CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 18 mars 2021, n° 19/07337
PARIS
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Défendeur :
United Parcel Service France (SNC)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Prigent
Conseillers :
Mme Soudry, Mme Lignières
FAITS ET PROCÉDURE :
La SAS Etablissements G. & Bernard H. (société Ets H.), exerçant le commerce alimentaire de produits de conserverie, propriétaire et exploitant de la marque « La Belle-I. » et exploitant un site internet marchand, a successivement conclu deux contrats de transport avec la SNC United Parcel Service France (société UPS) exerçant l'activité de messagerie et de fret express, dont la facturation et les paiements étaient récapitulés dans un compte courant dans les livres du transporteur, soit :
- le 12 septembre 2016, le contrat dénommé « Acces Point Economy »,
- le 27 mars 2017, en remplacement, le contrat dénommé « Domestic Standard » mais à effet rétroactivement du 7 décembre 2016 conformément à l'accord des parties lors de leur échange de courriels du 2 décembre 2016 sur la grille tarifaire.
Le 4 juillet 2017, se plaignant de plusieurs factures restées impayées, la société UPS a mis la société Ets H. en demeure de lui payer la somme globale de 129 599,30 euros et, à défaut d'avoir été exécutée dans les 15 jours, a clôturé le 20 juillet 2017, le compte courant de la société Ets H. dans ses livres. Prétendant que les tarifs négociés n'avaient pas été respectés, cette dernière ne s'est reconnue débitrice que de la somme de 25 710,86 euros.
Le 12 septembre 2017, se plaignant de préjudices résultant de « l'inexécution fautive » du premier contrat et de la résiliation « brutale et fautive » du second, la société Ets H. a attrait la société UPS devant le tribunal de commerce de Paris aux fins de la faire condamner à lui payer à titre de dommages et intérêts les sommes de :
- 48 472,37 euros au titre de l'inexécution du contrat dénommé « Acces Point Economy »,
- 19 934 euros, au titre de la résiliation du contrat dénommé « Domestic Standard »,
tout en demandant de fixer à hauteur de la somme de 25 710,86 euros seulement, le montant de sa dette résiduelle vis-à-vis du transporteur, l'indemnisation des frais irrépétibles étant aussi sollicitée.
S'y opposant, la société UPS a reconventionnellement demandé la condamnation de la société Ets H. à lui payer la somme de 129 637,24 euros outre également, l'indemnisation des frais non compris dans les dépens.
Estimant que les préjudices allégués par la société Ets H. n'étaient nullement démontrés, que les tarifs négociés entre les parties avaient été respectés et que la résiliation du contrat « Domestic Standard » n'était pas fautive, le tribunal, par jugement contradictoire du 7 février 2019 assorti de l'exécution provisoire, a :
- débouté la société Ets H. de toutes ses demandes,
- l'a condamnée à payer à la société UPS les sommes de 129 637,24 euros (en denier et quittance valable) et de 2 500 euros au titre des frais irrépétibles.
Appelante le 4 avril 2019, la société Ets H. réclame, aux termes de ses dernières écritures signifiées par le RPVA le 1er décembre 2020, la somme de 5 000 euros au titre des frais irrépétibles et poursuit l'infirmation du jugement en formulant à nouveau les mêmes demandes antérieurement exprimées en première instance et en sollicitant en outre la condamnation de la société UPS « à lui rembourser l'intégralité des sommes versées en exécution [provisoire] du jugement ».
Intimée, la société UPS réclame, aux termes de ses dernières conclusions signifiées par le RPVA le 2 août 2019, la somme également de 5 000 euros au titre des frais irrépétibles et poursuit la confirmation du jugement.
MOTIFS :
Il convient d'observer liminairement que :
- le (premier) contrat dénommé « Acces Point Economy » ayant été signé avant le 1er octobre 2016, demeure soumis aux anciens articles du code civil en vigueur avant l'intervention de la réforme par l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 et les textes subséquents,
- le (second) contrat dénommé « Domestic Standard » ayant en revanche été signé postérieurement au 1er octobre 2016, est soumis aux nouveaux articles du code civil résultant de ladite réforme.
Sur les dommages et intérêts réclamés en raison d'une mauvaise exécution du (premier) contrat « Acces Point Economy »
Le contrat « Acces Point Economy » a fait l'objet d'un avenant ayant eu essentiellement pour objet d'expédier les colis de la conserverie « La Belle-I. » vers des points relais dénommés « UPS Access Point ». La société Ets H. indique que de nombreux colis n'étaient pas livrés aux bonnes destinations, la liste des points relais n'était pas tenue à jour, des informations erronées lui étaient communiquées sur le suivi des colis, certains étant ré-étiquetés sous d'autres marques provoquant l'incompréhension des clients.
La société UPS conteste l'inexécution fautive alléguée tout en observant que l'article 12 du contrat fait expressément référence à ses conditions générales, dont l'article 9.5 stipule que le transporteur décline toute responsabilité pour des pertes purement économiques telles que coût moyen de transport de substitution, manque à gagner, pertes d'opportunités commerciales ou pertes de revenus résultant d'une perte d'usage, découlant de toute perte, tout dommage ou tout retard d'un envoi ou partie d'envoi, qu'une valeur ait été déclarée ou non en rapport avec l'envoi concerné. Cependant, il se déduit des termes du courriel du 13 décembre 2016 (19H57) de la société UPS, qu'elle a implicitement reconnu ces dysfonctionnements en précisant à la société Ets H. qu'il n'y aura pas de modification drastique du service « Economy » début 2017, tout en indiquant qu'il n'offre pas autant de visibilité que la solution UPS Standard, ni le même niveau de qualité, le transporteur suggérant alors d'utiliser ce dernier service lors des périodes de l'année ayant des enjeux commerciaux pour la Belle I.. Si, dans sa réponse du 26 décembre 2016, la société Ets H. a fait état de l'impact négatif des dysfonctionnements sur son image de marque et a réservé la possibilité d'en demander réparation, il n'en demeure pas moins qu'elle a la charge d'établir la preuve et le quantum des préjudices allégués, la société UPS estimant qu'elle ne le fait pas en produisant uniquement un tableau Excel de sa propre composition.
La demande de la société Ets H., d'un montant global de 48 472,37 euros, se rapporte aux coûts générés par les remplacements dus à des délais trop longs de livraison ou à la perte de colis (5 257,24 euros), les commandes annulées (298,85 euros), les ré-expéditions (2 970,28 euros), les perturbations de son service administration des ventes pour le traitement de l'ensemble des réclamations (9 946 euros) et l'atteinte à son image commerciale (30 000 euros). Néanmoins, en dehors du tableau Excel versé aux débats, la société Ets H. ne produit aucune pièce venant au soutien de la justification des montants allégués, de sorte que c'est à juste raison, qu'en application de l'article 1315 ancien du code civil et de l'article 9 du code de procédure civile, les premiers juges ont rejeté la demande indemnitaire de la société Ets H. au titre de l'exécution du contrat dénommé « Acces Point Economy ».
Sur les conséquences de la résiliation du (second) contrat dénommé « Domestic Standard »
La société Ets H. estime que le contrat a été brutalement résilié par la clôture du compte courant le 20 juillet 2017 sans respect du préavis de 30 jours stipulé par son article 9, tout en soutenant :
- à titre principal, au visa de l'article L. 442-6 du code de commerce, que, s'agissant d'une responsabilité délictuelle, les limites contractuelles de responsabilité sont inapplicables,
- subsidiairement, la réforme précitée du 1er février 2016 lui étant applicable, l'article 1211 nouveau du code civil impose un délai raisonnable en cas de rupture d'un contrat à durée indéterminée.
Elle évalue à la somme de 19 934 euros le montant de la perte de marge brute entre le 19 juillet et le 24 septembre 2017.
La société UPS a résilié le contrat à compter du 24 septembre 2017. Faisant valoir l'importance du montant global des factures impayées, les relances à partir du 15 juin 2017, et la mise en demeure infructueuse du 4 juillet 2017, elle conteste également la faute alléguée concernant :
- tant la fermeture du compte courant le 20 juillet 2017, la société Ets H. ayant (selon elle) été informée depuis plus de 30 jours de sa possible survenance à défaut de paiement de l'arriéré et, en tout état de cause, en estimant que la fermeture du compte courant n'a pas entraîné la fin des relations d'affaires dès lors que la société Ets H. pouvait continuer à envoyer des colis par son intermédiaire, mais désormais contre paiement comptant à son chauffeur,
- que la rupture du contrat le 24 septembre 2017, celle-ci étant justifiée par la persistance du montant impayé, tout en invoquant encore en tout état de cause, les limitations de responsabilité stipulées par l'article 9.5 de ses conditions générales et en estimant que la société Ets H. ne démontre pas davantage le préjudice qu'elle allègue.
En invoquant à titre principal l'article L. 442-6 (ancien) du code de commerce, la société Ets H. se place d'abord sur le terrain de la rupture brutale d'une relation commerciale établie. Cependant, outre que l'ancienneté de celle-ci se limite à la signature du premier contrat le 12 septembre 2016, il apparaît que le 20 juillet 2017, seul le compte courant de la société Ets H. dans les livres de la société UPS, a été clôturé, ce qui a eu pour effet de rompre le contrat « Domestic Standard » lui-même, mais n'a pas eu pour effet de rompre la relation commerciale, la société Ets H. ne contestant pas avoir eu postérieurement la possibilité d'utiliser les services UPS, mais contre paiement comptant de ses prestations. La relation d'affaire n'a été définitivement rompue que le 24 septembre 2017. Son ancienneté n'étant alors que de 12 mois, la rupture a été précédée d'un préavis écrit d'un peu plus de 7 semaines, par la mise en demeure de payer délivrée par lettre recommandée du 4 juillet 2017, ce qui apparaît suffisant au regard de l'ancienneté limitée de la relation commerciale.
La société Ets H. se place subsidiairement sur le terrain de la rupture abusive du contrat lui-même, résultant de la clôture de son compte courant dans les livres du transporteur. Le paragraphe 10 du contrat « Domestic Standard » stipulant une durée indéfinie, le contrat litigieux est à durée indéterminée. Le même paragraphe stipule un délai de 30 jours calendaires pour la dénonciation du contrat. La société UPS ne justifiant que d'une mise en demeure par sa lettre recommandée du 4 juillet 2017 aurait dû respecter un préavis jusqu'au 3 septembre 2017. En résiliant le contrat « Domestic Standard » dès le 20 juillet 2017 par l'effet de la clôture du compte courant et en mettant fin à la même date aux tarifs remisés en procédant alors à l'application de son tarif public, la société UPS a privé la société Ets H. de son activité dans les conditions antérieures de coût de transport, durant les deux semaines restant à courir jusqu'au 3 septembre 2017. Le calcul établi par la société Ets H. elle-même pour la perte de marge brute sur 9 semaines environ, entre le 19 juillet et le 24 septembre 2017, évaluée à la somme de 19 984 euros a été validé par l'attestation du 15 décembre 2017 du commissaire aux comptes de la société. L'indépendance légale de celui-ci par rapport aux organes de direction de la société qu'il contrôle, apparaît suffisant pour prendre en compte l'attestation ainsi délivrée. Cependant, la durée manquante du préavis contractuel se limitant à deux semaines environ, le montant de l'indemnité de la société Ets H. sera ramené à hauteur de la somme forfaitaire de 4 450 euros.
Sur le montant restant dû par la société Ets H.
La société Ets H. affirme que, bien que l'accord des parties sur le tarif du nouveau contrat ait été formalisé par échange de courriel du 2 décembre 2016, la société UPS a appliqué le tarif grand public jusqu'au 1er mars 2017, le nouveau contrat n'ayant été formalisé que le 27 mars 2017 en stipulant cependant une prise d'effet rétroactif au 7 décembre 2016.
La société UPS conteste formellement la sur-facturation alléguée concernant le (second) contrat dénommé « Domestic Standard » en affirmant que les factures font état du tarif « Acces Point Economy » jusqu'au 7 décembre 2016 et du tarif « Domestic Standard » à compter de cette date. L'intimée fait valoir qu'en tout état de cause, la première contestation ayant été formulée le 12 mai 2017, alors que l'article 7 des contrats stipule que les factures sont considérées comme justes et acceptées sauf notification par écrit d'une demande d'ajustement adressée à UPS dans les 90 jours qui suivent la date d'édition, de sorte que seule la dernière facture d'un montant de 23 774,14 euros était contestable, tout en prétendant qu'elle était conforme au tarif « Domestic Standard ».
En affirmant que les factures font état du tarif « Domestic Standard » à compter du 7 décembre 2016, la société UPS reconnaît implicitement qu'il résultait de l'accord des parties d'appliquer dès cette date, le tarif annexé à ce contrat. Cependant, ce contrat n'ayant été définitivement signé que le 27 mars 2017 avec effet rétroactif au 7 décembre 2016, il appartient à la société UPS de justifier que les factures dont elle sollicite le paiement ont bien été établies sur la base du tarif négocié entre les parties et finalement annexé au contrat litigieux dénommé « Domestic Standard ».
Contrairement aux affirmations de l'intimée :
- il résulte de l'échange de courriels entre les 29 décembre 2016 et le 21 février 2017, que les parties étaient en désaccord sur les tarifs appliqués, de sorte que c'est à tort que la société UPS oppose un prétendu accord tacite résultant d'un éventuel défaut de protestation en application de la clause du paragraphe 7 du contrat, laquelle n'a, en tout état de cause, été définitivement validée que le 27 mars 2017,
- les factures versées aux débats ne comportent pas de mentions indiquant qu'il est fait application du tarif « Domestic Standard ».
La débitrice du paiement des factures exprimant son désaccord sur la tarification appliquée par le créancier, il appartient à la société UPS de justifier du tarif appliqué pour aboutir au montant de 129 637,24 euros.
En justification du montant dont elle réclame le paiement, la société UPS verse aux débats sept factures s'échelonnant du 4 octobre 2016 au 4 juillet 2017, dont six comportent chacune entre 70 et 345 pages, selon des détails dont les libellés ne permettent pas de les corréler par simple comparaison aux tarifs annexés au contrat « Domestic Standard ». Dès lors, la société UPS succombe dans l'administration de la preuve qui lui incombe et il convient de ne retenir que la somme totale dont la société Ets H. se reconnaît débitrice, soit la somme de 25 710,86 euros HT ou 30 853,03 euros TTC, étant observé que la société UPS n'a pas sollicité d'intérêts moratoires.
Par ailleurs, en raison de la complexité de la tarification souscrite par les parties, celles-ci ont délibérément pris le risque de l'apparition de litiges sur son application. Il apparaît dès lors équitable de leur laisser à chacune la charge définitive des frais irrépétibles qu'elles ont exposés depuis le début de l'instance, les dépens devant être partagés.
Enfin, la décision de la cour se substituant de plein droit à celle du tribunal, il n'y a pas lieu de faire droit à la demande de la société Ets H. de condamnation de la société UPS à lui rembourser l'intégralité des sommes versées en exécution provisoire du jugement, les parties étant invitées à tirer toutes conséquence du présent arrêt.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Statuant publiquement et contradictoirement,
CONFIRME le jugement uniquement en ce qu'il a rejeté la demande de la SAS Établissements G. & Bernard H. de paiement de la somme de 48 472,37 euros de dommages et intérêts au titre de l'exécution du contrat « Acces Point Economy »,
L'INFIRME pour le surplus et statuant à nouveau,
CONDAMNE la SNC United Parcel Service France à payer à la SAS Établissements G. & Bernard H. la somme de 4 450 euros de dommages et intérêts au titre de l'exécution du second contrat dénommé « Domestic Standard »,
CONDAMNE la SAS Établissements G. & Bernard H. à payer à la SNC United Parcel Service France la somme de 30 853,03 euros TTC, au titre des factures restant dues,
ORDONNE la compensation entre lesdites sommes à concurrence de la plus petite,
REJETTE les demandes d'indemnisation au titre des frais irrépétibles,
CONDAMNE chaque partie à payer la moitié des dépens de première instance et d'appel,
ADMET Maître François T. (AARPI T. S.), avocat postulant de l'appelante qui en a fait la demande, au bénéfice de l'article 699 du code de procédure civile.