CA Rennes, 3e ch. com., 9 mars 2021, n° 17/04874
RENNES
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Captain et Cie (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Contamine
Conseillers :
Mme Jeorger-Le Gac, M. Garet
FAITS ET PROCEDURE
Suivant acte du 3 avril 2009 et dans la perspective de l'ouverture d'un magasin d'ameublement et de vente d'objets de décoration de type ethnique, Mme X signait un « contrat d'adhésion » auprès de la société Captain et Cie.
Ce contrat stipulait notamment :
- que le « groupement Captain et Cie » était une « centrale de référencement au sein de laquelle les adhérents choisissaient en toute liberté des produits à l'intérieur d'une palette de fournisseurs référencés, et non une société de franchise imposant une exclusivité ou quasi-exclusivité, [ni] des méthodes de gestion qui ne pouvaient être modifiées » ;
- que le contrat n'était donc pas soumis, compte tenu de l'organisation du groupement, à l'article 1er de la loi du 1 décembre 1989 et au décret du 4 avril 1991 ;
- que l'adhérent déclarait « connaître parfaitement la zone de chalandise qui lui était attribuée, les facteurs de commercialité qui la caractérisaient, ses potentialités et les difficultés d'évolution de nature à éventuellement en affecter le développement » ;
- qu'en fonction de la sélection des fournisseurs et des produits référencés par le groupement, l'adhérent "s'engageait à suivre les recommandations de la centrale à hauteur d'un minimum de 70 % de ses achats auprès des fournisseurs proposés par le groupement" ;
- que le groupement mettait en œuvre une politique commerciale commune à ses membres, notamment par la conception et l'organisation d'une publicité commune avec laquelle devait s'harmoniser celle des membres ;
- que le groupement concédait à ses membres le droit d'utiliser la marque et l'enseigne "Captain Oliver, meubles et décors d'ici et d'ailleurs" ainsi que la totalité des signes distinctifs accessoires pouvant être créés pour la promotion de cette marque et de cette enseigne ;
- que le groupement s'engageait également à fournir à ses adhérents une assistance marketing complète dans les points de vente sous la forme de visites régulières dans les magasins, ainsi qu'une assistance et des conseils en matière commerciale, juridique, fiscale et, plus généralement, à répondre à toute demande d'aide de leur part et destinée au développement de leurs propres affaires comme à l'harmonisation de leur activité avec celle des autres.
Enfin, les adhérents, qui se voyaient conférer par le groupement une exclusivité d'exploitation de la marque et de l'enseigne sur un territoire déterminé, s'engageaient au paiement d'un droit d'entrée ainsi que de redevances assises sur le chiffre d'affaires réalisé par le magasin.
Mme X se voyait ainsi attribuer une exclusivité sur un certain nombre de communes de la périphérie de Reims.
A cette fin, elle créait une société - la SARL Fallou House - qui signait elle-même un bail commercial portant sur des locaux situés dans la galerie du centre Leclerc de Champfleury (51) et débutait son activité le 26 mai 2010 en reprenant à son compte le contrat d'adhésion précédemment souscrit par Mme X.
N'ayant jamais réussi à atteindre le chiffre d'affaires escompté, la SARL était placée en redressement judiciaire le 6 décembre 2011, finalement converti en liquidation dès le 7 février 2012.
Considérant avoir été trompée par la société Captain et Cie quant au chiffre d'affaires qui lui aurait été garanti par celle-ci, Mme X saisissait le tribunal de commerce de Nantes d'une action tendant à l'indemnisation de l'ensemble des préjudices qu'elle disait avoir subis par suite de son adhésion à ce qu'elle considérait être un véritable contrat de franchise, de même que la SARL Fallou House qui, désormais représentée par son liquidateur judiciaire - la SCP Y -, réclamait la condamnation de la société Captain et Cie à lui rembourser l'ensemble des droits d'entrée et redevances qu'elle lui avait versés depuis l'origine ainsi que l'intégralité des créances qui avaient été déclarées au passif de la liquidation.
Par jugement du 12 juin 2017, le tribunal :
- déclarait la demande de la SCP Y ès-qualités recevable mais non fondée :
- recevait Mme X en sa demande et la déclarant partiellement fondée, condamnait la société Captain et Cie à lui payer 25 000 € en remboursement de son apport personnel au capital social, 55 207,44 € en remboursement des investissements qu'elle avait réalisés à titre personnel, 98 950 € correspondant à l'ensemble des sommes qu'elle avait versées sur son compte courant d'associée, enfin 52 288,53 € en remboursement de la somme à laquelle elle avait été condamnée en qualité de caution au profit de la banque CIC Est ;
- condamnait en outre la société Captain et Cie à payer à Mme X une somme de 3 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- la condamnait enfin aux entiers dépens de l'instance.
Par déclaration reçue au greffe de la cour le 5 juillet 2017, la société Captain et Cie interjetait appel de cette décision.
L'appelante notifiait ses dernières conclusions le 20 septembre 2017, les intimées les leurs le 28 février 2020.
La clôture de la mise en état intervenait par ordonnance du 7 janvier 2020.
Par note adressée aux parties le 16 février 2021, la cour demandait aux parties de lui faire parvenir, en cours de délibéré, leurs observations sur les moyens susceptibles d'être relevés d'office suivants :
- dans l'hypothèse d'une annulation du contrat du 3 avril 2009, l'irrecevabilité de Mme X à solliciter elle-même :
Le remboursement de la somme de 25 000 € correspondant à son apport personnel à la constitution de la SARL Fallou House,
Le remboursement de la somme de 55 207,44 € correspondant aux investissements qu'elle aurait réalisés pour l'installation de la SARL,
Le remboursement de la somme de 98 950 € correspondant au solde de son compte courant d'associée,
Le remboursement de la somme de 31 356,25 € correspondant à sa perte de revenus lors de l'exploitation de la SARL ;
- dans l'hypothèse subsidiaire de l'engagement de la responsabilité civile délictuelle de la société Captain et Cie, l'irrecevabilité de Mme X à solliciter elle-même :
Le paiement de la somme de 107 968,44 € en réparation de son préjudice financier,
Le paiement de la somme de 20 000 € au titre de la perte de la chance d'exploiter une activité rentable ;
- enfin sur le fait que le préjudice résultant du manquement à une obligation pré-contractuelle d'information est constitué par la perte de chance de ne pas contracter ou de contracter à des conditions plus avantageuses, et non par la perte de chance d'obtenir les gains attendus.
La société Captain et Cie concluait sur ces moyens par une note en délibéré notifiée le 19 février 2021, concluant effectivement à l'irrecevabilité de Mme X à réclamer l'indemnisation de la perte de son apport en capital social, de même que du coût des investissements réalisés par elle, du solde de son compte courant d'associée, enfin au débouté de sa demande de perte de revenus.
Quant à Mme X, elle concluait, par une note en délibéré en date du 25 février 2021, à la recevabilité de l'ensemble de ses demandes indemnitaires, quel qu'en soit le fondement, notamment de la demande en remboursement de son apport en capital social, des investissements réalisés par elle en pure perte, des fonds injectés par elle en compte courant d'associée ainsi que de sa perte de revenu pendant l'exploitation, Mme X demandant à la cour, le cas échéant, de requalifier cette dernière demande en perte de chance de ne pas contracter ou de contracter à des conditions plus avantageuses.
MOYENS ET PRETENTIONS DES PARTIES
La société Captain et Cie demande à la cour de :
Vu les articles 1121 et 1134 du code civil,
Vu les articles L. 330-3 et R. 330-1 du code de commerce,
Vu le règlement communautaire n° 4087/88 de la Commission du 30 novembre 1988,
Vu le règlement U.E. du 20 avril 2010,
- infirmer le jugement en toutes ses dispositions ;
- débouter la SCP Y et Mme X de l'intégralité de leurs demandes ;
- les condamner chacune au paiement de la somme de 5 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Au contraire, Mme X et la Selarl Z (anciennement SCP Y) agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la SARL Fallou House, demandent à la cour de :
- les déclarer recevables et bien fondés en leur appel incident ;
Y faisant droit :
- confirmer le jugement en ce qu'il a :
Relevé que Mme X a souscrit une obligation contractuelle qui lui imposait de s'approvisionner à hauteur d'un minimum de 70 % de ses achats auprès des fournisseurs proposés par le groupement ;
Relevé que le non-respect de cette obligation l'exposait à la résiliation automatique du contrat, conformément aux dispositions de l'article 7 du contrat ;
Relevé que la société Captain et Cie exigeait, de fait, une quasi-exclusivité de Mme X pour l'exercice de son activité ;
Relevé que la société Captain et Cie se réservait de jouer un rôle essentiel dans le développement même de l'activité commerciale de Mme X qui se voyait promettre une assistance marketing complète de son point de vente, ainsi qu'une assistance en matière commerciale, juridique, fiscale et généralement à répondre à toute demande d'aide destinée au développement de ses affaires ;
Relevé que l'écart constaté entre les prévisions du chiffre d'affaires annoncé et celui réalisé démontre le caractère léger et fautif de l'étude prévisionnelle ;
Relevé que la mention portée sur le document correspondant selon laquelle «'les projections réalisées n'ont qu'une valeur indicative et aucune garantie ne peut être accordée sur l'avenir'» ne saurait suffire à justifier une telle erreur, sauf à reconnaître que les projections étaient totalement aléatoires ;
Relevé que la faute commise par la société Captain et Cie en remettant à Mme X des prévisionnels infondés apparaît donc comme ayant participé à la mise en redressement judiciaire de la société Fallou House puis de sa liquidation ;
Condamné la société Captain et Cie à indemniser Mme X des préjudices subis, à savoir :
25 000 € en remboursement de son apport personnel,
55 207,44 € correspondant aux investissements qu'elle a réalisés,
98 950 € correspondant aux sommes personnelles versées sur le compte courant ;
- infirmer le jugement pour le surplus, et notamment en ce que les premiers juges n'ont pas tiré les conséquences qui ressortaient de leurs propres constatations dès lors qu'ils ont écarté les demandes de Me Z ès-qualités, n'ont pas qualifié le contrat conclu entre la société Captain et Cie et la société Fallou House et n'ont pas sanctionné le contrat de nullité ;
Statuant à nouveau,
A titre principal,
Vu les articles L. 330-3 et R. 330-1 du code de commerce,
Vu les articles 1108 à 1110 du code civil, devenus 1128 à 1136 du code civil,
Vu les articles 1116 et 1117 du code civil, devenus 1137 à 1139 du code civil,
Vu l'article 1134 du code civil, devenu 1103 du code civil,
- dire et juger que le contrat conclu le 3 avril 2009 est un contrat de franchise ;
Subsidiairement, si la qualification de franchise était écartée,
- dire et juger que ledit contrat comporte, à tout le moins, une clause d'exclusivité ou de quasi-exclusivité ;
En tout état de cause,
- dire et juger que les obligations prévues aux articles L. 330-3 et R. 330-1 du code de commerce s'imposaient à la société Captain et Cie ;
- déclarer nulle la clause dérogeant à l'obligation d'information pré-contractuelle contenue dans le contrat en date du 3 avril 2009 :
- dire et juger que la société Captain et Cie a délibérément manqué à son obligation d'information pré-contractuelle et a communiqué des informations erronées, fantaisistes et dénuées de sérieux ;
- dire et juger que les agissements de la société Captain et Cie sont constitutifs de dol et ont vicié le consentement de Mme X ;
- dire et juger que les agissements de la société Captain et Cie ont concouru à créer une erreur sur la rentabilité de l'activité entreprise entachant le contrat conclu de nullité ;
En conséquence,
- annuler le contrat ;
- dire et juger que les parties doivent être replacées en l'état antérieur à la conclusion du contrat annulé ;
- dire et juger que la Selarl Z ès-qualité est fondée à demander l'indemnisation des préjudices subis par la société liquidée ;
- condamner la société Captain et Cie à verser à la Selarl ès-qualités la somme de 8 970 € TTC en remboursement des droits d'entrée acquittés par la société Fallou House au sein du réseau de franchise ;
- condamner la société Captain et Cie à verser à la Selarl ès-qualités la somme de 3 166,38 € au titre des redevances versées mensuellement sur 22 mois d'activité ;
- condamner la société Captain et Cie à verser à la Selarl ès-qualités la somme de 246 880,50€ au titre des créances déclarées au passif de la liquidation ;
- condamner la société Captain et Cie à verser à Mme X la somme de 25 000 € en remboursement de l'apport personnel qu'elle a injecté dans ladite société ;
- condamner la société Captain et Cie à verser à Mme X la somme de 55 207,44 € correspondant au montant des investissements qu'elle a réalisés en pure perte ;
- condamner la société Captain et Cie à verser à Mme X la somme de 98.950 € correspondant aux sommes personnelles qu'elle a versées sur le compte courant d'associée pour pallier à un besoin de trésorerie de sa société ;
- condamner la société Captain et Cie à verser à Mme X la somme de 31 356,25 € correspondant à la perte de revenus lors de l'exploitation de la franchise ;
- condamner la société Captain et Cie à verser à Mme X la somme de de 20 000 € au titre de son préjudice moral ;
- condamner la société Captain et Cie à verser à Mme X la somme de 5 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens ;
A titre subsidiaire, si par impossible la cour ne retenait pas la nullité du contrat,
- dire et juger que les agissements de la société Captain et Cie envers la société Fallou House sont constitutifs de fautes engageant sa responsabilité délictuelle et ouvrent droit à indemnisation des préjudices subis par la liquidation judiciaire de la société Fallou House et par Mme X ;
Vu l'article 1382 du code civil devenu 1240 du code civil,
- condamner la société Captain et Cie à verser à Me Z ès-qualités la somme de 246 880,50€ correspondant aux sommes inscrites au passif de la liquidation, laquelle résulte directement des fautes commises par la société Captain et Cie ;
- condamner la société Captain et Cie à verser à Mme X la somme de 107 968,44 € en réparation de son préjudice financier ;
- condamner la société Captain et Cie à verser à Mme X la somme de 20 000 € au titre de la perte de chance d'exploiter une activité rentable ;
- condamner la société Captain et Cie à verser à Mme X la somme de 20 000 € au titre de son préjudice moral ;
- condamner la société Captain et Cie au paiement d'une somme de 5 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Il est renvoyé à la lecture des conclusions précitées pour un plus ample exposé des demandes et moyens développés par les parties.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur la demande tendant à la requalification du "contrat d'adhésion" en contrat de franchise :
Mme X ainsi que le liquidateur judiciaire de la SARL Fallou House font valoir qu'il s'agit d'un véritable contrat de franchise, tandis que la société Captain et Cie soutient qu'il ne s'agit que d'un contrat de référencement de fournisseurs.
L'article 12 du code de procédure civile prévoit que le juge doit donner ou restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux sans s'arrêter à la dénomination que les parties en auraient proposée.
Ainsi, la circonstance que le contrat conclu le 3 avril 2009 entre Mme X et la société Captain et Cie n'ait pas été qualifié de « franchise » mais de « contrat d'adhésion », n'empêcherait pas la cour, si le contrat devait présenter toutes les caractéristiques d'une franchise, de le requalifier comme tel.
Ainsi que toutes les parties en conviennent, un contrat de franchise se caractérise par la réunion de trois éléments :
- la mise à disposition, par le franchiseur au profit du franchisé, de signes de ralliement de la clientèle, matérialisés par une enseigne commune,
- l'existence d'une obligation de collaboration entre les parties,
- enfin la transmission par le franchiseur d'un savoir-faire au franchisé,
Il n'est pas contesté que la première condition est remplie, dès lors que le magasin ouvert par la société Fallou House s'est vu attribuer l'enseigne concédée par la société Captain et Cie, en l'occurrence « Captain Oliver ».
De même, en signant ce contrat, les deux parties se sont engagées dans une collaboration qui a trouvé à s'exprimer :
- dès avant l'ouverture du point de vente, puisque la société Captain et Cie a assisté Mme X dans sa recherche de locaux commerciaux, d'abord dans la région de Marne-La-Vallée où celle-ci projetait de s'implanter, ensuite dans la région de Reims sur laquelle elle a finalement arrêté son choix ; c'est encore la société Captain et Cie qui a élaboré les projets de plan du magasin ; c'est toujours la société Captain et Cie qui a assisté Mme X dans la passation de ses commandes d'aménagement intérieur de son magasin ;
- puis pendant la durée du contrat, puisque la société Captain et Cie s'était engagée à apporter à Mme X une assistance marketing, juridique, commerciale, comptable et fiscale, ainsi qu'à lui dispenser une formation ; c'est encore la société Captain et Cie qui est intervenue auprès du bailleur, lorsque la société Fallou House a rencontré des difficultés financières, pour tenter de renégocier une diminution du loyer.
La seconde condition est donc remplie.
En revanche, Mme X s'abstient de démontrer en quoi la société Captain et Cie lui aurait transmis un savoir-faire particulier, substantiel, identifié et secret.
Certes, le contrat évoque la transmission d'un « concept Captain Olivier ».
Cependant et au-delà de ces seuls mots, Mme X ne justifie pas en quoi aurait consisté ce « concept » ni en quoi la société Captain et Cie lui aurait transmis une « façon de travailler spécifique et inhérente à Captain et Cie ».
Ainsi et contrairement aux affirmations de Mme X, l'aménagement intérieur du magasin, bien que largement orienté par les exigences de son rattachement à l'enseigne « Captain Oliver », ne relève pas d'un « savoir-faire », pas plus d'ailleurs que les prétendues « meilleures solutions marketing et publicitaires » que la société Captain et Cie se serait engagé à apporter à son adhérente, faute de démonstration de ce que lesdites « solutions », dont Mme X s'abstient d'ailleurs d'expliquer en quoi elles consistent, relèveraient d'un savoir-faire substantiel, identifié et secret.
En réalité et ainsi que la société Captain et Cie le soutient à juste titre, le contrat conclu avec Mme X consiste une simple adhésion à un groupement de personnes qui, affiliées à une même enseigne, mettent en commun leurs forces commerciales pour négocier au meilleur prix l'achat de produits sélectionnés auprès de fournisseurs référencés.
Il ne s'agit donc pas d'une franchise, Mme X et la Selarl Z ès-qualités devant dès lors être déboutées de leur demande tendant à voir requalifier ce « contrat d'adhésion » en « contrat de franchise ».
Sur la demande tendant à voir dire que le contrat comporte néanmoins une clause « d'exclusivité ou de quasi-exclusivité » au sens des dispositions de l'article L. 330-3 du code de commerce :
Cet article dispose :
« Toute personne qui met à la disposition d'une autre personne un nom commercial, une marque ou une enseigne, en exigeant d'elle un engagement d'exclusivité ou de quasi-exclusivité pour l'exercice de son activité, est tenue, préalablement à la signature de tout contrat conclu dans l'intérêt commun des deux parties, de fournir à l'autre partie un document donnant des informations sincères, qui lui permette de s'engager en connaissance de cause.
Ce document, dont le contenu est fixé par décret, précise notamment, l'ancienneté et l'expérience de l'entreprise, l'état et les perspectives de développement du marché concerné, l'importance du réseau d'exploitants, la durée, les conditions de renouvellement, de résiliation et de cession du contrat ainsi que le champ des exclusivités.
Lorsque le versement d'une somme est exigé préalablement à la signature du contrat mentionné ci-dessus, notamment pour obtenir la réservation d'une zone, les prestations assurées en contrepartie de cette somme sont précisées par écrit, ainsi que les obligations réciproques des parties en cas de dédit.
Le document prévu au premier alinéa ainsi que le projet de contrat sont communiqués vingt jours minimums avant la signature du contrat, ou, le cas échéant, avant le versement de la somme mentionnée à l'alinéa précédent ».
Il résulte de ces dispositions que l'obligation d'information pré-contractuelle, dont le contenu est précisé à l'article R. 330-1, ne s'applique pas qu'aux seuls contrats de franchise, mais plus généralement à tous les contrats qui associent mise à disposition d'un nom commercial, d'une marque ou d'une enseigne, et soumission à un engagement d'exclusivité ou de quasi-exclusivité.
Pour autant, tel n'est pas le cas du contrat conclu entre la société Captain et Cie et Mme X, dès lors qu'il prévoit en son article 2 que l'adhérent s'engage seulement « à suivre les recommandations de la centrale à hauteur d'un minimum de 70 % de ses achats auprès de fournisseurs proposés par le groupement ».
En d'autres termes et en dépit de cette obligation de fidélité aux fournisseurs référencés par le réseau Captain et Cie pour 70 % au moins de ses achats, l'adhérente conservait la liberté de s'approvisionner jusqu'à 30 % de ses achats, soit pour près d'un tiers de ses achats, auprès des fournisseurs de son choix, y compris en dehors du réseau.
Ainsi, cette liberté, même restreinte, demeurait suffisamment importante, relativement parlant, pour priver le contrat de son caractère « d'exclusivité » voire de « quasi-exclusivité » au sens de l'article L. 330-3 du code de commerce.
Il en résulte que la société Captain et Cie n'était pas tenue de satisfaire aux exigences de l'information pré-contractuelle telle qu'elle est définie à cet article.
Sur la demande d'annulation du contrat pour vice du consentement :
Dès lors que le contrat n'était pas soumis aux exigences de l'information pré-contractuelle de l'article L. 330-3, Mme X ne saurait se prévaloir de n'avoir pas reçu cette information pour en déduire que son consentement a été vicié et que, dès lors, le contrat est nul.
En revanche, elle demeure recevable, conformément au droit commun des contrats, à se prévaloir de fausses informations qu'elle aurait reçues de la part de la société Captain et Cie qui, volontairement ou non, aurait ainsi trompé son consentement, soit en lui faisant commettre une erreur sur la substance même de la chose objet du contrat (article 1110 ancien du code civil), soit en usant de manœuvres dolosives sans lesquelles il est évident que Mme X n'aurait pas contracté (article 1116 ancien du même code).
Par ailleurs, et dans la mesure où la société Captain et Cie a choisi de communiquer à Mme X, lors de la signature du contrat, des documents d'information, ceux-ci devaient présenter un caractère sérieux.
Tel n'est pas le cas du premier de ces documents, soit une « étude de faisabilité » du marché local rémois, qui ne cite pas même ses sources et qui, sans aucune démonstration du prétendu « taux d'emprise » de l'enseigne « Captain Oliver » sur ce marché alors même qu'elle en était absente jusqu'alors, n'hésite pas à envisager que le magasin à ouvrir puisse réaliser un « chiffre d'affaires potentiel » de 2 264 712,27 €.
Le deuxième document, soit un « dossier prévisionnel » d'activité, bien que plus classique et plus motivé que le précédent, n'est guère plus sérieux, étant en effet observé :
- qu'il envisage un chiffre d'affaires de 520 000 € pour l'exercice 2009-2010, 546 000 € pour l'exercice 2010-2011 et 573 000 € pour l'exercice 2011-2012, et ce par référence à d'autres « points de vente ayant la même typologie géographique » que celui à ouvrir dans la périphérie de Reims ;
- que pourtant et contrairement aux affirmations de l'appelante, la très grande majorité des établissements à l'enseigne « Captain Oliver » ont réalisé, au cours des années précitées, des chiffres d'affaires très largement inférieurs à ceux annoncés pour le magasin de Mme X, ainsi qu'il résulte des propres pièces produites par la société appelante ;
- qu'en effet, le magasin de Trignac (44), cité par la société Captain et Cie pour exemple d'un chiffre d'affaires supérieur à 500 000 €, apparaît très peu représentatif du réseau « Captain Oliver », bien d'autres magasins, y compris ceux installés dans des villes de taille comparable à celle de Reims, notamment Brest, Rennes ou Tours, affichant des performances très inférieures.
Ainsi, c'est de manière présomptueuse et à tout le moins non sérieuse et fiable que la société Captain et Cie a fait espérer à Mme X un chiffre d'affaires annuel supérieur à 500 000 €, alors même qu'il s'agissait d'un nouveau commerce, par définition situé dans une zone géographique encore inconnue de la société.
D'ailleurs, ces prévisions ne se sont pas réalisées, puisqu'à l'issue de son premier exercice complet, le chiffre d'affaires de la société Fallou House n'a pas dépassé 155 149 €, soit moins du tiers de celui annoncé.
Avec une aussi faible activité, Mme X ne pouvait pas espérer une quelconque rentabilité, puisque devant assumer des charges fixes beaucoup trop élevées par rapport à ses rentrées, notamment des loyers, salaires et charges sociales).
Un tel écart entre le chiffre d'affaires annoncé et celui effectivement réalisé témoigne de l'absence de sérieux des documents remis à Mme X.
A cet égard, c'est sans aucune preuve que la société Captain et Cie croit pouvoir affirmer que ces contre-performances ne seraient que la conséquence d'une « légèreté blâmable » de Mme X « dans la conduite de son entreprise ».
Ne sont en effet démonstratifs de cette affirmation :
- ni les deux messages électroniques adressés à Mme X par le groupement lui-même, alors que nul ne peut se délivrer de preuve à soi-même, censés établir que l'intéressée demeurait « injoignable par téléphone » (pièces n° 12 et 13 de l'appelante) ;
- ni l'attestation, émanant d'ailleurs d'un seul des fournisseurs de la société Fallou House, qui dénonce les « absences répétées » et les « fermetures sans préavis du magasin » (pièce n° 14), alors que l'acrimonie de ce témoignage, qui n'est d'ailleurs corroboré par aucun autre, peut s'expliquer par les impayés que la société a laissés à l'intéressé, lequel confirme en effet avoir été « confronté » au dépôt de bilan de Mme X ;
- ni même la plainte, ponctuelle et émanant d'un seul client de Mme X, qui lui reproche un retard de livraison et un manque de considération pour sa personne (pièce n° 15).
D'ailleurs, ces deux témoignages à charge sont contredits par celui des gérants du commerce voisin qui, au contraire, affirment que le magasin était ouvert tous les jours de 10 heures à 19 heures, parfois même le dimanche.
Au demeurant, Mme X n'est pas la seule à avoir souffert de l'optimisme commercial de la société Captain et Cie, puisqu'il est établi que son propre successeur, en l'occurrence la SARL HDT qui a repris l'enseigne « Captain Oliver » dans les mêmes locaux après le dépôt de bilan de la société Fallou House, a elle-même dû fermer le magasin moins de deux ans après, l'emplacement de celui-ci, dans un bâtiment en retrait et bénéficiant d'une visibilité insuffisante, au surplus dans une zone commerciale peu attractive et à proximité d'un magasin alimentaire -Leclerc- sans cohérence avec l'enseigne « Captain Oliver », pouvant expliquer l'échec de la tentative d'implantation de cette enseigne en région rémoise.
D'ailleurs, la société Captain et Cie demeure taisante sur la pérennité de cette enseigne dans le même secteur géographique depuis les échecs successifs de la société Fallou House puis de la société HDT.
Il est donc établi que les informations fournies par la société Captain et Cie à Mme X à l'occasion de la conclusion du contrat d'adhésion au groupement étaient dépourvues de caractère sérieux et fiable, quant à l'importance du chiffre d'affaires attendu.
Certes, le contrat contenait aussi une stipulation selon laquelle Mme X déclarait connaître la zone de chalandise qui lui était attribuée, les facteurs de commercialité qui la caractérisaient ainsi que ses potentialités de même que les difficultés d'évolution de nature à en affecter le développement.
Le contrat incitait également Mme X à faire appel aux services d'une société d'étude de son choix afin de conforter son opinion.
Or, il est constant que Mme X n'a fait procéder à aucune étude, s'étant contentée des informations que la société Captain et Cie lui avait fournies.
D'ailleurs, il n'est même pas certain qu'en étant informée de l'absence de sérieux de telles prévisions, voire du caractère improbable du chiffre d'affaires annoncé, Mme X aurait renoncé à souscrire le contrat en cause.
Au contraire peut-être aurait-elle néanmoins persisté dans son projet, le cas échéant en en modifiant certains aspects « : réduction ou augmentation de la surface de vente, choix d'une autre zone commerciale, recherche d'un local moins coûteux pour réduire ses charges fixes, renonciation à embaucher un salarié, négociation de droits d'entrée plus réduits etc »
Peut-être même aurait-elle persisté dans son projet sans aucune modification, convaincue qu'elle aurait pu être de sa capacité à produire un chiffre d'affaires sinon aussi important que celui annoncé par la société Captain et Cie, à tout le moins suffisant pour s'assurer une rentabilité qui la satisfasse.
Il est trop facile pour Mme X, une fois son échec consommé, de se convaincre de ce qu'elle aurait fait ou n'aurait pas fait si elle avait pu connaître à l'avance l'issue de son entreprise.
Ainsi, Mme X ne rapporte pas la preuve, en dépit des informations exagérément optimistes qui lui ont été transmises par la société Captain et Cie, qu'elle ait été victime d'un vice du consentement, au sens des dispositions de l'article 1109 ancien du code civil, qui justifierait l'annulation du contrat qu'elle a conclu le 3 avril 2009.
Mme X ainsi que la Selarl Z ès-qualités seront donc déboutées de la demande qu'elles forment en ce sens.
En revanche, en fournissant de telles informations, dépourvues de caractère sérieux comme de toute fiabilité, la société Captain et Cie a commis une faute engageant sa responsabilité civile extra-contractuelle et, par application des dispositions de l'article 1382 ancien du code civil, doit réparer l'ensemble des préjudices qui en sont résultés.
Le jugement sera infirmé en ce sens.
Sur les demandes formées par Mme X à titre personnel :
Mme X réclame d'abord, dans l'hypothèse - retenue par la cour - où la nullité du contrat n'est pas encourue, sur le fondement d'une responsabilité extra-contractuelle, la condamnation de la société Captain et Cie à lui payer une indemnité de 107 968,44 € en réparation du « préjudice financier » qu'elle dit avoir subi du fait des investissements qu'elle a réalisés en pure perte dans l'intérêt de la société (en l'occurrence des frais d'aménagement du local commercial occupé par celle-ci, ou encore des frais d'acquisition de matériels informatiques nécessaires au fonctionnement de la société Fallou House), de même que des sommes qu'elle lui a apportées, soit pour constituer son capital social, soit pour abonder le compte courant d'associé, toutes sommes qui sont aujourd'hui définitivement perdues du fait de la liquidation judiciaire de la société.
Cependant, cette demande sera déclarée irrecevable en ce qu'elle est formée par Mme X alors qu'elle n'est qu'un créancier parmi d'autres de la société en liquidation, les créances dont elle se prévaut, qui ont toutes été investies dans l'intérêt de la société, ne constituant qu'une fraction du passif collectif dont l'apurement est assuré par le gage commun des créanciers qu'il appartient au seul liquidateur de reconstituer.
S'agissant plus précisément de son apport en capital social, le préjudice n'est pas distinct de celui subi par la société elle-même du fait de la liquidation, alors au surplus que le capital, qui a pour fonction de répondre des dettes sociales, n'est pas remboursable lorsqu'il n'y suffit pas.
Mme X réclame ensuite la condamnation de la société Captain et Cie à lui payer une indemnité de 20 000 € pour « perte de chance d'exploiter une activité rentable » voire pour « perte de chance de ne pas contracter ou de contracter à des conditions plus avantageuses » (cf en ce sens la requalification sollicitée par elle aux termes de sa note en délibéré).
Cette demande est recevable dès lors qu'elle tend à la réparation d'un préjudice qui aurait été subi par Mme X elle-même, sans lien avec celui de la société Fallou House.
Pour autant, la réalité de ce préjudice n'est pas démontrée, dès lors en effet que Mme X s'abstient de préciser quelle activité elle aurait pu exercer à défaut de celle de gérante de la SARL Fallou House et quel revenu elle aurait pu retirer de cette activité alternative ; de même, elle s'abstient de préciser à quelles autres conditions elle aurait pu contracter avec la société Captain et Cie et quels avantages elle aurait pu en retirer.
Purement hypothétique, ce préjudice, dont la teneur n'est pas même explicitée, ne saurait donner lieu à l'allocation de dommages-intérêts, Mme X devant dès lors être déboutée de toute demande à ce titre.
En revanche, Mme X justifie d'un préjudice moral, incontestable et directement consécutif aux informations erronées qu'elle a reçues de la part de la société Captain et Cie, lequel sera justement indemnisé à hauteur d'une somme de 10 000 €.
Sur les demandes formées par la liquidation judiciaire de la société Fallou House :
Considérant que les mauvaises informations fournies à Mme X quant à la rentabilité attendue du magasin ont conduit à la liquidation judiciaire de la société Fallou House, la Selarl Z ès-qualités réclame en conséquence la condamnation de la société Captain et Cie à lui payer, à titre de dommages-intérêts, une somme de 246 880,50 € équivalant à l'addition de l'ensemble des créances qui ont été admises au passif de la procédure collective.
Ce raisonnement ne saurait être suivi dans son intégralité, dès lors qu'il n'existe pas de lien de causalité direct entre ces informations erronées et l'ouverture de la liquidation.
En revanche, il est certain qu'au vu des informations exagérément optimistes communiquées par la société Captain et Cie, la société Fallou House a été amenée à reprendre à son compte le contrat souscrit par Mme X et à engager un certain nombre de dépenses et emprunts incompressibles dont le solde figure aujourd'hui au passif de la liquidation.
Il en est ainsi, au vu de la liste des créances produite par les intimées en pièces n° 13 et 14, de l'emprunt d'installation contracté par la société Fallou House auprès de la banque CIC Est dont le solde a été admis au passif de la liquidation à hauteur d'une somme de 91 581 €, ou encore des créances de loyers demeurés impayés par la société Fallou House et qui ont été admises au passif de la liquidation pour les sommes restantes dues de 64 733,33 € et de 13 404,97 €.
Ces dépenses, incompressibles et qui découlent non pas d'une 'gestion désastreuse' de la société Fallou House comme la société Captain et Cie le soutient à tort, mais bien d'une activité devenue immédiatement déficitaire, n'auraient pas été exposées si, mieux informée sur la réalité du chiffre d'affaires qu'elle pouvait attendre, la société Fallou House n'avait pas ouvert le magasin « Captain Oliver » ni repris à son compte le contrat proposé par la société Captain et Cie.
Aussi et en tenant compte de la perte de chance que la société Fallou House avait de ne pas souscrire ce contrat, et partant, de la perte de chance qu'elle avait de ne pas exposer les dépenses incompressibles précitées, il convient d'allouer à la liquidation judiciaire une indemnité de 80 000€ en réparation du préjudice qu'elle a subi par suite du manquement de la société Captain et Cie à son obligation information pré-contractuelle.
Sur les autres demandes :
La société Captain et Cie sera condamnée au paiement d'une somme de 5 000 € au titre des frais irrépétibles exposés par ses adversaires tant en première instance qu'en cause d'appel.
Enfin, partie perdante, elle supportera les entiers dépens de première instance et d'appel.
PAR CES MOTIFS,
La cour :
- infirme le jugement en toutes ses dispositions ;
- statuant à nouveau et y ajoutant :
Juge que le contrat souscrit le 3 avril 2009 par Mme X auprès de la société Captain et Cie ne constitue pas un contrat de franchise ;
Juge que ce contrat ne contient pas non plus une clause d'exclusivité ou de quasi-exclusivité commandant l'application des dispositions de l'article L. 330-3 du code de commerce ;
Déboute Mme X ainsi que la Selarl Z en qualité de liquidateur judiciaire de la société Fallou House de leur demande tendant à l'annulation du contrat pour vice du consentement ;
Juge en revanche que la société Captain et Cie a fourni à Mme X des informations pré-contractuelles dépourvues de caractère sérieux et fiable, et qu'elle a, par là même, engagé sa responsabilité civile extra-contractuelle ;
Condamne en conséquence la société Captain et Cie à payer à Mme X une indemnité de 10 000 € en réparation de son préjudice moral ;
Déclare Mme X irrecevable à solliciter la réparation du préjudice financier qu'elle invoque, constitué des investissements réalisés par elle dans l'intérêt de la société Fallou House ainsi que des sommes qu'elle lui a apportées, soit pour constituer son capital social, soit pour abonder le compte courant d'associée ;
Déboute Mme X du surplus de ses demandes ;
Condamne la société Captain et Cie à payer à la Selarl Z en qualité de liquidateur judiciaire de la société Fallou House une somme de 80 000 € en réparation du préjudice subi par la liquidation ;
Déboute la Selarl Z ès-qualités du surplus de ses demandes ;
Condamne la société Captain et Cie à payer à Mme X et la Selarl Z ès-qualités une (seule) somme de 5 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la société Captain et Cie aux entiers dépens de la procédure d'appel.