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CJUE, gr. ch., 16 juillet 2015, n° C-21/14 P

COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE

Décision

PARTIES

Demandeur :

Commission européenne, Parlement européen, Conseil de l’Union européenne

Défendeur :

Rusal Armenal ZAO

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Skouris

Présidents de chambre :

Mme Silva de Lapuerta, M. Ilešič, M. Bay Larsen , Mme Jürimäe

Vice-président :

M. Lenaerts

Juges :

M. Rosas, M. Juhász, M. Borg Barthet, M. Safjan, M. Šváby, Mme Berger, Mme Prechal, M. da Cruz Vilaça (rapporteur), M. Lycourgos

Avocat :

Me Evtimov

CJUE n° C-21/14 P

16 juillet 2015

LA COUR (grande chambre),

1 Par son pourvoi, la Commission européenne demande à la Cour d’annuler l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 5 novembre 2013, Rusal Armenal/Conseil (T‑512/09, EU:T:2013:571, ci-après l’«arrêt attaqué»), par lequel celui-ci a annulé le règlement (CE) no 925/2009 du Conseil, du 24 septembre 2009, instituant un droit antidumping définitif et portant perception définitive du droit provisoire institué sur les importations de certaines feuilles d’aluminium originaires de l’Arménie, du Brésil et de la République populaire de Chine (JO L 262, p. 1, ci-après le «règlement litigieux»), dans la mesure où ce règlement concerne Rusal Armenal ZAO (ci-après «Rusal Armenal»).

Le cadre juridique

Le droit de l’OMC

2 Par la décision 94/800/CE du Conseil, du 22 décembre 1994, relative à la conclusion au nom de la Communauté européenne, pour ce qui concerne les matières relevant de ses compétences, des accords des négociations multilatérales du cycle de l’Uruguay (1986-1994) (JO L 336, p. 1), le Conseil de l’Union européenne a approuvé l’accord instituant l’Organisation mondiale du commerce (OMC), signé à Marrakech le 15 avril 1994, ainsi que les accords figurant aux annexes 1, 2 et 3 de cet accord (ci-après, ensemble, les «accords OMC»), au nombre desquels figurent l’accord général sur les tarifs douaniers et le commerce de 1994 (JO 1994, L 336, p. 11, ci-après le «GATT de 1994») ainsi que l’accord sur la mise en œuvre de l’article VI de l’accord général sur les tarifs douaniers et le commerce de 1994 (JO 1994, L 336, p. 103, ci-après l’«accord antidumping»).

Le GATT de 1994

3 L’article VI, paragraphe 1, du GATT de 1994 dispose:

«Les parties contractantes reconnaissent que le dumping, qui permet l’introduction des produits d’un pays sur le marché d’un autre pays à un prix inférieur à leur valeur normale, est condamnable s’il cause ou menace de causer un dommage important à une branche de production établie d’une partie contractante ou s’il retarde de façon importante la création d’une branche de production nationale. Aux fins d’application du présent article, un produit exporté d’un pays vers un autre doit être considéré comme étant introduit sur le marché d’un pays importateur à un prix inférieur à sa valeur normale, si le prix de ce produit est

a) inférieur au prix comparable pratiqué au cours d’opérations commerciales normales pour un produit similaire, destiné à la consommation dans le pays exportateur;

[...]»

4 La deuxième disposition additionnelle relative à l’article VI, paragraphe 1, du GATT de 1994, figurant à l’annexe I de celui-ci, prévoit:

«Il est reconnu que, dans le cas d’importations en provenance d’un pays dont le commerce fait l’objet d’un monopole complet ou presque complet et où tous les prix intérieurs sont fixés par l’État, la détermination de la comparabilité des prix aux fins du paragraphe premier peut présenter des difficultés spéciales et que, dans de tels cas, les parties contractantes importatrices peuvent estimer nécessaire de tenir compte de la possibilité qu’une comparaison exacte avec les prix intérieurs dudit pays ne soit pas toujours appropriée.»

L’accord antidumping

5 L’article 2 de l’accord antidumping, intitulé «Détermination de l’existence d’un dumping», dispose:

«2.1 Aux fins du présent accord, un produit doit être considéré comme faisant l’objet d’un dumping, c’est-à-dire comme étant introduit sur le marché d’un autre pays à un prix inférieur à sa valeur normale, si le prix à l’exportation de ce produit, lorsqu’il est exporté d’un pays vers un autre, est inférieur au prix comparable pratiqué au cours d’opérations commerciales normales pour le produit similaire destiné à la consommation dans le pays exportateur.

2.2 Lorsque aucune vente du produit similaire n’a lieu au cours d’opérations commerciales normales sur le marché intérieur du pays exportateur ou lorsque, du fait de la situation particulière du marché ou du faible volume des ventes sur le marché intérieur du pays exportateur [...], de telles ventes ne permettent pas une comparaison valable, la marge de dumping sera déterminée par comparaison avec un prix comparable du produit similaire lorsque celui-ci est exporté à destination d’un pays tiers approprié, à condition que ce prix soit représentatif, ou avec le coût de production dans le pays d’origine majoré d’un montant raisonnable pour les frais d’administration et de commercialisation et les frais de caractère général, et pour les bénéfices.

[...]

2.7 Le présent article s’entend sans préjudice de la deuxième Disposition additionnelle relative au paragraphe 1 de l’article VI, qui figure dans l’Annexe I du GATT de 1994.»

Le droit de l’Union

Le règlement de base

6 À l’époque des faits à l’origine du litige, les dispositions régissant l’adoption de mesures antidumping par l’Union européenne figuraient dans le règlement (CE) no 384/96 du Conseil, du 22 décembre 1995, relatif à la défense contre les importations qui font l’objet d’un dumping de la part de pays non membres de la Communauté européenne (JO 1996, L 56, p. 1), tel que modifié en dernier lieu par le règlement (CE) no 2117/2005 du Conseil, du 21 décembre 2005 (JO L 340, p. 17, ci‑après le «règlement de base»). Le règlement de base a été abrogé par le règlement (CE) no 1225/2009 du Conseil, du 30 novembre 2009, relatif à la défense contre les importations qui font l’objet d’un dumping de la part de pays non membres de la Communauté européenne (JO L 343, p. 51).

7 Les considérants 5 et 7 du règlement de base étaient libellés comme suit:

«(5) considérant que le nouvel accord sur les pratiques de dumping, à savoir l’accord [antidumping] contient des règles nouvelles et détaillées, concernant en particulier le calcul de la marge de dumping, les procédures d’ouverture et de déroulement de l’enquête, y compris l’établissement et le traitement des faits, l’institution de mesures provisoires, l’imposition et la perception de droits antidumping, la durée et le réexamen des mesures antidumping et la divulgation des informations relatives aux enquêtes antidumping; que, en raison de l’étendue des changements et afin d’assurer une application appropriée et transparente des règles nouvelles, il convient de transposer, dans toute la mesure du possible, les termes des nouveaux accords dans le droit communautaire;

[...]

(7) considérant que, aux fins de la détermination de la valeur normale pour les pays ne disposant pas d’une économie de marché, il apparaît judicieux de déterminer les règles de procédure pour le choix du pays tiers approprié à économie de marché qui servira de référence à cet effet et, lorsqu’il n’est pas possible d’identifier un pays tiers approprié, de prévoir que la valeur normale peut être établie sur toute autre base raisonnable».

8 L’article 1er, paragraphe 2, dudit règlement prévoyait qu’un produit «est considéré comme faisant l’objet d’un dumping lorsque son prix à l’exportation vers la Communauté est inférieur au prix comparable, pratiqué au cours d’opérations commerciales normales, pour le produit similaire dans le pays exportateur».

9 Aux fins de la détermination de l’existence d’un dumping, l’article 2, paragraphes 1 à 7, du règlement de base établissait des règles concernant le calcul de la valeur normale. Tandis que, conformément au paragraphe 1 de l’article 2 de ce règlement, la valeur normale était normalement basée sur les prix pratiqués dans le pays exportateur, le paragraphe 7 de cet article prévoyait, pour les importations en provenance de pays n’ayant pas une économie de marché, le recours à la méthode dite «du pays analogue». Selon cette dernière disposition:

«a) Dans le cas d’importations en provenance de pays n’ayant pas une économie de marché [(Albanie, Arménie, Azerbaïdjan, Belarus, Géorgie, Corée du Nord, Kirghizstan, Moldova, Mongolie, Tadjikistan, Turkménistan et Ouzbékistan)], la valeur normale est déterminée sur la base du prix ou de la valeur construite, dans un pays tiers à économie de marché, du prix pratiqué à partir d’un tel pays tiers à destination d’autres pays, y compris la Communauté, ou, lorsque cela n’est pas possible, sur toute autre base raisonnable, y compris le prix effectivement payé ou à payer dans la Communauté pour le produit similaire, dûment ajusté, si nécessaire, afin d’y inclure une marge bénéficiaire raisonnable.

[...]

b) Dans le cas d’enquêtes antidumping concernant les importations en provenance de la République populaire de Chine, du Viêt Nam, du Kazakhstan et de tout pays dépourvu d’une économie de marché qui est membre de l’OMC à la date d’ouverture de l’enquête, la valeur normale est déterminée conformément aux paragraphes 1 à 6, s’il est établi, sur la base de requêtes dûment documentées présentées par un ou plusieurs producteurs faisant l’objet de l’enquête et conformément aux critères et aux procédures énoncés au point c), que les conditions d’une économie de marché prévalent pour ce ou ces producteurs, en ce qui concerne la fabrication et la vente du produit similaire concerné. Si tel n’est pas le cas, les règles du point a) s’appliquent.

c) La requête présentée au titre du point b) doit [...] contenir des preuves suffisantes de ce que le producteur opère dans les conditions d’une économie de marché, à savoir si:

– les décisions des entreprises concernant les prix et les coûts des intrants, par exemple des matières premières, de la technologie, de la main-d’œuvre, de la production, des ventes et des investissements, sont arrêtées en tenant compte des signaux du marché reflétant l’offre et la demande et sans intervention significative de l’État à cet égard, et si les coûts des principaux intrants reflètent en grande partie les valeurs du marché,

– les entreprises utilisent un seul jeu de documents comptables de base, qui font l’objet d’un audit indépendant conforme aux normes internationales et qui sont utilisés à toutes fins,

– les coûts de production et la situation financière des entreprises ne font l’objet d’aucune distorsion importante, induite par l’ancien système d’économie planifiée, notamment en relation avec l’amortissement des actifs, d’autres annulations comptables, le troc ou les paiements sous forme de compensation de dettes,

– les entreprises concernées sont soumises à des lois concernant la faillite et la propriété, qui garantissent aux opérations des entreprises sécurité juridique et stabilité

et

– les opérations de change sont exécutées aux taux du marché.

[...]»

10 En cas d’application de l’article 2, paragraphe 7, sous a), du règlement de base, un droit individuel pouvait être déterminé, conformément à l’article 9, paragraphe 5, du règlement de base, pour les exportateurs qui remplissaient certaines conditions qui étaient prévues par cette dernière disposition.

Le règlement (CE) no 2238/2000

11 Les considérants 3 à 6 du règlement (CE) no 2238/2000 du Conseil, du 9 octobre 2000, modifiant le règlement no 384/96 (JO L 257, p. 2), énonçaient:

«(3) L’article 2, paragraphe 7, du règlement [de base] dispose [...] que [...] la valeur normale peut être déterminée conformément aux règles applicables aux pays à économie de marché dans les cas où il peut être démontré que les conditions du marché prévalent pour un ou plusieurs producteurs faisant l’objet de l’enquête en rapport avec la fabrication et la vente du produit concerné.

(4) Les réformes entreprises [...] au Viêt Nam et au Kazakhstan ont fondamentalement modifié l’économie de ces pays et abouti à l’émergence d’entreprises soumises aux conditions d’une économie de marché. Ces [...] pays se sont, par conséquent, détournés du système économique qui avait justifié le recours à la méthode du pays analogue.

(5) Il importe de réexaminer la pratique antidumping de la Communauté afin de pouvoir tenir compte des conditions économiques nouvelles [...]

(6) Il convient également d’accorder un traitement similaire aux importations en provenance des pays qui sont membres de [l’OMC] à la date d’ouverture de la procédure antidumping concernée».

Les antécédents du litige

12 Rusal Armenal est une société productrice et exportatrice de produits d’aluminium établie en Arménie depuis l’an 2000.

13 À la suite d’une plainte déposée le 28 mai 2008, la Commission a ouvert une procédure antidumping concernant les importations de certaines feuilles d’aluminium originaires d’Arménie, du Brésil et de Chine. Rusal Armenal a contesté l’applicabilité en l’espèce de l’article 2, paragraphe 7, du règlement de base, compte tenu notamment de l’accession, le 5 février 2003, de la République d’Arménie à l’accord instituant l’Organisation mondiale du commerce, signé à Marrakech le 15 avril 1994. Par ailleurs, Rusal Armenal a demandé à se voir octroyer le statut de société opérant dans les conditions d’une économie de marché (ci-après le «statut de SEM») ou à bénéficier d’un traitement individuel au sens de l’article 9, paragraphe 5, du règlement de base.

14 Le 7 avril 2009, la Commission a adopté le règlement (CE) no 287/2009 instituant un droit antidumping provisoire sur les importations de certaines feuilles d’aluminium originaires de l’Arménie, du Brésil et de la République populaire de Chine (JO L 94, p. 17). La Turquie a été désignée en tant que pays analogue aux fins du calcul de la valeur normale pour les producteurs-exportateurs qui ne se verraient pas accorder le statut de SEM.

15 S’agissant de l’octroi à Rusal Armenal du statut de SEM, la Commission a relevé que la République d’Arménie ne pouvait être considérée comme un pays ayant une économie de marché, dès lors qu’elle était mentionnée dans la note en bas de page du règlement de base à laquelle renvoie l’article 2, paragraphe 7, sous a), de ce règlement. Par ailleurs, la Commission a estimé que Rusal Armenal ne répondait pas aux critères relatifs à la comptabilité et aux coûts de production mentionnés à l’article 2, paragraphe 7, sous c), deuxième et troisième tirets, dudit règlement. En ce qui concerne le calcul de la marge de dumping, la Commission a considéré que Rusal Armenal remplissait les conditions pour obtenir un traitement individuel.

16 Le 24 septembre 2009, le Conseil a adopté le règlement litigieux dans lequel il a confirmé cette appréciation de la Commission. En particulier, s’agissant de la conclusion selon laquelle l’octroi à Rusal Armenal du statut de SEM devrait être refusé, le considérant 20 de ce règlement énonce que «l’Arménie est spécifiquement mentionnée à la note [en] bas de page relative à l’article 2, paragraphe 7, [sous] a), du règlement de base comme faisant partie des pays n’ayant pas une économie de marché», que «le traitement appliqué aux producteurs-exportateurs situés dans des pays qui sont membres de l’OMC sans être des pays à économie de marché est précisé à l’article 2, paragraphe 7, [sous] b),» et que «ces dispositions ont été pleinement respectées dans le cadre de la présente enquête».

17 Dans ces conditions, en vertu de l’article 1er, paragraphe 2, du règlement litigieux, un droit antidumping définitif de 13,4 % a été institué sur l’importation de certains produits en aluminium fabriqués par Rusal Armenal.

La procédure devant le Tribunal et l’arrêt attaqué

18 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 21 décembre 2009, Rusal Armenal a demandé l’annulation du règlement litigieux.

19 À l’appui de son recours, Rusal Armenal a invoqué cinq moyens. Seul le premier, une exception d’illégalité soulevée en application de l’article 277 TFUE, qui est fondée sur la violation, par l’article 2, paragraphe 7, du règlement de base, de l’article 2, paragraphes 1 à 6, de ce règlement ainsi que des articles 2.1 et 2.2 de l’accord antidumping, a été examiné par le Tribunal et présente donc un intérêt aux fins du présent pourvoi.

20 Dans le cadre de ce premier moyen, en vue de justifier la possibilité pour le juge de l’Union de procéder à un contrôle de légalité au regard de l’article 2 de l’accord antidumping, Rusal Armenal, tout en soulignant que, selon la jurisprudence de la Cour, cette possibilité existe lorsque l’acte de l’Union renvoie expressément à des dispositions précises de l’OMC ou lorsque l’Union a entendu mettre en œuvre une obligation particulière lui incombant dans le cadre de l’OMC, a fait valoir que le considérant 5 dudit règlement renvoyait à cet accord et que le même règlement avait été adopté dans l’objectif de mettre en œuvre en droit de l’Union les obligations internationales incombant aux institutions de l’Union en vertu de cet article de l’accord antidumping.

21 En substance, Rusal Armenal a expliqué que la dérogation instituée à l’article 2, paragraphe 7, du règlement de base lui était inapplicable dès lors que cette dérogation n’était pas conforme à l’article 2.7 de l’accord antidumping, lu en combinaison avec la deuxième disposition additionnelle relative à l’article VI, paragraphe 1, du GATT de 1994, qui figure à l’annexe I de celui-ci. En instituant, pour les importations en provenance d’Arménie, une dérogation qui n’est pas prévue par ces dernières dispositions l’article 2, paragraphe 7, du règlement de base violerait le régime général des articles 2.1 et 2.2 de l’accord antidumping pour ce qui concerne la détermination de l’existence d’un dumping.

22 Par l’arrêt attaqué, le Tribunal a accueilli le premier moyen du recours et, en conséquence, a annulé le règlement litigieux en tant qu’il concernait Rusal Armenal.

La procédure devant la Cour et les conclusions des parties

23 Par décision du président de la Cour du 24 avril 2014, le Parlement européen a été admis à intervenir au soutien des conclusions de la Commission.

24 La Commission et le Conseil concluent à ce qu’il plaise à la Cour:

– d’annuler l’arrêt attaqué;

– de rejeter le premier moyen du recours devant le Tribunal;

– de renvoyer l’affaire devant le Tribunal pour qu’il statue sur les deuxième à cinquième moyens du recours, et

– de réserver les dépens.

25 Rusal Armenal conclut au rejet du pourvoi et à la condamnation de la Commission et du Conseil aux dépens.

 Sur le pourvoi

26 La Commission invoque trois moyens au soutien de son pourvoi.

Sur le premier moyen tiré de ce que le Tribunal a statué ultra petita

Argumentation des parties

27 Par son premier moyen, la Commission fait valoir que l’arrêt attaqué est entaché d’une erreur de droit en ce que le Tribunal a statué sur l’exception d’illégalité visant l’article 2, paragraphe 7, du règlement de base, soulevée par Rusal Armenal dans sa requête en première instance.

28 Selon la Commission, Rusal Armenal s’est désistée de cette exception d’illégalité dans la réplique en première instance, de telle sorte que le contenu du premier moyen de son recours devant le Tribunal était désormais circonscrit à la seule violation par le Conseil du principe de l’interprétation conforme.

29 Rusal Armenal conteste l’argumentation de la Commission.

Appréciation de la Cour

30 Il y a lieu d’observer que l’examen de l’ensemble des considérations invoquées par Rusal Armenal dans ses écrits présentés devant le Tribunal ne permet pas de conclure que celle-ci s’est désistée en cours d’instance de l’exception d’illégalité de l’article 2, paragraphe 7, du règlement de base, soulevée en application de l’article 277 TFUE.

31 En effet, il ressort desdites considérations, d’une part, que Rusal Armenal a demandé au Tribunal de déclarer l’article 2, paragraphe 7, du règlement de base inapplicable en l’espèce, étant donné que le calcul, à son égard, de la valeur normale selon les règles relatives aux importations en provenance de pays n’ayant pas une économie de marché violait l’article 2, paragraphes 1 à 6, dudit règlement ainsi que les articles 2.1 et 2.2 de l’accord antidumping et, d’autre part, que, dans sa réplique en première instance, Rusal Armenal, tout en continuant expressément à se prévaloir de l’article 277 TFUE, s’est limitée à préciser son argumentation à ce sujet.

32 Dans ces conditions, il y a lieu de rejeter le premier moyen du présent pourvoi comme étant non fondé.

Sur le deuxième moyen tiré de ce que le Tribunal a commis une erreur de droit en jugeant que l’article 2, paragraphe 7, du règlement de base vise à donner exécution aux obligations particulières assumées dans le cadre de l’OMC

Argumentation des parties

33 Par son deuxième moyen, la Commission reproche essentiellement au Tribunal d’avoir méconnu l’arrêt Nakajima/Conseil (C‑69/89, EU:C:1991:186) lorsqu’il a jugé, sur le fondement des considérations figurant aux points 36 et 53 à 55 de l’arrêt attaqué, que, en adoptant l’article 2, paragraphe 7, du règlement de base, le législateur de l’Union a entendu donner exécution aux obligations particulières créées par l’article 2 de l’accord antidumping et la deuxième disposition additionnelle relative à l’article VI, paragraphe 1, du GATT de 1994, figurant à l’annexe I de celui-ci. Ce faisant, le Tribunal aurait considéré à tort qu’il lui appartenait de contrôler la légalité de l’article 2, paragraphe 7, de ce règlement au regard des règles des accords OMC.

34 À cet égard, la Commission soutient que cette dernière disposition vise à mettre en place un «régime spécial d’économie de marché» applicable aux économies en transition vers une économie de marché. Au lieu de se fonder sur le texte desdites règles des accords OMC, ce régime spécial ferait partie d’une stratégie politique de l’Union destinée à récompenser les efforts réalisés par les anciens pays à commerce d’État et à encourager la poursuite des réformes économiques par les économies en transition ainsi que la libéralisation des échanges commerciaux.

35 Rusal Armenal fait valoir que le critère que la Commission met en avant afin de déterminer l’étendue du contrôle juridictionnel du juge de l’Union à la lumière des règles des accords OMC repose à tort sur la seule question de savoir si le législateur de l’Union a entendu donner exécution aux obligations particulières assumées dans le contexte de l’OMC. Il ressortirait de la jurisprudence de la Cour qu’il convient également d’examiner si l’acte de l’Union en cause renvoie expressément à des dispositions précises du droit de l’OMC, le texte du considérant 5 du règlement de base permettant de conclure à l’existence d’un tel renvoi.

36 En tout état de cause, Rusal Armenal considère que, en adoptant les dispositions de l’article 2 dudit règlement concernant le calcul de la valeur normale, le législateur de l’Union a effectivement entendu donner exécution aux dispositions, en substance identiques, de l’article 2 de l’accord antidumping ainsi qu’à la deuxième disposition additionnelle relative à l’article VI, paragraphe 1, du GATT de 1994, qui figure à l’annexe I de celui-ci, à laquelle l’article 2.7 de l’accord antidumping se réfère. Cette conclusion découlerait, pour l’essentiel, premièrement, du considérant 5 du même règlement, deuxièmement, de l’absence de critères dans le droit de l’Union concernant l’octroi du statut de pays ayant une économie de marché qui dérogent à cette deuxième disposition additionnelle et, troisièmement, du fait que les instruments d’accession de la République d’Arménie à l’OMC n’établissent aucune possibilité de déroger aux articles 2.1 et 2.2 de l’accord antidumping.

 Appréciation de la Cour

37 À titre liminaire, il convient de rappeler que les dispositions d’un accord international auquel l’Union est partie ne peuvent être invoquées à l’appui d’un recours en annulation d’un acte de droit dérivé de l’Union ou d’une exception tirée de l’illégalité d’un tel acte qu’à la double condition, d’une part, que la nature et l’économie de cet accord ne s’y opposent pas et, d’autre part, que ces dispositions apparaissent, du point de vue de leur contenu, inconditionnelles et suffisamment précises (voir, notamment, arrêt Conseil e.a./Vereniging Milieudefensie et Stichting Stop Luchtverontreiniging Utrecht, C‑401/12 P à C‑403/12 P, EU:C:2015:4, point 54 et jurisprudence citée). Ce n’est ainsi que lorsque ces deux conditions sont cumulativement remplies que de telles dispositions pourront être invoquées devant le juge de l’Union afin de servir de critère pour apprécier la légalité d’un acte de l’Union.

38 En ce qui concerne les accords OMC, il résulte d’une jurisprudence constante de la Cour que, compte tenu de leur nature et de leur économie, ceux-ci ne figurent pas en principe parmi les normes au regard desquelles la légalité des actes des institutions de l’Union peut être contrôlée (voir, notamment, arrêts Portugal/Conseil, C‑149/96, EU:C:1999:574, point 47; Van Parys, C‑377/02, EU:C:2005:121, point 39, et LVP, C‑306/13, EU:C:2014:2465, point 44).

39 À cet égard, la Cour a en particulier relevé que le fait d’admettre que la tâche d’assurer la conformité du droit de l’Union avec les règles de l’OMC incombe directement au juge de l’Union reviendrait à priver les organes législatifs ou exécutifs de l’Union de la marge de manœuvre dont jouissent les organes similaires des partenaires commerciaux de l’Union. Il est en effet constant que certaines des parties contractantes, dont les partenaires les plus importants de l’Union du point de vue commercial, ont précisément tiré, à la lumière de l’objet et du but des accords OMC, la conséquence que ceux-ci ne figurent pas parmi les normes au regard desquelles leurs organes juridictionnels contrôlent la légalité de leurs règles de droit interne. Une telle absence de réciprocité, si elle était admise, risquerait d’aboutir à un déséquilibre dans l’application des règles de l’OMC (voir, notamment, arrêts Portugal/Conseil, C‑149/96, EU:C:1999:574, points 43 à 46; FIAMM e.a./Conseil et Commission, C‑120/06 P et C‑121/06 P, EU:C:2008:476, point 119, ainsi que LVP, C‑306/13, EU:C:2014:2465, point 46).

40 Toutefois, dans deux situations exceptionnelles, qui découlent de la volonté du législateur de l’Union de limiter lui-même sa marge de manœuvre dans l’application des règles de l’OMC, la Cour a admis qu’il appartient au juge de l’Union, le cas échéant, de contrôler la légalité d’un acte de l’Union et des actes pris pour son application au regard des accords OMC.

41 Il s’agit, en premier lieu, de l’hypothèse où l’Union a entendu donner exécution à une obligation particulière assumée dans le cadre de ces accords et, en second lieu, du cas dans lequel l’acte du droit de l’Union en cause renvoie expressément à des dispositions précises des mêmes accords (voir en ce sens, notamment, arrêts Fediol/Commission, 70/87, EU:C:1989:254, points 19 à 22; Nakajima/Conseil, C‑69/89, EU:C:1991:186, points 29 à 32; Biret et Cie/Conseil, C‑94/02 P, EU:C:2003:518, point 73, ainsi que Conseil e.a./Vereniging Milieudefensie et Stichting Stop Luchtverontreiniging Utrecht, C‑401/12 P à C‑403/12 P, EU:C:2015:4, point 56.

42 Dans la présente affaire, il y a lieu de rappeler que le Tribunal a jugé, au point 36 de l’arrêt attaqué, à propos de l’examen de la position de l’accord antidumping dans l’ordre juridique de l’Union, et après avoir relevé qu’il ressortait du considérant 5 du règlement de base que l’Union avait adopté ce règlement pour satisfaire à ses obligations internationales, que, par l’article 2 dudit règlement, intitulé «Détermination de l’existence d’un dumping», l’Union avait entendu donner exécution aux obligations particulières que comporte l’article 2 de l’accord antidumping, portant également sur la détermination de l’existence d’un dumping.

43 Dans ces conditions, il importe de vérifier si, comme le soutient la Commission, l’arrêt attaqué est entaché d’une erreur de droit dans la mesure où il parvient à ladite conclusion en ce qui concerne l’article 2, paragraphe 7, du règlement de base.

44 Il convient avant tout de relever à ce sujet que la Cour a, dans certains cas, reconnu que le système antidumping de l’OMC pouvait constituer une exception au principe général selon lequel le juge de l’Union ne saurait contrôler la légalité des actes des institutions de l’Union au regard de leur conformité avec les règles des accords OMC (voir, en ce sens, arrêts Nakajima/Conseil, C‑69/89, EU:C:1991:186, points 29 à 32; Petrotub et Republica/Conseil, C‑76/00 P, EU:C:2003:4, points 55 et 56, ainsi que Conseil e.a./Vereniging Milieudefensie et Stichting Stop Luchtverontreiniging Utrecht, C‑401/12 P à C‑403/12 P, EU:C:2015:4, point 59).

45 Toutefois, pour que dans un cas particulier, une telle exception soit admise, encore faut-il qu’il soit établi à suffisance de droit que le législateur a manifesté la volonté de mettre en œuvre en droit de l’Union une obligation particulière assumée dans le cadre des accords OMC.

46 À cette fin, il ne suffit pas, ainsi que Mme l’avocat général l’a relevé au point 42 de ses conclusions, que les considérants de l’acte de l’Union en cause fassent ressortir de manière générale que l’adoption de celui-ci est intervenue en tenant compte d’obligations internationales de l’Union. Il est, en revanche, nécessaire que l’on puisse déduire de la disposition spécifique du droit de l’Union contestée que celle-ci vise à mettre en œuvre en droit de l’Union une obligation particulière résultant des accords OMC.

47 S’agissant de l’article 2, paragraphe 7, du règlement de base, il importe d’observer d’emblée que cette disposition, faisant suite à ce qui est énoncé au considérant 7 du même règlement, introduit un régime spécial établissant des règles détaillées en ce qui concerne le calcul de la valeur normale à l’égard des importations en provenance de pays n’ayant pas une économie de marché, dont l’Arménie. En effet, en ce qui concerne ces importations, ladite disposition prévoit à son point a) que la valeur normale est déterminée sur la base du prix ou de la valeur construite, dans un pays tiers à économie de marché, du prix pratiqué à partir d’un tel pays tiers à destination d’autres pays, y compris l’Union, ou, lorsque cela n’est pas possible, sur toute autre base raisonnable, y compris le prix effectivement payé ou à payer dans l’Union pour le produit similaire, dûment ajusté, si nécessaire, afin d’y inclure une marge bénéficiaire raisonnable. En outre, la même disposition énonce à son point b) que, dans le cas d’enquêtes antidumping concernant les importations en provenance de tout pays dépourvu d’une économie de marché qui est membre de l’OMC à la date d’ouverture de l’enquête, la valeur normale est déterminée conformément à ses paragraphes 1 à 6, s’il est établi que les conditions d’une économie de marché, énoncées à son point c), prévalent pour ce ou ces producteurs, en ce qui concerne la fabrication et la vente du produit similaire concerné.

48 À cet égard, il convient de relever que l’article 2, paragraphe 7, du règlement de base constitue l’expression de la volonté du législateur de l’Union d’adopter, dans ce domaine, une approche propre à l’ordre juridique de l’Union.

49 En effet, ainsi qu’il ressort du préambule du règlement no 2238/2000, modifiant le règlement de base, les règles établies à l’article 2, paragraphe 7, du règlement de base applicables aux importations en provenance des pays membres de l’OMC dépourvus d’une économie de marché sont fondées sur l’émergence, dans ces pays, à la suite des réformes économiques adoptées, d’entreprises opérant dans des conditions d’une économie de marché.

50 Or, dans la mesure où l’accord antidumping ne contient pas de règles spécifiques relatives à une telle catégorie de pays, il ne saurait être établi de correspondance entre, d’une part, les règles qui figurent à l’article 2, paragraphe 7, du règlement de base visant les importations en provenance des pays membres de l’OMC dépourvus d’une économie de marché et, d’autre part, les règles définies à l’article 2 de l’accord antidumping. Il s’ensuit que ladite disposition du règlement de base ne saurait être considérée comme une mesure destinée à assurer dans l’ordre juridique de l’Union l’exécution d’une obligation particulière assumée dans le cadre de l’OMC.

51 L’article 2.7 de l’accord antidumping, lu en combinaison avec la deuxième disposition additionnelle relative à l’article VI, paragraphe 1, du GATT de 1994, qui figure à l’annexe I de celui-ci, à laquelle il se réfère, n’est pas de nature à remettre en cause une telle constatation. En effet, outre que cette deuxième disposition additionnelle n’établit aucune règle précise régissant le calcul de la valeur normale, la même disposition ne vise que les cas dans lesquels le commerce fait l’objet d’un monopole complet ou presque complet et où tous les prix intérieurs sont fixés par l’État.

52 Ladite constatation n’est pas non plus remise en cause par le fait que le considérant 5 du règlement de base énonce qu’il convient de transposer «dans toute la mesure du possible» les règles de l’accord antidumping dans le droit de l’Union. En effet, ainsi que Mme l’avocat général l’a relevé aux points 44 et 46 de ses conclusions, cette expression doit être comprise dans le sens que même si le législateur de l’Union entendait tenir compte des règles de l’accord antidumping lors de l’adoption du règlement de base, il n’a, cependant, pas manifesté la volonté de procéder à une transposition de chacune de ces règles dans ledit règlement. La conclusion selon laquelle l’article 2, paragraphe 7, du règlement de base a pour objet de donner exécution aux obligations particulières que comporte l’article 2 de l’accord antidumping ne saurait donc en aucun cas se fonder de manière isolée sur les termes de ce considérant.

53 Dans de telles circonstances, il convient de constater, ainsi que Mme l’avocat général l’a relevé aux points 50 et 51 de ses conclusions, que le législateur de l’Union a exercé sa compétence réglementaire, en ce qui concerne le calcul de la valeur normale à l’égard des importations en provenance des pays membres de l’OMC ne disposant pas d’une économie de marché, en retenant une approche propre à l’ordre juridique de l’Union et, partant, que la volonté du législateur de l’Union de donner exécution, par l’adoption de l’article 2, paragraphe 7, du règlement de base, aux obligations particulières que comporte l’article 2 de l’accord antidumping ne saurait être établie.

54 Il résulte de tout ce qui précède que, en ayant jugé autrement, le Tribunal a commis une erreur de droit.

55 Dans ces conditions, il convient d’accueillir le deuxième moyen du présent pourvoi.

56 Dès lors, il y a lieu d’annuler l’arrêt attaqué dans son intégralité, sans qu’il soit besoin d’examiner le troisième moyen invoqué par la Commission au soutien de son pourvoi, relatif à la violation du principe général de l’équilibre institutionnel.

Sur le recours devant le Tribunal

57 Conformément à l’article 61 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, lorsque le pourvoi est fondé, la Cour annule la décision du Tribunal et peut alors soit statuer elle‑même définitivement sur le litige, lorsque celui-ci est en état d’être jugé, soit renvoyer l’affaire devant le Tribunal pour qu’il statue.

58 En l’espèce, la Cour estime qu’il convient de statuer définitivement sur le premier moyen du recours introduit par Rusal Armenal tendant à l’annulation du règlement litigieux.

59 À cet égard, il convient de relever qu’aucune des deux situations exceptionnelles énoncées au point 41 du présent arrêt ne se vérifie en l’espèce. D’une part, ainsi qu’il a été constaté au point 53 du présent arrêt, la volonté du législateur de l’Union de donner exécution, par l’adoption de l’article 2, paragraphe 7, du règlement de base, aux obligations particulières que comporte l’article 2 de l’accord antidumping ne saurait être établie. D’autre part, l’article 2, paragraphe 7, dudit règlement ne renvoie expressément à aucune disposition précise de l’accord antidumping, la référence générale aux dispositions de cet accord dans le considérant 5 du même règlement étant, à elle seule, insuffisante pour conclure à l’existence d’un tel renvoi (voir, en ce sens, arrêts Van Parys, C‑377/02, EU:C:2005:121, point 52; FIAMM e.a./Conseil et Commission, C‑120/06 P et C‑121/06 P, EU:C:2008:476, points 113 et 114, ainsi que Conseil e.a./Vereniging Milieudefensie et Stichting Stop Luchtverontreiniging Utrecht, C‑401/12 P à C‑403/12 P, EU:C:2015:4, point 58).

60 Dans ces conditions, le premier moyen du recours introduit par Rusal Armenal tendant à l’annulation du règlement litigieux doit être rejeté, dans la mesure où le juge de l’Union est appelé par le législateur à contrôler la légalité du calcul de la valeur normale pour ce qui concerne les produits fabriqués par Rusal Armenal à la lumière du seul article 2, paragraphe 7, du règlement de base.

61 Cependant, étant donné que le Tribunal n’a pas examiné les deuxième à cinquième moyens invoqués par Rusal Armenal au soutien de son recours en annulation, la Cour considère que le litige n’est pas en état d’être jugé.

62 Par conséquent, il y a lieu de renvoyer l’affaire devant le Tribunal afin que celui-ci statue sur ces deuxième à cinquième moyens.

Sur les dépens

63 L’affaire étant renvoyée devant le Tribunal, il convient de réserver les dépens.

Par ces motifs, la Cour (grande chambre) déclare et arrête:

1) L’arrêt du Tribunal de l’Union européenne Rusal Armenal/Conseil (T‑512/09, EU:T:2013:571) est annulé.

2) L’affaire est renvoyée devant le Tribunal de l’Union européenne pour qu’il statue sur les moyens sur lesquels il ne s’est pas prononcé.

3) Les dépens sont réservés.