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Décisions

CJUE, gr. ch., 16 mars 2021, n° C-596/19 P

COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Commission européenne

Défendeur :

Hongrie, République de Pologne

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

K. Lenaerts

Présidents de chambre :

J. C. Bonichot (rapporteur), A. Arabadjiev, E. Regan, A. Kumin, N. Wahl

Vice-président :

R. Silva de Lapuerta

Juges :

M. Safjan, D. Šváby, S. Rodin, F. Biltgen, K. Jürimäe, C. Lycourgos, P. G. Xuereb, N. Jääskinen

Avocat général :

J. Kokott

CJUE n° C-596/19 P

16 mars 2021

Arrêt

1 Par son pourvoi, la Commission européenne demande l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 27 juin 2019, Hongrie/Commission (T 20/17, ci-après l’« arrêt attaqué », EU:T:2019:448), par lequel celui-ci a annulé la décision (UE) 2017/329 de la Commission, du 4 novembre 2016, concernant la mesure SA.39235 (2015/C) (ex 2015/NN) mise à exécution par la Hongrie dans le domaine de la taxation des recettes publicitaires (JO 2017, L 49, p. 36, ci-après la « décision litigieuse »).

 Les antécédents du litige

2 Les antécédents du litige ont été exposés par le Tribunal aux points 1 à 32 de l’arrêt attaqué. Ils peuvent être résumés comme suit.

3 Le 11 juin 2014, la Hongrie a adopté la loi no XXII de 2014 relative à la taxe sur la publicité (ci-après la « loi relative à la taxe sur la publicité »). Entrée en vigueur le 15 août 2014, cette loi a instauré une nouvelle taxe spéciale, progressive par tranches, sur les recettes liées à la diffusion de publicités en Hongrie (ci-après la « mesure fiscale en cause »). Au cours de l’examen de la loi relative à la taxe sur la publicité par la Commission au titre du contrôle des aides d’État, les autorités hongroises ont affirmé que cette taxe visait à soutenir le principe de proportionnalité fiscale.

4 En vertu de cette loi, quiconque diffuse de la publicité est soumis à la mesure fiscale en cause. Sont ainsi assujettis à cette dernière les opérateurs économiques qui diffusent des publicités, tels que les organes de presse écrite, les médias audiovisuels ou les afficheurs, à l’exception des annonceurs, c’est-à-dire des commanditaires des annonces publicitaires, et des agences de publicité, qui sont des intermédiaires entre les annonceurs et les diffuseurs. La base d’imposition de la mesure fiscale en cause est le chiffre d’affaires net d’un exercice annuel généré par la diffusion de publicités. Elle est perçue en complément de la fiscalité existante pesant sur les entreprises, notamment de l’impôt sur les sociétés. Son champ d’application territorial couvre la Hongrie.

5 Le barème des taux de la mesure fiscale en cause a été défini comme suit :

– 0 % pour la tranche de base d’imposition ne dépassant pas 0,5 milliard de forints hongrois (HUF) (environ 1 400 000 euros) ;

– 1 % pour la tranche de base d’imposition allant de 0,5 à 5 milliards de HUF (environ 14 millions d’euros) ;

– 10 % pour la tranche de base d’imposition allant de 5 à 10 milliards de HUF (environ 28 millions d’euros) ;

– 20 % pour la tranche de base d’imposition allant de 10 à 15 milliards de HUF (environ 42 millions d’euros) ;

– 30 % pour la tranche de base d’imposition allant de 15 à 20 milliards de HUF (environ 56 millions d’euros), et

– 40 % pour la tranche de base d’imposition à partir de ce dernier montant, ce taux ayant été porté à 50 % à partir du 1er janvier 2015.

6 La loi relative à la taxe sur la publicité prévoyait également que les assujettis dont le bénéfice avant impôt de l’exercice 2013 était nul ou négatif pouvaient déduire de leur base d’imposition de l’année 2014 50 % des pertes reportées des exercices précédents (ci-après le « mécanisme de déductibilité partielle des pertes reportées »).

7 Par décision du 12 mars 2015, la Commission a ouvert la procédure formelle d’examen prévue à l’article 108, paragraphe 2, TFUE, estimant que le caractère progressif de la mesure fiscale en cause et le mécanisme de déductibilité partielle des pertes reportées engendraient des aides d’État. Dans cette décision, la Commission a estimé que la progressivité des taux introduisait une distinction entre les entreprises bénéficiant de recettes publicitaires élevées, c’est-à-dire les entreprises de grande taille, et celles dont les recettes publicitaires sont plus faibles, c’est-à-dire les entreprises de petite taille. Selon cette institution, la mesure fiscale en cause induisait un avantage sélectif au profit de ces dernières. La Commission a également estimé que le mécanisme de déductibilité partielle des pertes reportées comportait un avantage sélectif constitutif d’une aide d’État.

8 Par la même décision, la Commission a enjoint aux autorités hongroises de suspendre la mesure fiscale en cause sur le fondement de l’article 11, paragraphe 1, du règlement (CE) no 659/1999 du Conseil, du 22 mars 1999, portant modalités d’application de l’article 108 [TFUE] (JO 1999, L 83, p 1).

9 Par la suite, la Hongrie a modifié cette mesure par la loi no LXII de 2015, adoptée le 4 juin 2015 (ci-après la « loi de 2015 »). Le barème progressif de la mesure fiscale en cause, composé de six tranches de taux allant de 0 % à 50 %, a été remplacé par le barème suivant, composé de deux taux d’imposition :

– 0 % pour la tranche de base d’imposition inférieure à 100 millions de HUF (environ 280 000 euros) et

– 5,3 % pour la tranche de base d’imposition à partir de ce dernier montant.

10 Le 4 novembre 2016, la Commission a clôturé la procédure formelle d’examen en adoptant la décision litigieuse.

11 À l’article 1er de cette décision, la Commission a conclu que le caractère progressif de la mesure fiscale en cause, y compris dans la version issue de la loi de 2015, ainsi que le mécanisme de déductibilité partielle des pertes reportées étaient constitutifs d’une aide d’État. Selon la Commission, cette aide avait été instituée de manière illégale, en violation de l’article 108, paragraphe 3, TFUE, et était en outre incompatible avec le marché intérieur au regard de l’article 107, paragraphe 1, TFUE. Aux termes de l’article 4 de la décision litigieuse, la Commission a ordonné à la Hongrie de récupérer auprès des bénéficiaires les aides déclarées incompatibles avec le marché intérieur.

12 À ce titre, les autorités hongroises devaient récupérer auprès des entreprises ayant enregistré des recettes publicitaires au cours de la période comprise entre la date d’entrée en vigueur de la loi relative à la taxe sur la publicité et soit celle de la suppression de la mesure fiscale en cause, soit celle de son remplacement par un régime entièrement compatible avec le droit de l’Union en matière d’aides d’État les sommes correspondant à la différence entre, d’une part, le montant de la taxe dont ces entreprises auraient dû s’acquitter en application du système de référence consistant en un régime d’imposition à taux unique, fixé à 5,3 %, sous réserve du choix d’un autre taux par les autorités hongroises, et, d’autre part, le montant de la taxe dont lesdites entreprises s’étaient déjà acquittées ou qu’elles devaient acquitter. Dans l’éventualité où la différence entre ces deux montants aurait présenté une valeur positive, la somme correspondante devait être récupérée, majorée d’intérêts calculés à partir de la date d’échéance de la taxe.

13 La Commission a cependant indiqué que la récupération ne serait pas nécessaire si la Hongrie supprimait la mesure fiscale en cause avec effet rétroactif à la date de son entrée en vigueur. Par la suite, par exemple à partir de l’année 2017, la Hongrie pourrait introduire un régime d’imposition non progressif, n’introduisant pas de différenciation entre les opérateurs économiques assujettis.

14 En substance, la Commission a considéré que la mesure fiscale en cause devait être qualifiée d’« aide d’État », au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, pour les motifs suivants.

15 En ce qui concerne l’imputabilité de la mesure fiscale en cause à l’État et son financement au moyen de ressources d’État, la Commission a relevé que, du fait de l’adoption de la loi relative à la taxe sur la publicité, la Hongrie avait renoncé à des ressources qu’elle aurait dû percevoir auprès des entreprises dont le chiffre d’affaires lié à la perception de recettes publicitaires est peu élevé, c’est-à-dire les entreprises de petite taille, si elles avaient été soumises à la même obligation fiscale que les entreprises dont le chiffre d’affaires lié à la perception de recettes publicitaires est plus élevé, c’est-à-dire des entreprises plus grandes.

16 S’agissant de l’existence d’un avantage, la Commission a rappelé que des mesures qui allègent les charges normalement supportées par les entreprises apportent, tout comme les prestations positives, un avantage. En l’occurrence, la taxation à un taux considérablement inférieur aurait allégé les charges pesant sur les entreprises réalisant un chiffre d’affaires peu élevé par rapport aux charges pesant sur les entreprises dont le chiffre d’affaires est plus élevé, fournissant ainsi un avantage aux entreprises plus petites par rapport aux entreprises plus grandes.

17 La Commission a ajouté que le mécanisme de déductibilité partielle des pertes reportées constituait également un avantage puisqu’il revenait à diminuer la charge fiscale des entreprises disposant de pertes reportées n’ayant pas généré de bénéfices en 2013 par rapport à celle pesant sur les autres entreprises, qui ne pouvaient bénéficier de ce mécanisme.

18 Au titre de l’examen du caractère sélectif de la mesure fiscale en cause, la Commission a, d’abord, exposé que le système de référence à partir duquel il convenait de raisonner correspondait à celui d’une taxe spéciale sur le chiffre d’affaires provenant de la diffusion de publicités. Toutefois, selon la Commission, la structure progressive des taux de la taxe sur les recettes publicitaires ne pouvait faire partie de ce système de référence. En effet, afin que ce dernier ne puisse lui-même être regardé comme constitutif d’une aide d’État, elle a indiqué qu’il devait répondre à deux conditions, c’est-à-dire, d’une part, être fondé sur un taux unique pour toutes les recettes publicitaires et, d’autre part, ne pas contenir d’élément susceptible d’accorder un avantage sélectif à certaines entreprises.

19 La Commission a, ensuite, estimé que, en l’espèce, la progressivité de l’imposition, en ce qu’elle entraînait non seulement des taux marginaux, mais aussi des taux moyens d’imposition différents entre entreprises constituait une dérogation au système de référence constitué par une taxe sur la publicité à taux unique à laquelle serait soumis l’ensemble des opérateurs économiques diffusant de la publicité en Hongrie.

20 En outre, cette institution a considéré que le mécanisme de déductibilité partielle des pertes reportées, réservé aux entreprises n’ayant pas généré de bénéfices au cours de l’année 2013, constituait, lui aussi, une dérogation au système de référence, caractérisé par une imposition assise sur le chiffre d’affaires. Dans ce cadre, selon la Commission, les coûts pesant sur les entreprises ne pourraient être déduits de la base d’imposition, contrairement à ce qui se pratique en matière d’imposition sur les bénéfices. Ce mécanisme introduirait, partant, une différenciation arbitraire entre deux groupes d’entreprises se trouvant pourtant dans une situation juridique et factuelle comparable, c’est-à-dire, d’une part, les entreprises qui présentaient des pertes reportées des exercices précédents et n’ont pas généré de bénéfices au titre de l’exercice 2013, et, d’autre part, les entreprises qui ont réalisé des bénéfices au titre de cet exercice. La possibilité de déduction partielle des pertes existantes au moment de l’adoption de la loi relative à la taxe sur la publicité serait nécessairement sélective, dans la mesure où elle favoriserait les entreprises disposant de pertes reportées importantes, notamment du fait de leur accumulation au cours des années précédentes.

21 Enfin, la Commission a considéré que la loi relative à la taxe sur la publicité, telle que modifiée par la loi de 2015, instituait une imposition fondée sur les mêmes principes et présentant les mêmes caractéristiques que sa version initiale. Elle en a conclu que l’imposition issue de cette loi ainsi modifiée présentait des caractéristiques identiques à celles ayant initialement conduit à l’identification d’aides d’État.

22 Le 16 mai 2017, la Hongrie a adopté la loi no XLVII de 2017, portant modification de la loi relative à la taxe sur la publicité. En substance, cette loi a supprimé, de manière rétroactive, la mesure fiscale en cause.

La procédure devant le Tribunal et l’arrêt attaqué

23 Le 16 janvier 2017, la Hongrie a formé un recours contre la décision litigieuse. Par acte séparé, déposé le même jour, elle a introduit une demande de sursis à exécution, qui a été rejetée par l’ordonnance du président du Tribunal du 23 mars 2017, Hongrie/Commission (T 20/17 R, non publiée, EU:T:2017:203).

24 Par décision du 30 mai 2017, le président de la neuvième chambre du Tribunal a admis l’intervention de la République de la Pologne au soutien des conclusions de la Hongrie.

25 À l’appui de son recours, la Hongrie soulevait trois moyens, tirés, premièrement, de ce que la mesure fiscale en cause a été qualifiée à tort d’« aide d’État », au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, deuxièmement, de la violation de l’obligation de motivation, et, troisièmement, de l’existence d’un détournement de pouvoir.

26 Par l’arrêt attaqué, le Tribunal a accueilli le premier de ces moyens, en jugeant que la Commission avait estimé à tort que la mesure fiscale en cause et le mécanisme de déductibilité partielle des pertes reportées étaient constitutifs d’avantages sélectifs. Il a annulé, pour ce motif, la décision litigieuse, sans se prononcer sur les autres moyens du recours.

 La procédure devant la Cour et les conclusions des parties

27 Par son pourvoi, la Commission demande à la Cour :

– d’annuler l’arrêt attaqué ;

– de statuer définitivement sur le litige, en écartant les deuxième et troisième moyens soulevés par la Hongrie contre la décision litigieuse, et de condamner celle-ci aux dépens, et

– à titre subsidiaire, de renvoyer l’affaire devant le Tribunal afin qu’il statue sur les moyens sur lesquels il ne s’est pas encore prononcé.

28 La Hongrie, soutenue dans ses conclusions par la République de Pologne, demande à la Cour :

– de rejeter le pourvoi comme étant non fondé et

– de condamner la Commission aux dépens.

 Sur le pourvoi

29 La Commission soulève deux moyens à l’appui de son pourvoi.

Sur le premier moyen, tiré d’une violation de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, en ce que le Tribunal a jugé que le caractère progressif de la mesure fiscale en cause n’induisait pas d’avantage sélectif

30 Par son premier moyen, la Commission soutient que, en jugeant que le caractère progressif de la mesure fiscale en cause n’entraînait pas un avantage sélectif au profit des entreprises réalisant un chiffre d’affaires peu élevé lié à la diffusion de publicités, le Tribunal a violé l’article 107, paragraphe 1, TFUE. Selon cette institution, le Tribunal a commis une erreur de droit dans l’interprétation et l’application de chacune des trois étapes de l’analyse de la sélectivité de cette mesure. À cet égard, la Commission estime, d’abord, que c’est à tort que le Tribunal a considéré que la progressivité des taux faisait partie du système de référence au regard duquel il convenait d’apprécier la sélectivité de la mesure fiscale en cause. Ensuite, elle fait valoir que le Tribunal ne pouvait pas examiner la comparabilité des entreprises assujetties à ladite mesure à l’aune d’un objectif autre que l’objectif fiscal de cette dernière. Enfin, la Commission soutient que c’est à tort que, dans le cadre de l’analyse de la justification de la même mesure, le Tribunal a retenu un objectif, à savoir l’objectif de redistribution, qui n’est pas intrinsèquement lié à ladite mesure.

31 La Hongrie et la République de Pologne contestent cette argumentation.

32 À titre liminaire, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante de la Cour, les interventions des États membres dans les domaines qui n’ont pas fait l’objet d’une harmonisation en droit de l’Union ne sont pas exclues du champ d’application des dispositions du traité FUE relatives au contrôle des aides d’État (voir, en ce sens, arrêt du 22 juin 2006, Belgique et Forum 187/Commission, C 182/03 et C 217/03, EU:C:2006:416, point 81). Les États membres doivent ainsi s’abstenir d’adopter toute mesure fiscale susceptible de constituer une aide d’État incompatible avec le marché intérieur.

33 À cet égard, il résulte également d’une jurisprudence constante de la Cour que la qualification d’une mesure nationale d’« aide d’État », au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, requiert que toutes les conditions suivantes soient remplies. Premièrement, il doit s’agir d’une intervention de l’État ou au moyen de ressources d’État. Deuxièmement, cette intervention doit être susceptible d’affecter les échanges entre les États membres. Troisièmement, elle doit accorder un avantage sélectif à son bénéficiaire. Quatrièmement, elle doit fausser ou menacer de fausser la concurrence (voir, notamment, arrêt du 21 décembre 2016, Commission/World Duty Free Group e.a., C 20/15 P et C 21/15 P, EU:C:2016:981, point 53 et jurisprudence citée).

34 En ce qui concerne la condition relative à la sélectivité de l’avantage, inhérente à la qualification d’une mesure d’« aide d’État », au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, qui fait seule l’objet de la contestation portée par la Commission dans le cadre du présent pourvoi, il résulte d’une jurisprudence tout aussi constante de la Cour que cette condition impose de déterminer si, dans le cadre d’un régime juridique donné, la mesure nationale en cause est de nature à favoriser « certaines entreprises ou certaines productions » par rapport à d’autres, qui se trouvent, au regard de l’objectif poursuivi par ledit régime, dans une situation factuelle et juridique comparable et qui subissent ainsi un traitement différencié pouvant en substance être qualifié de discriminatoire (arrêt du 19 décembre 2018, A-Brauerei, C 374/17, EU:C:2018:1024, point 35 et jurisprudence citée).

35 Par ailleurs, lorsque la mesure en cause est envisagée comme un régime d’aide et non comme une aide individuelle, il incombe à la Commission d’établir que cette mesure, bien qu’elle prévoie un avantage de portée générale, en confère le bénéfice exclusif à certaines entreprises ou à certains secteurs d’activité (voir en ce sens, notamment, arrêt du 30 juin 2016, Belgique/Commission, C 270/15 P, EU:C:2016:489, point 49).

36 S’agissant, en particulier, de mesures nationales conférant un avantage fiscal, il y a lieu de rappeler qu’une mesure de cette nature qui, bien que ne comportant pas un transfert de ressources d’État, place les bénéficiaires dans une situation plus favorable que les autres contribuables est susceptible de procurer un avantage sélectif aux bénéficiaires et de constituer, partant, une « aide d’État », au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE. Ainsi, est notamment considérée comme une aide d’État une intervention qui allège les charges qui grèvent normalement le budget d’une entreprise et qui, de ce fait, sans être une subvention au sens strict du mot, est de même nature et a des effets identiques (voir, en ce sens, arrêts du 15 mars 1994, Banco Exterior de España, C 387/92, EU:C:1994:100, points 13 et 14, ainsi que du 15 novembre 2011, Commission et Espagne/Government of Gibraltar et Royaume-Uni, C 106/09 P et C 107/09 P, EU:C:2011:732, points 71 et 72). En revanche, ne constitue pas une telle aide, au sens de cette disposition, un avantage fiscal résultant d’une mesure générale applicable sans distinction à tous les opérateurs économiques (voir, en ce sens, arrêt du 19 décembre 2018, A-Brauerei, C 374/17, EU:C:2018:1024, point 23 et jurisprudence citée).

37 Dans ce contexte, aux fins de qualifier une mesure fiscale nationale de « sélective », la Commission doit identifier, dans un premier temps, le système de référence, soit le régime fiscal « normal » applicable dans l’État membre concerné, et démontrer, dans un second temps, que la mesure fiscale en cause déroge à ce système de référence, dans la mesure où elle introduit des différenciations entre des opérateurs se trouvant, au regard de l’objectif poursuivi par ce dernier, dans une situation factuelle et juridique comparable (voir, en ce sens, arrêt du 19 décembre 2018, A-Brauerei, C 374/17, EU:C:2018:1024, point 36 et jurisprudence citée).

38 La notion d’« aide d’État » ne vise toutefois pas les mesures introduisant une différenciation entre des entreprises qui se trouvent, au regard de l’objectif poursuivi par la réglementation nationale en cause, dans une situation factuelle et juridique comparable et, partant, a priori sélectives, lorsque l’État membre concerné parvient à démontrer que cette différenciation est justifiée, en ce sens qu’elle résulte de la nature ou de l’économie du système dans lequel ces mesures s’inscrivent (voir en ce sens, notamment, arrêts du 29 avril 2004, Pays-Bas/Commission, C 159/01, EU:C:2004:246, points 42 et 43 ; du 29 mars 2012, 3M Italia, C 417/10, EU:C:2012:184, point 40, ainsi que du 19 décembre 2018, A Brauerei, C 374/17, EU:C:2018:1024, point 44).

39 C’est à l’aune de ces considérations qu’il y a lieu d’examiner si, en l’espèce, le Tribunal a méconnu l’article 107, paragraphe 1, TFUE, tel qu’interprété par la Cour, en jugeant, en substance, que la Commission n’avait pas démontré que le caractère progressif de la mesure fiscale en cause avait pour conséquence de conférer un avantage sélectif à « certaines entreprises ou [à] certaines productions ».

40 Par la première branche de son moyen, la Commission soutient que, en lui reprochant d’avoir apprécié l’existence éventuelle d’un avantage sélectif au regard d’un système de référence erroné et en considérant que faisaient partie intégrante de ce système de référence les taux d’imposition progressifs retenus par le législateur hongrois, le Tribunal a commis une erreur de droit.

41 Selon la Commission, l’avantage sélectif induit par la mesure fiscale en cause résiderait non pas dans l’existence d’une exonération au titre de la fraction du chiffre d’affaires en deçà d’un certain montant, puisque toutes les entreprises concernées profitent de cette exonération pour la partie de leur chiffre d’affaires ne dépassant pas le plafond correspondant à la tranche exonérée, mais dans la différence de taux moyen d’imposition résultant de la progressivité des taux. Cette différence favoriserait les entreprises réalisant un chiffre d’affaires peu élevé en allégeant, de façon injustifiée, la charge fiscale qui serait la leur par rapport à celle pesant sur les autres entreprises dans le cadre du système de référence, ce dernier consistant, selon la Commission, en un impôt sur le chiffre d’affaires au taux unique de 5,3 %. Ainsi, l’imposition à taux progressifs ne différerait pas de la situation dans laquelle un groupe d’assujettis est imposé à un taux donné et un autre groupe d’assujettis à un autre taux, ce qui équivaudrait à un traitement différencié d’entreprises comparables.

42 Dès lors, la question se pose d’abord de savoir si, comme le soutient la Commission, la progressivité des taux prévue par la mesure fiscale en cause devait être exclue du système de référence au regard duquel il convenait d’apprécier si l’existence d’un avantage sélectif pouvait être établie ou si, comme l’a jugé le Tribunal aux points 78 à 83 de l’arrêt attaqué, elle en fait au contraire partie intégrante.

43 En matière de libertés fondamentales du marché intérieur, la Cour a jugé que, en l’état actuel de l’harmonisation du droit fiscal de l’Union, les États membres sont libres d’établir le système de taxation qu’ils jugent le plus approprié, de sorte que l’application d’une taxation progressive relève du pouvoir d’appréciation de chaque État membre (voir, en ce sens, arrêts du 3 mars 2020, Vodafone Magyarország, C 75/18, EU:C:2020:139, point 49, et Tesco-Global Áruházak, C 323/18, EU:C:2020:140, point 69 ainsi que jurisprudence citée). Cette affirmation est également valable en matière d’aides d’État (voir en ce sens, notamment, arrêt du 26 avril 2018, ANGED, C 233/16, EU:C:2018:280, point 50 et jurisprudence citée).

44 Il s’ensuit que, en dehors des domaines dans lesquels le droit fiscal de l’Union fait l’objet d’une harmonisation, la détermination des caractéristiques constitutives de chaque impôt relève du pouvoir d’appréciation des États membres, dans le respect de leur autonomie fiscale, ce pouvoir devant, en tout état de cause, être exercé dans le respect du droit de l’Union. Il en va ainsi, notamment, du choix du taux de l’impôt, qui peut être proportionnel ou progressif, mais aussi de la détermination de son assiette et de son fait générateur.

45 Ces caractéristiques constitutives définissent donc, en principe, le système de référence ou le régime fiscal « normal », à partir duquel il convient, conformément à la jurisprudence rappelée au point 37 du présent arrêt, d’analyser la condition relative à la sélectivité.

46 À cet égard, il y a lieu de préciser que le droit de l’Union en matière d’aides d’État ne s’oppose pas, en principe, à ce que les États membres décident d’opter pour des taux d’imposition progressifs, destinés à tenir compte de la capacité contributive des assujettis. Le fait que le recours à une imposition progressive soit, en pratique, plus courant en matière d’imposition des personnes physiques n’implique pas qu’il leur serait interdit d’y recourir pour tenir compte également de la capacité contributive des personnes morales, en particulier des entreprises.

47 Le droit de l’Union ne fait ainsi pas obstacle à ce qu’une imposition progressive soit assise sur le chiffre d’affaires, y compris dans le cas où elle ne serait pas destinée à compenser les effets négatifs qui seraient susceptibles d’être générés par l’activité taxée. En effet, contrairement à ce que soutient la Commission, le montant du chiffre d’affaires constitue, en général, à la fois un critère de distinction neutre et un indicateur pertinent de la capacité contributive des assujettis (voir, en ce sens, arrêts du 3 mars 2020, Vodafone Magyarország, C 75/18, EU:C:2020:139, point 50, et Tesco-Global Áruházak, C 323/18, EU:C:2020:140, point 70). Il ne résulte d’aucune règle ni d’aucun principe du droit de l’Union, y compris en matière d’aides d’État, que l’application de taux progressifs serait réservée aux seules impositions sur les bénéfices. D’ailleurs, tout comme le chiffre d’affaires, le bénéfice n’est lui-même qu’un indicateur relatif de la capacité contributive. La circonstance qu’il constituerait, comme l’estime la Commission, un indicateur plus pertinent ou plus précis que le chiffre d’affaires est indifférente en matière d’aides d’État, dès lors que le droit de l’Union en cette matière vise seulement la suppression des avantages sélectifs dont pourraient bénéficier certaines entreprises au détriment d’autres qui seraient placées dans une situation comparable. Il en va de même de l’existence d’une éventuelle situation de double imposition économique, liée au cumul d’une imposition sur le chiffre d’affaires et d’une imposition sur les bénéfices.

48 Il résulte de ce qui précède que les caractéristiques constitutives de l’impôt, dont font partie les taux d’imposition progressifs, forment, en principe, le système de référence ou le régime fiscal « normal » aux fins de l’analyse de la condition de sélectivité. Cela étant, il n’est pas exclu que ces caractéristiques puissent, dans certains cas, révéler un élément manifestement discriminatoire, ce qu’il appartient toutefois à la Commission de démontrer.

49 L’arrêt du 15 novembre 2011, Commission et Espagne/ Government of Gibraltar et Royaume-Uni (C 106/09 P et C-107/09 P, EU:C:2011:732), ne remet pas en cause les considérations qui précèdent. Au contraire, ainsi que l’a, en substance, relevé Mme l’avocate générale aux points 47 à 52 de ses conclusions, dans l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt, le système fiscal avait été configuré selon des paramètres manifestement discriminatoires, destinés à contourner le droit de l’Union en matière d’aides d’État. C’est ce que révélait, dans cette affaire, le choix de critères d’imposition favorisant certaines sociétés offshores, qui apparaissait incohérent au regard de l’objectif de créer une imposition générale, pesant sur l’ensemble des entreprises, affiché par le législateur concerné.

50 En l’espèce, ainsi qu’il ressort des points 3 à 6 et 9 du présent arrêt, le législateur hongrois a, par la loi relative à la taxe sur la publicité, institué la mesure fiscale en cause, consistant en une taxe spéciale, progressive par tranches, assise sur les recettes liées à la diffusion de publicités en Hongrie, applicable à l’ensemble des entreprises. Le barème de cette taxe, qui, contrairement à ce que soutient la Commission, a le caractère d’un impôt direct, a été modifié par la loi de 2015, mais ses caractéristiques sont demeurées inchangées. La Commission n’a pas établi que ces caractéristiques, adoptées par le législateur hongrois en faisant usage du pouvoir d’appréciation dont il dispose dans le cadre de son autonomie fiscale, avaient été conçues de manière manifestement discriminatoire, dans le but de contourner les exigences découlant du droit de l’Union en matière d’aides d’État. Dans ces conditions, la progressivité des taux de la mesure fiscale en cause devait être regardée comme inhérente au système de référence ou au régime fiscal « normal » à l’aune duquel devait être appréciée l’existence, en l’espèce, d’un avantage sélectif.

51 C’est, dès lors, sans commettre d’erreur de droit que le Tribunal, aux points 78 à 83 de l’arrêt attaqué, a jugé que, en estimant que le barème progressif de la mesure fiscale en cause ne faisait pas partie du système de référence à l’aune duquel devait être apprécié le caractère sélectif de cette mesure, la Commission s’était erronément fondée sur un système de référence incomplet et fictif. Il s’ensuit que la première branche du premier moyen doit être écartée comme étant non fondée.

52 Une erreur commise dans la détermination du système de référence viciant nécessairement l’ensemble de l’analyse de la condition relative à la sélectivité [voir, en ce sens, arrêt du 28 juin 2018, Andres (faillite Heitkamp BauHolding)/Commission, C 203/16 P, EU:C:2018:505, point 107], il n’y a pas lieu de se prononcer sur les deuxième et troisième branches du premier moyen.

53 Il résulte de ce qui précède que le premier moyen du pourvoi doit être écarté, dans son ensemble, comme étant non fondé.

 Sur le second moyen, tiré d’une violation de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, en ce que le Tribunal a jugé que le mécanisme de déductibilité partielle des pertes reportées n’induisait pas un avantage sélectif

54 Par son second moyen, la Commission soutient que le Tribunal a commis une erreur de droit en estimant que le mécanisme de déductibilité partielle des pertes reportées, permettant aux entreprises dont le bénéfice avant impôt de l’exercice 2013 était nul ou négatif de déduire 50 % de leurs pertes reportées de la base d’imposition de la mesure fiscale en cause au titre de l’année 2014, n’avait pas le caractère d’un avantage sélectif. Il aurait, ce faisant, méconnu la portée de l’arrêt du 15 novembre 2011, Commission et Espagne/Government of Gibraltar et Royaume-Uni (C 106/09 P et C 107/09 P, EU:C:2011:732, point 97).

55 La Hongrie et la République de Pologne contestent cette argumentation.

56 Il convient de rappeler à cet égard que, en principe, ainsi qu’il ressort du point 36 du présent arrêt, un avantage fiscal résultant d’une mesure générale, s’appliquant sans distinction à tous les opérateurs économiques, n’a pas le caractère d’une « aide d’État », au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE.

57 Ainsi qu’il a été exposé aux points 34 à 38 du présent arrêt, il convient, pour établir le caractère sélectif de la mesure concernée, de vérifier, au regard du régime fiscal identifié comme constituant le système de référence ou le régime fiscal « normal », si cette mesure introduit entre des opérateurs se trouvant, au regard de l’objectif poursuivi par la réglementation nationale en cause, dans une situation factuelle et juridique comparable, une différenciation non justifiée par la nature et l’économie de cette réglementation.

58 Il s’ensuit, notamment, que le fait que seuls les contribuables remplissant les conditions pour l’application d’une mesure peuvent bénéficier de celle-ci ne saurait, en soi, lui conférer un caractère sélectif (voir en ce sens, notamment, arrêt du 21 décembre 2016, Commission/World Duty Free Group e.a., C 20/15 P et C 21/15 P, EU:C:2016:981, point 59). Le caractère sélectif d’une mesure ne saurait pas non plus être déduit du seul fait qu’elle présente un caractère transitoire, le choix d’en limiter l’application dans le temps, en vue d’assurer une transition progressive entre une ancienne et une nouvelle réglementation fiscale, relevant du pouvoir d’appréciation des États membres rappelé au point 44 du présent arrêt.

59 En l’espèce, en instituant le mécanisme de déductibilité partielle des pertes reportées, le législateur hongrois a entendu modérer la charge fiscale pesant sur les entreprises économiquement les plus fragiles au titre de la première année de leur assujettissement à la mesure fiscale en cause, d’autant que cette dernière avait été introduite en cours d’année. Dès lors qu’il a, d’emblée, été conçu comme transitoire, ce mécanisme ne peut être regardé comme faisant partie du système de référence ou du régime fiscal « normal » à l’aune duquel doit être menée l’analyse de son caractère sélectif, quand bien même il s’apparenterait à une règle d’assiette.

60 Il y a donc lieu d’examiner si le mécanisme de déductibilité partielle des pertes reportées introduit une différence de traitement entre opérateurs se trouvant, au regard de l’objectif poursuivi par la loi relative à la taxe sur la publicité, dans une situation factuelle et juridique comparable.

61 Sur ce point, ce mécanisme introduit une différenciation entre, d’une part, les entreprises disposant de pertes reportées au titre des exercices précédents, pour autant qu’elles n’ont pas réalisé de bénéfices au titre de l’exercice 2013, et, d’autre part, celles qui ont réalisé des bénéfices au titre de ce dernier exercice, seules les premières pouvant faire valoir la déductibilité de ces pertes reportées pour le calcul de l’assiette de la mesure fiscale en cause au titre de l’année 2014.

62 Eu égard à l’objectif de redistribution poursuivi par le législateur hongrois en adoptant la loi relative à la taxe sur la publicité, dont témoigne la progressivité de la mesure fiscale en cause, ces deux catégories d’entreprises ne se trouvent pas dans une situation factuelle et juridique comparable. En effet, le choix d’une assiette exprimée en fonction du chiffre d’affaires ne rend pas incohérente, par rapport à cet objectif, l’édiction d’une mesure transitoire tenant compte du bénéfice, ce dernier constituant lui aussi, comme le soutient d’ailleurs également la Commission dans un autre volet de son argumentation, un indicateur à la fois neutre et pertinent, quoique relatif, de la capacité contributive des entreprises.

63 Comme l’a souligné Mme l’avocate générale au point 109 de ses conclusions et comme l’a jugé le Tribunal au point 122 de l’arrêt attaqué, le critère tenant à l’absence de bénéfices au titre de l’exercice 2013 revêt à cet égard un caractère objectif, les entreprises concernées ayant, de ce point de vue, une capacité contributive inférieure aux autres à la date de l’entrée en vigueur de la loi relative à la taxe sur la publicité, dans le courant de l’année 2014.

64 Il était, par conséquent, loisible au législateur hongrois, sans méconnaître le droit de l’Union en matière d’aides d’État, de combiner, au titre de la première année d’application de cette loi, la mesure de la capacité contributive résultant du montant du chiffre d’affaires avec un dispositif permettant de tenir compte des pertes reportées par les entreprises n’ayant pas réalisé de bénéfices au titre de l’exercice 2013.

65 La circonstance que les entreprises susceptibles de bénéficier du mécanisme de déductibilité partielle des pertes reportées étaient déjà identifiables à la date à laquelle la mesure fiscale en cause a été instituée n’est pas, par elle-même, de nature à remettre en cause cette conclusion.

66 Ne saurait du reste être retenue l’argumentation de la Commission selon laquelle le Tribunal, aux points 119 à 122 de l’arrêt attaqué, aurait méconnu la portée de l’arrêt du 15 novembre 2011, Commission et Espagne/Government of Gibraltar et Royaume-Uni (C 106/09 P et C 107/09 P, EU:C:2011:732), en jugeant que les autorités hongroises, par l’adoption du mécanisme de déductibilité partielle des pertes reportées, ont introduit une différenciation fondée sur un critère objectif et aléatoire n’induisant aucune sélectivité.

67 Il convient de rappeler à cet égard que, aux points 77 à 83 de ce dernier arrêt, la Cour a notamment jugé que des mesures fiscales instituant une condition liée à la prise en compte des bénéfices réalisés par un assujetti ne pouvaient, de ce seul fait, être regardées comme sélectives, de tels bénéfices étant la conséquence du fait aléatoire que l’opérateur en cause est peu ou, au contraire, très rentable au cours de la période d’imposition. Or, ainsi que l’a jugé en substance le Tribunal au point 120 de l’arrêt attaqué, si ce raisonnement a été suivi dans le contexte d’une affaire où la base d’imposition des mesures fiscales en cause était fondée sur d’autres critères que les bénéfices, tels que le nombre de salariés et l’occupation de locaux professionnels, il s’applique également lorsque l’avantage fiscal en cause est, comme en l’espèce, fondé sur une réduction de la base d’imposition reposant sur le chiffre d’affaires, tenant compte de l’absence de bénéfices au cours d’un exercice donné ainsi que de l’existence de pertes reportées et, à ce titre, s’inscrit dans l’objectif même de redistribution poursuivi par la législation fiscale dans laquelle cet avantage s’insère, articulée autour de la capacité contributive des entreprises assujetties.

68 Il s’ensuit, comme l’a, à bon droit, jugé le Tribunal aux points 117 à 123 de l’arrêt attaqué, que c’est à tort que la Commission a estimé que le mécanisme de déductibilité partielle des pertes reportées instituait un avantage sélectif, constitutif d’une aide d’État, en faveur des entreprises dont le bénéfice avant impôt de l’exercice 2013 était nul ou négatif et qui disposaient de pertes reportées. Contrairement à ce qu’allègue la Commission, il ne saurait, à cet égard, être fait grief au Tribunal d’avoir statué ultra petita. Le second moyen du pourvoi doit donc être écarté comme étant non fondé.

69 Les deux moyens avancés par la Commission au soutien de son pourvoi devant être écartés, ce dernier doit être rejeté dans son ensemble.

 Sur les dépens

70 Conformément à l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, du même règlement, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Hongrie ayant conclu à la condamnation de la Commission et celle-ci ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.

71 L’article 184, paragraphe 4, du règlement de procédure prévoit que, lorsque, en n’ayant pas, elle-même, formé le pourvoi, une partie intervenante en première instance participe à la phase écrite ou orale de la procédure devant la Cour, cette dernière peut décider qu’elle supporte ses propres dépens. En l’espèce, la République de Pologne, qui était partie intervenante en première instance, a, sans être l’auteur du pourvoi, participé aux phases écrite et orale de la procédure devant la Cour. La République de Pologne étant venue au soutien des conclusions de la Hongrie et ayant demandé la condamnation de la Commission aux dépens, il y a lieu de mettre ses dépens à la charge de cette dernière [voir, en ce sens, arrêt du 28 juin 2018, Andres (faillite Heitkamp BauHolding)/Commission, C 203/16 P, EU:C:2018:505, points 113 et 114].

Par ces motifs, la Cour (grande chambre) déclare et arrête :

1) Le pourvoi est rejeté.

2) La Commission européenne est condamnée aux dépens, y compris ceux exposés par la République de Pologne.