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Décisions

CA Bordeaux, 4e ch. civ., 15 mars 2021, n° 18/02533

BORDEAUX

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Bram Lavage (EURL)

Défendeur :

Suzohapp France (SAS), Aqua Bloo (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Chelle

Conseillers :

Mme Fabry, Mme Brisset

T. com. Bordeaux, du 3 avr. 2018

3 avril 2018

FAITS ET PROCÉDURE

Suivant bon de commande du 19 novembre 2009, l'EURL Bram Lavage a commandé à la SAS Aqua Bloo une station de lavage de voitures comprenant notamment un distributeur de jetons fabriqué par la SAS Comesterogroup France, moyennant un prix total de 160 622,80 euros TTC. La réception a eu lieu le 3 mars 2011. La société Bram Lavage a souscrit auprès de la société Comesterogroup un abonnement GPRS bancaire.

En août 2013, des dysfonctionnements du distributeur de jetons sont apparus et la société Bram en a arrêté l'utilisation en janvier 2014. La société Bram Lavage déclare de plus avoir appris en novembre 2013 que le matériel ne répondait plus aux normes imposées par les banques depuis 2010.

La société Bram Lavage a saisi le tribunal de commerce de Bordeaux, à une date et dans des conditions que ni le tribunal ni les parties n'ont jugé utile de préciser.

Par jugement avant dire droit du 25 juin 2015, le tribunal a ordonné une expertise. L'expert a déposé son rapport le 15 février 2016.

Par jugement du tribunal de commerce de Périgueux du 29 novembre 2016, la société Aqua Bloo a été placée en redressement judiciaire, Me L., de la SCP P.-L.-D.-B., a été désigné en qualité de mandataire judiciaire. Le 2 février 2017, la société Bram a demandé l'admission de sa créance au passif de ce redressement, et par assignation du 31 mars 2017 elle a appelé en la cause Me L., de la SCP P.-L.-D.-B., ès-qualités.

Par jugement du 3 avril 2018, le tribunal de commerce de Bordeaux a :

- Débouté la société Bram de l'intégralité de ses demandes,

- Débouté Me L. de la SCP P.-L.-D.-B., ès-qualités, de l'intégralité de ses demandes,

- Condamné la société Bram à payer la somme de 1 500 euros à la société Comesterogroup au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- Condamné la société Bram à payer la somme de 1 500 euros à la société Aqua Bloo au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens.

Par déclaration du 27 avril 2018, la société Bram a interjeté appel de cette décision à l'encontre de l'ensemble des chefs de la décision, qu'elle a expressément énumérés, à l'exception de celui déboutant L. de la SCP P.-L.-D.-B., ès-qualités, de l'intégralité de ses demandes, intimant les société Suzohapp, venant aux droits de la société Comesterogroup, Aqua Bloo et la SCP P.-L.-D.-B., ès-qualités.

PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Par conclusions déposées en dernier lieu le 5 octobre 2018, auxquelles il convient de se reporter pour le détail des moyens et arguments, la société Bram demande à la cour de :

EN CONSTATANT la manifeste responsabilité des requises dans le défaut de délivrance d'un matériel conforme, l'existence des vices du consentement tenant au dol et à l'erreur et en tout état de cause à l'inexécution de leurs obligations de vendeurs professionnels que sont les sociétés AQUA BLOO et COMESTEROGROUP FRANCE.

- INFRIMER le jugement dont appel.

- Statuant à nouveau,

- CONDAMNER la société COMESTEROGROUP à remplacer le distributeur de jetons par une borne à la norme PCI-PED et ce sous astreinte de 500 euros par jour de retard passé le délai d'un mois à compter de la signification de la décision à intervenir.

- CONDAMNER la société COMESTEROGROUP à payer à la société BRAM LAVAGE les sommes suivantes :

- 22 680 euros correspondant à la perte d'exploitation estimée par l'Expert jusqu'à septembre 2015, ainsi que la somme correspondant à la perte d'exploitation estimée par l'Expert jusqu'à septembre 2015, ainsi que la somme correspondant à la perte du Chiffre d'affaire jusqu'à la mise en fonctionnement du nouveau matériel, sur une base de 1 250 euros mensuel.

- 10 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

- FIXER la créance indemnitaire de la société BRAM LAVAGE au passif de la société AQUA BLOO aux sommes précitées dont il sera prononcé la condamnation à l'encontre de la société COMESTEROGROUP.

Outre les diverses demandes reprises intégralement ci-dessus en italique de « constater », qui ne sont pas des prétentions au sens des articles 4, 5, 31 et 954 du code de procédure civile, mais des moyens ou arguments au soutien des véritables prétentions, la société Bram fait en sus valoir que la société Aqua Bloo lui a volontairement caché que le matériel acheté ne pourrait fonctionner à long terme en raison de la modification des normes bancaires de paiement sécurisé ; qu'elle n'aurait pas contracté si elle avait su que le matériel ne fonctionnerait pas plus de deux ans ; subsidiairement, qu'elle a été victime d'une erreur sur la substance ayant vicié son consentement ; que le caractère périmé à court terme de la norme bancaire caractérise un vice caché ; que les vices ont été découverts en août 2013 ; que la société Aqua Bloo n'a pas respecté ses obligations d'information et de conseil ; que la société Comesterogroup a manqué à ses obligations en livrant une chose affectée d'un vice cachée sans information sur la législation en vigueur ; que le matériel lui a causé un important préjudice ; que son préjudice économique doit être indemnisé.

Par conclusions déposées en dernier lieu le 30 août 2018, auxquelles il convient de se reporter pour le détail des moyens et arguments, la société Suzohapp demande à la cour de :

- Constater que la Société SUZOHAPP France vient aux droits de la Société COMESTEROGROUP FRANCE

- Confirmer le Jugement dont appel

- En conséquence,

- Débouter intégralement la société BRAM LAVAGE de ses demandes dirigées à l'encontre de la société SUZOHAPP FRANCE

- Dire que le remplacement de la machine ne se justifie pas

- Débouter la société BRAM LAVAGE de sa demande indemnitaire

- Condamner la société BRAM LAVAGE à payer à la société SUZOHAPP FRANCE la somme de 4 000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile

- Condamner la société BRAM LAVAGE aux entiers dépens

La société Suzohapp fait notamment valoir qu'elle n'a pas de lien contractuel avec la société Bram, n'étant ni le vendeur ni l'installateur du matériel ; que le fabricant du terminal de paiement est la société Money Line, appartenant à la société Ingenico ; que les dysfonctionnements sont imputables à un défaut d'entretien imputable à la société Bram ou à la société Aqua Bloo ; que les dysfonctionnements sont marginaux ; que le terminal de paiement peut toujours être légalement en circulation ; que l'indemnisation d'un préjudice futur et incertain n'est pas possible.

La société Aqua Bloo et la SCP P.-L.-D.-B., ès-qualités, n'ont pas constitué avocat. Cette société de mandataires judiciaires n'a pas écrit à la cour pour lui faire part de l'état d'avancement de la procédure collective.

Le 29 juin 2018, la société Bram leur a fait signifier sa déclaration d'appel. Les 12 et 23 octobre 2018, elle leur a fait signifier ses conclusions.

La clôture de la procédure a été prononcée selon ordonnance du 1er février 2021.

MOTIFS DE LA DECISION

L'appelante demande à la cour de condamner la société Comesterogroup à remplacer sous astreinte le distributeur de jetons, puis de lui payer 22 680 euros pour perte d'exploitation, outre une autre somme pour « perte du chiffre d'affaire jusqu'à la mise en fonctionnement du nouveau matériel sur une base de 1 250 euros mensuels », ainsi que 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Ensuite, par une formule controuvée, l'appelante demande de fixer sa créance indemnitaire au passif de la société Aqua Bloo « aux sommes précitées dont il sera prononcé la condamnation à l'encontre de la société COMESTEROGROUP ».

Il en ressort que la société Bram Lavage, sans toutefois le dire expressément, poursuit la responsabilité simultanée, voire solidaire, et en tout cas équivalente, des sociétés Comesterogroup et Aqua Bloo puisque ses prétentions sont de condamner les deux sociétés à lui payer les mêmes sommes indemnitaires, sauf à seulement fixer celles mises à la charge de Aqua Bloo au passif de la procédure collective de celle-ci.

En réalité, elle soutient tout à la fois, sans aucunement distinguer un principal d'un subsidiaire, que la formation du contrat a été viciée par une réticence dolosive de la société Aqua Bloo, sans toutefois en tirer une conséquence juridique de nullité du contrat, puis qu'elle a commis une erreur sur la substance au visa de l'article 1110 ancien du code civil, sans non plus en tirer de conséquences sur la validité du contrat, puis, tout à la fois soutient des manquements contractuels « manifestes » de la société Aqua Bloo : garantie des vices cachés, manquement au devoir de conseil et d'information, et absence de dépannage.

Il apparaît que la société Bram Lavage amalgame des faits différents, à savoir des dysfonctionnements du distributeur de jetons, d'une part, et la création d'une nouvelle norme bancaire pour les paiements par carte, d'autre part.

Puis la société Bram Lavage invoque une « action directe à l'endroit de la société Comestero Group », contestant sa mise hors de cause par le tribunal, alors que le tribunal n'a pourtant aucunement prononcé une telle décision.

L'appelante fait valoir que Comesterogroup est le fabriquant du distributeur de jetons défaillant, qui l'a vendu à Aqua Bloo, laquelle l'a alors intégré à la station de lavage litigieuse.

La société Bram Lavage en déduit que cette société a aussi manqué à ses obligations en livrant une chose affectée d'un vice caché et sans information sur l'évolution normative ; que la société Comesterogroup n'est pas intervenue pour mettre fin aux dysfonctionnements et que les conclusions de l'expert prouvent de ce fait « la co-responsabilité de ce préjudice ».

Pour autant, la société Suzohapp France, qui vient sans contestation aux droits de la société Comesterogroup France, peut utilement opposer que la demande de Bram Lavage est fondée sur la garantie des vices cachés, sur les vices du consentement, et sur le manquement au devoir de conseil et d'information, tous fondements juridiques qui ne sont invocables qu'à l'encontre du co-contractant, alors qu'elle n'est ni le vendeur, ni l'installateur, ni le chargé de l'entretien du matériel.

La société intimée peut faire valoir sans être démentie que le fabriquant du terminal de paiement litigieux est la société Money Line appartenant à la société Ingenico.

La société Bram Lavage se prévaut d'un abonnement « GPRS bancaire » souscrit avec la société Comesterogroup et produit une facture de celle-ci (sa pièce n° 12), omettant toutefois d'expliciter en quoi cet abonnement consisterait et, surtout, de produire un contrat, de sorte que les éventuelles obligations de Comesterogroup à son égard ne sont pas ici définies. La société Suzohapp ne s'en explique pas davantage, étant toutefois observé que ce contrat est sans lien avec le distributeur de jetons litigieux.

En tout état de cause, il résulte de l'expertise que les dysfonctionnements du distributeur de jetons constatés par l'expert en raison de sections de câbles, proviennent d'un défaut d'entretien imputable à l'exploitant ou à Aqua Bloo ; que les abandons de débit ne sont qu'au nombre de 7 en deux mois et sont qualifiés de normaux par l'expert, étant dus à des questions de liaisons hertziennes.

La société Suzohapp peut utilement faire valoir que la question du choix de la carte du terminal de paiement est sans lien avec le préjudice invoqué, outre que l'expert a excédé sa mission en chiffrant un préjudice, ce qui n'entrait pas dans sa mission.

La société Suzohapp ne peut être déclarée responsable des rejets qualifiés de normaux par l'expert, ni des distributions intempestives de jetons.

Les demandes présentées par la société Bram Lavage contre la société Comesterogroup, aux droits de laquelle vient Suzohapp, ne peuvent qu'être rejetées.

S'agissant des griefs à l'encontre de la société Aqua Bloo, comme l'a exactement relevé le tribunal de commerce, le système livré et installé a fonctionné correctement pendant plus de deux ans. N'est ainsi caractérisé aucun vice du consentement de la société cliente, ni dol, ni erreur. Aucun vice caché n'est non plus caractérisé.

En réalité, les seuls dysfonctionnements anormaux proviennent d'errements se produisant dans la distribution des jetons.

La norme bancaire et son changement invoqué ne sont pas à l'origine des difficultés de la société Bram Lavage, et il n'est pas démontré que le système en soit rendu inutilisable.

S'agissant des jetons, l'expert a clairement identifié les causes des dysfonctionnements de leur distribution aléatoire, provenant du sectionnement de quatre conducteurs de câbles qui relient le système de paiement avec le distributeur de jetons, sectionnement causé par des frictions se produisant lors des multiples chargements du distributeur.

Il s'agit donc d'une simple question d'entretien du matériel, et non d'un vice caché, et il n'y a nullement lieu à condamner quiconque à remplacer l'appareil en cause.

Il ne ressort pas des explications de la société Bram Lavage que la société Aqua Bloo aurait été contractuellement chargée d'un entretien périodique, et plus spécialement du distributeur de jetons. Notamment, l'appelante ne produit pas de contrat d'entretien de ce distributeur.

Si la société Bram Lavage affirme (page 15 de ses conclusions) avoir « fait état à plusieurs reprises de dysfonctionnements » auprès de la société Aqua Bloo, elle ne justifie pas non plus de cette affirmation.

Il en résulte que la responsabilité contractuelle de la société Aqua Bloo n'est pas démontrée dans le seul dysfonctionnement qui a pu être objectivé.

Le jugement qui a débouté la société Bram Lavage de l'ensemble de ses demandes sera confirmé.

Sur les autres demandes

Partie tenue aux dépens d'appel, la société Bram Lavage paiera à la société Suzohapp la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par arrêt réputé contradictoire et en dernier ressort,

Confirme le jugement rendu entre les parties le 3 avril 2018 par le tribunal de commerce de Bordeaux,

Condamne la société Bram Lavage à payer à la société Suzohapp France la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel,

Condamne Bram Lavage aux dépens d'appel.