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Décisions

CA Pau, 2e ch. sect. 1, 16 mars 2021, n° 19/02596

PAU

Arrêt

Infirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Salmeron

Conseillers :

M. Magnon, M. Darracq

T. com. Dax, du 14 mai 2019

14 mai 2019

EXPOSÉ DES FAITS ET PROCÉDURE :

Le 08 janvier 2018, l'EURL BOUCHERIE CHARCUTERIE THIERRY D. a cédé à Guillaume M. un véhicule professionnel d'occasion CITROEN JUMPER aménagé, pour une somme de 17 400€. Le contrôle technique a été réalisé le jour même de la vente. Il mentionne notamment dans la rubrique défaut à corriger sans contre visite : « 6.1.7.1.2. INFRASTRUCTURE-SOUBASSEMENT : corrosion perforante multiple et/ou fissure/cassure multiple ».

Deux jours plus tard, le 10 janvier 2018, à l'occasion d'une révision, 1e garagiste de Guillaume M. lui a fait part du caractère inquiétant de cette corrosion.

Par lettre en date du 16 janvier 2018, Guillaume M. a demandé au vendeur la résolution de la vente, estimant être en présence d'un vice caché.

A défaut de réponse favorable, une expertise amiable et contradictoire s'est tenue le 26 janvier 2018, à l'initiative de l'assureur de Guillaume M., l'expert concluant que le véhicule était irréparable compte tenu de l'ampleur des travaux à entreprendre, au regard de sa valeur vénale.

Aucun accord amiable n'ayant pu être trouvé entre les parties, Guillaume M. a fait délivrer assignation par acte du 11 octobre 2018 à l'EURL BOUCHERIE CHARCUTERIE THIERRY D. d'avoir à comparaître devant le tribunal de commerce de DAX, pour voir :

Prononcer la résolution du contrat de vente conclu le 3 janvier 2018 concernant le véhicule CITROEN JUMPER portant le numéro de série VFEZCRA1CC17159686 ;

Condamner l'EURL BOUCHERIE CHARCUTERIE THIERRY D. à payer à Guillaume M. la somme de 17 400,00€ correspondant au prix de vente, avec intérêts au taux légal à compter du 11 avril 2018, date de la mise en demeure ;

Dire que le véhicule sera restitué par Guillaume M. à l'EURL BOUCHERIE CHARCUTERIE THIERRY D., à charge pour cette dernière d'en prendre possession à ses frais ;

Condamner l'EURL BOUCHERlE CHARCUTERIE THIERRY D. à payer à Guillaume M. les sommes de :

264,52€ au titre des frais d'assurance ;

788,52€ au titre des frais de révision et de changement de la courroie de distribution ;

108,00€ au titre des frais d'installation de matériel pour l'activité de boucher dans le véhicule vendu ;

6 000,00 euros au titre du préjudice de jouissance ;

1 000€ au titre du préjudice moral.

Condamner |'EURL BOUCHERIE CHARCUTERIE THIERRY D. à payer à Guillaume M. la somme de 2 000,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, en ce compris les frais d'expertise amiable, ainsi qu'aux entiers dépens ;

Ordonner l'exécution provisoire de la décision à venir.

L'EURL BOUCHERIE CHARCUTERIE THIERRY D. a conclu au rejet de ces demandes, au motif que le vice n'était pas caché mais figurait bien sur le rapport de contrôle technique remis à l'acheteur.

Par jugement du 14 mai 2019, le tribunal de commerce de Dax a :

Dit que le véhicule CITROEN JUMPER portant le numéro de série VF7ZCRMCC1 7159686 n'était pas atteint d'un vice caché au moment de la vente ;

Débouté Guillaume M. de sa demande de résolution du contrat de vente conclu le 8 janvier 2018 concernant ledit véhicule ;

Débouté Guillaume M. de ses autres demandes fins et conclusions ;

Débouté la société D. de sa demande d'indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Le tribunal a notamment retenu qu'au vu des conclusions des différents contrôles techniques, Guillaume M. aurait pu faire procéder à des contrôles supplémentaires ou faire intervenir un professionnel afin d'analyser ce qui était indiqué sur le contrôle technique réalisé le jour de la vente.

Par déclaration en date du 31 juillet 2019, Guillaume M. a relevé appel de ce jugement.

La clôture est intervenue le 2 décembre 2020, l'affaire étant fixée au 26 janvier 2021.

Au-delà de ce qui sera repris pour les besoins de la discussion et faisant application en l'espèce des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile, la cour entend se référer pour l'exposé plus ample des moyens et prétentions des parties aux dernières de leurs écritures visées ci-dessous.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES :

Vu les conclusions notifiées le 30 novembre 2020 par Guillaume M. qui demande à la Cour de :

Vu les articles 1641 et suivants du Code civil,

Vu les articles 1130 et suivants du Code civil,

Réformer le jugement dont appel et, statuant de nouveau,

A TITRE PRINCIPAL :

Juger que le véhicule CITROEN JUMPER portant le numéro de série VF7ZCRMCC17159686 était atteint d'un vice caché au moment de la vente ;

Prononcer la résolution du contrat de vente conclu le 8 janvier 2018 concernant le véhicule CITROEN JUMPER portant le numéro de série VF7ZCRMCC17159686 ;

Condamner l'EURL BOUCHERIE CHARCUTERIE THIERRY D. à lui payer la somme de 17 400 € correspondant au prix de vente, avec intérêts au taux légal à compter du 11 avril 2018, date de la mise en demeure ;

Dire que le véhicule sera restitué par Guillaume M. à l'EURL BOUCHERIE CHARCUTERIE THIERRY D., à charge pour cette dernière d'en prendre possession à ses frais ;

Condamner l'EURL BOUCHERIE CHARCUTERIE THIERRY D. à payer à Monsieur M. les sommes de :

- 264,52 € au titre des frais d'assurance ;

- 788,48 € au titre des frais de révision et de changement de la courroie de distribution ;

- 108 € au titre des frais d'installation de matériel pour l'activité de boucher dans le véhicule vendu ;

- 6 000 € au titre du préjudice de jouissance ;

- 1 000 € au titre du préjudice moral.

A TITRE SUBSIDAIRE :

Juger que Guillaume M. a été victime d'un dol concernant le contrat de vente du véhicule CITROEN JUMPER portant le numéro de série VF7ZCRMCC17159686 conclu le 8 janvier 2018 ;

Prononcer l'annulation du contrat de vente conclu le 8 janvier 2018 concernant le véhicule CITROEN JUMPER portant le numéro de série VF7ZCRMCC17159686 ;

Condamner l'EURL BOUCHERIE CHARCUTERIE THIERRY D. à payer à Guillaume M. la somme de 17 400 € correspondant au prix de vente, avec intérêts au taux légal à compter du 11 avril 2018, date de la mise en demeure ;

Dire que le véhicule sera restitué par Guillaume M. à l'EURL BOUCHERIE CHARCUTERIE THIERRY D., à charge pour cette dernière d'en prendre possession à ses frais ;

Condamner l'EURL BOUCHERIE CHARCUTERIE THIERRY D. à payer à Guillaume M. les sommes de :

264,52 € au titre des frais d'assurance ;

788,48 € au titre des frais de révision et de changement de la courroie de distribution ;

108 € au titre des frais d'installation de matériel pour l'activité de boucher dans le véhicule vendu ;

6 000 € au titre du préjudice de jouissance ;

1 000 € au titre du préjudice moral.

EN TOUT ÉTAT DE CAUSE :

Condamner l'EURL BOUCHERIE CHARCUTERIE THIERRY D. à payer à Guillaume M. la somme de 2500,00 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, en ce compris les frais d'expertise amiable, ainsi qu'aux entiers dépens.

Vu les conclusions notifiées le 24 janvier 2020, par l'EURL Boucherie Charcuterie Thierry D., qui demande à la Cour de :

Confirmer le jugement rendu le 14 mai 2019 par le Tribunal de Commerce en toutes ses dispositions

Condamner Guillaume M. au paiement d'une indemnité de 2 000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile.

Le Condamner aux entiers dépens.

MOTIFS DE LA DECISION :

Sur l'action en garantie des vices cachés :

A titre principal et sur le fondement des articles 1641 et suivants du code civil, Guillaume M. poursuit l'action en garantie des vices cachés qui rendent le véhicule acquis impropre à l'usage auquel il était destiné, ou qui diminuent tellement cet usage, que l'acheteur ne l'aurait pas acquis, ou n'en aurait donné qu'un moindre prix, s'il les avait connus.

Il fait valoir que le vice affectant le véhicule était caché car Thierry D. n'a jamais parlé du « blaxon Châssis » et que si ce dernier a présenté le procès- verbal de contrôle technique faisant état de « corrosion perforante multiple et ou cassure multiple », les portes étant fortement corrodées, cette mention pouvait s'y rapporter.

Il ajoute que l'état général du véhicule présentait un bel aspect visuel, de sorte que l'ampleur du vice dont l'expert indique qu'il rend le véhicule inutilisable en l'état, lui est demeurée cachée, jusqu'à l'expertise diligentée par son assureur.

L'EURL BOUCHERIE CHARCUTERIE D. conteste l'existence d'un vice caché aux motifs qu'elle a fait réaliser un contrôle technique mentionnant « la présence de corrosion perforante multiple et ou de fissure/cassure multiple sur l'infrastructure-soubassement », alors que Guillaume M. n'a pas inspecté le véhicule pour autant ; que selon l'expert mandaté par l'assureur du vendeur, les dommages étaient bien visibles, non dissimulés et auraient pu être rapidement diagnostiqués, aucun cache n'étant à déposer.

Il ajoute que le « blaxon » a été apposé trois ans plus tôt et présentait des traces de rouille.

En droit, il ressort des dispositions de l'article 1642 du code civil que le vendeur n'est pas tenu des vices apparents et dont l'acheteur a pu se convaincre lui-même.

Tel n'est pas le cas cependant du vice signalé au moment de la vente d'un véhicule, sur le rapport de contrôle technique remis à l'acheteur, lequel ne prescrit pas de contre-visite après correction, et qui n'apparaît dans toute son ampleur et sa gravité qu'ultérieurement, à l'occasion d'une expertise conduite par un professionnel.

A cet égard, il ne saurait être reproché à Guillaume M., qui n'est pas un professionnel de l'automobile, de s'être fié au rapport du contrôleur technique quant à l'importance du phénomène de corrosion constaté sur la structure et le soubassement du véhicule, désordre qui ne figure pas dans la rubrique défaut à corriger avec contre-visite, de sorte qu'il a pu légitimement penser que l'usage et la sécurité du véhicule n'étaient pas remis en cause, d'autant que le fourgon acquis pour effectuer des tournées professionnelles présentait un bel aspect comme le démontrent les photographies versées aux débats.

Or, selon le rapport d'expertise amiable contradictoire réalisé par l'expert mandaté par l'assureur de l'appelant, confirmé par l'avis technique de l'expert désigné par l'assureur de l'intimé, les dommages constatés sur le véhicule au niveau de l'infrastructure/soubassement sont importants et le rendent impropre à la circulation. Aucune estimation de remise en état du véhicule n'a été établie car le coût des travaux excéderait sa valeur vénale.

L'expert Azema missionné par la compagnie Allianz a relevé des points de fixation mécanique présentant de la corrosion (lames de suspension arrière et berceau) ; des parties latérales gauche et droite du plancher qui s'effritent à plusieurs endroits et des parties entières de métal absentes dans le passage de roue avant droit ; ainsi qu'une corrosion de la fixation des câbles de frein arrière.

L'expert conclut que « le métal n'a plus ses caractéristiques mécaniques. La corrosion perforante rend le châssis cassant à plusieurs endroits. Il est à craindre que sur un à-coup (dos d'âne, nid de poule… ) les points de fixations mécaniques s'arrachent et que le châssis s'affaisse ».

De ce fait, le véhicule, impropre à la circulation, est inutilisable, le montant des travaux de remise en état étant supérieur à sa valeur vénale.

Cet avis est confirmé par celui de l'expert R., désigné par la Compagnie MAPA, qui conclut que remettre le véhicule en l'état reviendrait à le reconstruire.

Dès lors et si pour le professionnel qu'est un expert automobile, le vice peut être diagnostiqué, quant à son ampleur et sa gravité, en se penchant sous le véhicule, tel n'est pas le cas pour l'acheteur profane qu'est Guillaume M. à qui il ne peut être reproché de ne pas s'être entouré de l'avis d'un homme de l'art, avant la vente, sauf à ajouter au texte de l'article 1642 du code civil une condition qu'il ne prévoit pas.

Le véhicule étant affecté d'un vice qui le rend impropre à l'usage auquel il était destiné, puisqu'il ne peut être maintenu en circulation en l'état et qu'il n'est pas économiquement réparable, il convient de faire droit à la demande de résolution du contrat de vente du 8 janvier 2018 et d'ordonner la restitution croisée du prix et du véhicule.

Les intérêts sur le prix seront dûs au taux légal à compter de l'assignation.

En application de l'article 1645 du code civil, si le vendeur connaissait les vices de la chose, il est tenu, outre de la restitution du prix qu'il en a reçu, de tous les dommages et intérêts envers l'acheteur.

Dans le cas contraire et selon l'article 1646 du même code, il ne peut être tenu qu'à la restitution du prix et à rembourser à l'acquéreur les frais occasionnés par la vente.

Ces frais doivent s'entendre des dépenses directement liées à la conclusion du contrat. Ils ne peuvent ainsi inclure le coût d'une assurance, d'une révision ou des frais de réparation ou d'équipement du véhicule.

En l'espèce il n'est pas établi que l'EURL BOUCHERIE CHARCUTERIE THIERRY D., qui n'est pas un vendeur automobile professionnel, avait connaissance de l'ampleur du vice et de sa gravité, rendant le véhicule impropre à la circulation, alors que les différents contrôles techniques effectués entre 2011 et 2018, s'ils mentionnaient une corrosion de la structure du soubassement, n'imposaient aucune contre-visite.

Et si le 28 octobre 2015, l'EURL BOUCHERIE CHARCUTERIE D. a fait appliquer sur le châssis du véhicule un produit de protection contre la corrosion de type Blaxon, il n'est pas possible d'en déduire, comme le soutient l'appelant, que l'intention du vendeur était de dissimuler la gravité du vice, puisque les experts ont pu la constater sans avoir à déposer aucune pièce du véhicule.

En conséquence, Guillaume M. doit être débouté de toutes ses demandes indemnitaires qui ne concernent pas des frais directement liés à la conclusion de la vente.

Sur les demandes annexes :

L'EURL BOUCHERIE CHARCUTERIE THIERRY D. qui succombe supportera la charge des dépens de première instance et d'appel.

Au regard des circonstances de la cause et de la position respective des parties, l'équité justifie de condamner l'EURL BOUCHERIE CHARCUTERIE THIERRY D. à payer à Guillaume M. une indemnité de 1500,00 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS :

La cour, statuant par arrêt mis à disposition au greffe, contradictoirement et en dernier ressort,

INFIRME le jugement,

Statuant à nouveau,

Prononce la résolution du contrat de vente conclu le 8 janvier 2018 entre l'EURL BOUCHERIE CHARCUTERIE THIERRY D. et Guillaume M., ayant pour objet le véhicule CITROËN JUMPER portant le numéro de série VF7ZCRMCC17159686,

Condamne l'EURL BOUCHERIE CHARCUTERIE THIERRY D. à payer à Guillaume M. la somme de 17 400,00 euros, en restitution du prix de vente, avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation,

Dit que Guillaume M. devra restituer le véhicule ci-dessus désigné à l'EURL BOUCHERIE CHARCUTERIE THIERRY D., à charge pour cette dernière d'en prendre possession à ses frais,

Déboute Guillaume M. de ses demandes indemnitaires s'agissant des frais exposés postérieurement à la vente, du préjudice de jouissance et du préjudice moral,

Condamne l'EURL BOUCHERIE CHARCUTERIE THIERRY D. aux dépens de première instance et d'appel,

Condamne l'EURL BOUCHERIE CHARCUTERIE THIERRY D. à payer à Guillaume M. une somme de 1 500,00 euros au titre des frais non compris dans les dépens de l'entière procédure.