces préjudices.

Les sociétés Qapa.com, Qapa et Qapa Interim, par leurs dernières conclusions remises le 18 janvier 2021, demandent à la cour, au visa des articles 145, L. 153-1, R. 153-1 et L. 873 du code de procédure civile, de :

- juger les sociétés Side Temp et Weslash mal fondées en leur appel ;

- confirmer dans toutes ses dispositions l'ordonnance rendue le 3 juillet 2020 par le juge des requêtes du tribunal de commerce de Paris ;

y ajoutant,

- condamner solidairement les sociétés Side Temp et Weslash à payer à chacune des sociétés Qapa SA, Qapa.Com et Qapa Interim, la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Elles soutiennent que c'est à bon droit que le premier juge a rejeté la demande de rétractation de l'ordonnance rendue sur requête, en ce qu'il a retenu :

- la présence d'un motif légitime : les intimées soutiennent qu'elles n'ont pas à démontrer l'existence de faits établis puisque la mesure d'expertise sollicitée doit précisément permettre de les établir, l'existence d'un intérêt légitime s'appréciant uniquement au regard de la probabilité des faits avancés. Or, il existe des soupçons suffisants selon lesquels Mme D. aurait violé ses obligations contractuelles en, étant encore salariée de Qapa, faisant bénéficier les appelantes de détournements de données, en créant la confusion auprès de la société BESTT pour obtenir des éléments de paramétrage du logiciel de paie, et en aidant au moins deux anciens salariés à rejoindre les appelantes, tout en supprimant des éléments informatiques permettant de cacher des preuves, rendant ainsi crédible des actes de concurrence déloyale et affirmant l'existence d'un litige potentiel entre les parties, affirmation du motif légitime de recourir à la mesure d'expertise en cause.

- la justification du recours à une procédure non-contradictoire : la nécessité d'un effet de surprise, notamment lorsque sont en jeu des preuves informatiques, peut à lui seul justifier le recours à une procédure non-contradictoire, conformément à la jurisprudence. C'est alors à bon droit que le premier juge a considéré que l'attitude peu loyale des appelantes constituait une circonstance particulière motivant le caractère non contradictoire de la mesure, sachant qu'au surplus, Mme D. a déjà fait disparaître des preuves ;

- le caractère non disproportionné de la mesure d'instruction ordonnée : cette mesure est en effet circonscrite aux faits litigieux et n'a donc pas de caractère général ; il a été recouru à des mots clés en lien avec la cause et une recherche ciblée notamment quant à son champ temporel, à partir du 1er avril 2019, ce qui est pertinent car correspond à la date d'embauche par la société Weslash d'un salarié de Qapa. Les intimées rappellent qu'en tout état de cause, lors de la levée du séquestre tous les éléments appréhendés et qui ne sont pas en lien avec les faits du litige et le motif légitime de la mesure ne seront pas transmis aux concluantes, de quoi réfuter les allégations d'espionnage industriel, sans qu'il ne faille annuler la mesure parce qu'elle serait disproportionnée. Enfin, les intimées affirment que les appelantes s'appuient, au soutien du caractère disproportionné de la mesure, sur les fichiers saisis, alors que la jurisprudence précise que les pièces saisies dans le cadre de la procédure d'instruction in futurum ne peuvent servir à établir le caractère légitime ou non de la mesure ordonnée.

Les intimées relèvent ensuite l'incompétence du juge de la rétractation pour connaitre d'une demande de mainlevée du séquestre, s'appuyant sur la jurisprudence selon laquelle le contentieux de l'exécution de la mesure d'instruction ordonnée sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile ne relève pas des pouvoirs du juge de la rétractation. De plus, elles s'opposent à la demande d'expertise en soulignant que la mainlevée du séquestre et les règles de procédure en la matière relèvent uniquement de l'office du juge et de personne d'autre, conformément aux articles R. 153-2 s. du code de commerce.

Les sociétés Side Temp et Weslash arguent du caractère infondé de la demande de dommages et intérêts des appelantes, tirée du fait qu'elles ne rapportent pas la moindre preuve de l'existence d'une obligation non sérieusement contestable ni du préjudice qu'elles allèguent, ce alors-même que l'instance devant le juge de la rétractation a pour seul objet de soumettre à un débat contradictoire les mesures initialement ordonnées en l'absence de contradictoire. En tout état de cause, la procédure engagée ne saurait être qualifiée d'abusive, même si la cour venait à faire droit à la demande de rétractation, car aucune faute dans l'engagement de l'action en justice n'est à déplorer, celle-ci ayant été engagée en toute loyauté et les intimées n'ayant rien caché au juge des requêtes.

Mme D., intimée, n'a pas constitué avocat.

La clôture de l'instruction a été prononcée par ordonnance du 25 janvier 2021.

MOTIFS

Sur la demande de rétractation

A l'appui de sa demande de rétractation de l'ordonnance du 6 août 2019, les sociétés Side Temp et Weslash invoquent l'absence de motif légitime de la mesure d'instruction, l'absence de circonstances justifiant le recours à une procédure non-contradictoire et la disproportion manifeste de la mesure ordonnée.

Sur l'existence d'un motif légitime

Aux termes de l'article 145 du code de procédure civile, s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé sur requête ou en référé.

Il en résulte que le demandeur à la mesure d'instruction n'a pas à démontrer la réalité de ses suppositions à cet égard, cette mesure in futurum étant précisément destinée à l'établir, mais qu'il doit justifier d'éléments les rendant crédibles et de ce que le procès en germe en vue duquel il sollicite cette expertise n'est pas dénué de toute chance de succès. Ni l'urgence, ni l'absence de contestation sérieuse, ne sont des conditions d'application de ce texte.

C'est par une motivation pertinente, que la cour adopte, que le premier juge a retenu que Mme D. :

- avait accès à des fichiers jugés sensibles en sa qualité de gestionnaire de paie ;

- ne pouvait, aux termes de son contrat de travail, exercer d'activité complémentaire pendant l'exécution de son contrat au sein de Qapa ;

- en arrêt de maladie à compter du 4 juin 2019 et démissionnaire de Qapa.com le 5 juin 2019, a été embauchée par Side Temp à effet du 3 juin 2019, alors que son contrat courait jusqu'au 30 juin 2019 ;

- avait, avant de quitter Qapa, vidé sa boite mail de réception de tout message entre le 14 février et le 3 juin 2019 ;

- avait commencé à travailler pour la société Side Temp dès le début du mois de juin 2019 (les intimées se réfèrent, à cet égard, au courriel adressé par Mme D. à la société Side Temp le 10 juin 2019 (alors qu'elle est encore salariée de la société Qapa.com) dans lequel elle indique : « Pendant ce temps, je suis joignable pour toutes questions (BESTT, la mise en place du paramétrage pour les relevés d'heures et le paramétrage des spécificités des clients, et des procédures » - pièce Qapa n°16), et ce alors que deux anciens salariés de Qapa avaient dèjà intégré Side Temp en avril et mai 2019, Messieurs R. et N. (pièce Qapa n°23).

Ces éléments mettant en évidence des présomptions suffisantes d'agissements déloyaux, les sociétés Qapa.Com, Qapa et Qapa Interim justifient d'un motif légitime à l'appui de leur demande de mesure d'instruction in futurum.

Sur la dérogation au contradictoire

L'article 493 du code de procédure civile prévoit que l'ordonnance sur requête est une décision provisoire rendue non contradictoirement dans les cas où le requérant est fondé à ne pas appeler la partie adverse.

L'éviction du contradiction, principe directeur du procès, nécessite que le requérant justifie de manière concrète, les motifs pour lesquels, dans le cas d'espèce, il est impossible de procéder autrement que par surprise.

En l'espèce, la requête caractérise les circonstances, justifiant qu'il soit dérogé au principe du contradictoire en ces termes :

« L'autorisation de procéder par voie d'huissier à une mesure de constat, et notamment informatique, doit être accordée aux requérantes par la voie de la procédure sur requête aux fins de ménager l'effet de surprise et d'éviter toute manipulation technique qui aurait pour conséquence de faire disparaitre les preuves recherchées.

En effet, toutes les preuves recherchées par les requérantes se trouvent très certaines dans les locaux de la société Weslash, sur leurs ordinateurs, leurs bases de données ou Ieurs serveurs, uniquement accessibles à elle à ce jour.

Ceci laisse donc à penser que si la société Weslash et/ou la société Side Temp et/ou Madame D. avaient connaissance d'une mesure d'instruction sur le fondement de l'article 145 précité visant les faits établir les faits de concurrence déloyale qui leur sont reprochés, elles auraient toute latitude de dissimuler, faire disparaitre ou détruire les éléments de preuves recherchés par les requérantes.

De sorte que seule une procédure non contradictoire permettra aux requérantes de faire effectivement valoir leurs droits. »

Faisant référence au comportement de Mme D. et à une suspicion d'implication des sociétés Side Temp et Weslash dans la commission de faits de concurrence déloyale, les requérantes développent concrètement, par une argumentation spécifique au cas d'espèce, le risque de dépérissement de preuve.

Les considérations figurant dans cette requête sont, dans ces conditions, suffisantes pour satisfaire aux exigences posées par l'article 493 du code de procédure civile.

Par ailleurs, l'ordonnance autorisant la mesure d'instruction in futurum retient :

« Constatons, au vu des justifications produites, que le requérant est fondé à ne pas appeler les parties visées par la mesure, que le comportement de Madame Marie Laure D. et de Ia société Weslash et de la société Side Temp, notamment son embauche par cette dernière pendant son contrat de travail avec la société Qapa.Com et la disparition de tout fichier sur I ‘ordinateur de Madame D. laisse à penser que, dans le cas où Madame D. et/ou la société Weslash et la société Side Temp auraient connaissance d'une mesure d'instruction sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile visant à obtenir les éléments permettant aux sociétés Qapa.Com, Qapa et Qapa Interim de déterminer les fautes commises par Madame D. et la société Weslash et/ou la société Side Temp et de déterminer la préjudice subi, elles dissimulent voire détruisent les éléments de preuve recherchés par les requérantes. ».

Ces développements, qui se réfèrent aux circonstances particulières dans lesquelles Mme D. a été embauchée par Side Temp, constituent une motivation suffisante de la nécessité de déroger au contradictoire.

L'ordonnance entreprise sera, en conséquence, confirmée en ce qu'elle a rejeté ce moyen de rétractation.

Sur la proportionnalité des mesures ordonnées

Les sociétés Side Temp et Weslash font grief à l'ordonnance du 6 août 2019 rendue sur requête d'avoir conféré à l'huissier instrumentaire des pouvoirs d'investigation extrêmement larges, sans lien avec le litige allégué, et disproportionnés.

Il ressort toutefois de l'ordonnance du 6 août 2019 que la mesure d'instruction est circonscrite :

- dans l'espace, la mesure devant être exécutée dans les locaux des sociétés Weslash et Side Temp et « dans tout autre lieu appartenant à la société Weslash ou qui serait désigné par elle comme détenant les données concernées par la mesure d'instruction, et en rapport avec les faits litigieux précédemment exposés » ;

- dans le temps, l'ordonnance autorisant une saisie des documents du 1er avril 2019 jusqu'à la date des constatations, soit jusqu'au 1er octobre 2019 ;

- dans son objet, par :

- le lien des documents à saisir avec les « faits litigieux précédemment exposés » ;

- l'indication des mots clés suivants : Qapa, Société Qapa.com, Société Qapa interim, Société Qapa SA, Madame Marie Laure D. G., Monsieur Pierre-Yves R., Monsieur Dimitri N., Société BESTT.

L'utilisation des locutions ou mots clés de façon combinée n'est pas, pour autant, de nature à priver la mesure de son caractère proportionné dès lors qu'une saisie trop large de données doit être examinée lors de l'instance en levée du séquestre.

En conséquence, la mesure d'instruction ordonnée ne s'apparente pas à une mesure générale d'investigation excédant les prévisions de l'article 145 du code de procédure civile, ni ne porte d'atteinte illégitime aux droits des sociétés Side Temp et Weslash, si bien qu'elle constitue un mode de preuve légalement admissible.

L'ordonnance entreprise qui a rejeté la demande des sociétés Side Temp et Weslash en rétractation de l'ordonnance sur requête du 6 août 2019 sera confirmée.

Sur les demandes de mainlevée du séquestre et de désignation d'un expert

Sur la compétence, l'article R. 153-1 du code de commerce dispose : « Le juge saisi en référé d'une demande de modification ou de rétractation de l'ordonnance est compétent pour statuer sur la levée totale ou partielle de la mesure de séquestre dans les conditions prévues par les articles R. 153-3 à R. 153-1 ». La décision déférée sera confirmée en ce qu'elle a reconnu la compétence du juge de la rétractation.

Les sociétés Side Temp et Weslash demandent la désignation d'un expert avec pour mission, notamment, de procéder au tri des éléments saisis.

En application des articles R. 153-2 et suivants du code de commerce, issus de la loi n° 2018-670 du 30 juillet 2018 et du décret 2018-1126 du 11 décembre 2018 relatif à la protection du secret des affaires, la procédure de mainlevée de séquestre relève exclusivement du pouvoir du juge, de sorte que, hors le cas prévu par l'article L. 153-1 2° du code de commerce, elle ne peut être confiée à un expert et que c'est au seul président de la juridiction que la partie qui invoque le secret des affaires doit présenter un mémoire précisant, pour chaque information ou partie de la pièce en cause, les motifs qui lui confèrent le caractère d'un secret des affaires. Au surplus, les appelantes ne font état d'aucun élément propre à justifier ni l'intervention d'un expert à ce stade, ni la modification du dispositif arrêté par le premier juge conformément aux articles R. 153-2 et suivants du code de commerce, dispositif auquel il n'est apporté aucune critique. L'ordonnance entreprise sera, en conséquence, confirmée sur ces points.

Elle sera également confirmée en ce qu'elle a dit n'y avoir lieu à référé sur les demandes des sociétés Side Temp et Weslash de dommages et intérêts pour procédure abusive, le juge de la rétractation étant dépourvu de pouvoir accorder des dommages et intérêts à titre provisionnel.

PAR CES MOTIFS

Confirme l'ordonnance entreprise ;

Condamne in solidum les sociétés Side Temp et Weslash aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile ;

Condamne in solidum les sociétés Side Temp et Weslash à payer aux sociétés Qapa.Com, Qapa et Qapa Interim la somme de 2 000 euros à chacune en application de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.