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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 17 mars 2021, n° 19/16641

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Marrel (Sasu)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Dallery

Conseillers :

M. Gilles, Mme Depelley

T. com. Rennes, du 11 juill. 2019

11 juillet 2019

FAITS ET PROCEDURE

La société Marrel avait pour activité la fabrication de bennes et des composants hydrauliques tels les bras hydrauliques Ampliroll, et la distribution des grues de marque HMF pour lesquelles elle était l'importateur exclusif en France, via un réseau de concessionnaires, dont la société G., la société Normandie Bennes G. et la société G. Atlantique (ci-après « les sociétés G. »), toutes faisant parties du groupe G., fabricant de bennes basculantes.

Un contrat de concession conclu le 20 décembre 2005 encadrait leurs relations.

A l'occasion du rachat de la société Marrel par le groupe F., lui-même fabricant de grue concurrente, la société HMF a souhaité mettre fin en 2013 au contrat d'importation exclusif dont jouissait la société Marrel et s'est tournée vers le groupe G. pour qu'il devienne à son tour l'importateur exclusif pour la France via la société HMF France.

Le 30 novembre 2015, la société Marrel d'une part et les sociétés G., Normandie Bennes G. et G. Atlantique d'autre part, ont signé un nouveau contrat de concession d'une durée de 5 ans à effet du 2 janvier 2016 octroyant l'exclusivité d'approvisionnement et de commercialisation à la société G. des produits Marrel, dont les bras hydrauliques, pour un certain nombre de départements en France.

Le 18 mai 2017, la société Marrel a mis en demeure les sociétés G. de cesser divers agissements caractérisant selon elle des manquements graves aux obligations contractuelles.

A la suite de nombreux échanges, par lettre du 21 décembre 2017, la société Marrel a notifié la résiliation du contrat de concession à effet immédiat.

Par acte du 16 janvier 2018, les sociétés G. ont assigné la société Marrel devant le président du tribunal de commerce de Rennes statuant en matière de référé, qui par ordonnance du 8 février 2018, a ordonné la poursuite du contrat conclu le 30 novembre 2015 jusqu'au 8 avril 2018.

C'est dans ce contexte que, par acte du 16 janvier 2018, les sociétés G., Normandie Bennes G. et G. Atlantique ont assigné la société Marrel devant le tribunal de commerce de Rennes sur le fondement de la rupture brutale des relations commerciales.

Par jugement du 11 juillet 2019, le tribunal de commerce de Rennes a :

Dit qu'il existe entre les sociétés G., Normandie Bennes G. et G. Atlantique, d'une part, et la société Marrel d'autre part, une relation commerciale établie depuis plus de 50 ans,

Dit que la société Marrel a brutalement rompu les relations commerciales avec les sociétés G., Normandie Bennes G. et G. Atlantique,

Dit qu'il y a lieu d'indemniser les sociétés G., Normandie Bennes G. et G. Atlantique la perte de marge brute sur coût variable durant la durée du préavis non accomplie par la société Marrel,

Fixe la durée du préavis à 18 mois, ramené à 15 mois, compte tenu du délai accordé par le juge des référés,

Déboute la société Marrel de l'ensemble de ses demandes fins et conclusions,

Condamne la société Marrel à payer à la société Normandie Bennes G. la somme de 270 630 euros,

Condamne la société Marrel à payer à la société G. Atlantique la somme de 539 130 euros,

Condamne la société Marrel à payer à la société G. la somme de 1 789 215 euros,

Déboute les sociétés G., Normandie Bennes G. et G. Atlantique du surplus de leur demande à ce titre,

Condamne la société Marrel à verser aux sociétés G., Normandie Bennes G. et G. Atlantique la somme de 5 000 euros chacune, au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile,

Déboute les sociétés G., Normandie Bennes G. et G. Atlantique du surplus de leur demande à ce titre,

Condamne la société Marrel aux entiers frais et dépens,

N'ordonne pas l'exécution provisoire du jugement à intervenir,

Liquide les frais de Greffe à la somme de 121,55 euros tel que prévu aux articles 695 et 701 du Code de Procédure Civile.

Par déclaration reçue au greffe de la Cour le 12 août 2019, la société Marrel a interjeté appel de ce jugement.

Aux termes de ses dernières conclusions, déposées et notifiées le 8 janvier 2021, la société Marrel demande à la Cour de :

Vu les articles L. 442-6 du code de commerce,

Vu les articles 1134 et 1184 du code civil

Vu l'article 566 du code de procédure civile,

Dire et juger la société Marrel recevable et bien fondée en son appel et l'y recevant,

Infirmer le jugement entrepris, en ce qu'il a dit qu'il existe entre les sociétés G., Normandie Bennes G. et G. Atlantique, d'une part et la société Marrel d'autre part, une relation commerciale établie depuis plus de 50 ans, que la société Marrel a brutalement rompu les relations commerciales avec les sociétés G., Normandie Bennes G. et G. Atlantique qu'il y a lieu de les indemniser de la perte de marge brute sur coût variable durant la durée du préavis non accomplie et fixé à 18 mois, ramené à 15 mois, compte tenu du délai accordé par le Juge des référés, et débouté la société Marrel de l'ensemble de ses demandes fin et conclusions, et condamné la société Marrel à payer à la société Normandie Bennes G. la somme de 270 630 euros, à la société G. Atlantique la somme de 539 130 euros, à la société G. la somme de 1 789 215 euros, et condamné la société Marrel à verser aux sociétés G., Normandie Bennes G. et G. Atlantique la somme de 5 000 euros chacune au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers frais et dépens.

Statuant à nouveau,

Dire et juger que la société Marrel a notifié le 21 décembre 2017, après mise en demeure préalable, la résiliation immédiate sans préavis du contrat en raison des manquements aux obligations de respect de l'exclusivité et de non-concurrence visée dans la clause contractuelle et dans la mise en demeure et en outre pour manquements graves des sociétés Normandie Bennes G., G. Atlantique Et G. SA à leurs obligations.

Dire et juger que les manquements des sociétés Normandie Bennes G., G. Atlantique Et G. SA à l'exécution de leurs obligations contractuelles d'exclusivité territoriale, de non-concurrence et de loyauté contractuelle et de bonne foi sont établis et qu'elles ont violé l'interdiction de revente hors réseau Marrel auxquels elles étaient liées par un contrat de distribution exclusive.

Dire et juger qu'au surplus les manquements reprochés aux sociétés Normandie Bennes G., G. Atlantique Et G. SA relatifs à l'inexécution de leurs obligations contractuelles d'exclusivité territoriale, de non-concurrence et de loyauté contractuelle et de bonne foi sont d'une gravité suffisante pour justifier en tout état de cause la résiliation unilatérale du contrat sans préavis.

En conséquence,

Dire et juger que la société Marrel a ainsi pu régulièrement résilier le contrat après mise en demeure sur le fondement de la clause résolutoire.

Décharger la société Marrel de toutes condamnations,

Et en tout état de cause,

Dire et juger que la société Marrel a ainsi pu régulièrement résilier le contrat pour manquements suffisamment graves des sociétés Normandie Bennes G., G. Atlantique Et G. SA à leurs obligations essentielles.

Dire et juger que dès lors la résiliation n'ouvrait pas droit à préavis et que la société Marrel était fondée à résilier le contrat avec effet immédiat.

Dire et juger l'absence de rupture brutale d'une relation commerciale établie.

En conséquence,

Dire et juger que la société Marrel ayant à bon droit résilié le contrat sans préavis, le préjudice allégué par les sociétés Normandie Bennes G., G. Atlantique Et G.

SA n'est pas un préjudice réparable puisqu'elles en sont à l'origine à raison de leurs manquements à leurs obligations.

Les en débouter purement et simplement.

Dire et juger que les sociétés requérantes Normandie Bennes G., G. Atlantique Et G. SA ont manqué à leurs obligations de loyauté contractuelle et causé un préjudice résultant d'un manque à gagner à hauteur de 220 000 Euros et 9 472 Euros, d'un préjudice pécuniaire et moral à hauteur de 50 000 Euros tenant au parasitisme et à la désorganisation de ses initiatives commerciales de même qu'à l'atteinte à l'image de la société Marrel qui sera justement réparé par l'allocation d'une somme globale à titre de dommages et intérêts qui ne saurait être inférieure à 280 000 Euros.

En conséquence,

Condamner solidairement les sociétés requérantes Normandie Bennes G., G. Atlantique Et G. SA à payer à la société Marrel la somme de 280 000 Euros à titre de dommages et intérêts.

Confirmer le jugement en ce qu'il a débouté les sociétés Normandie Bennes G., G. Atlantique Et G. SA de leurs demandes au titre du préjudice de notoriété et de stock et de leurs plus amples demandes faisant l'objet de leur appel incident.

Infiniment subsidiairement, si par impossible, la Cour considérait que la résiliation du contrat sans préavis n'était pas fondée, et considérait que les Normandie Bennes G., G. Atlantique Et G. SA étaient fondées à voir reconnaître une rupture brutale d'une relation commerciale établie, elle ne manquerait pas de :

Dire et juger que les sociétés Normandie Bennes G., G. Atlantique Et G. SA ayant déjà eu recours à un autre fournisseur avant la rupture avaient la faculté de se réorienter immédiatement et de nombreuses possibilités offertes, et ne justifient pas du préjudice qu'elles allèguent, et dont le calcul est totalement infondé.

Dire et juger que la réorientation vers la marque AJK vers laquelle, les sociétés Normandie Bennes G., G. Atlantique Et G. SA s'étaient déjà tournées avant la rupture, démontre l'existence de cette faculté de reconversion rapide.

Dire et juger que la durée du préavis, si la Cour l'estimait fondé, ne devrait pas excéder tout au plus, la période de poursuite provisoire du contrat qui a été effectué et ne peut donc donner lieu à indemnisation ;

Débouter en tout état de cause les sociétés Normandie Bennes G., G. Atlantique Et G. SA de leurs demandes indemnitaires dont les montants exorbitants sont injustifiés.

Les débouter de leur appel incident

A titre plus infiniment subsidiaire encore,

Dire et juger que la durée du préavis accordée par les premiers juges n'est pas justifiée et la minorer en le ramenant à de plus justes proportions sur la base d'un taux de marge sur coûts variables n'excédant pas 12,8 %.

Encore plus infiniment subsidiairement,

Ordonner une mesure d'expertise judiciaire tendant à déterminer la Marge sur coût variable des sociétés Normandie Bennes G., G. Atlantique et G. SA au titre de leur activité liée au contrat Marrel.

Condamner en tout état de cause, solidairement les sociétés requérantes à payer à la société Marrel en compensation des frais irrépétibles qu'elle a exposés pour assurer sa défense, la somme de 20 000 Euros au titre de l'article 700 code de procédure civile ainsi qu'aux frais et dépens en ce compris le PV de constat sur requête.

Aux termes de leurs dernières conclusions, déposées et notifiées le 29 décembre 2020, les sociétés G., Normandie Bennes G. et G. Atlantique, demandent à la Cour de :

Vu les dispositions de l'article L. 442-6, I-5° du Code de commerce

Vu les dispositions de l'article 1240 (1382 ancien) du Code civil,

Dire et juger la société Marrel mal fondée en son appel et l'en débouter.

Confirmer le jugement du Tribunal de Commerce de Rennes en date du 11 juillet 2019 en ce qu'il a :

Dit qu'il existe entre les sociétés G., Normandie Bennes G. et G. Atlantique, d'une part, et la société Marrel d'autre part, une relation commerciale établie depuis plus de 50 ans,

Dit que la société Marrel a brutalement rompu les relations commerciales avec les sociétés G., Normandie Bennes G. et G. Atlantique,

Dit qu'il y a lieu d'indemniser les sociétés G., Normandie Bennes G. et G. Atlantique la perte de marge brute sur coût variable durant la durée du préavis non accomplie par la société Marrel,

Réformer le jugement du Tribunal de Commerce de Rennes en date du 11 juillet 2019 et recevoir les sociétés G. SAS, Normandie Bennes G. et G. Atlantique en leur appel incident en ce que le tribunal les a déboutées des demandes suivantes :

Condamner la société Marrel à verser à la société Normandie Bennes G. la somme de 956 173 euros au titre du préjudice subi pour la rupture brutale des relations commerciales,

Condamner la société Marrel à verser à la société G. Atlantique la somme de 1 904 926 euros au titre du préjudice subi pour la rupture brutale des relations commerciales,

Condamner la société Marrel à verser à la société G. la somme de 6 321 893 euros au titre du préjudice subi pour la rupture brutale des relations commerciales,

Condamner la société Marrel à verser à la société G. la somme de 500 000 euros au titre du préjudice causé par la perte de la notoriété de la marque Marrel et en raison du caractère vexatoire de la rupture des relations commerciales et des conséquences de la brutalité de la rupture,

Condamner la société Marrel à verser à la société G. Atlantique la somme de 500 000 euros au titre du préjudice causé par la perte de la notoriété de la marque Marrel et en raison du caractère vexatoire de la rupture des relations commerciales et des conséquences de la brutalité de la rupture,

Condamner la société Marrel à verser à la société Normandie Bennes G. la somme de 500 000 euros au titre du préjudice causé par la perte de la notoriété de la marque Marrel et en raison du caractère vexatoire de la rupture des relations commerciales et des conséquences de la brutalité de la rupture,

Condamner la société Marrel à verser à la société Normandie Bennes G., à la société G. Atlantique et à la société G. la somme de 15 000 euros chacune au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile,

Statuant à nouveau :

Dire et juger que la société Marrel devait accorder un préavis de 53 mois aux sociétés Normandie Bennes G., G. Atlantique et G. au titre de la rupture des relations commerciales établies.

Condamner la société Marrel à verser à la société Normandie Bennes G. la somme de 902 050 euros au titre du préjudice subi pour la rupture brutale des relations commerciales,

Condamner la société Marrel à verser à la société G. Atlantique la somme de 1 797 100 euros au titre du préjudice subi pour la rupture brutale des relations commerciales,

Condamner la société Marrel à verser à la société G. la somme de 5 964 050 euros au titre du préjudice subi pour la rupture brutale des relations commerciales,

Condamner la société Marrel à verser à la société G. la somme de 500 000 euros au titre du préjudice causé par la perte de la notoriété de la marque Marrel et en raison du caractère vexatoire de la rupture des relations commerciales et des conséquences de la brutalité de la rupture,

Condamner la société Marrel à verser à la société G. Atlantique la somme de 500 000 euros au titre du préjudice causé par la perte de la notoriété de la marque Marrel et en raison du caractère vexatoire de la rupture des relations commerciales et des conséquences de la brutalité de la rupture,

Condamner la société Marrel à verser à la société Normandie Bennes G. la somme de 500 000 euros au titre du préjudice causé par la perte de la notoriété de la marque Marrel et en raison du caractère vexatoire de la rupture des relations commerciales et des conséquences de la brutalité de la rupture,

Débouter la société Marrel de l'ensemble de ses demandes.

Condamner la société Marrel à verser à la société Normandie Bennes G., à la société G. Atlantique et à la société G. la somme de 15 000 euros chacune au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile au titre de la première instance.

Condamner la société Marrel à verser à la société Normandie Bennes G., à la société G. Atlantique et à la société G. la somme de 15 000 euros chacune au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile au titre de l'appel dont distraction au profit de la SELARL Lexavoue Paris-Versailles.

Condamner la société Marrel aux entiers frais et dépens de première instance et d'appel,

La cour renvoie à la décision entreprise et aux conclusions susvisées pour un exposé détaillé du litige et des prétentions des parties, conformément à l'article 455 du code de procédure civile.

SUR CE, LA COUR

Sur les manquements contractuels invoqués par la société Marrel et ses demandes de dommages-intérêts y afférents

La société Marrel fait valoir que par lettre du 21 décembre 2017, elle a notifié aux sociétés intimées la résiliation du contrat de concession sans préavis pour manquements graves aux obligations essentielles du contrat et ce en application de la clause résolutoire prévue audit contrat (article XVIII). Il est principalement reproché aux sociétés intimées une violation de l'exclusivité territoriale et de l'obligation de non-concurrence (articles I à III) pour les faits suivants :

- une prospection active hors de son territoire, notamment sur l'île de la Réunion, directement ou indirectement, sous couvert de la société HMF, pour vendre hors de son territoire des bras Marrel,

- le positionnement des sociétés du groupe G. sur un appel d'offre national et international, hors de son territoire, et en concurrence avec Marrel,

- la fourniture par le groupe G. de préconisations techniques pour la commercialisation d'un bras hydraulique AJK, marque concurrente de la société Marrel, en violation de l'obligation de non-concurrence et d'approvisionnement exclusif,

- d'avoir commandé, via la société HMF France, une grue hydraulique objet du contrat de concession auprès d'un fournisseur, la société Liv, dont la société Marrel est le distributeur exclusif en France

En conséquence de ces manquements qualifiés de loyauté contractuelle, la société Marrel réclame la somme de 220 000 euros pour manque à gagner sur l'appel d'offre Colas, la somme de 9 472 euros en réparation du préjudice sur les ventes à la Réunion, la somme de 50 000 euros de dommages-intérêts en réparation d'un parasitisme, soit la somme globale arrondie de 280 000 euros. Les sociétés G., Normandie Bennes G. et G. Altantique font essentiellement valoir qu'elles n'ont pas manqué à leurs obligations contractuelles notamment au regard des modifications des clauses concernant l'exclusivité territoriale et l'obligation de non-concurrence entre les contrats de concession de 2005 et 2015. Elles soutiennent qu'en réalité, la société Marrel à la suite de son rachat par le groupe F. a cherché à restructurer son réseau Marrel/ F., n'a pas souhaité attendre la fin du contrat de concession d'une durée de 5 années à compter du 2 janvier 2016 et a décidé de rompre brutalement ce contrat de concession afin d'affaiblir un futur concurrent.

Sur ce,

Préalablement à l'analyse de chacun des manquements contractuels reprochés par la société Marrel, la Cour observe que :

Il ressort des explications des parties et des pièces versées aux débats que la société Marrel et les sociétés du groupe G. en relation commerciale depuis de très nombreuses années, avaient encadré leurs relations par la conclusion le 20 décembre 2005 d'un contrat de concession exclusive pour un certain nombre de départements en France.

Courant 2013, la société Marrel a été acquise par les sociétés CTELM et F., cette dernière étant l'un des trois principaux fabricants de grues dans le monde et un concurrent direct de la société HMF fabricant des grues HMF dont la société Marrel était le distributeur exclusif. A la suite de cette acquisition, la société HMF a repris elle-même la distribution des grues HMF sur le marché français à partir du 1er janvier 2014.

Il est justifié par les sociétés du groupe G. (pièces n° 19, 20, 21 et pièces Marrel n° 7-1, 7-2 et 8-2), sans être utilement contredites par la société Marrel, que dans un souci de continuité de la commercialisation des grues HMF en France et éviter une rupture d'approvisionnement chez les concessionnaires du réseau Marrel, la société Marrel s'est rapprochée du groupe G. pour qu'il devienne distributeur exclusif des grues HMF sur le territoire français, par la création de la société HMF France, filiale du groupe G. et dont M. Denis G. était l'associé unique.

Il résulte des échanges de courriers entre les sociétés Marrel et G. courant juin 2015 (pièces G. n° 27 et 28) et du préambule du contrat du 30 novembre 2015 que, compte tenu de ces changements dans le réseau Marrel, le contrat de concession conclu en 2005 devait être adapté à l'évolution de l'activité et de l'organisation des parties au contrat et que celles-ci se sont entendues pour la rédaction d'un nouveau contrat en 2015.

Comme le relèvent à juste titre les sociétés G., le contrat conclu le 30 novembre 2015 comporte des différences de rédaction notables avec le contrat de concession signé le 20 décembre 2005 concernant l'exclusivité territoriale et l'obligation de non-concurrence.

En premier lieu, le groupe G. n'est plus lui-même partie au contrat de concession de 2015, mais seulement les sociétés G., Normandie Bennes G. et G. Atlantique, dites « le concessionnaire ». S'agissant de l'article III sur l'obligation de non-concurrence, celui-ci stipule que « le concessionnaire s'interdit pendant toute la durée du présent contrat de fabriquer ou commercialiser un produit, un composant ou un sous-ensemble concurrent de la gamme Marrel, objet du présent contrat et visé à l'article II ci-avant », alors que ce même article dans le contrat de 2005, précisait que « le concessionnaire s'interdit pendant toute la durée du présent contrat de fabriquer ou de commercialiser directement ou indirectement un produit, un composant ou un sous-ensemble concurrent de la gamme Marrel (...) ». Comme le soulignent les sociétés G., et sans être utilement contredites par la société Marrel, le fait que le groupe G. ne soit plus partie au contrat et la suppression de « directement ou indirectement » étaient nécessaires pour permettre à la société HMF France, filiale du groupe G., de ne pas être concernée par cette obligation de non-concurrence et ce en adéquation avec l'évolution de la situation telle que rappelée dans le préambule du contrat de 2015.

En second lieu, s'agissant de l'exclusivité territoriale, l'article I intitulé « territoire exclusif » du contrat de concession de 2015 est ainsi rédigé :

ARTICLE I - TERRITOIRE EXCLUSIF

A/ La concession est accordée de manière exclusive pour les départements 14, 22, 27, 29, 35, 44, 49, 50, 53, 56, 61, 72, 76, 85

L'ensemble est, ci-après dénommé le « Territoire »

B/ Les « opérations constructeurs » consistent en des ventes d'équipements par Marrel aux constructeurs de véhicules industriels. Ces camions équipés sont ensuite distribués au travers des réseaux de concessionnaire des constructeurs de véhicules industriels. De telles opérations de vente dites « constructeurs » pourront être réalisée sur le Territoire. Ces ventes sont exclues du contrat de Concession ains que celles correspondant aux marchés des armées.

C/ S'agissant des clients nationaux, Marrel pourra négocier des accords-cadres directement avec ces clients qui s'appliqueront également aux Concessionnaires sans que celui-ci puisse les renégocier.

Le concessionnaire pourra par écrit refuser l'application de ces accords en le justifiant. Le concessionnaire ne pourra dans ce cas interdire la commercialisation de ces équipements sur son territoire par Marrel ou ses autres Concessionnaires.

A l'article II, il est prévu que les pièces hydrauliques (sous-ensemble et composants) devront être exclusivement achetés à Marrel dès lors que Marrel les produits ou les approvisionnent, et notamment un certain nombre de pièces listées à cet article.

Comme l'ont relevé de manière pertinente les premiers juges, il ressort de la lecture de ce contrat de concession de 2015 que l'exclusivité territoriale consentie aux différentes sociétés du groupe G. n'est pas réciproque, le contrat engage la société Marrel à garantir aux sociétés du groupe G. une exclusivité de commercialisation sur un territoire donné mais elle n'oblige pas le groupe G. à se restreindre à ce territoire, la seule limitation portant sur d'éventuels accords-cadres que nouerait directement Marrel pour des clients nationaux.

Cette analyse est confortée par le fait que dans le contrat du 30 novembre 2015 ne figurent plus les clauses du contrat de 2005 suivantes :

- à l'article 1 - territoire exclusif- ont été supprimées les clauses de 2005 suivantes : « C/ Le concessionnaire s'interdit toute vente directe ou par personne interposée mandatée à cet effet en dehors du Territoire » et « D/ En cas de manquement du concédant ou de ses filiales à cette obligation de territoire exclusif, hormis les exceptions susvisées aux paragraphes B et D, une indemnité compensatrice de 5 % du chiffre d'affaires hors taxe concerné sera versée au concessionnaire »

- à l'article III - obligation de non-concurrence- a été supprimée la clause de 2005 suivante : « Dans le cas où le Concessionnaire agirait en dehors de son Territoire sans accord écrit de Marrel ou en dehors de la liste « Clients Hors Territoire » figurant en annexe II qui sera révisée tous les ans entre les deux parties, une indemnité compensatrice de 5 % du chiffre d'affaires hors taxe concerné sera versée par le Concessionnaire à Marrel ». La liste de clients « Hors territoire » a également été supprimée.

La société Marrel ne peut sérieusement soutenir que par la suppression de ces clauses, il n'est plus possible de s'exonérer de la réciprocité de la clause d'exclusivité territoriale et partant de l'interdiction de vente libre hors du territoire moyennant le paiement d'une pénalité.

Sur les différents manquements contractuels reprochés par la société Marrel, la Cour retient que :

. sur le grief de positionnement des sociétés du groupe G. sur un appel d'offre Colas portant sur l'achat de grues, bennes amovibles et bras hydrauliques

La société Marrel reproche aux sociétés du groupe G. de s'être positionnée sur un appel d'offres « grands comptes » concernant l'intégralité du territoire français en violation de l'exclusivité territoriale et de la réserve pour la société Marrel de la conclusion de contrats-cadres avec des clients nationaux (article I C). Il est soutenu qu'en répondant à l'appel d'offre les sociétés G. allaient s'appuyer sur le réseau de distribution de la société HMF France, national, pour distribuer les bras hydrauliques Marrel.

Cependant, la société Marrel pour justifier de ses allégations se borne à verser aux débats l'appel d'offre Colas et sa propre réponse, ainsi que les courriers de mise en demeure, mais ne produit aux débats aucune pièce justifiant d'un tel positionnement des sociétés intimées sur l'appel d'offre Colas.

Au contraire, ces dernières versent aux débats une correspondance de la société Colas (pièce n° 22) précisant les points suivants : « par ce message je tiens à préciser que la société G. a été consulté pour l'appel d'offre bennes et grues COLAS 2017 dans le cadre de sa représentation nationale des grues HMF et de la qualité de ses réalisations de bennes que j'ai pu tester dans les filiales où je suis passé précédemment. Même si la société G. m'a précisé dès le début qu'elle ne pourrait répondre pour les appareils à bras hydraulique que sur les régions BRETAGNE, PAYS DE LOIRE et NORMANDIE, il y avait suffisamment de volume à travailler pour le reste. »

Il est également relevé par les sociétés intimées, sans être utilement contredite par la société Marrel, que rien d'indique dans le règlement de l'appel d'offre Colas que celui-ci est nécessairement national et qu'un acteur régional ne puisse y répondre.

Enfin, comme il a été observé dans les motifs ci-dessus, la société HMF France, filiale du groupe G., n'est pas tenue par l'obligation de non-concurrence du contrat de concession de 2015.

Il résulte de l'ensemble de ces éléments que la société Marrel n'établit pas la réalité d'un positionnement concurrentiel des sociétés intimées dans le cadre de l'appel d'offre Colas.

. sur le grief de prospection active du groupe G., hors de son territoire, notamment sur l'Ile de la Réunion, directement ou indirectement, sous couvert de la société HMF, pour vendre hors de son territoire des bras Marrel,

La société Marrel reproche aux sociétés du groupe G. de réaliser à plusieurs reprises des ventes de bras hydrauliques « ampliroll » hors de son territoire, sur l'Ile de la Réunion et en Corse en violation de la clause d'exclusivité (notamment pièce n° 54, Procès-verbal de constat). Il est allégué que sous couvert de la société HMF qui facture le client final, c'est G. qui est l'assembleur vendeur, créant ainsi une confusion sur l'origine du matériel et conduisant à une situation de parasitisme.

En premier lieu, il a été relevé aux motifs ci-dessus que l'exclusivité territoriale consentie aux différentes sociétés du groupe G. dans le contrat du 30 novembre 2015 n'est pas réciproque, le contrat engage la société Marrel à garantir aux sociétés du groupe G. une exclusivité de commercialisation sur un territoire donné mais elle n'oblige pas le groupe G. à se restreindre à ce territoire, la seule limitation portant sur d'éventuels accords-cadres que nouerait directement Marrel pour des clients nationaux.

En deuxième lieu, il est justifié que chaque mois les sociétés intimées déclaraient avoir procédé à des livraisons d'amplirolls et multibennes Marrel pour des sociétés situées en dehors de leurs territoires (pièces n° 31, 32), ou avoir demandé des gestes commerciaux à la société Marrel pour des clients situés en dehors de leurs territoires (pièces n° 34, 38), sans aucune observation particulière de la société Marrel. Il est également justifié que la société Marrel a sollicité les sociétés G. pour leur confier des montages en sous-traitance pour des clients communs sur l'Ile de la Réunion (pièce n° 39). En réplique la société Marrel ne s'explique que sur un client grand compte Véolia.

La société Marrel soutient qu'elle s'est réservée le territoire des DOM TOM dont la prospection commerciale sur place est confiée à des agents commerciaux ou des chargés grands comptes, mais ne justifie pas que ce territoire est confié à un concessionnaire exclusif. Il est par ailleurs relevé que le grief de prospection active, hors territoire, sur l'Ile de la Réunion ne figurait pas dans la mise en demeure du 18 mai 2017.

En troisième lieu, il est constant qu'à la suite du rachat de la société Marrel par le groupe F., il existait en fait deux réseaux de concessionnaires concurrents, l'un distribuant des ampliroll Marrel et des grues F. et l'autre, auquel appartenait les sociétés G., qui distribuant des ampliroll Marrel et des grues HMF. Comme il a été observé ci-dessus, dans le contrat de concession de 2015, il a été tenu compte de cette évolution des activités et de l'organisation du réseau de distribution, en sorte que la société HMF France ayant repris la distribution des grues HMF en accord avec la société Marrel, elle n'était plus concernée par les obligations de ce contrat en tant que filiales de G. France. Ce contrat précisait d'ailleurs en son préambule que le concessionnaire fabrique des bennes pour ses besoins propres et distribue en France des grues de manutention de la marque HMF.

Autrement dit, la société Marrel ne peut, compte tenu de cette situation, sérieusement reprocher aux sociétés G. d'avoir utilisé l'interface HMF pour vendre un produit Marrel. Les sociétés intimées soutiennent, sans être utilement contredites par la société Marrel, qu'après la mise en demeure du 18 mai 2017 invoquant pour la première fois l'interdiction de vente hors secteur, les offres groupés de grue HMF et d'ampirolls Marrel hors secteur n'ont plus eu lieu.

Il résulte de l'ensemble de ces éléments que la société Marrel échoue à démontrer un manquement contractuel de prospection active en dehors d'un territoire d'exclusivité.

. sur le grief des préconisations techniques pour la commercialisation d'un bras hydraulique AJK, marque concurrente de la société Marrel

La société Marrel reproche aux sociétés G. d'avoir concouru à la commercialisation d'un bras concurrent, quand bien même celui-ci serait vendu facialement par la société HMF France. A cet effet, il est produit une offre de la société HMF France du 16 octobre 2017 avec une préconisation technique de la société G. (pièces 23 et 31).

Comme le soutiennent utilement les sociétés intimées, il n'est pas justifié que cette offre soit une proposition commerciale de leur part, quand bien même elles auraient apporté une assistance technique, et que le client final soit situé sur le territoire exclusif tel que défini par le contrat de concession de 2015.

Aucun manquement contractuel n'est justifié sur ce grief par la société Marrel.

. sur le grief de la commande, via la société HMF France, d'une grue hydraulique objet du contrat de concession auprès d'un fournisseur, la société Liv, dont la société Marrel est le distributeur exclusif en France

A l'appui de ce grief, la société Marrel se borne à produire un courriel du 24 octobre 2017 de la société Liv en langue anglaise évoquant le fait suivant : « Due to the fact that attached text is in the form of « Memorandum » I didn't mentionned the L1507.78 (HMF FR) that has been already ordered to Dora and she in good faith accepted and proceeded in production. In a short time it will be delivered ».

Au vu de cette seule pièce, la commande aurait été prise par la société HMF France, dont il a été constaté que celle-ci n'est pas liée par le contrat de concession du 30 novembre 2015. Par ailleurs, les sociétés G. intimées justifient avoir commandé à la société Marrel, en application du contrat de concession, 23 grues LIV entre 2014 et 2018, dont 4 grues entre mars et octobre 2017 (pièce n° 55).

Aucun manquement contractuel n'est établi par la société Marrel à l'appui de ce grief.

Il résulte de l'ensemble de ces éléments que la société Marrel échoue à démontrer l'existence des manquements contractuels invoqués à l'appui de la résiliation du contrat de concession du 30 novembre 2015 et de sa demande de dommages-intérêts, en particulier sur l'appel d'offre Colas et les ventes à la Réunion.

En conséquence la société Marrel sera déboutée de sa demande globale de 280 000 euros à titre de dommages-intérêts pour déloyauté contractuelle. Le jugement sera confirmé sur ce point.

Sur la rupture brutale des relations commerciales et des demandes de dommages-intérêts y afférentes

L'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce dans sa version antérieure à l'ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019 applicable au litige, dispose qu'engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels.

. Sur le caractère établi de la relation

La relation commerciale, pour être établie au sens des dispositions susvisées, doit présenter un caractère suivi, stable et habituel. Le critère de la stabilité s'entend de la stabilité prévisible, de sorte que la victime de la rupture devait pouvoir raisonnablement anticiper pour l'avenir une certaine continuité du flux d'affaires avec son partenaire commercial.

Il ressort de l'historique de la relation commerciale présentée par chacune des parties, que celles-ci ont noué une relation commerciale continue depuis 1965, quand bien-même leurs activités respectives ont évolué.

La société Marrel soutient que cette relation commerciale a été précarisée par les sociétés G. elles-mêmes en rompant le contrat de concession exclusive du 20 décembre 2005, par courrier du 24 juin 2015.

Toutefois, comme il a été constaté aux motifs ci-dessus, compte tenu des changements intervenus en 2013 dans le réseau Marrel à la suite de son rachat par le groupe F., le contrat de concession conclu en 2005 devait être adapté à l'évolution de l'activité et de l'organisation des parties au contrat et que celles-ci se sont entendues pour la rédaction d'un nouveau contrat en 2015 (pièces G. n° 27 et 28). La société Marrel ne peut sérieusement se prévaloir d'une précarisation de la relation, alors que celle-ci s'est poursuivie dans le cadre d'un nouveau contrat de concession, signé le 30 novembre 2015, pour une durée de 5 années, renouvelable par tacite reconduction pour des durées successives de 3 ans.

Les premiers juges ont ainsi, de manière pertinente, relevé que les relations commerciales entre les parties, sans perdre en intensité ont régulièrement évolué dans leur contenu pour tenir compte des évolutions respectives du groupe G. et de la société Marrel. Ces évolutions bien loin de caractériser une instabilité dans la relation commerciale entre parties démontrent bien que la relation était durable et s'adaptait régulièrement au contexte capitalistique et stratégique des parties.

Dès lors, le jugement sera confirmé en ce qu'il a retenu une relation commerciale établie entre les parties depuis 1965.

. Sur la brutalité de la rupture

Il ressort de l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce dans sa version applicable au litige que la brutalité de la rupture résulte de l'absence de préavis écrit ou d'un préavis suffisant.

En l'espèce, il est constant que la société Marrel a notifié le 21 décembre 2017 aux sociétés G. intimées la résiliation du contrat de concession du 30 décembre 2015 sans préavis.

Cette résiliation du contrat de concession sans préavis par la société Marrel est motivée par des manquements contractuels graves des sociétés G.. Comme il a été constaté aux motifs ci-dessus, la réalité de ces manquements n'est pas démontrée par la société Marrel.

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a retenu que la société Marrel, qui devait respecter un préavis, a brutalement rompu la relation commerciale établie.

. sur la durée du préavis nécessaire

Les sociétés G. calculent un préjudice sur une durée de préavis de 53 mois, soit l'équivalent d'un mois de préavis par année d'ancienneté de la relations commerciales.

Si la durée de la relation commerciale est un critère d'appréciation pour l'évaluation du préavis nécessaire, il n'est pas le seul critère à prendre en considération.

Le délai de préavis suffisant, qui s'apprécie au moment de la notification de la rupture, doit s'entendre du temps nécessaire à l'entreprise délaissée pour se réorganiser, c'est-à-dire pour préparer le redéploiement de son activité, trouver un autre partenaire ou une solution de remplacement. Les principaux critères à prendre en compte sont l'ancienneté des relations, le degré de dépendance économique, le volume d'affaires réalisé, la progression du chiffre d'affaires, les investissements effectués, les relations d'exclusivité et la spécificité des produits et services en cause.

Si la durée du préavis ne peut sérieusement être fixée à 53 mois, il y a lieu de prendre en compte les éléments suivants :

En premier lieu, la part du chiffre d'affaires pour les sociétés G. concernant les opérations dans lesquelles sont incorporés des produits Marrel, à savoir ampliroll, multibennes, pièces détachées au comptoir, vente de compas et SAV, s'établit de la manière suivante pour l'année 2017 suivant l'attestation de l'expert-comptable (pièce G. n° 71)

- pour la société G., 7 079 820 euros sur un chiffre d'affaires hors taxes total de 13 757 564 euros, soit 51,46 % de son chiffre d'affaires total hors taxe.

- pour la société G. ATLANTIQUE, 2 333 895 euros sur un chiffre d'affaires hors taxes total de 3 411 611 euros, soit 68,41 % de son chiffre d'affaires total hors taxe ;

- pour la société NORMANDIE BENNES G., 915 325 euros sur un chiffre d'affaires hors taxes total de 1 451 735 euros, soit 63,05 % de son chiffre d'affaires total hors taxe ;

Cette part du chiffre d'affaires « Marrel » dans le chiffre d'affaires total des sociétés G. se situe dans les mêmes proportions pour les années 2016 et 2017.

Quand bien même, comme le soutient la société Marrel, les sociétés G. ont pu poursuivre la vente de leurs bennes ou d'acheter des grues LIV ou continuer le service après-vente avec le stock existant, et que la part du chiffre d'affaires « Marrel » ne pourrait ainsi être supérieur à 30 % (pièce 69-1), ce dernier chiffre démontre néanmoins la part importante des produits Marrel incorporés dans les produits G., et ce depuis de très nombreuses années. Il est d'ailleurs relevé, qu'à la suite de la résiliation du contrat de concession par la société Marrel, les sociétés intimées ont saisi le juge des référés pour obtenir une poursuite d'activité arguant de leur mise en péril.

En deuxième lieu, les sociétés intimées exposent à l'appui de diverses pièces versées aux débats, sans être utilement contredites par la société Marrel, que l'une des caractéristiques de leur secteur d'activité est que les principaux acteurs proposent à leurs clients tant des bras hydrauliques que des grues pour équiper leurs camions, et que le marché français pour le couple stratégique bras/grue est constitué de 5 acteurs principaux (Marrel/F., Palfinger, Hiab, Hyva/ Hyva Crane, Dalby/PM) fonctionnant par l'intermédiaire d'un réseau de carrossiers avec des statuts de concessionnaire exclusif, en sorte que, contrairement à ce qui est allégué par la société Marrel, il est difficile d'intégrer un nouveau réseau pour la fournitures des bras hydrauliques et ce d'autant plus que le groupe G. est lui-même distributeur exclusif de grue HMF. Même s'il existe, comme le souligne la société Marrel, de nombreux constructeurs de bras hydrauliques dans le monde et l’Europe, les sociétés G. relèvent que le changement de fournisseur est une opération complexe pour retrouver la même notoriété en France que les produits Marrel et répondant aux normes techniques françaises, ainsi qu'un fournisseur capable de répondre à la production des sociétés intimées.

Comme le relève la société Marrel, les sociétés G. ne contestent pas avoir rapidement conclu un partenariat avec le fabricant belge AJK, mais dont la notoriété est bien moindre sur le marché français pour ses bras hydrauliques pour bennes amovibles et autres produits, que le chiffre d'affaires de cette société sur le marché français n'a jamais excédé 1,50 % de son chiffre d'affaires total depuis 2014 (pièce n° 79).

Dès lors compte tenu de la particulière ancienneté des relations commerciales, de la part importante du chiffre d'affaires lié aux produits Marrel et de la complexité pour les sociétés G. trouver un nouveau partenaire commercial, les premiers juges ont de manière pertinente fixé un délai de préavis suffisant mais nécessaire de 18 mois.

Une poursuite d'activité de trois mois ayant eu lieu à la suite de l'ordonnance de référé, le préjudice sera calculé sur une insuffisance de préavis de 15 mois. Le jugement sera confirmé sur ce point.

. sur l'évaluation du préjudice

Seul est indemnisable le préjudice résultant de la brutalité de la rupture et non de la rupture elle-même.

Il est constant que le préjudice résultant du caractère brutal de la rupture est constitué par la perte de la marge dont la victime pouvait escompter bénéficier pendant la durée du préavis qui aurait dû lui être accordé. La référence à retenir est la marge sur coûts variables, définie comme la différence entre le chiffre d'affaires dont la victime a été privée sous déduction des charges qui n'ont pas été supportées du fait de la baisse d'activité résultant de la rupture.

La société Marrel conteste le préjudice tel qu'évalué par les sociétés G. suivant l'attestation de l'expert-comptable (pièce n° 71) et fait valoir que :

- le calcul de la marge brute ne tient pas compte des coûts accessoires et devrait s'établir autour de 25 % et la marge sur coût variable devrait s'établir autour de 12,8 %, en cohérence avec l'étude de la Banque de France pour la fédération nationale des carrossiers constructeurs et l'attestation d'un cabinet d'expertise (pièces n° 73 et 74, 69-1)

- le chiffre d'affaires réalisé avec la société Marrel a été artificiellement gonflé par les sociétés intimées, en y intégrant le chiffre d'affaires perdu sur la vente de bennes et caisses entrepreneur avec pièces Marrel. Ces bennes et caisse entrepreneur de la marque G. sont la production propre de la société G. qui en assure elle-même la conception et la fabrication et dont la commercialisation s'est poursuivie après la rupture de la relation avec la société Marrel. Il est précisé que la pièce Marrel pour ces produits se réduit à un composant accessoire « compas », facile à trouver sur le marché et ne représentant qu'une fraction marginale du prix d'une benne (coût moyen de 2 000 euros d'un compas, coût moyen de 30 000 euros d'une benne basculante ou d'une caisse entrepreneur). Il en est déduit que le chiffre d'affaires afférent aux bennes et caisses entrepreneurs n'est pas affecté par la perte du contrat Marrel.

- le chiffre d'affaires afférent aux grues Liv n'est pas non plus affecté par la perte du contrat Marrel, dès lors que la société Marrel à la suite de la rupture du contrat de concession a levé son exclusivité et que les sociétés G. peuvent directement s'approvisionner auprès de la société Liv,

- le chiffre d'affaires afférent aux ventes couplées bras/grues n'est pas non plus affecté par la perte du contrat Marrel dès lors que le groupe G. vend des grues HMF couplées avec des bras AJK,

- les chiffre d'affaires afférents du service après-vente et pièces de rechanges n'ont pas lieu non plus d'être décompté, les sociétés G. ayant poursuivi leur activité avec leur stock,

Sur le calcul de la marge brute et sur coûts variables, il ressort des explications et pièces versées aux débats par les sociétés intimées (pièces n° 70 et 71) qu'il a bien été tenu compte dans le calcul de la marge brute sur le chiffre d'affaires Marrel des frais accessoires et sur laquelle a ensuite été calculé la marge sur coûts variables par déduction de la masse salariale et des charges externes variables.

Ces calculs ne sont pas utilement remis en cause par les observations de la société Marrel en pièces 69-1, 69-2, 56 et 73/74. Il y a lieu de relever que concernant la marge brute, les sociétés intimées justifient d'une marge comparable à ses concurrents (pièces 63 à 69).

Il sera dès lors retenu un taux de marge moyen sur coûts variables, à partir de l'attestation de l'expert-comptable n° 71, suivant :

- pour la société G. : 23,32 %

- pour la société G. Atlantique : 22,65 %

- pour la société Normandie Bennes G. : 21,85 %

Sur l'évaluation du chiffre d'affaires perdu à la suite de la rupture du contrat Marrel :

Si les sociétés G. critiquent longuement la pertinence du rapport du cabinet Arfeuilles et Associés, elles ne s'expliquent cependant pas sur les observations faites par la société Marrel sur l'incorporation pour le calcul du préjudice des chiffres d'affaires ci-dessus évoqués, qui n'avaient pas été pris en compte dans les premières attestations de l'expert-comptable des 18 janvier et 26 mars 2018 (pièces n° 15 et 51).

S'il ne peut être contesté que le chiffre d'affaires sur les produits stratégiques grues/bras doit être pris en compte, de même que pour le service après-vente des produits Marrel, en revanche la prise en compte des chiffres d'affaires afférents aux grues Liv et « bennes+ caisse entrepreneur », n'est pas justifiée par les sociétés G. au regard des explications de la société Marrel. Ces chiffres d'affaires seront dès lors exclus du calcul du préjudice.

Le chiffre d'affaires annuel moyen (sur les années 2015 à2017) lié à Marrel, sera retenu comme suit :

- pour la société G. : 3 288 269 euros,

- pour la société G. Atlantique : 1 048 375 euros

- pour la société Normandie Bennes G. : 574 645 euros

La marge sur coûts variables moyenne est donc de :

- pour la société G. : 766 824 euros (3 288 269 euros x 0,2332), soit mensuelle de 63 902 euros

- pour la société G. Atlantique : 237 456 euros (1 048 375 euros x 0,2265), soit mensuelle de 19 788 euros

- pour la société Normandie Bennes G. : 125 560 euros (574 645 euros x 0,2185), soit mensuelle de 10 463 euros

Soit un préjudice sur insuffisance de préavis de :

- pour la société G. : 958 530 euros (63 902 euros x15)

- pour la société G. Atlantique : 296 820 euros (19 788 euros x 15)

- pour la société Normandie Bennes G. : 156 945 euros (10 463 euros x15)

Dès lors, la société Marrel sera condamnée à payer à titre de dommages-intérêts pour rupture brutale des relations commerciales les sommes de :

- pour la société G. : 958 530 euros

- pour la société G. Atlantique : 296 820 euros

- pour la société Normandie Bennes G. : 156 945 euros

Le jugement sera infirmé sur le montant des condamnations.

Sur les demandes de dommages-intérêts des sociétés G. pour la perte de la notoriété de la marque Marrel et du caractère vexatoire de la rupture des relations commerciales

Les sociétés G. font valoir à l'appui de leur demande de 500 000 euros chacune de dommages-intérêts, la perte de la forte attraction de leurs clients pour la marque Marrel pour la qualité de ses produits et leur procurant ainsi un avantage de vente pour leurs autres produits. Elles soutiennent également avoir été privées de leur faculté de réduire les volumes de leur stock de pièces de rechange.

D'une part la perte de notoriété a été prise en compte dans le calcul du délai de préavis. D'autre part seul est indemnisable le préjudice résultant de la brutalité de la rupture et non de la rupture elle-même, en application de l'article L. 442-6, I, 5° précité.

A l'appui de leur demande de dommages-intérêts les sociétés G. font état de préjudices non pas lié à la brutalité de la rupture, mais à la rupture elle-même.

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté les sociétés G., G. Atlantique et Normandie Bennes G. de leurs demandes de dommages-intérêts complémentaires.

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a condamné la société Marrel aux dépens de première instance et à payer aux sociétés G., G. Atlantique et Normandie Bennes G. la somme de 5 000 euros chacune au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

La société Marrel, partie perdante, sera condamnée aux dépens d'appel.

En application de l'article 700 du code de procédure civile en appel, la société Marrel sera déboutée de sa demande et condamnée à verser aux sociétés G., G. Atlantique et Normandie Bennes G. la somme de 5 000 euros chacune.

PAR CES MOTIFS

Confirme le jugement entrepris sauf en ce qu'il a condamné la société Marrel à payer à la société G. la somme de 1 789 215 euros, à la société G. Atlantique la somme de 539 130 euros et à la société Normandie Bennes G. la somme de 270 630 au titre de la rupture brutale de la relation commerciale,

Statuant de nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant,

Condamne la société Marrel à payer à la société G. la somme de 958 530 euros à titre de dommages-intérêts pour rupture brutale de la relation commerciale,

Condamne la société Marrel à payer à la société G. Atlantique la somme de 296 820 euros à titre de dommages-intérêts pour rupture brutale de la relation commerciale,

Condamne la société Marrel à payer à la société Normandie Bennes G. la somme de 156 945 euros à titre de dommages-intérêts pour rupture brutale de la relation commerciale,

Condamne la société Marrel aux dépens d'appel,

Condamne la société Marrel à payer aux sociétés G., G. Atlantique et Normandie Bennes G. la somme de 5 000 euros chacune au titre de l'article 700 du code de procédure civile en appel,

Rejette toute autre demande.