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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 10 mars 2021, n° 19/12295

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Cash Converters Europe (SAS)

Défendeur :

Cash Opale (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Dallery

Conseillers :

M. Gilles, Mme Depelley

T. com. Paris, du 29 mai 2019

29 mai 2019

La société de droit belge Cash Converters Europe a développé un réseau de magasins exploités en franchise dans le domaine de la revente de biens d'occasion.

Le 12 octobre 2003, M. X a signé avec elle un contrat de franchise pour ouvrir un magasin à l'enseigne « Cash Converters » pendant 9 ans. Ce magasin a été exploité à Boulogne-sur-Mer par la SARL Cash Opale immatriculée le 12 mars 2004 et ayant M. X pour gérant.

Ce contrat de franchise a été renouvelé le 22 mai 2013.

Le 29 octobre 2008, M. X a signé un second contrat de franchise d'une durée de 9 ans, pour l'ouverture à Calais d'un magasin à l'enseigne « Cash Converters City ». Ce magasin a été exploité par la SARL Cash Opale City ayant pour gérante l'épouse de M. X.

Arrivé à échéance le 28 octobre 2017, ce contrat n'a pas été renouvelé.

A compter de juin 2017, M. X s'est plaint de carences de son franchiseur. Les franchisés ont cessé de payer des redevances et d'autres sommes contractuellement prévues.

Le 20 juillet 2017, la société belge transférée en France et devenue la SAS Cash Converters Europe (Cash Converters) a vainement mis en demeure les sociétés Cash Opale et Cash Opale city de lui régler diverses sommes.

Ce franchiseur a assigné les deux franchisés en référé devant le tribunal de commerce de Paris afin d'obtenir :

- le règlement des sommes impayées ;

- l'interdiction pour la société Opale City de poursuivre son activité d'achat-vente sous une autre enseigne que Cash Converters jusqu'au terme du contrat de la société Cash Opale, soit le 12 octobre 2021.

Par lettre du 8 janvier 2018, la société Cash Opale a résilié le contrat pour manquement du franchiseur à ses obligations contractuelles.

En cours de procédure de référé et dans ce même cadre, le franchiseur a formé une demande en résiliation du contrat afférent à la société Cash Opale.

Par ordonnance du 22 février 2018, le juge des référés du tribunal de commerce de Paris a seulement condamné les franchisés à régler au franchiseur les sommes réclamées.

Par acte extrajudiciaire du 18 avril 2018, la société Cash Converters a assigné devant le tribunal de commerce de Paris la Société Cash Opale en dommages-intérêts pour rupture anticipée et fautive du contrat de franchise, pour confusion entretenue au préjudice du réseau de la marque et pour atteinte à l'image de celle-ci. La société Cash Opale a demandé des dommages-intérêts ainsi que le remboursement de factures de publicité.

C'est dans ces conditions que par un jugement du 29 mai 2019, le tribunal de commerce de Paris a :

- débouté la société Cash Converters de sa demande indemnitaire pour rupture anticipée du contrat de franchise ;

- débouté la société Cash Converters de sa demande indemnitaire pour confusion d'image et atteinte à l'image de marque

- condamné la société Cash Converters à payer à la société Cash Opale la somme de 5 583,76 euros à titre indemnitaire pour rupture du contrat de franchise aux torts du franchiseur ;

- débouté la société Cash Opale de ses autres demandes ;

- condamné la société Cash Converters au paiement d'une somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire ;

- condamné la société Cash Converters aux dépens.

Le 17 juin 2019, la présente Cour a été saisie de l'appel de ce jugement interjeté par la société Cash Converters.

Vu les dernières conclusions signifiées et déposées le 11 mars 2020 par la société Cash Converters, demandant à la Cour de :

Dire la société la société Cash Converters Europe recevable et bien fondée en son appel ;

Débouter la société Cash Opale de son appel incident, à toutes fins qu'il comporte ;

Décharger la société Cash Converters Europe de toutes condamnations prononcées au profit de la société Cash Opale ;

Dire fautive la résiliation anticipée du contrat de franchise à laquelle a procédé la société Cash Opale ;

Dire que la résiliation du contrat de franchise ne saurait être imputée à la société Cash Converters Europe ;

Prononcer la résiliation anticipée du contrat de franchise aux torts exclusifs de la société Cash Opale et subsidiairement aux torts partagés ;

Condamner en toute hypothèse la société Cash Opale à payer à la société Cash Converters Europe la somme de 70 000 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture anticipée et fautive dudit contrat de franchise ;

Condamner en sus la société Cash Opale à payer à la société Cash Converters Europe la somme de 10 000 euros au titre de la confusion entretenue au préjudice du réseau « Cash Converters » et d'atteinte à l'image de marque ;

Condamner la société Cash Opale à payer à la société Cash Converters Europe la somme de 8 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamner la société Cash Opale aux dépens.

Vu les dernières conclusions déposées et signifiées le 22 décembre 2020 par la société Cash Opale, demandant à la Cour de :

Vu les articles 1134 et 1147 anciens du code civil,

A titre liminaire :

- Dire n'y avoir lieu à révocation de la clôture

- Dire n'y avoir lieu à exclure les pièces 33 et 34 produites par Cash Opale

- Débouter La société Cash Converters de sa demande d'amende civile

Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :

- Constaté que la résiliation du contrat de franchise à laquelle a procédé Cash Opale en janvier 2018 était justifiée aux torts du franchiseur ;

- Débouté la société Cash Converters de ses demandes pour rupture anticipée du contrat de franchise ;

- Débouté la société Cash Converters de ses demandes pour confusion et atteinte à l'image de marque ;

- Condamné la société Cash Converters au paiement d'une somme 8 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile en première instance ainsi qu'aux entiers frais et dépens

Réformer le jugement entrepris en ce qu'il a :

- Condamné la société Cash Converters au paiement d'une somme de 5 583,76 euros à titre des dommages et intérêts,

- Débouté la société Cash Opale de ses autres demandes indemnitaires

Il est demandé à la Cour statuant à nouveau de :

- Condamner la société Cash Converters au paiement d'une somme de 57 927,36 euros à titre de dommages intérêts pour rupture du contrat aux torts du franchiseur ;

- Condamner la société Cash Converters au paiement d'une somme de 12 640,82 euros à titre de remboursement des factures de publicité ;

Y ajoutant,

- Condamner la société Cash Converters au paiement d'une somme 8 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile en appel,

- la condamner aux entiers frais et dépens.

L'ordonnance de clôture a été prise le 20 janvier 2021 à 14 heures.

SUR CE

LA COUR

- Sur l'imputabilité de la résiliation anticipée du contrat de franchise

A l'appui de son appel sur ce point, la société Cash Converters soutient ou fait valoir que :

- la société Cash Opale s'est soustraite au paiement de factures non sérieusement contestables, soit la somme de 6 267,35 euros au 5 octobre 2017, ce qui après mise en demeure a justifié la résiliation aux torts du franchisé en application de l'article 11-2 du contrat ;

- la société Cash Opale a en outre unilatéralement et de manière déloyale, changé d'enseigne, dès le 23 janvier 2018, selon aveu judiciaire recueilli par le juge des référés ;

- ce comportement fautif n'est justifié par aucun manquement du franchiseur, les seules preuves invoquées étant des lettres de récrimination des franchisés ne remontant pas à avant juin 2017, soit bien après les griefs allégués, la seule explication étant qu'à compter d'août 2017, les époux M. avaient décidé de ne pas renouveler l'autre contrat et qu'ils ont attendu ce moment pour se soustraire au paiement des factures ;

- la rupture abusive de contrat est donc ainsi caractérisée ;

- contrairement aux griefs formés, l'assistance au franchisé s'est traduite par des visites du franchiseur en mai 2016, décembre 2016 et avril 2017 ;

- aucune rupture du service informatique n'a été constatée ;

- en 2016 et 2017, trois versions du logiciel Cash Soft ont été déployées ;

- en octobre 2017, le système de caisse Cash Soft était en cours de certification par la Laboratoire national de métrologie et d'essai ;

- contrairement à ce qu'affirme la société Cash Opale, le logiciel Cash Soft permet une traçabilité totale des modifications réalisées par un utilisateur, toute modification étant enregistrée ;

- les pièces produites anéantissent les griefs formés quant aux prétendus griefs pris de l'absence de publicité, de la perte des points de fidélité, ou de défaut de conseil du franchiseur.

Sur ce, peu important la date à laquelle les franchisés ont formé les premiers reproches au franchiseur, la Cour retient que :

- aucun moyen nouveau n'est valablement opposé au juste motif retenu par le tribunal selon lequel le franchiseur, au mépris de son obligation de conseil découlant de l'assistance due à ses franchisés en raison de l'activité particulière exercée, avait omis, non seulement de les aviser qu'à la suite d'un arrêt du Conseil d'Etat, ils ne devaient plus acquitter la taxe sur les métaux précieux auprès de l'administration fiscale mais encore de modifier en conséquence le logiciel Cash Soft qui a continué d'émettre une déclaration destinée aux services fiscaux calculant le montant de la taxe à chaque opération d'achat d'or, ce qui les a exposés à devoir acquitter indûment des sommes et à se retrouver partiellement forclos pour en demander le remboursement ;

- il est établi par la notification de l'administration fiscale ayant fait partiellement droit à la demande de restitution que nulle somme n'a pu être récupérée pour la période allant de décembre 2011 à novembre 2012, à cause de la prescription, alors que l'arrêt du Conseil d'Etat du 30 mars 2015 dont l'application a été demandée sans retard imputable au franchisé dès le 30 juillet 2015, avait pu être anticipé par le franchiseur puisque M. Y, ès qualités de dirigeant de la SAS Topcash partenaire Cash Converters, mais aussi interlocuteur du franchisé auprès du franchiseur et ancien dirigeant de celui-ci, avait pu demander le dégrèvement à l'administration fiscale pour la période commençant le 1er décembre 2011, ce dès le 29 décembre 2014, alors que la date limite pour faire cette réclamation était le 31décembre 2014 ;

- par ailleurs le franchisé expose que M. Z, représentant légal du franchiseur mais également dirigeant d'un magasin Cash Converters, a aussi pu faire bénéficier cet établissement de l'intégralité des droits à remboursement par l'administration fiscale ;

- du fait de la carence du franchiseur dans son obligation d'assistance, la société Cash Opale a ainsi perdu toute chance de recouvrer 9 611 euros sur la somme dont elle aurait pu obtenir remboursement si le franchiseur l'avait correctement informée ;

- c'est donc de manière particulièrement mal fondée que la société Cash Converters a soutenu devant les premiers juges que le traitement de la taxe sur les métaux précieux relevait uniquement de la responsabilité de l'expert-comptable des franchisés ;

- s'agissant de la carte de fidélité, la note objet de la pièce 54 du franchiseur n'est qu'une pièce qu'il s'est établie à lui-même et qui ne répond pas valablement au motif des premiers juges qui ont retenu, sur le fondement d'un constat d'huissier, que le logiciel Cash Soft générait des erreurs dans la gestion des points de fidélité des clients, notamment en cas d'achats de plusieurs produits auprès du même client, et ce malgré de multiples demandes d'intervention du franchisé, alors que le franchiseur ne démontre pas avoir pris les moyens propres à y remédier et persiste toujours à dénier avoir dû le faire ;

- aucun moyen n'est valablement opposé au motif retenu par les premiers juges et selon lequel le logiciel Cash Soft avait été certifié avec retard et pas encore le 4 janvier 2018 ;

- le constat d'huissier établit que le 7 juin 2019, il était possible avec le logiciel Cash Soft d'annuler des ventes réalisées, même sur un exercice comptable déjà clos ;

- en janvier 2020, les supports d'une réunion en visio-conférence démontre la subsistance de nombreuses défaillances du logiciel ;

- les pièces 46 à 48 du franchiseur ne démontrent pas que des visites à visée d'assistance des franchisés aient été réalisées dans le magasin de Boulogne en avril et décembre 2016, alors que le franchisé soutient être resté plus de deux ans sans recevoir de visite, ce en violation de l'obligation d'assistance due en vertu du contrat.

Il résulte de ces éléments qu'en raison des graves manquements du franchiseur à ses obligations, le jugement entrepris doit être confirmé en ce qu'il a retenu que nonobstant le défaut de paiement des factures, le franchisé avait été bien fondé à se prévaloir de la résiliation du contrat.

- Sur les demandes en dommages-intérêts du franchiseur

Il résulte de ce qui précède que le franchiseur est mal fondé à réclamer des dommages-intérêts au franchisé pour la rupture anticipée du contrat.

En outre, c'est sans confusion fautivement entretenue au préjudice du réseau « Cash Converters » ni atteinte à l'image de la marque que la société Cash Opale a continué l'exploitation sous l'enseigne « Cash€ Maker ».

La circonstance qu'une annonce publicitaire pour des soldes ait été publiée le 10 janvier 2018 sous la marque Cash Converters ne démontre aucune faute en présence de la résiliation annoncée le 8 janvier, ce compte tenu des obligations dont était tenue la société Cash Opale pendant la préparation de sa campagne.

La circonstance que l'extrait K bis de la société Cash Opale mentionne encore la marque Cash Converters le 19 février 2018 ne caractérise pas d'attitude déloyale de l'ancien franchisé, compte tenu des délais raisonnables pour les modifications au registre du commerce.

La circonstance que la société Cash Opale ait déposé la marque « Cash€ Maker » en juillet 2017 sans pour autant l'utiliser pour son établissement avant la résiliation du contrat, non plus la circonstance que ce soit cette société plutôt que la société Opale City qui l'ait fait ne caractérise pas en l'espèce la concurrence déloyale.

La clause de non-concurrence de l'article 12.1 du contrat de franchise prévoit d'ailleurs expressément qu'elle ne s'applique pas lorsque le contrat de franchise est résilié aux seuls torts du franchiseur, comme c'est justement le cas en l'espèce.

La demande en dommages-intérêts de la société Cash Converters à ce titre doit donc être rejetée, le jugement étant confirmé sur ce point.

- Sur les sommes réclamées par l'ancien franchisé

S'agissant de la demande en remboursement des redevances de publicité, contrairement à ce que soutient la société Cash Opale, la société Cash Converters justifie de l'exécution de ses obligations en démontrant la réalité des publicités diffusées sur une chaîne de télévision (C8) et de réelles performances en termes de notoriété.

Le jugement entrepris sera donc confirmé en ce qu'il a débouté la société Cash Opale de sa demande à ce titre.

S'agissant de la demande au titre des redevances, la société Cash Opale ne justifie pas d'un préjudice résultant du paiement des redevances prévues au contrat, lequel n'est pas annulé, ceci s'appliquant même à l'égard du logiciel qui a fonctionné, puisque la prestation facturée, bien qu'imparfaite, a néanmoins été utile.

Il s'en déduit que le jugement sera réformé sur ce point et que la société Cash Opale sera déboutée de sa demande au titre des redevances.

S'agissant des demandes liées à la dépose de l'enseigne et des agencements, si la société Cash Opale ne démontre pas que les frais exposés au titre, selon sa demande, des cartes de fidélité, des étiquettes destinées à recouvrir les logo Cash Converters, des sacs et pochettes à la nouvelle enseigne, du tapis de sol, des peintures de mur, des peintures des gondoles, des rideaux intérieurs et des changement de tenue de travail, ont été directement causés par la résiliation, d'une part, il convient d'approuver les premiers juges d'avoir retenu que les frais de modification du registre du commerce, pour 502,86 euros dûment justifiés découlaient directement de la résiliation aux torts exclusifs du franchiseur, mais encore la Cour doit-elle considérer que les frais de changement d'enseigne extérieure se sont également imposés à la suite de la résiliation, de sorte que la société Cash Converters doit bien en indemniser son ancien franchisé à hauteur de 4 000,99 euros, somme dûment justifiée. En vertu du principe de réparation intégrale du préjudice, nulle diminution pour cause d'amortissement n'est justifiée.

La société Cash Opale établit que la société Cash Converters, professionnel de mauvaise foi, s'est délibérément abstenue de l'informer à temps des possibilités de remboursement par l'administration fiscale de la taxe sur les métaux précieux, ce qui lui a fait perdre une chance d'obtenir partie des remboursements auxquels elle avait droit, à hauteur de 9 611 euros.

Cette perte de chance sera compensée par l'allocation de 5 000 euros à titre de dommages-intérêts.

C'est pourquoi, par réformation partielle, la société Cash Converters devra indemniser la société Cash Opale à hauteur des sommes de : 502,86 euros, 4 000,99 euros et 5 000 euros.

- Sur les autres prétentions et les frais

Pour le surplus, le jugement entrepris a exactement statué et sera confirmé.

La société Cash Converters, qui succombe pour l'essentiel en appel, versera à la société Cash Opale et en équité, une somme au titre de l'article 700 du code de procédure civile, tel que précisé au dispositif de la présente décision.

La société Cas Converters sera tenue aux dépens d'appel.

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

Réforme le jugement entrepris, mais seulement en ce qu'il a condamné la société Cash Converters Europe à payer à la société Cash Opale la somme de la somme de 5 583,76 euros à titre de dommages-intérêts et l'a déboutée du surplus,

Statuant à nouveau sur ce point,

Condamne la société Cash Converters Europe à payer à la société Cash Opale les sommes suivantes à titre de dommages-intérêts découlant de la résiliation du contrat de franchise aux torts exclusifs du franchiseur :

. 502,86 euros,

. 4 000,99 euros,

. et 5 000 euros,

Pour le surplus, confirme le jugement entrepris,

Condamne la société Cash Converters Europe à payer à la société Cash Opale la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la société Cash Converters Europe aux dépens d'appel, qui pourront être recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile,

Rejette tout autre demande.