CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 11 mars 2021, n° 18/03112
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Divin Paradis Inc (Sté)
Défendeur :
Vignobles Lorgeril (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Prigent
Conseillers :
Mme Soudry, Mme Lignières
Avocats :
Me Ingold, Me Brunet Stoclet, Me Boccon Gibod
FAITS ET PROCÉDURE :
La société Divin Paradis Inc, société de droit québécois, exerce une activité de promotion aux fins de vente de vins et spiritueux sur le territoire canadien. Elle assure la promotion de produits exclusivement commercialisés par la suite par la société Alcools du Québec (SAQ), qui est une société d'Etat avec pour mission de réguler et réglementer le commerce de boissons alcooliques afin de contrôler indirectement la consommation d'alcool au Canada. La société Alcools du Québec achète directement des vins et spiritueux auprès de producteurs pour les revendre aux consommateurs canadiens.
La société Vignobles Lorgeril est une société familiale de vin indépendante située à Pennautier (11) qui produit et distribue dans le monde entier des vins produits sur six domaines en Languedoc et Roussillon.
Dès 2001, la société Vignobles Lorgeril a mandaté la société Divin Paradis Inc pour promouvoir la vente de certains de ses produits au Canada. Les sociétés Divin Paradis Inc et Vignobles Lorgeril entretiennent ainsi une relation depuis plusieurs années, qui n'a toutefois jamais été formalisée par la signature d'un contrat.
La société Divin Paradis Inc avait pour mission de promouvoir les produits du vignoble Lorgeril en contrepartie d'une rémunération à hauteur de 10 % du chiffre d'affaires sur les ventes réalisées auprès de la société Alcools du Québec.
Par courrier du 22 juin 2015, après l'avoir informée oralement quelques jours avant, la société Vignobles Lorgeril a confirmé à la société Divin Paradis la rupture de leurs relations commerciales avec effet au 1er juillet 2015, au motif d'une faute inexcusable commise par la société Divin Paradis.
Elle proposait à cette occasion de lui verser, à titre de dédommagement, une somme équivalente à 20 % des commissions dues sur les commandes au répertoire permanent pendant les six mois suivants.
Par courrier du 7 août 2015, la société Divin Paradis Inc a contesté le motif allégué par la société Vignobles Lorgeril en estimant ne pas avoir commis de faute grave et l'a mise en demeure de l'indemniser du préjudice subi du fait d'une rupture brutale.
Les parties ne sont pas parvenues à un accord.
Par acte d'huissier de justice du 18 décembre 2015, la société Divin Paradis Inc a assigné la société Vignobles Lorgeril devant le tribunal de commerce de Marseille aux fins de la voir condamner à des dommages et intérêts pour rupture brutale de leurs relations commerciales établies.
Par jugement du 14 juin 2016, le tribunal de commerce de Marseille a :
- dit et jugé que la loi applicable au présent litige est la loi québécoise ;
- débouté la société Divin Paradis de toutes ses demandes, fins et conclusions ;
- condamné la société Divin Paradis à payer à la société Vignobles Lorgeril SAS la somme de 3 000 euros (trois mille euros) au titre des frais irrépétibles occasionnés par la présente procédure ;
- laissé à la charge de la société Divin Paradis les dépens toutes taxes comprises ;
- ordonné pour le tout l'exécution provisoire ;
- rejeté pour le surplus toutes autres demandes, fins et conclusions contraires aux dispositions du présent jugement.
Par déclaration du 6 février 2018, la société Divin Paradis Inc a interjeté appel de ce jugement.
Par conclusions n° 4 notifiées par le RPVA le 28 octobre 2020, la société Divin Paradis Inc demande à la cour de :
- infirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Marseille le 14 juin 2016 en ce qu'il a :
. dit et jugé que la loi applicable au litige était la loi québécoise,
. débouté la Société Divin Paradis de toutes ses demandes, fins et conclusions,
Et, statuant à nouveau,
Vu les articles L. 442-6, I, 5° et D. 442-3 du code de commerce,
Vu les articles 3 et 1382 du code civil,
Vu les articles 6, 7 et 1375 du code civil du Québec,
Vu les articles 2098 et suivants du code civil du Québec,
Vu les articles 2125 et 2129 du code civil du Québec
A titre principal,
- dire et juger que l'article L. 442-6 I 5° du code de commerce est une loi de police d'application immédiate,
- dire et juger que l'article L. 442-6 I 5° du code de commerce s'impose à la société Vignobles Lorgeril établie en France,
- dire et juger en tout état de cause que la loi française est la loi applicable en tant que loi du lieu de survenance du dommage causé par la Société Vignobles Lorgeril au détriment de la société Divin Paradis,
- déclarer la société Divin Paradis recevable et bien fondée en ses demandes formées à l'encontre de la société Vignobles Lorgeril,
- dire et juger que n'ayant pas octroyé de préavis raisonnable à la Société Divin Paradis, la société Vignobles Lorgeril a rompu brutalement sa relation commerciale avec la société Divin Paradis,
- fixer à 20 mois la durée de préavis qu'aurait dû accorder la société Vignobles Lorgeril à la société Divin Paradis au regard de la jurisprudence française applicable,
- dire et juger que la société Divin Paradis n'a commis aucune faute ou inexécution contractuelle susceptible de justifier la rupture sans préavis par la société Vignobles Lorgeril de leur relation commerciale,
En conséquence,
- dire et juger que la loi applicable au présent litige est la loi française,
- condamner la société Vignobles Lorgeril à verser à la société Divin Paradis la somme, sauf à parfaire, de 107 886 euros, à titre de dommages et intérêts, en réparation de son préjudice causé par la rupture brutale de leur relation commerciale,
- condamner la société Vignobles Lorgeril à verser à la société Divin Paradis la somme, sauf à parfaire, de 50 000 euros, à titre de dommages et intérêts, en réparation de son préjudice moral du fait du caractère déloyal et vexatoire de l'annonce de la rupture,
A titre subsidiaire, si le droit québécois est applicable,
- dire et juger que le contrat oral liant les sociétés Vignobles Lorgeril et Divin Paradis était un contrat sui generis soumis au droit des obligations québécois,
- dire et juger qu'en application du droit québécois, la société Divin Paradis est recevable et bien fondée à obtenir réparation du préjudice subi du fait de la rupture sans préavis de sa relation d'affaires avec la Société Vignobles Lorgeril,
En conséquence,
- fixer, au regard de la jurisprudence québécoise applicable, à 13 mois la durée de préavis qu'aurait dû accorder la société Vignobles Lorgeril à la société Divin Paradis,
- condamner la société Vignobles Lorgeril à verser à la société Divin Paradis la somme, sauf à parfaire, de 70 122 euros à titre de dommages intérêts pour le préjudice subi du fait du défaut de préavis raisonnable,
A titre infiniment subsidiaire, si la relation contractuelle constitue un contrat de services au regard du droit québécois,
- dire et juger qu'en application du droit québécois, la société Divin Paradis est recevable et bien fondée à obtenir réparation du préjudice subi du fait de la rupture dans les conditions de l'espèce de sa relation d'affaires avec la société Vignobles Lorgeril,
En conséquence,
- condamner la société Vignobles Lorgeril à verser à la société Divin Paradis la somme, sauf à parfaire, de 70 122 euros à titre de dommages intérêts pour le préjudice subi du fait de la rupture du contrat de services conclu avec la Société Vignobles Lorgeril,
En tout état de cause, si la loi québécoise est applicable,
- dire et juger que la société Vignobles Lorgeril a violé le principe de bonne foi dont elle était débitrice envers la société Divin Paradis au regard du droit québécois,
En conséquence,
- condamner la société Vignobles Lorgeril à verser à la société Divin Paradis la somme, sauf à parfaire, de 50 000 euros, à titre de dommages et intérêts, en réparation de son préjudice moral et pour atteinte à la réputation subi par l'annonce publique de la rupture de son partenariat avec la société Vignobles Lorgeril,
En toutes hypothèses, à titre principal,
- constater que la société Vignobles Lorgeril a réglé les factures n° E-5899, n° E-6245 et n° E-6246 le 5 mai 2016,
- condamner la société Vignobles Lorgeril à payer à la société Divin Paradis la somme de 19 246 euros, au titre du remboursement du financement de la redynamisation des ventes des produits de la société Vignobles Lorgeril, sous astreinte de 500 euros par jour de retard, à compter de la signification de la décision à intervenir,
- condamner la société Vignobles Lorgeril à payer à la société Divin Paradis la somme de 235,74 euros correspondant aux intérêts de retard au taux légal, sur la somme de 32 982,48 euros, pour la période du 17 août 2015 au 5 mai 2016, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, à compter de la signification de la décision à intervenir,
- donner acte à la société Divin Paradis qu'elle se réserve le droit de parfaire ses demandes à l'encontre de la société Vignobles Lorgeril sur la base de tout autre préjudice qu'elle viendrait à subir en cours d'instance,
- débouter la société Vignobles Lorgeril de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
- condamner la société Vignobles Lorgeril à verser à la société Divin Paradis la somme de 50 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- ordonner l'exécution provisoire de la décision à intervenir,
- condamner la société Vignobles Lorgeril aux entiers dépens de l'instance, dont distraction au profit de la SELARL Schmidt Brunet Litzler, avocat aux offres de droit.
Par conclusions n° 3 notifiées par le RPVA le 28 octobre 2020, la société Vignobles Lorgeril demande à la cour de :
Vu les règles de conflit de lois et les Règlements CE n° 864/2007 et n° 593/2008,
Vu l'article L. 442-6 I 5° du code de commerce, les articles 1240 et 1231-1 du code civil, et l'article 9 du code de procédure civile,
Vu les articles 1064, 2098, 2099, 2125 et 2129 du code civil du Québec,
- confirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Marseille le 14 juin 2016 en toutes ses dispositions,
Subsidiairement, si par extraordinaire, la cour retenait l'application du droit français, il est demandé à la cour d'appel de Paris de :
- dire et juger que la société Vignobles Lorgeril n'a commis aucune faute au regard des faits invoqués par la société Divin Paradis et qu'aucun préavis n'était dû,
- dire et juger, qu'en tout état de cause, la société Divin Paradis ne fait état d'aucun préjudice réel et certain,
En conséquence,
- débouter la société Divin Paradis de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
Et, statuant à nouveau,
- condamner la société Divin Paradis à verser à la société Vignobles Lorgeril la somme de 10 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner divin paradis aux entiers dépens dont distraction au profit de la SELARL Lexavoué Paris Versailles.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 12 novembre 2020.
La cour renvoie, pour un plus ample exposé des faits, prétentions et moyens des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
MOTIFS
Sur la loi applicable au litige relatif à la rupture
L'appelante sollicite l'application de l'article L. 442-6, I du code de commerce français relatif à la rupture brutale des relations commerciales établies. Elle considère que cet article constitue une loi de police d'application immédiate et impérative au sens de l'article 9 du Règlement Rome I, applicable devant le juge français quelle que soit la loi applicable normalement désignée, faisant échec aux règles de rattachement énoncées par le droit international privé.
La société Divin Paradis fait valoir que si la cour refusait la qualification de loi de police de l'article L. 442-6, I du code de commerce français, le litige relèverait néanmoins de la loi française, en application de l'article 4 du Règlement Rome II applicable en matière délictuelle, l'article L. 442-6, I du code de commerce relevant de la matière délictuelle, puisque le dommage est survenu en France et que le litige entretient des liens plus étroits avec la France qu'avec le Québec.
L'intimée réplique que l'action indemnitaire fondée sur l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce a été qualifiée récemment par la jurisprudence française et européenne comme contractuelle. A ce titre, elle prétend qu'en application de l'article 4 b) du Règlement Rome I, applicable en matière contractuelle, la loi applicable au présent litige est la loi québécoise, puisque c'est celle du pays de la résidence habituelle du prestataire de services, en l'occurrence la société québécoise Divin Paradis.
La société Vignobles Lorgeril ajoute qu'en tout état de cause, si l'action était considérée comme ayant une nature délictuelle, ce serait également la loi québécoise qui serait applicable dans la mesure où, en application de l'article 4 du Règlement Rome II applicable en matière délictuelle, le Québec est le pays avec lequel la relation et le prétendu fait dommageable entretient les liens les plus importants, les prestations étant exécutées dans ce pays.
Enfin, la société Vignobles Lorgeril soutient que les dispositions de l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce français ne sont pas une loi de police.
Sur ce,
L'appelante sollicite l'application de la loi française tandis que l'intimée prétend à l'application de la loi québécoise.
La société Divin Paradis étant une société de droit québécois et les prestations étant exécutées au Québec, il existe des éléments d'extranéité justifiant la recherche de la loi applicable.
Concernant les règles de compétence judiciaire au sens du Règlement de Bruxelles I, la CJUE a dit pour droit que l'action en réparation du préjudice lié à la rupture brutale des relations commerciales établies de longue date révélant une relation contractuelle tacite relève de la matière contractuelle, et ce indépendamment de sa qualification en droit national (arrêt Granarolo, C-196/15 du 14 juillet 2016).
En matière contractuelle, la loi applicable doit être déterminée au regard du règlement CE n° 593/2008 du Parlement européen et du Conseil du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles (Rome I), en vigueur à compter du 17 décembre 2009, soit en l'espèce, au jour du courriel envoyé par la société Vignobles Lorgeril à la société Divin Paradis, le 30 octobre 2014 ou au jour de la rupture orale des relations alléguées qui serait intervenue le 15 juin 2015 ou encore au jour de l'annonce formelle de la rupture intervenue par courrier du 22 juin 2015.
Le règlement Rome I pose le principe de la liberté de choix de la loi applicable par les parties dans son article 3 et précise, dans son article 4, la loi applicable au contrat à défaut de choix des parties. Toutefois ces principes ne sont applicables qu'en l'absence de loi de police (article 9).
Il convient donc de rechercher si les dispositions de l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce doivent être qualifiées de loi de police et à défaut, de mettre en œuvre la méthode conflictuelle prévue par le règlement Rome I.
L'article 9 du règlement Rome I définit la loi de police comme suit :
«1. Une loi de police est une disposition impérative dont le respect est jugé crucial par un pays pour la sauvegarde de ses intérêts publics, tels que son organisation politique, sociale ou économique, au point d'en exiger l'application à toute situation entrant dans son champ d'application, quelle que soit par ailleurs la loi applicable au contrat d'après le présent règlement.
2. Les dispositions du présent règlement ne pourront porter atteinte à l'application des lois de police du juge saisi. »
Le considérant 37 du même règlement précise que : « Des considérations d'intérêt public justifient, dans des circonstances exceptionnelles, le recours par les tribunaux des États membres aux mécanismes que sont l'exception d'ordre public et les lois de police. La notion de « lois de police » devrait être distinguée de celle de « dispositions auxquelles il ne peut être dérogé par accord » et devrait être interprétée de façon plus restrictive. »
C'est en ce sens que la Cour de justice de l'Union européenne, dans l'arrêt Unamar du 17 octobre 2013, a dit pour droit que l'article 9 du Règlement Rome I devait être interprété strictement.
Or, les dispositions de l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce, quand bien même elles ont, en droit interne, un caractère impératif, contribuent à un intérêt public de moralisation de la vie des affaires et sont susceptibles de participer au meilleur fonctionnement de la concurrence ; elles visent davantage à la sauvegarde des intérêts privés d'une partie, celle victime d'une rupture brutale de relations commerciales établies, en lui laissant un délai suffisant pour se reconvertir. Dès lors, ces dispositions ne peuvent être regardées comme cruciales pour la sauvegarde de l'organisation économique du pays au point d'en exiger l'application à toute situation entrant dans son champ d'application, quelle que soit la loi applicable au contrat. La qualification de loi de police est donc écartée.
Il convient en conséquence de déterminer la loi applicable au présent litige par application des règles de conflit de lois résultant du règlement Rome I.
A défaut de choix de loi exercé par les parties conformément à l'article 3, l'article 4, 1 du Règlement Rome I prévoit que la loi applicable au contrat est déterminée comme suit :
« (…) b) le contrat de prestation de services est régi par la loi du pays dans lequel le prestataire de services a sa résidence habituelle. »
En l'espèce, la relation entre les sociétés Divin Paradis et Vignobles Lorgeril n'était pas formalisée par un contrat et les parties n'avaient pas choisi la loi applicable à leurs relations.
La relation des sociétés Divin Paradis et Vignobles Lorgeril consistait en la fourniture de services au Québec et précisément en la promotion aux fins de vente des vins de la société Vignobles Lorgeril par la société Divin Paradis, en tant que prestataire, sur le territoire québécois. La relation contractuelle tacite entre ces deux sociétés doit par conséquent être qualifiée de contrat de prestation de services, au sens du Règlement Rome I, ce qui est soutenu par la société Vignobles Lorgeril et n'est pas contesté par la société Divin Paradis.
L'article 19 du Règlement Rome I précise que, au sens du Règlement, « la résidence habituelle d'une société, association ou personne morale est le lieu où elle a établi son administration centrale ».
Or, la société Divin Paradis a son siège social au Québec et exerce l'activité de promotion de vins et spiritueux sur ce territoire, ce qu'elle ne conteste pas, et doit ainsi être considérée comme ayant sa résidence habituelle au Québec.
Par conséquent, la loi québécoise est applicable au présent litige.
Sur le caractère abusif de la rupture au regard de la loi québécoise
La qualification du contrat
La société Divin Paradis prétend que le contrat conclu avec la société Vignobles Lorgeril est un contrat sui generis régi par le droit général des obligations et non un contrat de services régi par les articles 2098 et 2099 du code civil québécois, en raison de l'existence d'un lien de subordination issu de l'absence de contrôle par l'agent/représentant en charge de la promotion des produits (la société Divin Paradis) sur les prix pratiqués par le producteur (la SAQ), ce qui est contesté par la société Vignobles Lorgeril qui qualifie leur relation de contrat de services en faisant valoir que la société Divin Paradis n'était pas chargée de négocier et vendre les vins mais seulement de les promouvoir.
Sur ce,
Aux termes de l'article 2099 du code civil québécois, le contrat de services se caractérise ainsi : « l'entrepreneur ou le prestataire de services, a le libre choix des moyens d'exécution du contrat et il n'existe entre lui et le client aucun lien de subordination quant à son exécution. »
Les 1ers juges ont, par des motifs pertinents que la cour adopte, écarté la qualification de contrat sui generis en relevant au visa des articles 2.1 et 2.4 de la politique d'achat de la SAQ que la société Divin Paradis exerçait l'activité d'agent promotionnel auprès de la SAQ, que l'appelante ne peut donc à bon droit se prévaloir de la jurisprudence relative aux agents de distribution ou agents manufacturiers pour lesquels il peut exister un lien de subordination avec le client, qu'en conséquence, la société Divin Paradis est un prestataire de services dont l'activité est régie par les articles 2098 et suivants du code civil du Québec.
Les conditions de la rupture du contrat de services
Dans l'hypothèse où la cour considérait que la relation commerciale entre les parties constituait un contrat de services au regard de la loi québécoise, la société Divin Paradis prétend que les circonstances de la rupture, constitutives d'une mauvaise foi de la société Vignobles Lorgeril, lui ouvrent droit à réparation puisque la loi québécoise prévoit une obligation générale de bonne foi et qu'en l'espèce la société Vignobles Lorgeril a invoqué un prétexte pour rompre de mauvaise foi.
L'intimée réplique que la résiliation unilatérale d'un contrat de service en droit québécois n'ouvre droit à aucun préavis obligatoire ni à aucune indemnisation si le principe de bonne foi est respecté, ce qui est le cas en l'espèce puisque la rupture est justifiée par la perte totale de confiance en son prestataire, due à la relation entretenue entre la société Divin Paradis et le directeur export de la société Vignobles Lorgeril, qui ont entamé des négociations pour nouer une relation commerciale.
Sur ce,
L'article 2125 du code civil du Québec relatif au contrat de service dispose : « Le client peut, unilatéralement, résilier le contrat, quoique la réalisation de l'ouvrage ou la prestation du service ait déjà été entreprise. »
Celui qui résilie doit toutefois le faire de bonne foi conformément au principe général énoncé par l'article 6 du code civil québécois selon lequel : « Toute personne est tenue d'exercer ses droits civils selon les exigences de la bonne foi. »
Il convient donc de vérifier qu'en l'espèce la société Vignobles Lorgeril a rompu la relation commerciale établie avec la société Divin Paradis en toute bonne foi ou pour un motif fondé et légitime, sans intention de nuire à son co-contractant.
Dans sa lettre de rupture du 22 juin 2015 adressée à M. X, dirigeant de la société Divin Paradis, la société Vignobles Lorgeril invoque la perte de confiance à son égard à la suite de ses « échanges délictueux » avec son commercial en 2014.
Il est versé aux débats les courriels échangés courant 2014, à l'insu de la dirigeante de la société Vignobles Lorgeril, entre M. Y, son directeur export, et M. X représentant la société Divin Paradis.
Ainsi le 28 juillet 2014, M. Y adressait un courriel à M. X par lequel il lui proposait une collaboration sur des vins blancs dont il n'est pas contesté que la marque lui appartenait personnellement (pièce 4 de la société Vignobles Lorgeril) :
« Très content de vous avoir revu jeudi dernier ! encore merci pour votre accueil toujours aussi chaleureux. Comme discuté vous trouverez ci joint les premières infos importantes pour l'appel d'offres en VDF Blanc (…) Merci pour votre confiance§ ... et votre discrétion. »
L'email est signé « Y », et envoyé à partir de l'adresse de son épouse : lge pierre@orange. fr.
La société Divin Paradis écrivait en réponse : « Je vous reviens très rapidement, je vais voir G à l'instant avec vos propositions afin d'évaluer les dossiers proposés » (pièce 5 de la société Vignobles Lorgeril).
L'épouse de M. Y donnait suite : « comme convenu entre Gaetan et X, ci-dessous les infos concernant l'Appel d'Offre pour le VDF Blanc. Avez-vous déjà postulé à l'appel d'offre ? »
S'en suit un échange entre M. Y via l'email de son épouse et Mme X des Groseillers, directrice des produits de la société Divin Paradis, qui écrit le 30 juillet 2014 : (pièces 6 et 7 de la société Vignobles Lorgeril)
« Aviez-vous reçu ce courriel hier de X
Compte tenu que le (sic) fermeture de l'appel d'offres est demain midi, et du fait qu'il nous faut créer votre compte SAQ et partir à zéro, nous serons vraiment trop serrés dans nos délais pour procéder pour cette fois.
Nous sommes désolés, mais maintenant que le contact est fait, nous allons vous tenir au courant des prochains appels d'offres et souhaitons-le, nous aurons le plaisir de travailler ensemble. » (...) :
« suite au message de Y, j'ai de nouveau discuté avec H Y delà du fait que les délais sont serrés nous devons tenir compte des critères très précis de l'offre. Principalement le volume et un prix très bas mais aussi, ce sur quoi la SAQ misera sur ce coup, sur le visuel. Le nom « Les grands Boulevards » sera le plus vendeur mais il faudra rapidement changer l'image qui ne convient pas à ce que cherche la SAQ. Soit un visuel jeune, nouveau, moderne et accrocheur. Une grande partie des points de présélection sera attribué à cet aspect. Nous pouvons donc préparer la présentation selon la fiche des grands Boulevards mais par la suite nous devrons travailler l'image.
L'appel d'offres se termine demain et avant midi notre présentation devra être complétée et soumise.
Il nous faut vous ouvrir un compte B2B. Je dois donc pour demain matin avoir toutes les informations de la compagnie, adresses des bureaux et des entrepôts pour l'enlèvement des commandes.
La notoriété, les ventes sur les différents marchés, les certifications Ecocert si disponibles...en arrivant au bureau demain matin je traiterai en priorité le dossier des Grands Boulevards.
Nous ne présenterons qu'un dossier, un seul suffit il s'agit de choisir celui qui convient le mieux et de bien le travailler ».
Il en ressort que des négociations de vente de vin ont été entamées par la société Divin Paradis avec un salarié de la société Vignobles Lorgeril chargé de l'export des produits de cette dernière, rencontré à l'occasion de la relation commerciale entre la société Divin Paradis et la société Vignobles Lorgeril et ce, à l'insu de la dirigeante de cette dernière.
Ces négociations ont été menées de façon concurrente et en parallèle de la relation commerciale établie depuis 2001 entre les parties. Même si aucune clause de non-concurrence ou d'exclusivité n'a été conclue entre elles et que ces négociations n'ont pas abouti à des ventes, cette attitude de la part de son agent commercial au Québec avec lequel elle est liée par une relation stable depuis près de 15 ans, a légitimement engendré une rupture de confiance et justifié la décision unilatérale de rompre de la part de la société Vignobles Lorgeril.
La rupture de la relation intervenue au motif de la perte de confiance à l'égard de son agent commercial chargé de la promotion de ses vins au Québec n'est caractérisée par aucune intention maligne de la part de la société Vignobles Lorgeril car fondée sur un motif légitime.
Par conséquent, les conditions de la rupture unilatérale du contrat de services liant les parties ne justifient aucune indemnisation sur le fondement d'une violation du principe général posé par l'article 6 du code civil québécois.
La décision de 1re instance ayant rejeté les demandes de la société Divin Paradis aux fins d'une indemnisation liée à la rupture de la relation commerciale sera donc confirmée.
Sur l'indemnisation du préjudice moral de la société Divin Paradis
La société Divin Paradis estime, indépendamment de la qualification légale retenue pour la relation contractuelle, qu'elle est fondée à solliciter la somme de 50 000 euros en réparation du préjudice moral et du préjudice pour atteinte à la réputation subi par l'annonce publique de la rupture de son partenariat avec la société Vignobles Lorgeril lors d'un salon.
La société Vignobles Lorgeril répond que le préjudice moral est inexistant puisque l'annonce de la rupture s'est faite en cercle très restreint dans un lieu garantissant la confidentialité et qu'elle était en droit de rompre la relation.
Sur ce,
A la lecture des attestations versées au dossier par les 3 personnes (une personne salariée de la société Vignobles Lorgeril et deux personnes salariées de la société Divin Paradis) qui étaient présentes outre les dirigeants respectifs des parties, lors de l'annonce verbale de la part de la dirigeante de sa décision de changer d'agent commercial, il n'est pas démontré le caractère vexatoire d'une annonce publique telle qu'alléguée par l'appelante.
En effet, M. X était accompagné de ses deux plus proches collaborateurs (M. L et Mme B et ils se trouvaient sur le stand privé de F dont il apparaît au vu des photographies produites qu'il était doté de cloisons de séparation avec les autres stands voisins.
La société Divin Paradis échoue donc à prouver le préjudice moral du fait d'une atteinte à son image, cette dernière sera déboutée de ce chef de demande à l'instar de ce qu'ont décidé les 1ers juges.
Sur la demande de remboursement du financement de la redynamisation des ventes et produits de la société Vignobles Lorgeril supporté par la société Divin Paradis
La société Divin Paradis sollicite le remboursement d'investissements, sous forme d'efforts financiers, qu'elle a réalisés sur demande de la société Vignobles Lorgeril de juin à décembre 2014 visant à la modernisation de sa gamme et qui profitent de façon indue à la société Vignobles Lorgeril depuis la rupture. Elle réclame à ce titre le paiement de la somme de 19 246 euros.
La société Vignobles Lorgeril s'y oppose en faisant valoir qu'il s'agissait d'une opération promotionnelle de remise de 2 dollars par bouteille, soit une opération sans marge pour le producteur afin de rester dans le panel des meilleurs vendeurs et qu'en contrepartie la société Divin Paradis avait accepté une réduction de moitié de sa commission, que les efforts étaient donc partagés et qu'il s'agissait non d'un investissement mais d'un usage normal régulier et nécessaire dans le cadre de la mission confiée à la société Divin Paradis.
Sur ce,
L'article 2129 du code civil du Québec précise :
« Le client est tenu, lors de la résiliation du contrat, de payer à l'entrepreneur ou au prestataire de services, en proportion du prix convenu, les frais et dépenses actuelles, la valeur des travaux exécutés avant la fin du contrat ou avant la notification de la résiliation, ainsi que, le cas échéant, la valeur des biens fournis, lorsque ceux-ci peuvent lui être remis et qu'il peut les utiliser.
L'entrepreneur ou le prestataire de services est tenu, pour sa part, de restituer les avances qu'il a reçues en excédant de ce qu'il a gagné.
Dans l'un et l'autre cas, chacune des parties est aussi tenue de tout autre préjudice que l'autre partie a pu subir. »
Il résulte de la lettre de rupture du 22 juin 2015 que la société Vignobles Lorgeril s'est engagée à verser à la société Divin Paradis 20 % des commissions dues jusqu'au 21 décembre 2015 sur les commandes au répertoire permanent.
S'agissant d'investissements allégués par la société Divin Paradis liés à une offre promotionnelle qui a eu lieu de juin à décembre 2014, la société Divin Paradis ne démontre pas que la société Vignobles Lorgeril en ait profité de façon indue et sans bourse déliée puisque cette dernière a elle-même consenti à réduire sa marge sur cette promotion et il n'est en outre nullement démontré que la société Vignobles Lorgeril ait délibérément attendu la fin de cette promotion pour décider de rompre la relation avec son agent au Québec.
Il en résulte qu'il ne s'agissait pas d'investissements spécifiques de la part de la société Divin Paradis mais de pratiques normales dans l'exercice de sa mission d'agent chargé de la promotion de son client auprès de la SAQ.
C'est donc à bon droit que les premiers juges ont rejeté ce chef de demande.
Sur le paiement des intérêts de retard relatifs à des factures de 2015
La société Divin Paradis soutient que la société Vignobles Lorgeril est redevable des intérêts de retard sur la somme de 32 982,48 euros pour la période allant du 17 août 2015 au 5 mai 2016 pendant laquelle elle s'est abstenue de payer les factures émises.
Il apparaît des écritures de 1re instance de la société Divin Paradis que lesdites factures des 11 mars, 5 août 2015 ont été réglées (pièces 22 à 24 de la société Divin Paradis) dans leur principal avant l'audience du 10 mai 2016, en revanche, l'intimée ne conteste pas la demande en paiement des intérêts à hauteur de 235,74 euros.
La société Vignobles Lorgeril sera donc condamnée à les régler en appel, les premiers juges n'ayant pas répondu explicitement sur ce chef de demande.
Sur les frais et dépens
Le jugement du tribunal de commerce sera confirmé quant aux frais et dépens de 1re instance.
La société Divin Paradis succombant en appel supportera les entiers dépens de l'appel et devra participer aux frais irrépétibles engagés par la société Vignobles Lorgeril pour se défendre dans la procédure d'appel à hauteur de 6 000 euros.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Statuant publiquement et contradictoirement,
CONFIRME le jugement entrepris dans toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
CONDAMNE la société Vignobles Lorgeril à payer à la société Divin Paradis Inc la somme de 235,74 euros au titre des intérêts de retard échus au 5 mai 2016 pour le paiement de factures,
CONDAMNE la société Divin Paradis Inc à payer à la société Vignobles Lorgeril la somme de 6 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE la société Divin Paradis Inc à payer les entiers dépens de l'appel.