CA Reims, ch. civ. sect. 1, 9 mars 2021, n° 20/00249
REIMS
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Plaisance Equipements (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Mehl-Jungbluth
Conseillers :
Mme Maussire, Mme Mathieu
M. Philippe W. s'est porté acquéreur en avril 2014 d'un broyeur-récupérateur auprès de la société PLAISANCE EQUIPEMENTS pour un prix de 60 000 euros TTC qui a été livré le 13 avril 2014.
Le 1er juillet 2014, pour faire suite à une détérioration du système de transmission, des réparations ont été effectuées par le vendeur dans le cadre de la garantie contractuelle.
Le 10 septembre 2014, la machine a fait l'objet d'un nouveau transport à destination de l'entreprise vendeuse.
Courant décembre 2015, suite à une nouvelle avarie du matériel, la société PLAISANCE EQUIPEMENTS a refusé la prise en charge des réparations et a adressé un devis le 6 janvier 2016 à M. W. pour la somme de 11 298,44 euros.
Une expertise amiable contradictoire a été réalisée par le cabinet W. le 22 février 2016 et un rapport a été établi le 5 avril 2016.
Par ordonnance du 20 septembre 2016, le juge des référés du tribunal de grande instance de Charleville-Mézières a ordonné une mesure d'expertise judiciaire et a désigné M. G. en qualité d'expert.
Celui-ci a déposé son rapport le 4 février 2017.
L'expertise a révélé que les bourrages répétés du matériel étaient dus au fait que M. W. utilisait la machine pour broyer des végétaux en tas, ce qui était inadapté mais également que cette utilisation inadéquate n'était ni autorisée ni clairement interdite dans les documents accompagnant le broyeur et qu'il n'y avait pas de protection des organes de la machine face à une utilisation décrite par l'expert comme étant trop sévère.
Par exploit d'huissier du 4 juillet 2018, M. W. a fait assigner la société PLAISANCE EQUIPEMENTS devant le tribunal de grande instance de Charleville-Mézières aux fins de prononcer la résolution de la vente sur le fondement des vices cachés ou la nullité du contrat de vente.
La défenderesse s'y est opposée, arguant du fait que les pannes à répétition du matériel étaient dues à un usage anormal de celui-ci, que M. W. était un professionnel et qu'en tant qu'agriculteur, il était à même de déceler que la machine n'était pas adaptée à l'usage auquel il la destinait dans le cadre d'une activité professionnelle de recyclage d'une biomasse.
Par jugement du 27 décembre 2019, le tribunal :
- a prononcé la résolution du contrat de vente du broyeur-récupérateur sur le fondement des vices cachés,
En conséquence,
- a ordonné à M. W. de rendre la chose à la société PLAISANCE EQUIPEMENTS et à cette dernière de lui restituer le prix de vente, à savoir la somme de 60 000 euros,
- a débouté M. W. de sa demande en paiement pour préjudice économique,
- a débouté la société PLAISANCE EQUIPEMENTS de sa demande reconventionnelle en dommages et intérêts pour procédure abusive et vexatoire,
- a condamné la société PLAISANCE EQUIPEMENTS à payer à M. W. la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- a débouté la société PLAISANCE EQUIPEMENTS de sa demande à ce titre,
- a condamné la société PLAISANCE EQUIPEMENTS aux dépens en ce compris les frais d'expertise,
- a ordonné l'exécution provisoire du jugement.
Par déclaration reçue le 28 janvier 2020, la société PLAISANCE EQUIPEMENTS a formé appel de ce jugement.
Par conclusions notifiées le 23 septembre 2020, elle demande à la cour :
- de réformer le jugement dont appel en ce qu'il a selon son dispositif :
. prononcé la résolution de la vente du broyeur pour vice caché,
. ordonné pour M. W. la restitution du broyeur à la société PLAISANCE EQUIPEMENTS avec pour cette dernière l'obligation de restituer à M. W. le prix de vente pour 60 000 €,
. condamné la société PLAISANCE EQUIPEMENTS à payer à M. W. une somme de 2 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens,
en ce compris les frais d'expertise,
. débouté la société PLAISANCE EQUIPEMENTS de ses demandes reconventionnelles,
Faisant droit au bien fondé de son appel :
- de confirmer le jugement en ce qu'il a rejeté les demandes indemnitaires de M. Philippe W.,
Statuant à nouveau :
- de rejeter les prétentions principales et accessoires de M. Philippe W.,
- de condamner M. Philippe W. à payer à la société PLAISANCE EQUIPEMENTS :
. une somme de 15 000 € à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et vexatoire,
. une somme de 5 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- de condamner M. Philippe W. aux entiers dépens de l'appel mais aussi ceux de la procédure de référé et du jugement la précédant, comme des frais et honoraires de l'expert judiciaire.
Par conclusions notifiées le 15 juillet 2020, M. W. demande à la cour :
- de dire la société PLAISANCE EQUIPEMENTS recevable mais mal fondée en son appel,
En conséquence,
A titre principal,
- de confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Charleville-Mézières le 27 décembre 2019,
A titre subsidiaire,
- de prononcer l'annulation de la vente intervenue entre la société PLAISANCE EQUIPEMENTS et M. W. le 6 avril 2014 d'un broyeur récupérateur Plaisance type BR 500-2200 pour un montant HT de 50 000 €, soit 60 000 € TTC,
- de condamner la société PLAISANCE EQUIPEMENTS à payer à M. W. une somme de 60 000,00 euros HT au titre de la restitution du prix de cette vente,
- d'ordonner la restitution du broyeur récupérateur Plaisance type BR 500-2200 objet de la vente,
En tout état de cause, y ajoutant au jugement,
- de débouter la société PLAISANCE EQUIPEMENTS de l'ensemble de ses demandes,
- de condamner la société PLAISANCE EQUIPEMENTS à payer à M. W. une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre de la procédure d'appel,
- de condamner la société PLAISANCE EQUIPEMENTS aux dépens d'appel, qui seront recouvrés directement par la SCP L. F. R.-J. T. M..
MOTIFS DE LA DECISION :
La garantie des vices cachés :
Aux termes de l'article 1641 du code civil tel qu'issu de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 applicable au 1er octobre 2016 reprenant à l'identique les dispositions de l'article 1641 ancien du même code, le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l'usage auquel on la destine, ou qui diminuent tellement cet usage, que l'acheteur ne l'aurait pas acquise, ou n'en aurait donné qu'un moindre prix, s'il les avait connus.
La garantie des vices cachés suppose donc un vice inhérent à la chose vendue, antérieur à la vente et qui la rend impropre à sa destination.
Sur ce dernier point, il est nécessaire que celui qui s'en prévaut démontre l'existence d'un vice tellement important qu'il rend la chose inapte.
En l'espèce, il est constant que le broyeur-récupérateur acquis par M. W. en avril 2014, qui a pour finalité de récolter de la biomasse, ne fonctionne de manière anormale que lorsqu'il est utilisé pour broyer des végétaux en tas compact, utilisation qui entraîne des bourrages de la machine eux-mêmes à l'origine de la détérioration et de la casse du système de transmission du matériel.
Il manque donc pour que la garantie des vices cachés puisse être engagée par l'acquéreur la condition essentielle relative à l'impropriété à la destination de cette machine dont il ne peut être contesté qu'elle fonctionne normalement sans bourrages lorsqu'elle est utilisée pour broyer des végétaux sur pied.
Il est d'ailleurs à cet égard significatif de relever que l'expert judiciaire, M. G., pourtant chargé par le juge des référés qui l'a désigné de donner un avis sur l'existence de vices cachés ou de non-conformités, s'est placé exclusivement sur le terrain de la non-conformité du matériel et qu'il n'a à aucun moment dans son expertise, évoqué l'existence d'un vice caché affectant le matériel vendu à M. W. ainsi que le relève à juste titre l'appelant dans ses écritures.
L'expertise amiable réalisée par M. W. évoque également une non-conformité du matériel.
Ainsi, il y a lieu de considérer que le litige n'a pas vocation à se situer sur le terrain des vices cachés.
La décision, qui met en évidence en les mélangeant des éléments ressortant du défaut de conformité pour les intégrer dans la garantie des vices cachés finalement retenue, sera infirmée de ce chef.
Le manquement à l'obligation de délivrance de la chose vendue :
Aux termes de l'article 1604 du code civil tel qu'issu de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 applicable au 1er octobre 2016 reprenant à l'identique les dispositions de l'article 1604 ancien du même code, la délivrance est le transport de la chose vendue en la puissance et possession de l'acheteur.
Par application de l'article 1184 ancien du code civil, la condition résolutoire est toujours sous-entendue dans les contrats synallagmatiques, pour le cas où l'une des deux parties ne satisfera point à son engagement.
En application de ce texte, le vendeur doit délivrer une chose en conformité fonctionnelle avec les caractéristiques spécifiées par le contrat.
Le bien vendu doit ainsi présenter les qualités et caractéristiques que l'acquéreur est en droit d'attendre de ce bien.
La non-conformité de la chose aux spécificités convenues par les parties est une inexécution de l'obligation de délivrance.
A titre subsidiaire, M. W. avait sollicité devant le premier juge sur le fondement de l'article 1604 du code civil la résolution de la vente pour absence de livraison d'un bien conforme.
Il réitère sa demande à titre subsidiaire dans ses écritures d'appel.
Il soutient que la documentation commerciale remise le jour de la vente affirme que le matériel qui lui a été vendu permet le broyage de tous végétaux, au sol ou sur pied alors qu'en réalité, il n'est pas adapté au broyage de végétaux en tas.
Il précise qu'aucune restriction d'utilisation n'a été formulée au jour de la vente, que le bien vendu n'apparaît pas conforme aux énonciations de la documentation commerciale et que les prétendues mises en garde postérieures à la vente ne sauraient pallier ce défaut de conformité.
Il considère par conséquent que la résolution de la vente s'impose donc dans l'hypothèse où aucun vice caché ne serait reconnu.
La société PLAISANCE EQUIPEMENTS considère que la demande formée à titre subsidiaire par M. W. ne peut davantage prospérer sur le fondement du défaut de conformité.
Elle soutient que le manuel d'utilisation et d'entretien du broyeur-récupérateur qui a été remis à son client précise que l'outil doit être utilisé exclusivement pour broyer la végétation dans des types de travaux expressément énumérés et que le broyage des déchets de végétaux en tas n'y est pas mentionné.
Elle précise que la notice qu'elle verse aux débats, qui porte une date informatique certes postérieure à celle de la vente, est bien la même que celle remise lors de la vente.
Elle considère ainsi que M. W. a fait une utilisation anormale du matériel qui lui a été vendu et qu'il est seul responsable des avaries qui sont survenues.
Elle ajoute qu'il ne peut faire de doute que M. W., agriculteur de son état, avait par son activité une connaissance précise des différents types de matériel qui pouvaient exister sur le marché, de sorte qu'avant l'acquisition de ce broyeur-récupérateur, il en connaissait toutes les caractéristiques.
Le fait que l'acquéreur d'un bien pour lequel les dispositions de l'article 1604 précité sont invoquées soit un professionnel ou un profane est indifférent, cette distinction n'ayant aucune incidence juridique sur le bien fondé de la demande.
En tout état de cause et dans la mesure où cette question est débattue par la société PLAISANCE EQUIPEMENTS, il y a lieu de considérer que celle-ci, sur laquelle repose la charge de la preuve, ne démontre pas que M. W. serait un professionnel en matière de conception d'engins agricoles et plus spécifiquement d'engins de type broyeur-récupérateur de déchets, la qualité de professionnel de l'agriculture spécialisé dans le broyage reconnue à celui-ci ne pouvant laisser déduire qu'il serait également un professionnel du machinisme agricole, ce qu'est en revanche et sans contestation possible la société PLAISANCE EQUIPEMENTS.
En substance, l'appelante conteste l'usage fait de la chose vendue par M. W., exposant que cet usage était anormal en considération de la notice qui lui avait été remise au moment de la transaction qui délimitait les travaux qui pouvaient être effectués dont ne faisait pas partie le broyage des déchets de végétaux en tas.
Il appartient à celui qui conteste le manquement à l'obligation de délivrance qui lui est reprochée de rapporter la preuve qu'il a donné toutes les informations contractuelles nécessaires à une utilisation conforme du matériel qu'il vend afin que l'acquéreur soit en mesure de l'utiliser en toute connaissance de cause.
L'appelante se prévaut de la remise à M. W. d'un document intitulé « manuel d'utilisation et d'entretien » qui lui a été remis au moment de la vente et qui délimite de manière exhaustive les travaux réalisables avec la machine.
Force est de constater que le document versé aux débats est daté du 29 avril 2014, soit postérieurement à la date de facturation du matériel, soit le 16 avril 2014.
Il n'est donc pas démontré que cette notice ait été remise à M. W. lorsqu'il a acquis ce matériel.
Les préconisations ou interdictions d'utilisation qui y figurent ne peuvent par conséquent lui être opposées.
Dès lors, il y a lieu de considérer que M. W. était uniquement en possession au jour de la vente de la plaquette commerciale relative au broyeur-récupérateur qui précise de manière très claire « que la machine est capable de broyer la végétation au sol aussi bien que sur pied, qu'elle rend la récolte de la biomasse plus simple et plus rapide que jamais et qu'elle s'adapte à tous types de difficultés et de terrains ».
Il en ressort que ce document dont les énonciations sont opposables à l'acquéreur quant aux propriétés et performances du matériel vendu ne comporte aucune restriction sur l'utilisation de la machine en fonction de la nature et du positionnement des végétaux qu'elle ingère.
Par ailleurs, la société PLAISANCE EQUIPEMENTS, sur laquelle repose la charge de la preuve, ne justifie pas avoir mis en garde M. W. sur les restrictions pouvant exister quant à l'utilisation de ce matériel ni au moment de la vente ni même postérieurement à celle-ci lorsque l'acquéreur lui a rapporté la machine suite aux avaries causées par les bourrages, l'acquéreur réfutant dans l'expertise par un dire toute mise en garde qui lui aurait été faite sur la mauvaise utilisation de la machine lors de sa visite en avril 2015
Enfin, les photographies que verse aux débats l'appelante censées démontrer que M. W. aurait réalisé des essais sur la machine avant de l'acquérir, n'apportent aucun élément utile à la solution du litige puisqu'il n'est pas établi qu'il s'agisse de M. W. et dans l'hypothèse où ce serait lui, en quoi le fait d'avoir réalisé des essais sur cette machine dont la teneur est au demeurant inconnue exonérerait le vendeur de son obligation de délivrance conforme.
Il ressort de l'ensemble de ces éléments que la société PLAISANCE EQUIPEMENTS a manqué à son obligation de délivrance.
Cette inexécution est suffisamment grave - le matériel ne peut être utilisé dans une certaine configuration- pour justifier la résolution de la vente avec les conséquences y afférentes, soit la restitution du matériel par M. W. à la société PLAISANCE EQUIPEMENTS et la restitution par celle-ci du prix de vente fixé à 60 000 euros TTC.
La demande reconventionnelle en dommages et intérêts pour procédure abusive et injustifiée :
La décision sera confirmée par adoption de motifs en ce qu'elle a débouté la société PLAISANCE EQUIPEMENTS de sa demande à ce titre.
L'article 700 du code de procédure civile :
La décision sera confirmée.
Succombant en son appel, la société PLAISANCE EQUIPEMENTS ne peut prétendre à une indemnité à ce titre.
L'équité justifie qu'il soit alloué à M. W. la somme de 2 000 euros sur ce fondement.
Les dépens :
La décision sera confirmée.
La société PLAISANCE EQUIPEMENTS sera condamnée aux dépens d'appel avec recouvrement direct au profit de la SCP L. F. R.-J. T.M. par application de l'article 699 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS :
Statuant publiquement et par arrêt contradictoire ;
INFIRME le jugement rendu le 27 décembre 2019 par le tribunal de grande instance de Charleville-Mézières en ce qu'il a prononcé la résolution du contrat de vente du broyeur-récupérateur acquis en avril 2014 par M. Philippe W. auprès de la société PLAISANCE EQUIPEMENTS pour vice caché.
Statuant à nouveau sur ce point ;
Prononce la résolution de la vente du broyeur-récupérateur de marque Plaisance type BR 500-2200 n° de série 2000603 acquis en avril 2014 par M. Philippe W. auprès de la société PLAISANCE EQUIPEMENTS pour manquement à l'obligation de délivrance du vendeur.
En conséquence, ordonne à M. Philippe W. de restituer ce matériel à la société PLAISANCE EQUIPEMENTS et à celle-ci de lui en restituer le prix de vente, soit 60 000 euros TTC.
Confirme le jugement pour le surplus.
Y ajoutant ;
DÉBOUTE la société PLAISANCE EQUIPEMENTS de sa demande formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
CONDAMNE la société PLAISANCE EQUIPEMENTS à payer à M. Philippe W. la somme de 2 000 euros sur ce fondement.
Condamne la société PLAISANCE EQUIPEMENTS aux dépens d'appel avec recouvrement direct au profit de la SCP L. F. R.-J. T. M. par application de l'article 699 du code de procédure civile.